— Pourquoi pas ? répondit-elle en lui tendant une main sur laquelle il se jeta.
Pendant ce temps, ledit Chalais gagnait l’appartement de Monsieur. Il y trouva le Grand Prieur de Vendôme…
En effet, le Parti de l’Aversion n’était pas aussi affaibli que le craignait Mme de Chevreuse. Les frères Vendôme pensaient, comme la Duchesse elle-même, qu’il fallait à n’importe quel prix faire libérer d’Ornano, empêcher Gaston de convoler, et que pour ce faire le moyen le plus radical était de mettre Richelieu hors d’état de continuer à nuire aux Grands. Lui disparu, on viendrait facilement à bout de Louis XIII. Cependant leurs vues différaient de celles de Marie en ce que celle-ci envisageait le discrédit et l’éloignement, alors qu’eux songeaient tout simplement à le tuer en vertu de ce principe que les morts viennent rarement vous mettre des bâtons dans les roues… Un projet, né de l’urgence, était déjà sur pied ainsi que Chalais l’apprit à Marie le soir même. Il fallait profiter du séjour à Fontainebleau qui ne durerait plus bien longtemps. La date du 10 mai fut donc arrêtée.
Ce soir-là, à l’issue d’une chasse un peu trop prolongée, du côté de Fleury, Gaston et quelques-uns de ses amis, pris par l’approche de la nuit, iraient demander le gîte et le couvert au Cardinal. Sous un prétexte quelconque et avec les fumées du vin une querelle éclaterait durant le souper. On en viendrait aux armes et dans le feu de l’action un coup de lame atteindrait le Cardinal. Mortellement si possible ! On tira au sort pour savoir qui porterait le coup fatal. Ce fut Chalais…
Le jeune coq vint s’en vanter à Marie. Franchement admirative, celle-ci lui promit d’être à lui dès que la mort de son ennemi serait proclamée et lui donna un baiser à titre d’acompte en ajoutant qu’elle passerait cette nuit-là en prière pour le succès de l’opération. Dieu, assurément, ne pouvait qu’approuver une action qui mettrait à terre celui qui osait défier le Pape, son vicaire. Anne d’Autriche fut, par elle, informée discrètement de ce qui se préparait. Inquiète cependant, elle demanda à Marie de passer avec elle cette journée cruciale mais aussi d’y rester après la tombée de la nuit. Ce faisant, elle voulait protéger son amie des suites possibles de l’attentat en la gardant au château.
Or, quand elle arriva, ce matin-là, une déconvenue attendait la Duchesse : Monsieur s’était déclaré malade et gardait le lit, ce qui, par définition, l’empêchait de chasser comme prévu. La nouvelle arriva chez la Reine portée par une Marie de Médicis bougonne et grondeuse qui, fidèle à sa mauvaise foi coutumière, prenait l’habitude de rendre sa belle-fille responsable de tous les malheurs internes du palais. La maladie de Gaston y compris. Les mauvais bruits qu’Anne et son complice d’Ornano avaient fait courir sur l’état déplorable de la famille royale étaient à la source du mal mystérieux dont souffrait Gaston et auquel les médecins ne comprenaient rien. De toute façon ils ne comprenaient jamais rien à rien. Cette fois il s’agissait d’une humeur pernicieuse due à la crainte de perdre l’affection du Roi son frère…
— Vous dressez le fils contre le fils ! prophétisa-t-elle un doigt tendu vers le plafond. Cela ne vous portera pas bonheur, ma fille.
Incapable d’en entendre davantage, Marie ne put se retenir de faire remarquer à la mégère qu’en effet le mal devait être bien mystérieux pour avoir changé en une créature bêlante, accablée sous le remords, un prince doué d’une de ces heureuses natures persuadée que le monde entier les adorait et qu’en tout état de cause elle ne voyait pas clairement ce que la Reine venait faire là-dedans. Son intervention eut au moins l’avantage de tourner contre elle les foudres de la Médicis :
— Ce n’est pas la première fois que je dis que tu devrais être enfermée depuis longtemps dans un bon couvent, Maria ! Tu es le mauvais génie de cette malheureuse comme tu l’es devenue de mon fils ! Je suis persuadée que tu as tourné la tête de ces gentilshommes qui osent l’abandonner quand il est malade pour aller galoper à la queue de je ne sais quel bestiau ! Une honte !
— Vous voulez dire que les gens de Monsieur sont allés chasser sans lui ?
— Hé oui ! Des indifférents ! Des ingrats qui ne songent qu’à leur plaisir ! Et je jurerais que tu as couché avec au moins la moitié d’entre eux… si ce n’est avec tous !
