« Sire, je vous demande les genoux en terre la vie de mon fils. Que cet enfant que j’ai élevé si chèrement ne soit pas la désolation de ce peu de jours qui me restent. Je vous l’ai donné à huit ans : il est le petit-fils du maréchal de Montluc et du président Jeannin. Les miens vous servent tous les jours… Hélas, que ne mourut-il pas en naissant, ou du coup qu’il reçut à Saint-Jean ou en quelque autre péril où il s’est trouvé pour votre service !… »

La douleur de cette femme toucha le Roi. Il savait qu’elle s’était ruinée aux trois quarts pour offrir à son fils la charge de Maître de la Garde-Robe, mais le complot contre la sûreté, de l’Etat était patent – Chalais avait tout avoué et à plusieurs reprises – même si l’accusation d’intention régicide n’était pas prouvée. La grâce totale était impossible comme était impossible aussi de s’en prendre à Gaston. Le fils du prince de Chalais était d’assez haute noblesse pour que sa mort serve d’exemple. La peine capitale fut maintenue, mais tous les à-côtés infamants furent supprimés : le jeune fou serait seulement décapité et son corps rendu à sa famille qui conserverait titres et biens.

La nuit qui précéda l’exécution commença dans l’angoisse pour Marie toujours enfermée chez la Reine mais qui s’attendait, après la mort de son malheureux amoureux, à être arrêtée pour aller vers quelque sinistre destin. Son époux ne s’était pas manifesté. S’il l’abandonnait, elle était perdue…

Un peu d’espoir pourtant lui vint. Vers minuit, Mme du Fargis apportait, à la Reine et à elle-même un message verbal de Monsieur : aidé par quelques amis de Chalais, il avait fait enlever le bourreau de Nantes. Jusqu’à ce qu’on le retrouve ou que l’on en fasse venir un d’une autre ville, il y aurait un délai que l’on pourrait mettre à profit pour tenter de fléchir le Roi ou pour faire évader le condamné.

Ensemble, la Reine et la Duchesse allèrent s’agenouiller devant la statue de la Vierge pour remercier de ce répit qui leur arrivait. Le bruit des marteaux de charpentiers en train de monter l’échafaud leur parut moins insupportable. Elles purent même trouver quelques instants de sommeil…

L’exécution devait avoir lieu au coucher du soleil. La journée se traîna dans les appartements d’Anne d’Autriche. Le Roi après avoir entendu la messe à l’Oratoire et rendu visite à sa mère, était parti sur une galiote pour chasser à Bougon. Quant à Monsieur, il se rendit à Châteaubriant vers la fin de l’après-midi. Ce qui était normal, ni l’un ni l’autre ne devant assister à la mise à mort. On en conclut cependant chez la Reine que l’absence du bourreau y était pour quelque chose.

Néanmoins, vers la fin du jour, deux compagnies de gardes vinrent prendre position sur la place du Bouffay proche du château et de la prison afin de contenir la foule qui s’amassait. Sur l’échafaud tendu de noir, un homme vêtu de rouge attendait, appuyé sur une grande épée… Pourtant le glas se mit à sonner quand le prisonnier, les mains liées devant lui et tenant un chapelet dont il baisait le crucifix de temps en temps, suivi du supérieur des Minimes le père des Roziers, se mit en marche vers l’appareil de mort… Pour ceux qui avaient enlevé l’exécuteur et qui étaient certains de le détenir, c’était incompréhensible et, près de l’affolement, ils cherchaient en vain une explication.

Elle était simple et tenait tout entière dans l’inflexible volonté de Richelieu pour qui cette mort devait être un exemple : on avait offert sa grâce à un prisonnier qui devait être pendu trois jours après s’il se chargeait d’exécuter Chalais. C’était un vigoureux cordonnier condamné pour meurtre. Et comme la grande épée du bourreau avait disparu avec le titulaire, on en trouva une de la même taille dans le régiment des suisses. Voilà pourquoi, à l’heure dite, un homme vêtu de rouge attendait…

Chalais marchait d’un pas ferme sans montrer la moindre émotion. Son âme était en paix après avoir pardonné à ses ennemis, même à Louvigny le dénonciateur, et demandé une dernière fois pardon à Mme de Chevreuse de l’avoir accusée.

Arrivé sur l’échafaud il ôta son pourpoint, laissa l’exécuteur lui couper les cheveux puis, tirant d’une poche son livre d’heures, il le donna au père des Roziers, après quoi il s’agenouilla pour une dernière prière, se laissa bander les yeux et dit au bourreau :

— Ne me fais pas languir !

