— Par grâce, madame, ne vous sauvez pas. Je ne vous veux aucun mal… bien au contraire !
Elle s’aperçut qu’elle pleurait parce que dans le crépuscule elle ne pouvait distinguer les traits de son poursuivant. Qui d’ailleurs s’inquiétait :
— Vous vous êtes fait mal ?
— Un peu, oui. Que me voulez-vous ?
— Rien que vous servir si vous le permettez ! Oh, Madame la Duchesse, il y a si longtemps que je vous admire sans jamais oser me présenter à vous ! Et quand, de chez le Roi, je vous ai vue traverser le jardin…
— Vous m’avez reconnue ?
— Je sais tout de vous jusqu’aux couleurs de vos robes et j’ai reconnu cette mante du même bleu que vos yeux ! Ordonnez seulement et j’obéirai !
— Vraiment ? Eh bien, d’abord je voudrais sortir d’ici au plus vite ! Or le pied m’a tourné…
— Et vous souffrez ? Je suis impardonnable ! Prenez mon bras, je vais vous accompagner…
— C’est gentil à vous mais même avec votre appui, je ne sais comment je vais faire pour aller jusque chez moi. C’est beaucoup trop loin !
— Rien de plus vrai ! Où est votre voiture ?
Ce garçon était peut-être providentiel mais il devait être idiot, et Marie n’en sentit pas moins la moutarde lui monter au nez :
— Où voulez-vous qu’elle soit ? Dans la cour du Cheval Blanc, évidemment ! Vous venez de me dire que vous n’ignoriez rien de moi ! Et si je ne l’ai pas rejointe c’est que…
— … il valait mieux éviter de traverser le château après ce qu’il vient de se passer ! Mais moi je ne suis pas en péril et je vais vous la chercher…
— … et vous reviendrez avec les soldats chargés de la garder ! Allez plutôt prendre un cheval à l’écurie. Je pourrai me maintenir en croupe…
— Merveilleuse idée ! Je vais avoir l’impression grisante d’être votre chevalier !
En dépit de sa situation peu enviable, Marie ne put s’empêcher de rire. L’enthousiasme de ce jeune homme – elle le distinguait mieux à présent et il était loin d’être laid ! – la réconfortait :
— Pourquoi pas ? Maintenant, conduisez-moi jusqu’au banc qui est là et que l’on ne doit pas voir du château. Je vais vous y attendre.
Il l’y mena avec sollicitude, l’y installa comme il put et allait s’élancer pour accomplir sa mission quand elle le retint :
— Encore un instant ! Si vous me disiez qui vous êtes ?
Il s’attrista :
— Je savais bien que vous ne m’aviez jamais remarqué ! J’ai nom Henri de Talleyrand, comte de Chalais et je suis le Maître de la Garde-Robe de Sa Majesté le Roi…
Ce fut un trait de lumière pour Marie qui cherchait depuis un moment qui pouvait être ce jeune homme, assez beau et qui même lui rappelait un peu Holland. Cela remontait au temps de ses bonnes relations avec Louis XIII dont le jeune Chalais avait été enfant d’honneur avant de se voir offrir par sa mère la charge fort onéreuse de responsable des habits et joyaux du Roi. Depuis le drame de la salle du trône, Marie n’avait eu que de rares relations avec la maison du souverain. En revanche, il lui semblait avoir aperçu ce visage dans les entours de Monsieur… C’était étonnant qu’elle n’y ait pas attaché plus d’importance. Justement à cause de cette vague ressemblance…
Quand il revint tout fringant, en selle sur un grand cheval moreau en croupe duquel il l’installa en lui recommandant, avec un tremblement d’émotion dans la voix, de mettre ses bras autour de lui, elle lui posa aussitôt la question qui la tracassait :
— De par votre charge vous êtes au Roi, pourtant j’ai l’impression de vous avoir rencontré chez le duc d’Anjou ?
— C’est vrai. Je dois ma fidélité à notre sire mais depuis longtemps le Prince m’honore de son amitié… J’avoue que je l’aime bien. Il est toujours si gai, si avenant…
— Je ne saurais vous le reprocher. Est-il indiscret, en ce cas, de vous demander si vous vous êtes joint à ceux de L’Aversion ?
— Disons que j’y suis de cœur sinon de fait. Je ne vous cache pas qu’après ce qui vient de se passer, je suis fort en souci de Monsieur. M. de Tresmes a reçu l’ordre de garder son appartement.
— Sait-on pourquoi l’on s’est saisi du maréchal d’Ornano ?