Réconfortée à l’idée que, même sans Monsieur, le plan marchait, Marie se mit à rire :
— Ah ça, c’est impossible ! Une moitié des gentilshommes du duc d’Anjou préfère les hommes et l’autre moitié me déplaît. Sa Majesté devrait m’accorder crédit d’un goût plus sûr.
La Reine-mère sortit en haussant des épaules furieuses mais cette petite escarmouche avait allégé l’atmosphère chez Anne d’Autriche, où la belle-mère n’était appréciée de personne à l’exception peut-être de Mme de Lannoy, et encore ! On savait que la dame d’honneur était habitée par un étrange esprit de contradiction dont les filles d’honneur avaient appris à se méfier. L’une d’entre elles, Mlle de Quélus, chuchotait même qu’elle avait un faible pour le Cardinal et Doña Estefania s’en méfiait. Il est vrai qu’elle avait une raison personnelle : la parole rapide et haut perchée de la dame n’était pas souvent compréhensible pour sa connaissance réduite et largement approximative de la langue française.
Les rites de la matinée royale se déroulaient donc agréablement quand arriva la princesse de Conti qui, après les politesses de la porte, prit Mme de Chevreuse à part :
— Vous êtes sûre que tout va bien ?
— Si l’on veut ! Monsieur, toujours aussi courageux, s’est déclaré indisposé depuis l’aurore mais les… autres sont partis pour la chasse.
— Les autres ? Mais pas le jeune Chalais que je sache ? Je viens de le voir entrer dans la chapelle à la suite du Roi…
— Vous êtes certaine ?
— Je sais que je suis plus vieille que vous mais ma vue est excellente ! Je l’ai vu, vous dis-je !
— Oh ! C’est trop fort !… Il va falloir qu’il m’explique !
Elle s’éclipsa aussitôt, traversa la Cour Ovale et se rendit dans le vestibule d’honneur sur lequel ouvrait la tribune de la chapelle de la Sainte Trinité. Elle eut juste le temps de se réfugier dans un renfoncement : Louis XIII, qui était seulement venu faire quelques dévotions, en sortait suivi d’une poignée de gentilshommes parmi lesquels, à l’évidence, se trouvait l’homme qui portait tous ses espoirs. Marie dut alors se faire violence pour ne pas se précipiter sur lui et lui demander des explications, mais il était en train de parler avec Louvigny à la suite du Roi. Il valait mieux attendre : dans quelques instants le groupe se séparerait. C’était l’heure du Conseil où Louis allait rejoindre le Cardinal et ses autres ministres.
Les portes refermées par les gardes armés de pertuisanes, ce fut ce qui se produisit. Certains partirent d’un côté, d’autres de l’autre. Marie n’hésita plus et rattrapa les deux hommes qui poursuivaient leur conversation.
— Que vous arrive-t-il, messieurs ? Vous ne vous quittez plus ? Votre servante, monsieur de Louvigny ! Ne devriez-vous pas être au chevet de votre prince que l’on dit fort mal ce matin ?
Le large sourire dont celui-ci l’avait accueillie se changea en grimace :
— Moi qui étais sottement heureux d’une rencontre si agréable, voilà que vous voulez m’en priver ? Ce n’est pas charitable ! Quant à Monsieur, il n’est pas moribond et je voulais voir Chalais…
— Moi aussi, figurez-vous ! Alors pardonnez-moi de vous l’enlever ! Juste un instant et je vous le rends.
— Ah non ! Je préférerais que vous le laissiez aller et que « vous » reveniez avec moi !
— Nous verrons !
Elle entraîna son prisonnier dans l’embrasure d’une fenêtre et attaqua en prenant soin de baisser sa voix :
— J’attends des explications ! Que faites-vous ici ? A l’étonnement de la jeune femme il n’eut pas l’air embarrassé le moins du monde :
— Vous le voyez ! Ce matin je ne pouvais pas partir avec les autres, j’avais mon service et je pensais que vous le saviez…
— Sans doute, mais n’étions-nous pas convenus…
— Je sais, cependant gardez confiance ! Certes, nous ne pouvons compter sur Monsieur, mais les siens sont en forêt où ils doivent passer la journée. Je les rejoindrai comme prévu !
