— Non, je vous en prie ! Pas cela !… Donnez-moi encore une chance ! Je verrai Monsieur… Il m’écoute et nous pouvons je crois le convaincre de refuser, même maintenant, le mariage jusqu’à ce que nous ayons fait le nécessaire pour sa fuite car il ne faut pas nous leurrer : l’issue en sera qu’il va être contraint d’épouser Mlle de Montpensier…

— Alors mettez-vous à l’ouvrage et, pour vous encourager…

Elle s’approcha de lui, mit ses bras autour de son cou et lui donna un long baiser. Un moment il l’eut tout entière contre lui, des lèvres aux genoux, et ce contact, ce parfum dont elle usait lui mirent le sang en ébullition, mais elle glissa de ses bras avant qu’il ait eu le temps de les refermer sur elle…

— Plus tard ! chuchota-t-elle. Je saurai vous récompenser, soyez-en certain, et plus encore que vous ne pouvez l’imaginer…

Chalais, une fois de plus, s’en alla voir Gaston d’Anjou.

Les circonstances servirent un moment les plans de Marie. Le Cardinal, pâle mais ferme sur ses jambes, ayant rejoint le Roi, celui-ci décida de se rendre à Nantes afin d’y présider les états de Bretagne et de juger par lui-même du degré de rébellion où l’avait amené César de Vendôme : il ne voulait pas laisser derrière lui un abcès qui ne fût pas complètement vidé. Le mariage de Gaston aurait lieu là-bas, voilà tout ! La fiancée d’ailleurs avait pris du retard et n’aurait qu’à suivre. Cela laissait du temps à Marie et à la poignée de gentilshommes encore sur la brèche pour monter et exécuter un plan. La médaille cependant avait son revers : la distance pour sortir du royaume serait plus longue de Nantes que de Blois… à moins de partir par la mer ?

Le cortège royal quitta donc Blois le 27 juin. Marie et la Reine avaient repris courage, Chalais semblait avoir retourné Monsieur comme prévu : le Prince faisait un caprice, jurant à qui voulait l’entendre que, à la réflexion, il avait de moins en moins envie d’épouser Montpensier si cousue d’or qu’elle soit ! Il avait entendu dire qu’elle était de faible santé et ce n’était pas l’épouse qu’il lui fallait.

Le 29 on arrivait à Saumur. C’est là qu’eut lieu un incident qui allait bouleverser une fois de plus le fragile édifice que Marie s’acharnait à construire autour d’Anne d’Autriche.

Louvigny avait pris avec bonne humeur l’histoire des lettres échangées. Il avait remis à Chalais celle qui lui revenait de façon discrète et en riant énormément : il ne fallait pas prendre au sérieux les injures d’une femme en colère, les campagnes de guerre accomplies par son ami le mettant à l’abri de l’accusation de lâcheté. En revanche il aurait aimé savoir ce que Mme de Chevreuse lui écrivait à lui. Chalais répondit, avec désinvolture, que c’était un billet sans importance dont il ne savait, à la réflexion, ce qu’il en avait fait : la Duchesse avec infiniment d’amabilité lui demandait de l’excuser de ne pouvoir, à ce moment, lui accorder l’entretien privé qu’il espérait. Il s’était ensuite hâté d’en avertir Marie qui ne l’avait pas démenti. Les déplacements continuels de la Cour, à ces moments-là, donnaient quelque crédibilité à cette version que Louvigny accepta. Ou du moins parut accepter sans pour autant cesser de courtiser Marie…

— Qui ne tente rien, n’obtient rien, confia-t-il à Chalais. Elle vous accorde ses préférences mais elle peut changer d’idée. Sans pour autant faire tort à notre amitié…

Or, cette « amitié », un incident allait lui permettre de la mettre à l’épreuve sur un autre terrain : celui des armes.

Le soir de l’arrivée à Saumur, Louvigny se prit de querelle avec le duc de Caudale, fils aîné du duc d’Epernon, et naturellement on décida de la vider sur le pré. Aussitôt François de Montmorency-Bouteville se proposa comme second de Candale. C’était le duelliste le plus impénitent du royaume : plus de vingt fois il avait violé les édits et il ne voulait pas manquer pareille fête. Mais s’il y avait un second pour Candale il en fallait un pour Louvigny. Celui-ci vint demander à Chalais de remplir ce rôle. Or Chalais refusa net. Et comme Louvigny s’étonnait avec un rien de mépris de ce refus, le jeune homme expliqua : il ne pouvait combattre Bouteville qui lui avait récemment rendu un signalé service en tuant un certain Pontgibault qui se mêlait de poésie gauloise et s’en était pris à son épouse que l’on savait de mœurs légères en chantonnant :


Pontgibault se vante

D’avoir vu la fente

De la comtesse d’Alais

Qui aime fort les ballets

Et dit qu’elle est plus charmante

Que celle de la Chalais.


