— C’est facile à deviner. Au cours d’une des maladies de mon époux, son état s’aggraverait et je n’aurais plus qu’à retourner en Espagne tandis que Gaston et sa « princesse » monteraient sur le trône ! Une chose me surprend cependant…

— Laquelle ?

— Que ce damné Richelieu donne la main au projet. Ce n’est pas son intérêt pourtant. Que Louis vienne à disparaître et il perdrait tout pouvoir !

— Rien de moins certain ! C’est à la Reine-mère qu’il le doit. Elle en est entichée au point de l’avoir installé au Petit-Luxembourg, dans une dépendance de son palais pour l’avoir en permanence sous la main. En outre Gaston, qui est son fils préféré, ne me paraît pas posséder d’immenses qualités de gouvernement. La vieille guenipe régnerait à travers lui… et Richelieu que l’on dit son amant resterait en place.

— Son amant ? C’est ridicule ! On parle surtout de sa jolie nièce, la veuve du marquis de Combalet tué au combat de Saintes, et qui était Mlle de Pontcourlay. Elle habite chez lui, m’a-t-on dit ?

— En effet. Elle y tiendrait le rôle de maîtresse de maison mais là, je pense qu’il serait raisonnable que nous choisissions ! Il faudrait être un foudre de guerre amoureuse pour satisfaire à la fois une jolie femme pleine de vie et Sa grosse Majesté qui, en dépit de l’âge, garde un bel appétit et demeure persuadée qu’elle est toujours un doux péril pour la vertu de quelques beaux garçons. Ce qui n’est pas le cas de Son Eminence. Mais revenons à Monsieur ! Il faudrait savoir comment il envisage ce mariage…

— Sans doute avec plaisir. Il aime l’or et la demoiselle est plus que riche.

— Sans doute mais elle n’est pas fort attrayante et notre prince aime les jeunes et jolies femmes. Il faudrait parvenir à le convaincre de montrer une profonde répugnance pour une union qui ne pourrait le satisfaire longtemps alors qu’avec un peu de patience il lui serait possible d’en conclure une… infiniment plus séduisante, fit lentement la Duchesse en qui une brillante idée venait de naître.

— Laquelle, mon Dieu ?

— Mais… devenir l’époux de la reine de France !

— Vous êtes folle, Marie !

— Pas tant que cela ! Essayons de voir clairement la situation. La santé du Roi est de plus en plus mauvaise, ou de moins en moins bonne comme Votre Majesté voudra. S’il succombe à ses indispositions, Monsieur coiffera la couronne puisqu’il est l’héritier. Admettez dans ce cas, madame, qu’il serait tout à fait dommage qu’il la partage avec une quelconque Montpensier alors qu’il pourrait obtenir la main d’une infante déjà reine.

Anne se signa vivement cependant que ses beaux yeux verts s’effaraient :

— Taisez-vous, Duchesse ! C’est péché que nourrir de telles pensées.

— Pourquoi ? Prévoir l’avenir n’a jamais fait mourir personne et quand il s’agit d’un royaume il vaut mieux prendre quelques précautions. Rien ne dit que notre sire résistera à ses nombreux maux. Rien ne dit non plus que demain ou la semaine prochaine Votre Majesté ne sera pas enceinte. Encore faudrait-il que ce soit d’un mâle, ce que nous ne saurions qu’au bout de neuf mois. Et si nous avions une princesse il faudrait recommencer avec un homme toujours plus malade. Voilà pourquoi j’affirme qu’il est vital pour le bien de l’Etat que Monsieur reste libre du lien conjugal. Et je ne crois pas offenser le Seigneur en mettant la Reine en face de la réalité. Eprouverait-elle de la répugnance envers son beau-frère ?

Cette fois Anne se mit à rire :

— Nous nous sommes toujours entendus à merveille et vous savez que je le trouve charmant. Il est aimable, bon compagnon, ami des plaisirs… mais je me demande s’il serait un roi convenable !

— Peut-être pas, mais il n’en laissera que plus volontiers les affaires à qui saura les mener… et je n’ai pas l’impression qu’il serait un mari jaloux. Il s’est montré fort amical… très admiratif même envers Mylord Buckingham et…

— Taisez-vous, Marie ! Voilà un nom qui ne doit plus être prononcé ici, fit la Reine en jetant autour d’elle un regard effrayé comme si elle s’attendait à voir des oreilles soulever les tapisseries.