L’explication était valable mais Marie n’en fut pas rassurée pour autant. Elle n’appréciait guère le ton inhabituel de sa voix où elle croyait déceler une gêne. Chalais lui cachait quelque chose et elle aurait bien voulu savoir quoi mais elle n’eut pas le temps de poser d’autres questions : un homme déjà âgé et de grande mine venait de faire son apparition et se dirigeait vers eux avec l’allure de qui a trouvé ce qu’il cherchait. Chalais dit, très vite :
— Voilà mon oncle, le Commandeur de Valençay qui vient par ici. Quittons-nous ! J’irai vous voir cette nuit…
— Cela m’étonnerait ! Je reste chez la Reine cette nuit… et demain il ne me plaira peut-être plus de vous recevoir !
Le regard du jeune homme s’affola :
— Pourquoi être si cruelle ? Je fais votre volonté et vous savez combien je vous aime…
— Paroles, mon cher ! Je vous attends aux actes sinon…
Elle n’en dit pas plus, prit à sa ceinture son éventail d’ivoire et l’agitant comme pour chasser une odeur désagréable, elle tourna le dos à son amoureux désolé et s’éloigna en balançant gracieusement les hanches.
Le reste de la journée s’écoula à son rythme normal mais la nuit fut interminable. La Reine avait ordonné que l’on dresse un lit pour son amie dans sa chambre, faveur inouïe qui fit pincer bien des lèvres mais parut enchanter Mme de Conti. Celle-ci préférait de beaucoup savoir sa belle-sœur en sécurité dans le château que seule dans un hôtel à l’écart où tout pouvait lui arriver dès que l’on apprendrait la mort du Cardinal. Ce qui n’assura cependant pas le sommeil à Marie. Ni elle ni la Reine ne fermèrent l’œil, trop occupées à suivre par la pensée le déroulement du drame qui devait se jouer au château de Fleury puis, après minuit, guettant un éclat, un appel ou simplement le galop du cheval d’un messager venu apprendre au Roi qu’il n’avait plus de ministre…
La nuit fut d’un calme accablant jusqu’à ce qu’aux approches du jour, le palais parût s’étirer en faisant entendre les premiers bruits du réveil. Chez Anne d’Autriche, le service commençait quand Mme de Bellière, première femme de chambre – et membre du complot ! – qui était allée prendre le vent du côté de chez le Roi, accourut hors d’haleine :
— Le carrosse du Cardinal ! Il vient d’entrer dans la cour…
— Est-il dedans ? demanda Marie. Ou est-ce son secrétaire qui vient…
— Oh non ! C’est lui ! Il ne va pas chez le Roi mais chez Monsieur !
En effet Gaston d’Anjou qui était dans son lit encore à moitié endormi se crut être en train de faire un mauvais rêve quand il vit Richelieu entrer dans sa chambre, tout souriant, pour le gronder paternellement de lui avoir caché à quel point sa maison de Fleury lui plaisait !
— Vos gentilshommes m’avaient annoncé que vous alliez y venir souper, Monseigneur, et j’ai été désolé qu’un mal imprévu vous empêche de me faire ce plaisir. Mais qu’à cela ne tienne ! Dès à présent, Fleury est à vous !
— Mais… mais… et vous-même, Monsieur le Cardinal ?
— Oh, ne vous mettez pas en peine ! J’ai non loin d’ici une autre maison de campagne…
Et là-dessus, il salua Son Altesse comme il convenait et s’en fut chez le Roi pour lui offrir sa démission. Aussitôt refusée. Que s’était-il donc passé ?
Tout simplement que le jeune Chalais était atteint d’un mal rédhibitoire chez un conspirateur : une sérieuse démangeaison de la langue. C’était un bavard. En outre, inconsistant et sans fermeté, il avait vu dans les exigences de Mme de Chevreuse – dont il était réellement très amoureux ! – un moyen de réaliser les prédictions d’un astrologue qui, en tirant son horoscope, en avait conclu qu’il atteindrait la plus grande fortune et la plus grande puissance… ou alors qu’il serait abominablement malheureux. Confiant dans la première partie du présage, le jeune fou ne put résister à confier à son oncle, Achille d’Etampes, Commandeur de Valençay, que grâce à des amis haut placés, il allait assurément atteindre, à la suite de la chute de Richelieu, un grade élevé dans l’armée et des faveurs sans nombre.
Or si Valençay, en bon dignitaire de l’Ordre de Malte, respectait le Pape, il n’était pas idiot et considérait Richelieu comme un grand homme. Que ce jeune imbécile se mêle de l’abattre lui parut grotesque. Il le lui dit sans fard et le traîna incontinent chez le Cardinal auquel Chalais confessa ingénument toute l’affaire. Sans pour autant cesser de se dire le très fidèle soutien de Monsieur. En fait il pensait faire preuve d’une extraordinaire habileté en jouant sur les deux tableaux.
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