— J’ai l’impression, dit-il gravement, qu’il vous faudra désormais prendre bien garde à vous !
Il y avait quelques mots et pas de signature :
« C’est toi qui as tué Chalais, maudite duchesse ! Un jour ou l’autre tu devras payer sa mort… »
Marie se sentit frémir. L’enchaînement trop rapide des derniers événements était en train de venir à bout de son courage et elle leva sur son époux un regard angoissé :
— Quelle folie ! fit-elle d’une voix sensibilisée par un tremblement qu’elle s’efforçait de maîtriser. Je ne vois pas quel mal on pourrait me faire dès l’instant où vous devez veiller sur moi ! Quand nous serons à Dampierre…
— Nous n’allons pas à Dampierre…
— Non ? Où alors ? Pas… à Chevreuse tout de même ?
— Et je ne suis responsable de vous que jusqu’à un certain point.
— Comment l’entendez-vous ?
— Comme on me l’a dicté : c’est votre frère Louis qui va vous loger le temps qu’il plaira à notre sire. Et lui répondra de vous sur sa tête !
— Quoi ?… Mais je suis votre femme, je suis princesse lorraine et vous me devez secours, assistance… sans compter que vous disiez m’aimer ?
— C’était vrai mais ce ne l’est plus ! Souvenez-vous, madame ! Je vous avais recommandé de ne jamais avoir de sang sur vos mains. Vous avez celui de Chalais et vous vouliez celui du Roi. Notre accord est rompu.
— Vous voulez vous séparer de moi ? Me… répudier ?
— Non. Vous resterez duchesse de Chevreuse et je veillerai sur l’enfant que vous m’avez donné mais je ne veux plus vivre avec vous :
Ce ton cassant, ce regard qu’elle ne pouvait saisir, cette main qui rejeta la sienne quand elle tenta de la prendre. L’homme assis là, si proche et pourtant si lointain, avait-il été vraiment celui que sa beauté rendait fou ? Marie appela son orgueil à son secours pour qu’il lui rende sa dignité ! Jamais elle ne s’abaisserait à le supplier… Elle se raidit :
— Me direz-vous enfin où je vais ?
— A Seiches, au château du Verger qui est à votre frère Guéménée.
Elle sentit sa gorge se serrer tandis que sa mémoire lui restituait ce château, le plus beau d’Anjou peut-être comme Josselin était le plus beau de Bretagne. Les demeures des Rohan ne manquaient ni de splendeur ni de puissance, mais leurs logis aux fenêtres fleuronnées s’entouraient de puissantes tours qui soulignaient leur vocation de forteresses. Le Verger, bâti dans la seconde moitié du xve siècle par Pierre de Rohan, le célèbre maréchal de Gié, n’échappait pas à la règle : il était digne d’un roi et en avait reçu plus d’un, le dernier en date étant le Béarnais, mais Marie le trouvait sévère. En outre, sans nouvelles de son frère depuis de longs mois, elle ignorait s’il y séjournait seulement.
— Louis est-il là-bas ?
— Je le crois. Un courrier a été envoyé qui vous annonce. A présent faites-moi la grâce de vous taire… Je ne répondrai plus à vos questions !
Elle n’insista pas, appuya sa tête contre le velours de tenture et ferma les yeux. Claude n’allait quand même pas demeurer muet le reste d’un voyage d’une trentaine de lieues ? Il faudrait s’arrêter le soir, coucher quelque part et alors… peut-être ?
Mais on ne s’arrêta pas, sinon pour relayer, et Chevreuse n’adressa plus la parole à sa femme durant le trajet… jusqu’à ce qu’après un jour et une nuit sans repos, le carrosse s’immobilise subitement à une croix du chemin. Chevreuse alors se tourna vers Marie :
— Veuillez descendre, madame. C’est là que nous nous quittons.
— Quoi, ici ? Mais nous sommes…
— A une lieue du Verger et la route est toute droite. Vous ne pouvez pas vous tromper… ni dévier. Songez que vous êtes attendue et que Guéménée est garant de vous à partir de cet instant.
Il lui prit la main pour la conduire cérémonieusement à son carrosse à elle où elle retrouva Anna visiblement terrifiée et Peran toujours aussi impassible. Quand elle fut montée, il ôta son feutre empanaché pour la saluer :
— Adieu, madame ! Je prierai pour que la sagesse vous vienne !
Puis il ferma lui-même la portière, attendit les pieds dans la poussière que Peran eût enlevé ses chevaux mais, à son tour, Marie, sans répondre à son salut, avait cessé de le regarder.
— Oh, Madame la Duchesse ! gémit Anna dont la bonne figure portait les traces de l’épuisant voyage, qu’allons-nous devenir ?