— Alors taisons-le… pour le moment, et revenons a ce qui nous occupe : empêcher le mariage de Monsieur. Moi je ne le vois pas souvent et n’ai aucune influence sur lui. A qui pourrions-nous faire appel pour le chapitrer ?

Anne observa quelques instants de silence mais Marie put constater qu’elle rougissait. Enfin, elle murmura :

— Il y a M. d’Ornano son ancien précepteur qui est à présent surintendant de sa maison et aussi son mentor privilégié. Gaston lui porte un véritable attachement. En tout cas il l’écoute et puis…

Elle s’arrêta mais Marie avait compris la raison de son trouble.

— … et puis avec tout le respect possible, il est amoureux de Votre Majesté. Je l’ai bien connu au temps de mon défunt époux, le Connétable, dont je ne crains pas de dire qu’il lui devait d’être sorti de l’ombre et l’en a remercié en l’aidant à abattre Concini. Je le reverrai avec plaisir… surtout s’il m’est permis de lui transmettre un message… verbal, se hâta-t-elle d’ajouter en voyant passer un nuage sur le front d’Anne. Nuage aussitôt effacé…

— J’en suis d’accord mais prenez garde tout de même. Je commence à croire que le Cardinal a des espions partout…

— Et moi j’en suis certaine. Aussi n’agirai-je pas seule. Nous allons monter contre ce mariage une gentille petite cabale ! Au nez et à la barbe de cet insupportable touche-à-tout !… Cela va être très amusant !

CHAPITRE X

LE « PARTI DE L’AVERSION »

Le mal se retirait enfin laissant sa victime épuisée mais soulagée avec, tout au fond d’elle-même, la crainte qu’elle ne revienne en dépit de ce qu’assuraient les médicastres. Tous des ânes qui, sans l’aide de Dieu, ne seraient jamais capables de guérir qui que ce soit ! Mais, heureusement pour l’humanité souffrante, il y avait Dieu et la compassion qu’il lui arrivait de témoigner à l’un de ses fidèles serviteurs…

Jean-Baptiste d’Ornano respira profondément à plusieurs reprises, sans éprouver de gêne, en fut satisfait et décida de quitter un lit où il marinait depuis trop longtemps. Dans ce but, il sortit ses jambes des draps, posa ses pieds sur le tapis… toujours pas de douleur ! Décidément l’emplâtre que lui avait porté l’excellente Mme de Gondi était miraculeux ! Tout requinqué, il sonna pour qu’on lui donne ses pantoufles et sa robe de chambre, alla s’installer dans un vaste fauteuil près du feu cria qu’il avait faim et voulait déjeuner. Et comme son valet lui proposait de faire un peu de toilette en attendant que l’on serve, il le houspilla en clamant qu’il entendait prier pour remercier Dieu de sa guérison et qu’une barbe longue ainsi qu’une moustache hérissée n’étaient pas manque de respect envers le Seigneur ni Sa Sainte Mère car c’était l’appareil habituel du soldat en campagne…

C’était en vérité un curieux personnage que celui-là ! Quarante-cinq ans, le poil et l’œil noir, laid comme le péché, maigre comme un chat et de caractère abrupt, l’ex-gouverneur et actuel surintendant de Monsieur, colonel général des Corses, était en effet avant tout un guerrier. Et il avait de qui tenir parce qu’il descendait en droite ligne d’un véritable héros ! Il était le petit-fils du fameux patriote corse, Sampiero de Bastelica dit Sampiero Corso, qui avait voulu délivrer son pays de la férule de Gênes, servi François Ier en fondant auprès de lui le premier régiment insulaire, étranglé sa femme Vanina d’Ornano parce qu’elle voulait traiter avec l’ennemi et, poursuivi par la vendetta de ses beaux-frères, avait finalement péri assassiné.

Le fils de Sampiero, Alphonse d’Ornano, après avoir servi sous les ordres de son père, été élu général à sa place, avait combattu sa vie durant au service du Roi. Carrière particulièrement glorieuse qui l’avait mené jusqu’au bâton de maréchal après sa conduite exceptionnelle au gouvernement de Bordeaux où il se dévoua sans compter au cours d’une violente épidémie de peste, soutenu par sa foi profonde. Doué d’un courage peu ordinaire il avait tenu, âgé de soixante ans, à subir la cruelle opération de la pierre… et n’en était pas sorti vivant.

