Le regard du Cardinal se chargea d’ironie :
— Il semble vous apprécier aussi… mais de façon différente ! Il dit que vous êtes coquette, cruelle, vénale, intrigante, que vous ne songez qu’à vous-même, que vous avez voulu l’entraîner dans une aventure insensée…
Il égrenait les mots injurieux d’une voix paisible, avec un demi-sourire, tout en guettant sur le visage mobile de sa visiteuse les progrès de la colère… Elle écoutait, les yeux agrandis, le souffle plus court… Alors il poursuivit :
— … mais que grâce à Dieu, il vous avait percée à jour et qu’il a fait semblant d’entrer dans vos vues.
— Il a fait semblant ?…
Le Cardinal s’attendait à ce qu’elle éclate en imprécations mais ce fut de rire. Et c’était un vrai rire, moqueur, si joyeux qu’il désarçonna Richelieu parce qu’il semblait ne plus pouvoir s’arrêter et mit les larmes aux yeux de Marie.
— Je ne pensais pas que vous trouveriez cela si amusant ! Il faut aussi vous préciser qu’il vous accuse de l’avoir poussé au régicide…, assena-t-il.
Le rire s’arrêta net. Marie prit un mouchoir pour essuyer les larmes de ses yeux.
— Vous avez raison, Monsieur le Cardinal. Et je n’en ai plus la moindre envie ! Pas plus que je n’avais envie de prendre pour amant un homme de si peu de sens ! Il ne cessait de m’en prier pourtant et, comme je me suis toujours refusée à lui, il se venge, tout simplement ! Parlons franc, Monseigneur ! Je n’ai jamais caché l’éloignement que m’inspirait le projet de mariage de Monsieur, mais uniquement parce qu’il faisait souffrir la Reine à qui je suis entièrement dévouée parce qu’elle est bonne, malheureuse et mérite qu’on l’aime…
— A merveille ! Le meilleur moyen de la rendre heureuse ne serait-il pas de la débarrasser d’un époux qu’elle n’aime pas ?
— Le meilleur moyen serait que notre sire se décide à lui faire un enfant, ce qui, depuis un moment déjà, me paraît le cadet de ses soucis. Que la Reine devienne enceinte et Monsieur pourra bien épouser qui il voudra ! Avant de s’en prendre aux autres le Roi devrait commencer par s’interroger… et se chercher un médecin qui ne le mène pas aux portes de la mort à tout bout de champ ! Songez-y, Monseigneur ! Un dauphin balaierait cet amoncellement de nuages et serait votre meilleure assurance pour l’avenir.
— Vous n’aimez pas le Roi, madame de Chevreuse !
— Est-ce qu’il m’aime, lui ? C’est vrai, je n’en fais pas mystère mais là aussi c’est sa faute… Au temps où j’étais Mme de Luynes, j’étais son amie préférée, au point que la Reine fut jalouse de moi. Et de mon côté j’avais de la tendresse pour lui. Ce n’est pas moi qui me suis détournée, Dieu m’en est témoin !
— Une cruelle déception sans doute pour qui rêve de devenir la favorite !
— Et pourquoi pas ? s’écria Marie avec orgueil. Une favorite n’est pas fatalement une catastrophe pour le royaume comme le fut la marquise de Verneuil. Je lui aurais au moins appris comment s’y prendre avec une femme pour que la sienne ne considère pas le lit conjugal comme un instrument de torture !
Ce fut au tour du Cardinal de laisser échapper un éclat de rire.
— Vous avez réponse à tout, Madame la Duchesse, mais revenons à Chalais… et à ses accusations !
— Comment puis-je y répondre ? Il est fou et accuserait n’importe qui… la Reine elle-même afin d’échapper à sa prison ! Interrogez Monsieur ! Il vous dira que j’ai fait de mon mieux pour le retenir d’épouser Mlle de Montpensier mais rien d’autre. Il aime son frère et n’aurait pas toléré que l’on évoque seulement le moindre attentat.
Richelieu avança sa lèvre inférieure en une moue dubitative mais ne fit pas de commentaire :
— Chalais dit aussi, et je le cite, que vous êtes « enragée contre ma personne ». Que vous vouliez qu’il me tue.
— Toujours ses exagérations ! Admettez cependant que je n’ai aucune raison de vous porter dans mon cœur ! Vous avez chassé l’homme que j’aime, vous êtes l’ennemi des Grands dont je suis et vous combattez notre Saint-Père le Pape ! Non je ne vous aime pas et je voudrais vous voir écarté du pouvoir mais la vie m’est trop précieuse pour que je souhaite l’ôter à qui que ce soit… C’est si beau la vie !