Marie haussa les épaules sans répondre mais lui sourit afin de la réconforter. Quant à elle, cette situation nouvelle requérait toute son attention. Il allait falloir faire quelque chose mais diable si elle savait quoi ! Peut-être qu’après un peu de repos, elle y verrait plus clair. Pour l’instant elle se sentait moulue n’ayant qu’une envie : dormir !… Soudain elle entendit Peran crier :
— Nous sommes poursuivis ! Deux cavaliers !
— Pousse tes chevaux ! clama-t-elle. Il faut être au château avant eux !
Le cocher fit prendre à son attelage un galop forcené mais, au bout d’un moment, il les retint si brutalement qu’à l’intérieur les deux femmes se retrouvèrent à genoux sur le tapis. En même temps elles l’entendirent hurler dans le vacarme des hennissements, des gourmettes entrechoquées et des claquements de sabots :
— Un arbre abattu ! Cest une embuscade !…
— Mille tonnerres ! gronda Marie. Ce démon m’a envoyée dans un piège pour se débarrasser de moi !… Essaie de passer par les champs !
— Fossé trop profond ! C’est impossible.
Le carrosse s’arrêtait. En dépit des protestations de Peran, elle sauta sur la route dans l’espoir de fuir à toutes jambes, mais déjà des hommes masqués, l’épée à la main, sortaient de l’épais feuillage du hêtre qui barrait le chemin. Là-bas, les deux cavaliers arrivaient comme la foudre. Marie comprit qu’elle était perdue, que sa vie allait s’achever là, en plein milieu de la campagne angevine et sur les terres de son propre frère, abattue par une poignée de malandrins à la solde d’un de ses ennemis. Lequel ? Il ne lui restait plus de temps pour le chercher. Seulement celui de prier peut-être…
— Epargnez mes serviteurs ! cria-t-elle.
Puis se signant d’un geste large, elle se laissa tomber à genoux dans la poussière, mais la tête bien droite … comme l’avait fait Chalais sur l’échafaud de Nantes, ferma les yeux et attendit le coup fatal. Elle n’avait même pas peur. Elle était une Rohan, mille tonnerres ! …
Saint-Mandé, 16 septembre 2004
Notes
[1] Angélique de Verneuil était fille naturelle d’Henri IV et d’Henriette d’Entragues, marquise de Verneuil.
[2] On appelait ainsi le vin de Bordeaux.
[3] On appelait ainsi le déjeuner de midi.
[4] Célèbre architecte de l’époque.
[5] Soixante ans plus tard, ce château fut rasé pour faire place à celui qui existe actuellement et dont Mansart établit les plans.
[6] Beaucoup plus petite que la Cour Carrée actuelle.
[7] C’est Henri IV qui fit venir de Flandres deux experts en tapisseries, François de la Planche et Marc de Comans, qu’il installa dans une maison appartenant à la riche famille Gobelins.
[8] Les armoires à vêtements n’existaient pas encore.
[9] Le boulevard du Palais l’a absorbée.
[10] Authentique.
[11] C’est le palais du Luxembourg, siège actuel du Sénat.
[12] Résidence actuelle du président du Sénat.
[13] Fille d’Henri IV et de Marie de Médicis.
[14] Il pourrait s’agir d’une légende lancée par les Anglais pour discréditer la noblesse française. En réalité, il n’aurait perdu qu’un seul diamant qui lui fut scrupuleusement rapporté.
[15] On francisait alors ainsi le nom de l’Anglais. L’appellation est restée un temps à la bombe de chasse en velours noir dont il avait lancé la mode lors de son séjour à Paris.
[16] C’était le surnom d’amitié qu’elle lui donnait.
[17] Parmi lesquels Henri IV, Il se rendait chez elle quand Ravaillac avait frappé.
[18] Elle était la fille de Mme de Montglat qui avait été la gouvernante des enfants d’Henri IV.
[19] Quais le long de l’Arno.
[20] La toise, ancienne mesure française de longueur, équivalait 1,949 mètres.
[21] La monte en amazone, inventée par Catherine de Médicis, ne supportait pas une abondance de jupons.
[22] Voir le tome 1 de Secret d’Etat : La Chambre de la Reine.
[23] C’est aujourd’hui le jardin Anglais.
[24] Equivalent au grade de colonel.
[25] Feu le prince de Conti percevait des revenus de l’antique abbaye.
[26] Il ne reste presque rien de l’appareil féodal primitif.
[27] Voir le tome 1 de Secret d’Etat : La Chambre de la Reine.
[28] Le Maréchal devait mourir l’année suivante à Auray.
[29] La Louvière, Bois d’Annemets, Puylaurens et quelques autres.
[30] Louis Vaunois, Vie de Louis XIII.
[31] Le Maréchal mourut dans sa prison le 2 septembre suivant… d’une rétention d’urine, mais on parla d’empoisonnement. Le Grand Prieur eut le même sort quelques mois plus tard, César fut banni.
[32] L’exil ne signifiait pas fatalement le passage des frontières. Le plus souvent le coupable était confiné sur ses terres.
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