La pierre, c’était décidément la maladie familiale et Jean-Baptiste, qui venait de subir une sévère crise rénale, en savait quelque chose. Les douleurs endurées étaient si fortes qu’il avait compris son père d’avoir voulu leur échapper par tous les moyens, fût-ce la torture sous un couteau chirurgical hésitant… A lui non plus personne ne pouvait en remontrer sur le chapitre du courage ! Ni sur celui de la piété d’ailleurs ! Il vénérait la Mère du Christ au point de s’abstenir de coucher avec une femme si elle portait le nom de Marie afin de ne pas lui manquer de respect ! Son épouse, à lui, s’appelait Catherine et il lui avait fait trois enfants sans autres états d’âme…

Pour le moment, il savourait sa convalescence en adressant une fervente oraison à sa protectrice quand on vint lui annoncer que la princesse de Conti et la duchesse de Chevreuse venaient d’arriver et désiraient l’entretenir d’une affaire grave. Au nom de la Reine !

Il les connaissait toutes deux et, grand amateur de femmes, les admirait. La première dont il gardait souvenir d’un épisode galant, un peu plus que la seconde. Question d’âge ! Quant à la seconde, s’il rêvait depuis longtemps de la mettre dans son lit, il s’était toujours gardé de lui faire la moindre avance puisqu’elle s’appelait Marie… On la disait facile : ce n’était pas de chance !

Il n’en déplora pas moins de les recevoir négligé mais n’eut même pas le temps d’envoyer un valet les prier d’attendre un petit moment : elles arrivaient sur les talons du serviteur apportant dans leurs fourrures une bouffée d’air frais – à vrai dire il gelait ! – et des parfums délicieux. Il fut aussitôt pris dans un tourbillon de paroles et de sourires.

Avec un bel ensemble, elles s’excusèrent sur l’urgence de leur mission, d’avoir osé envahir son logis en dépit de ce qu’on leur avait dit dans le vestibule : il était fort souffrant et absolument empêché de recevoir des visites, mais quand il réussit à placer une parole, il les assura galamment qu’eût-il été encore la proie du mal, leur seule présence l’eût chassé. En vérité il brûlait de curiosité par la vertu de cet irrésistible sésame : le nom de la Reine ! Et si ses visiteuses voulaient bien se montrer indulgentes, il se sentait prêt à les entendre !

Afin de réchauffer encore l’atmosphère, il ordonna que l’on apportât du vin cuit et des craquelins puis se carra plus confortablement dans son fauteuil tandis que les dames abandonnaient leurs pelisses au dos des leurs.

— Sa Majesté sait que je lui suis tout dévoué, commença-t-il en croisant ses mains sur son giron avec une onction de prélat. Que veut-elle de moi ?

L’honneur d’ouvrir le feu revenait à Louise de Conti, la plus ancienne et la plus titrée des deux visiteuses :

— Permettez-moi d’abord une question, colonel ! Comment Monsieur ressent-il l’annonce de son prochain mariage avec Mlle de Montpensier ?

D’Ornano ne répondit pas immédiatement. Son œil rond s’attachait à la personne de la princesse. On disait Bassompierre toujours fou d’elle et en fait on pouvait le comprendre : en dépit de son âge, la sœur des Guise était toujours une femme superbe ! Quant à la petite Chevreuse, c’était un morceau de choix ! De la façon dont débutait l’entretien, le rusé entrevit une longue suite de visites et de conversations qui pouvaient devenir fort agréables… Cependant il fallait répondre…

— Eh bien ? s’impatienta Marie.

— En vérité, je ne saurais trop le dire. Le Prince est parfois difficile à déchiffrer, même pour moi. Lorsqu’il a appris la nouvelle, il a certes ressenti du mécontentement : il n’aime pas qu’on lui dicte sa conduite et il pense être assez grand pour choisir lui-même son épouse. Mais, rassurez-vous, il s’est calmé et à la réflexion le projet lui est apparu paré d’une certaine grâce…

— Ne nous dites pas qu’il a déjà accepté ? s’exclama la princesse.

— Non, mais je pense que cela ne saurait tarder : Mlle de Montpensier possède de grands avantages.

Marie échangea avec son amie un coup d’œil inquiet :

— Moins grands cependant que ceux auxquels il renoncerait en se mariant aussi sottement !

— Sottement ? Peste ! Comme vous y allez, Madame la Duchesse !

— Oh ! je ne retire rien ! C’est faire preuve de bêtise que convoler avec une Montpensier aussi riche soit-elle quand, avec un peu de patience, on pourrait épouser une reine…