Très droit, il attendit le coup qui aurait dû, assené par un homme habile, lui faire sauter la tête. Et ne fit que le blesser et le faire tomber sur le plancher où l’homme lui porta encore quatre coups. On entendit le malheureux crier :

– Jésus ! Maria !…

En fait le bourreau novice n’avait pas pensé à affûter l’épée qu’on lui avait donnée : elle ne coupait pas assez… Il réclama un autre instrument. On lui passa une doloire de tonnelier, à la suite de quoi, la tête de nouveau posée sur le billot, le sinistre apprenti eut besoin de vingt-neuf coups pour la détacher enfin du corps de sa victime que l’on entendit gémir jusqu’au vingtième. Encore n’était-il arrivé à l’achever qu’en le retournant sur la pièce de bois ! Les cordons de soldats avaient toutes les peines du monde à contenir la foule hurlante et déchaînée. Elle voulait égorger l’auteur de cette abominable boucherie qu’il fallut ramener à la prison pour lui éviter d’être mis en pièces. Cependant le corps du supplicié était placé dans un cercueil puis dans un carrosse qui attendait là et enfin conduit au couvent des Cordeliers pour y être inhumé…

La nuit tombait. Un personnage, qui de son carrosse de voyage avait assisté à cette abomination, donna ordre à son cocher de le conduire au château. Le duc de Chevreuse venait d’assister au massacre…

On n’ignora pas longtemps, chez la Reine, ce qui venait de se passer. La consternation, l’horreur s’abattirent sur le petit groupe de femmes qui y étaient réunies. Le choc fut si brutal que Marie s’évanouit tandis qu’Anne d’Autriche s’abîmait dans une intense prière à laquelle se joignirent Mmes de Lannoy, de Bellière, du Fargis, Doña Estefania et la Duchesse elle-même quand elle eut repris connaissance. Une sensation nouvelle s’emparait d’elle, une sorte de terreur proche de la panique. Dans les yeux des dames présentes – hormis la Reine consciente que tout cela avait été fait pour elle – Marie pouvait lire une accusation insupportable à son orgueil. De là une envie de fuir, de quitter ce cercle où elle se sentait étouffer, cette cité souillée du sang de ce pauvre garçon, victime à la fois de son manque de caractère et de l’amour insensé qu’il lui avait voué. Elle aspirait à retrouver l’air libre, les grands chemins avec leurs senteurs d’été et aussi Dampierre, ses jardins et ses eaux vives. Les reverrait-elle seulement un jour ? Après Chalais, la redoutable justice royale allait frapper les autres conjurés… à l’exception de Monsieur. D’Ornano[31], les Vendôme déjà incarcérés allaient-ils eux aussi perdre la tête ? Et aussi La Louvière, Puylaurens et Bois d’Annemets que l’on venait d’emprisonner ? Elle enfin, autant dire captive du cercle royal, que la haine du Roi ne tarderait guère à frapper sans doute et qui, peut-être, devait l’attirance trouble qu’elle inspirait au Cardinal de séjourner encore au château et non d’être dans une geôle ? Quant à la Reine, après ce qui venait de se passer, il était plus que probable que sa brouille avec son époux serait définitive. On connaissait trop le Roi pour n’en pas conclure qu’il soupçonnerait sa vie entière Anne d’avoir souhaité sa mort. De là à la répudier, il pouvait n’y avoir qu’un pas ! Et Marie à cet instant se sentit plus proche d’elle que jamais, partagée qu’elle était entre son envie de prendre le large et une autre qui la poussait à demeurer auprès d’Anne afin de partager son sort.

La réponse vint le matin suivant avec l’apparition de Claude : il venait chercher sa femme qu’un décret royal frappait d’exil et dont il était désormais responsable… Aucune marque de sentiment sur son visage froid et fermé comme Marie ne l’avait jamais vu. Il devait ressentir cruellement le fait d’être éloigné du Roi en même temps qu’elle et de devenir en quelque sorte son geôlier, mais de cela Marie n’en avait cure : à l’énoncé de la sentence, elle entra dans une colère folle, prenant à partie Louis XIII et Richelieu qu’elle accabla d’injures :

— Le Roi n’est qu’un idiot et un incapable ! s’écria-t-elle. C’est une honte que ce faquin de Cardinal règne à sa place ! Mais je leur ferai bien voir qui je suis ! Je veux aller en Angleterre et j’y ferai traiter tous les Français comme on me traite moi-même…

— Vous n’irez pas en Angleterre, madame.

— Où alors ?