La colère de Bouteville s’expliquait par le fait qu’il était l’amant de la dame et sans même en avertir le mari, il avait proprement embroché l’insolent sur le Pont-Neuf, au sortir d’un cabaret. A la suite de cet éclat le héros avait pris le large pendant un certain temps mais il était revenu en France, fermement décidé à ne remettre que rarement son épée au fourreau.

Louvigny ne fut pas sensible à l’argument :

— C’est vous qui auriez dû tuer Pontgibault et maintenant vous devriez tuer Bouteville pour avoir usurpé ce qui vous revenait ! Je vous en offre l’occasion.

— Non, pardonnez-moi ! Nous sommes devenus amis et je l’aime bien.

— Et notre amitié, vous y pensez ?

— J’y pense mais essayez de comprendre !

— Quoi ? Que vous refusez de combattre votre rival après lui avoir permis de laver dans le sang l’honneur de votre femme ? Vous cherchez simplement à rompre notre amitié mais soyez tranquille, je vais moi aussi changer d’ami et de parti !

Louvigny trouva un autre second et le duel se termina sur une égratignure reçue de part et d’autre. S’entre-tuer presque sous le nez du Cardinal eût été de la folie pure. Le 3 juillet tout le monde entrait à Nantes sur les talons du Roi qui s’en alla présider les états de Bretagne… aux acclamations d’une foule beaucoup moins attachée à César de Vendôme que celui-ci ne le supposait. Il avait, il est vrai, la main plutôt rude !

Un nouveau gouverneur fut nommé. C’était le maréchal de Thémines, un homme respectable. Cette nomination était entièrement à l’honneur du Cardinal : il avait lui-même proposé le Maréchal, faisant fi de la douleur profonde que lui avait causée la mort de son frère aîné, Henri du Plessis de Richelieu, tué en duel par le frère de Thémines[28]. L’exécration du Cardinal pour ces combats singuliers parfois stupides et parfois aussi semblables à des assassinats déguisés était née de ce deuil jamais oublié.

La Bretagne ainsi rentrée dans l’ordre, le Roi revint à ses propres affaires : il s’agissait de conclure, bon gré, mal gré le mariage de Gaston. Le Parti de l’Aversion réduit à Marie, Chalais, le prince et deux ou trois gentilshommes[29] sentit que c’était perdu d’avance si l’on ne frappait pas un grand coup : Monsieur et Chalais devaient fuir le plus vite possible. En effet, devant la nouvelle résistance du Prince, Richelieu s’était entretenu une fois encore avec ledit Chalais qui ne savait plus à quel saint se vouer : il avait cru astucieux de jouer sur plusieurs tableaux mais il allait tout perdre, et prendre le large avec son prince était la seule issue qui lui restât.

Marie s’activa. Un premier projet de fuite vers La Rochelle fut rejeté comme trop aléatoire : la ville était toujours au pouvoir de protestants. On se décida pour la Lorraine. Au jour choisi – le 10 juillet – Gaston, Chalais et deux compagnons quitteraient Nantes dans la lumière du matin mais sur de solides coureurs, sous le prétexte d’une excursion à Ingrandes. Arrivés là on ferait savoir au Roi que Monsieur ne se sentait plus en sûreté à Nantes et se retirait à Blois, chez sa mère. Mais, au lieu de s’y installer, on partirait à francs étriers pour Chartres puis pour Paris d’où l’on gagnerait Metz ou Sedan bien que l’on n’ait pas reçu réponse des gouverneurs. En Lorraine on serait à l’abri…

Le 9 juillet, la Reine et ses dames commençaient à peine leur journée quand la nouvelle passa sur elles comme un ouragan : au lever du jour Chalais avait été saisi dans son lit par le capitaine des gardes et conduit à la prison du Bouffay. Elle laissa Marie sans voix et la Reine presque sans connaissance.

Cependant, elles se rassurèrent un peu en apprenant que Monsieur venait de sortir pour faire une promenade dans la campagne et chasser comme si de rien n’était. Il n’en était pas moins gardé à vue. Que s’était-il donc passé ?

Simplement que Louvigny n’avait pas perdu de temps pour se venger : il s’était empressé de dire au Roi que Monsieur et Chalais complotaient non seulement l’assassinat de Richelieu mais aussi du Roi lui-même… afin que la Reine puisse épouser Monsieur.