— Quand on est jeune et belle, je veux bien vous croire ! Chalais doit partager votre opinion… et il risque de la perdre !
Mise aussi brutalement en face de la réalité, Marie sentit un pincement au cœur :
— Ce serait inutilement barbare de l’en priver. Ce malheureux n’est qu’un inconséquent dont la plus grande faute est, pour ce que j’en sais, d’avoir voulu plaire à chacun ! Quant à frapper le Roi, il en serait incapable : il faut un rude courage pour supporter l’idée d’être tiré à quatre chevaux. Et ce courage il ne l’a pas…
Dans les jours qui suivirent Chalais apporta de l’eau au moulin de Marie en se comportant vraiment comme un insensé. Quand il n’écrivait pas des lettres injurieuses à la Duchesse, il s’abandonnait à un sombre désespoir. Il ne se lavait plus, laissait pousser sa barbe, arpentait sa prison en poussant des cris affreux, hurlant qu’il était « pis que damné et voudrait être en enfer avec ses pareils ». M. de Lamont, exempt de la Compagnie écossaise des gardes du corps commis à sa surveillance avec six de ses hommes, voulut le raisonner :
— Au nom de Dieu, monsieur, souvenez-vous que vous êtes dans la communion des chrétiens !
— Foutre que le christianisme ! hurla-t-il. Je suis certainement en état d’être sermonné alors que je me sens disposé à faire comme les Romains : à m’empoisonner, à me casser la tête contre les murs, à me détruire !
— Songez à ce que vous dites ! Il n’y a pas de Paradis pour ceux qui se tuent eux-mêmes !
— Eh, que me parlez-vous du Paradis ? Je vous dis que je veux aller en Enfer !… D’ailleurs j’y suis déjà.
— Alors de quoi vous plaignez-vous ? Pendant ce temps une scène violente mettait aux prises Anne d’Autriche et son époux en présence de l’inévitable belle-mère. La Reine avait « reçu l’ordre » de se rendre chez le Roi et là, elle ne trouva pour s’asseoir qu’un tabouret alors qu’elle aurait dû prendre place dans un fauteuil, comme les deux autres… Elle eut un haut-le-corps en le voyant et le repoussa du pied avec dédain, choisissant délibérément de rester debout en face du Roi qui faisait les cent pas. Du coup, celui-ci s’assit composant ainsi avec sa mère un semblant de tribunal. Ce qui la blessa. Cependant Louis attaquait :
— Vous avez à répondre devant nous de vos actes, madame, et même de vos pensées. Voilà des mois que vous ne cessez de comploter contre moi et contre le royaume, vous la reine de France !
— C’est faux ! Je n’ai jamais rien fait qui puisse nuire au royaume ni à vous, sire !…
— En personne sans doute mais vous aviez partie liée avec le maréchal d’Ornano, avec le duc de Vendôme et le Grand Prieur qui sont à présent à Vincennes.
— Souhaiteriez-vous m’y envoyer ? En ce cas n’hésitez pas et voyez le bel effet que cela produira sur les cours étrangères, singulièrement celle d’Espagne où mon frère…
— A votre place j’éviterais d’en parler. J’ai signé la paix avec Philippe IV et ne m’en dédis point, mais il est roi et comme tel ne saurait approuver vos intentions criminelles. Oseriez-vous nier que vous vouliez me voir mort afin d’épouser Monsieur ?
— Epouser Monsieur ?
Elle eut un léger rire très insultant, puis avec un mépris suprême :
— J’aurais trop peu gagné au change !
La mère de Gaston prit feu instantanément :
— Voyez-moi l’insolente ! Que croyez-vous donc être pour vous permettre de mépriser un fils de France ? Vous auriez été trop contente de lui donner votre main afin de conserver la couronne si les plans criminels de vos amis avaient atteint leur but ! Vous devriez avoir honte…
— C’est vous qui devriez avoir honte, méchante femme que vous êtes ! Depuis que nous sommes mariés, le Roi et moi, vous n’avez jamais cessé de vous mêler de ce qui ne vous regardait pas et, surtout, de mettre la discorde entre nous parce que vous ne supportiez pas de me laisser la première place comme il convient quand on est l’épouse d’un Roi ! Restez à la vôtre, madame, et tant que vous y êtes emmenez donc avec vous ce mauvais prêtre, ce Richelieu dont on peut se demander s’il est vraiment chrétien !
— Vous ne savez pas ce que vous dites, madame, coupa le Roi. C’est un mauvais système de défense que d’accuser autrui. Le Cardinal me sert et me sert bien.