— A cause d’une correspondance avec le roi d’Espagne et le duc de Savoie dont les gens du Cardinal se seraient emparés…
— Le Cardinal ? Encore lui ! Quand donc le Roi comprendra-t-il que ce trublion n’aura de cesse de l’isoler de sa famille et de sa noblesse afin de mieux s’assurer le pouvoir ?
Chalais n’ayant pas jugé bon de répondre, Marie n’insista pas. On arrivait à destination et elle était trop inquiète de son propre sort pour essayer de savoir ce qu’il pensait au juste de Richelieu. Cependant le petit hôtel était aussi paisible et silencieux qu’au moment où elle l’avait quitté. Un valet armé d’un flambeau sortit précipitamment quand le jeune homme arrêta son cheval devant le perron :
— Madame la Duchesse est blessée, allez quérir ses femmes et un médecin ! lui ordonna Chalais.
— Pas de médecin, s’il vous plaît ! coupa Marie. Ma vieille Anna en sait autant et je ne veux pas d’un inconnu chez moi ! Où est Monseigneur le Duc ?
Le serviteur répondit qu’il n’était pas rentré et demanda s’il fallait envoyer à sa recherche. Ce que Marie déclina. Cependant Chalais l’avait enlevée de selle et sans lui demander son avis, gravissait le perron en la portant dans ses bras, ce qu’il faisait aisément et avec une joie si visible qu’elle remarqua :
— Vous auriez pu demander un fauteuil et deux laquais ?
— Et me priver de cet instant de pur bonheur ? J’aurais voulu que notre chevauchée dure des heures et que cette demeure fût plus vaste que le plus grand des palais !
Après tout, ce mode de locomotion plaisait assez à la jeune femme. Son porteur était grand, mince, mais vigoureux. Il y avait une éternité que des bras virils ne s’étaient pas refermés sur elle et son pied ne la faisait pas suffisamment souffrir pour l’empêcher d’apprécier ce plaisir. Elen et Anna qui accouraient les rejoignirent vers la moitié de l’escalier et voulurent aider, mais Chalais ne consentit à lâcher son fardeau que sur les coussins du lit à colonnes où il la déposa avec une délicatesse… et un regret infinis. Quand ce fut chose faite, il s’agenouilla sur le tapis :
— Que puis-je faire à présent pour vous être agréable ? Je suis à vous et vous n’avez qu’à ordonner !
— Je ne suis guère en disposition de commander, mon cher comte, mais je souhaiterais que vous vous dépêchiez de retourner au château afin de voir où en sont les choses pour Monsieur et ses amis. Au cas où vous entendriez de mauvais… bruits me concernant…
— Vous en serez prévenue aussitôt. De même si personne ne s’en est emparé, je vous ramènerai votre voiture. Vous pourriez en avoir besoin…
— Pour m’éloigner en hâte ? J’espère encore ne pas y être obligée et qu’alors mon époux viendrait à mon secours si cela arrivait. A bien y réfléchir j’aimerais que vous le cherchiez…
— Soyez sans crainte, je vais m’enquérir de lui dans l’instant mais il se peut qu’il soit déjà en chemin…
— Nous verrons ! Revenez dès que possible !… et si vous réussissez à approcher Monsieur, veuillez lui dire que je demeure plus que jamais sa fidèle servante et amie…
Elle s’efforçait au calme et même à une sérénité qu’elle était bien loin d’éprouver. En outre, son pied la faisait réellement souffrir à présent. Quand Anna avait ôté son soulier et son bas, il était apparu gonflé, d’un bleu presque noir. Cependant la Bretonne l’avait rassurée : puisqu’elle n’avait pas mal au cœur, il n’y avait rien de cassé. Une simple foulure peut-être qui l’empêcherait de marcher pendant plusieurs jours. Il ne manquait vraiment plus que cela !
Pourtant, si Marie pensait être parvenue au plus creux de l’inquiétude elle s’aperçut rapidement qu’il n’en était rien… Une heure plus tard Peran ramenait le carrosse et rapportait un billet de Chalais : il lui avait été impossible d’approcher Gaston d’Anjou et le duc de Chevreuse semblait avoir disparu. Chalais ne l’avait trouvé nulle part et personne n’avait pu lui dire ce qu’il était devenu !…
CHAPITRE XI
L’ATTENTAT
Les six jours qui suivirent furent un cauchemar. A chaque instant Marie s’attendait à voir sa maison investie par Du Hallier et ses gardes pour l’emmener elle et sous bonne escorte rejoindre les frères d’Ornano au donjon de Vincennes. Ses jours étaient vides et ses nuits sans sommeil. Il lui arrivait de se lever pour ordonner que l’on fît ses coffres, qu’on l’habille, qu’on attelle, prise d’une folle envie de fuir loin de ce palais que son imagination lui montrait à présent peuplé d’ennemis. Mais, la crise d’angoisse passée – elle s’apaisait toujours au moment d’appeler –, elle retournait se coucher ou alors se traînait appuyée sur une canne au petit jardin qui était derrière son logis et s’asseyait sur un banc de pierre près de la fontaine.