Le coup fut rude pour Louis XIII qui n’avait jamais réussi à démêler ce qu’il y avait de vrai dans les bruits contraires qu’il recevait et surtout n’imaginait pas un instant que l’on pût vouloir attenter à sa vie pour donner son épouse et sa couronne à son frère. Le plus insupportable était : jusqu’à quel point Anne d’Autriche trempait-elle dans le complot ?

Ses soupçons se renforcèrent à l’audition de Monsieur, interrogé par le Cardinal avec le doigté nécessaire. Terrifié à l’idée de ce qui pourrait lui arriver, appâté d’autre part par la promesse d’un bel apanage s’il se laissait enfin marier, Gaston, fidèle à son égoïsme ainsi qu’à l’incurable lâcheté qui allaient jalonner sa vie d’une longue suite de conspirations et d’abandons de ses complices, les livra à peu près tous, éclaboussant les d’Ornano, les Vendôme, Chalais, d’autres membres du Parti de l’Aversion, sans oublier la Reine. Ce qui était un comble car une seule échappa à sa liste : celle qui, justement, était la plus coupable : Mme de Chevreuse sur laquelle il ne dit pas un mot. Bien entendu, il accepta de se marier d’autant plus volontiers qu’il recevrait à cette occasion les duchés de Chartres et d’Orléans, le comté de Blois qui lui assureraient cent mille livres de rente, plus une pension de cinq cent soixante mille livres qui, ajoutées aux revenus de la fiancée, feraient de lui l’homme le plus riche du royaume. Le Roi pensait étouffer sous ses bienfaits jusqu’à la plus petite velléité de sédition…

Pour cette fois, du moins, il pouvait être tranquille. Gaston désormais d’Orléans était fermement décidé à se marier. Vainement Marie et la Reine essayèrent-elles de le détourner, allant même jusqu’à le supplier à genoux. Il resta solide sur ses positions. Si le duc d’Anjou avait regardé amicalement et encouragé le Parti de l’Aversion, le duc d’Orléans, lui, ne voulait plus en entendre parler. Que ses anciens complices s’arrangent comme ils voudraient des conséquences de leurs actes !…

Dans sa prison cependant Chalais, d’abord abasourdi par son arrestation et l’accusation d’avoir comploté la mort du Roi – la pire de toutes ! –, passait son temps à protester de son innocence et à écrire des lettres enflammées à Marie pour lui demander son aide :

 « Ce n’est pas à cette heure que j’ai reconnu de la divinité dans vos beautés mais bien commençai-je à apprendre qu’il faut vous servir comme une déesse puisqu’il ne m’est pas permis de vous faire savoir mon amour sans courre fortune de la vie. Prenez-en donc soin puisqu’elle vous est en tout dédiée et dites à ce compagnon de mes malheurs qu’il vous souviendra quelques fois que je suis le plus amoureux des hommes !… »

Déjà suspecte et fort inquiète de son sort à venir, Marie jugea plus prudent de ne pas lui répondre. Son silence déchaîna la colère du prisonnier. Dans les interrogatoires qu’il subit, d’abord du Commandeur de Valençay, son oncle, et du marquis d’Effiat, du Chancelier de Marcillac, et même de Richelieu en personne, il commença par faire des allusions au rôle que Mme de Chevreuse avait joué auprès de lui, puis comme elle ne réagissait toujours pas, il l’accusa carrément, parlant d’elle en termes de plus en plus méprisants et dénonçant ses projets, ses intrigues…

Le duc de Chevreuse, lui, ne s’était pas encore manifesté mais il avait envoyé le fidèle Bautru afin que celui-ci pût dispenser à son épouse ses sages conseils. Le premier qu’il lui donna fut de demander audience au Cardinal pour intercéder en faveur de Chalais : plus elle le disculperait et moins elle-même serait chargée. L’idée révoltait l’orgueil de Marie mais elle finit par s’y résoudre et alla au château de Beauregard où Richelieu s’était installé.

Il la reçut avec sa courtoisie habituelle. C’était toujours un tel régal pour les yeux que la contempler ! Il la laissa parler pendant un moment, plaidant pour ce « malheureux Chalais » l’irresponsabilité.

— Ce n’est pas un homme, c’est une girouette qui tourne à tous vents, expliqua-t-elle. Comment Votre Eminence pourrait-elle croire que j’aie pu bâtir sur lui une quelconque intrigue, surtout visant le Roi ? Il faudrait que je fusse aussi folle que lui. Ce n’est pour moi qu’un ami, charmant d’ailleurs et que j’apprécie…