— Il dresse contre vous votre noblesse, les autres souverains d’Europe, y compris le Saint-Père ! s’écria Anne en se signant rapidement. Et il fera tant et si bien qu’il ne vous restera bientôt plus que des domestiques parce qu’il veut vous isoler afin de vous tenir mieux à sa merci ! Et votre mère l’aide dans cette entreprise.
— Il suffit, madame ! Songez à répondre de ce que l’on vous reproche avant de vous occuper de ma politique. Avez-vous oui ou non, souhaité ma mort et agi…
— Non, sire ! Jamais. Que Dieu m’en soit témoin !
Elle sortit sur ces dernières paroles sans attendre qu’on l’y invite et regagna ses appartements où Marie l’attendait. Ce fut en la retrouvant qu’Anne se souvint que son nom n’était pas venu une seule fois aux lèvres de Louis XIII ni de Marie de Médicis. Elle ne savait trop s’il fallait s’en inquiéter ou s’en réjouir – dans la situation où elle se trouvait, la présence constante de son amie lui était précieuse – mais de cette volonté de silence elle n’augurait rien de bon. Marie non plus :
— Le nom que je porte me protège peut-être, émit celle-ci, ou alors on attend d’avoir réuni contre moi assez de preuves pour m’accuser à coup sûr ?
— Peut-être devrais-je vous conseiller la fuite, ma chevrette, mais je vous avoue manquer de courage : votre présence en ce moment est mon seul réconfort…
— Même si vous l’ordonniez, madame, je ne fuirais pas. Ce serait avouer que j’ai quelque chose à me reprocher et que ce malheureux Chalais dit vrai !…
Le 5 août les fiançailles de Gaston d’Orléans et de Marie de Bourbon, duchesse de Montpensier, furent célébrées par le cardinal de Richelieu dans la chapelle de l’Oratoire de Nantes, sans le moindre faste et presque dans l’intimité, mais Mme de Chevreuse fut contrainte d’y assister ainsi qu’à l’écroulement définitif de ses plans. Le mariage eut lieu le lendemain, dans la chapelle des Minimes, toujours sous la houlette du Cardinal qui unit les époux et célébra la messe. Marie était encore là… bouillant d’une colère qu’il fallait bien ravaler.
Ce même 5 août, Louis XIII signa des lettres patentes instituant une chambre de justice criminelle chargée de juger Chalais. La Chambre se réunit le 11 août dans une salle du couvent des Cordeliers.
« Après les premières formalités d’usage, lecture fut donnée des pièces de la procédure. Le lendemain, le procureur général requérait ajournement contre diverses personnes pour les impliquer dans les poursuites, notamment Mme de Chevreuse, MM. de la Louvière, Bois d’Annemets, Puylaurens et quatre autres. La Chambre conformément à ces conclusions rendait un décret de prise de corps contre ces inculpés en réservant toutefois que le décret ne serait exécutoire qu’après avoir été contresigné par le Roi. Louis ne signa pas[30]… » Marie ayant déjà été interrogée par le Cardinal fut laissée libre mais avec interdiction de bouger du logis de la Reine qui devenait ainsi garante de son amie. Le 18 août, la Chambre rendait son arrêt : Chalais était condamné à mort. La sentence ordonnait que dès le lendemain, il serait décapité publiquement, que sa tête serait exposée au bout d’une pique sur la porte Sauvetout et que son corps, coupé en quatre, serait attaché à des potences dressées sur les principales artères de Nantes. En outre c’était la déchéance de noblesse pour sa postérité, déclarée « ignoble et roturière », la confiscation de tous ses biens marqués du sceau de l’infamie et ses bois abattus à hauteur d’homme…
La cruauté de l’arrêt vint à bout de l’orgueil de Marie. Elle s’écroula en larmes, d’autant plus amères qu’elle reçut une dernière lettre où le condamné lui demandait pardon de l’avoir accusée, insultée, vilipendée. Il devait en dire autant à ses juges, mettant sa colère sur le compte de sa jalousie : on lui avait assuré que Mme de Chevreuse le trompait. Alors, s’oubliant elle-même pour une fois, Marie demanda à être reçue par le Roi. Il lui fut répondu qu’elle devait s’estimer heureuse de n’être pas contrainte à assister à l’exécution et que l’on s’occuperait d’elle ensuite.
Cependant, depuis l’arrestation, la mère et l’épouse de Chalais, Charlotte de Castille, enceinte et près d’accoucher, étaient arrivées à Nantes et prenaient logis dans le village de Boispréau. La sentence les accabla. Dans un mouvement de désespoir, la princesse de Chalais fit tenir au Roi une lettre déchirante :
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