Chalais fidèlement venait tous les après-midi et s’efforçait de la rassurer. On ne parlait pas beaucoup d’elle à la Cour sinon pour supposer que Chevreuse, toujours introuvable, s’était hâté de l’emmener au loin afin de la soustraire à une éventuelle colère royale. Evidemment tout dépendait des aveux que l’on pourrait obtenir du maréchal d’Ornano. On les savait très liés, et selon ce qu’il dirait… Quant à Monsieur, il avait eu une longue conversation avec le Roi et le Cardinal mais de ce qui s’était dit rien n’avait transpiré. L’appartement du prince n’était plus gardé, cependant il n’en sortait guère et recevait de fréquentes visites de sa mère.
En réalité, il n’y avait aucune preuve contre Mme de Chevreuse alors que les lettres trouvées chez d’Ornano dénonçaient la collusion avec l’étranger mais, plus amoureux que jamais, Chalais s’évertuait à faire durer ces instants, magiques pour lui où, devenu son seul lien avec l’extérieur, il cherchait à s’introduire dans sa vie intime. S’il se montrait plutôt discret sur la température de la Cour, il ne tarissait pas lorsqu’il lui parlait de l’intensité de son amour. Au point parfois de l’agacer mais quoi ? L’écouter était un prix modique à payer pour s’assurer sa fidélité. Elle se montrait charmante avec lui, sachant néanmoins toujours l’arrêter quand il se risquait sur un terrain trop brûlant, et pour une simple raison : elle ne l’aimait pas. Certes il était jeune, bien fait, entraîné à tous les exercices du corps et d’agréable compagnie. Ce qui ne voulait pas dire qu’elle songeait à en faire son amant. Même sa légère ressemblance avec Holland le desservait : il lui faisait l’effet d’une mauvaise copie et ses regrets de l’original n’en étaient que plus poignants !
Cet état de fait aurait pu durer longtemps mais, le septième jour, la grille s’ouvrait devant les chevaux de Louise de Conti, et leur maîtresse entrait en conquérante dans la maison de Marie.
— Hé quoi, ma chère ? Etes-vous souffrante ou bien, touchée par la grâce divine, entrez-vous en retraite avant de vous faire moniale ?
Marie lui tomba dans les bras :
— A Dieu ne plaise… encore que la seconde éventualité pût être envisagée ! En fait je ne sais plus trop à quoi me résoudre.
— Vous rendre chez la Reine me paraît une idée judicieuse. D’autant qu’elle vous réclame.
— Je ne souhaite que cela mais si l’on doit m’arrêter au seuil de ses appartements…
— Et pourquoi, diantre, vous arrêterait-on ? Il est temps, je crois, de faire le point de la situation. D’Ornano a été expédié à Vincennes pour avoir écrit des lettres à des souverains étrangers dans le but d’assurer leur appui à ce cher duc d’Anjou. Vous êtes de ses amies. Très bien ! Mais vous n’êtes pas la seule et vous n’avez jamais écrit quoi que ce soit à qui que ce soit !
— N… on, sauf peut-être à…
— … un certain Lord anglais qui vous tient à cœur ! Les lettres d’amour ne constituent pas un acte de trahison. Aussi n’y a-t-il pas de raison pour continuer à vous morfondre ici ! Allez vous habiller ! Je vous emmène…
Ah, la merveilleuse sensation de délivrance ! Marie en aurait pleuré de joie !… Pourtant avant d’appeler ses femmes, elle avait encore une question :
— Sauriez-vous où est celui de vos frères qui est aussi mon époux ?
— A Paris ! Il y est parti sur ordre du Roi peu de temps après l’arrestation avec défense d’en bouger. Ne me demandez pas pourquoi, ajouta-t-elle très vite en voyant Marie ouvrir la bouche. Et pour l’amour du ciel, hâtez-vous !… Mais qu’avez-vous au pied ?
— Plus rien qui vaille la peine d’en parler ! Vous m’avez guérie !
On perdit encore un moment, bien que Marie se fût précipitée à sa toilette parce que, à l’heure où l’on allait se mettre en route, Chalais fit son apparition avec sa moisson quotidienne de « nouvelles » plus ou moins expurgées. La vue de la princesse de Conti le stupéfia tellement qu’il resta sans voix un instant mais se reprit :
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