— Vous le saurez en temps utile. Veuillez vous hâter !

La séparation d’avec Anne fut pénible. Les deux femmes s’embrassèrent en pleurant. La Reine était hors d’elle de se voir enlever sa « chevrette ». A M. de Nogent qui lui avait porté l’avis officiel, elle jura, avec colère, qu’elle aimait mieux ne pas avoir d’enfant que d’être séparée de son amie et que le Cardinal aurait tôt ou tard à porter le poids de sa vengeance. On eut toutes les peines du monde à la calmer. Cependant il fallait obéir…

En regagnant son logis où elle n’était pas venue depuis plusieurs jours, Marie trouva ses bagages faits, Elen et Anna prêtes à partir mais ce fut en lui tendant sa mante de voyage qu’Elen lui fit ses adieux : elle avait choisi d’entrer aux Ursulines de Nantes et comme Marie toujours furibonde lui ordonnait de se tenir tranquille et de cesser de jouer les victimes, elle répondit :

— On m’attend au couvent et vous ne pouvez vous y opposer.

La froideur du ton doucha la colère de la Duchesse. Avec amertume elle remarqua :

— Depuis tant d’années je te croyais attachée à moi ! Il y a eu cette malheureuse affaire sans doute…

— Elle a plus d’importance que vous ne l’imaginez. Je ne veux plus servir une femme égoïste et cruelle qui a mené à la mort, froidement, un malheureux dont le seul tort était de l’aimer…

— Garde pour toi tes sermons de moralité ! Tu pourrais en avoir besoin…

— Oh ! sans aucun doute ! Je vais prier, madame ! Non pour vous mais pour que Dieu me pardonne de vous avoir trahie.

— Trahie ? Toi ?

— J’ai livré au Cardinal ce que j’ai pu savoir de vos relations avec M. de Chalais ! Je vais enfin être délivrée de vous car du fond de votre exil vous ne ferez plus de mal à personne !

— N’en sois pas trop sûre ! L’exil n’est pas la mort : on en revient !

Et elle sortit en haussant les épaules, outrée de ce qu’elle venait d’entendre.

Deux carrosses attendaient au pied de l’escalier : celui du duc de Chevreuse près duquel il patientait avec M. de Nogent, et celui de Marie avec ses bagages sur le siège duquel était Peran, le chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils, son visage massif dénué d’expression. En atteignant le bas des marches suivie d’Anna, la jeune femme se dirigeait vers lui quand son époux la retint :

— Vous montez avec moi. Votre chambrière seule prendra votre voiture.

Il fallut bien en passer par là. Le couple s’installa côte à côte et l’on partit. Marie remarqua alors qu’en dehors de Martin, le valet de son époux, celui-ci voyageait sans aucun autre membre de sa maison et comme un simple particulier. Elle lui en fit la remarque. Sans la regarder il répondit :

— Je suis arrivé hier pour voir le Roi et j’ai voyagé en hâte. Cela m’a permis d’assister au massacre de votre victime qu’on a osé faire périr sous un outil de tonnelier, lui, un Talleyrand-Périgord qui avait combattu vaillamment les protestants… Quelle infamie !

— Ma victime ? protesta Marie. Je n’étais pas seule dans ce complot destiné à sauver la Reine d’une possible répudiation…

— En tuant le Roi !

— Je n’ai jamais voulu le tuer ! Le Cardinal, oui parce qu’il est un malfaisant. Enfin, Claude, vous devez convenir que cet homme ne cesse de nuire à tout ce à quoi nous sommes attachés !

— Je ne dis pas le contraire et si cela peut vous réconforter sachez que je le hais ! Autant que j’aime le Roi… et je ne vous crois pas quand vous niez avoir comploté sa mort ! A présent plus un mot ! J’ai besoin de prier…

Marie se le tint pour dit et se rencogna dans ses coussins pour essayer de réfléchir. Chevreuse ne voulait pas lui dire où il la conduisait mais puisqu’il était responsable d’elle, que l’Angleterre lui était interdite et qu’en dehors de cette destination, Claude détestait l’idée de quitter la France, les choses étaient claires : il la ramenait chez elle ! Elle allait retrouver son cher Dampierre[32]. Cette idée la rasséréna un peu…

L’équipage allait passer la porte Sauvetout avec la lenteur exigée par l’étroitesse relative de l’ouverture quand une pierre franchit la portière et, lancée sans doute d’une main sûre, atterrit sur les genoux de la Duchesse qui poussa un cri. Chevreuse s’en empara, déroula le billet attaché dessus, le lut avant de le passer à sa femme :