— Avec Luynes vous vous êtes mariés au Louvre, non ?
— Sans doute mais cette fois c’est impossible puisque le Roi n’y est pas. L’hôtel de Luynes que mon fiancé va racheter à la succession et où nous demeurerons ne serait pas plus convenable. Reste ici… et j’ai peur d’avoir à vous dire, avec le respect que je vous dois, monsieur mon père, que vous ne pouvez pas refuser.
Hercule de Montbazon se dressa sur ses grands pieds comme si un ressort venait de le propulser. Il était à nouveau cramoisi et ses yeux lançaient des éclairs car il se savait battu :
— Soit ! clama-t-il furieux. Vous vous marierez peut-être en ma demeure mais sans moi ! Je refuse d’assister à cette mascarade !
— Tant pis ! soupira la jeune femme. Ce me sera pénible mais j’espère que mon bonheur me permettra de l’oublier…
— Il faudra qu’il vous permette d’oublier les autres, tous les autres car – écoutez-moi bien ! – je veillerai à ce que personne de la famille ne signe votre contrat ! Et…
— Mon frère est en Bretagne et ne pourra pas revenir à temps ! A mon regret, mais à l’impossible nul n’est tenu… En dehors de lui et de sa femme, les autres…
— … et je suis certain qu’il n’y aura pas non plus le moindre parent de votre Chevreuse ! Vous vous marierez seuls !… Seuls !
— Croyez-vous ? Cela me surprendrait beaucoup !A présent…
— A présent laissez-moi finir mon dîner en paix ! Je ne vous retiens pas, Madame la Duchesse !
— Voilà au moins un titre qui ne vous changera pas ! Bon appétit, monsieur mon père !
Elle lui offrit une révérence désinvolte puis flanquée d’Elen qui, naturellement, n’avait pas pipé mot durant l’escarmouche, elle alla rejoindre son carrosse en riant. L’important était d’avoir obtenu ce qu’elle voulait. A la vérité elle n’était pas persuadée de regretter énormément la présence paternelle : n’étant pas homme à garder sa lumière sous le boisseau, le noble duc était assurément capable d’assaisonner ses discours de quelques-unes de ces balourdises dont il semblait détenir le secret.
Malgré les apparences, cette histoire d’absence de ses proches la tourmentait et, dans l’espoir d’un miracle, elle dépêcha un messager à son frère Louis, prince de Guéménée, et à son épouse Anne pour laquelle elle avait de l’affection en les priant de venir au plus vite mais sans réel espoir qu’ils pussent arriver à temps.
Ils n’étaient pas là, effectivement, le 19 avril quand, dans la salle d’honneur de l’hôtel de Montbazon, les notaires procédèrent à la lecture du contrat. En revanche le marié était entouré de presque toute sa famille. Il y avait son frère aîné, le duc de Guise, son oncle le duc de Nemours, ses cousins Gonzague et Harcourt et du côté des femmes : sa mère, Catherine de Clèves veuve du Balafré, sa sœur la princesse de Conti qui était venue présider à la toilette de la mariée, ravissante dans une robe dorée avec des « crevés » de satin blanc, sa gorge parée de diamants modestement découverte par la haute collerette Médicis en dentelle d’or diaprée d’éclats scintillants. La tante Condé – l’orgueilleuse Charlotte de Montmorency –, s’était déplacée elle aussi ainsi que quatre cousines, les duchesses de Mercœur, de Vendôme, d’Elbeuf et de Longueville. En résumé les plus grands noms de France, de Lorraine et même de Bretagne à l’exception des seuls Rohan dont l’absence fut vivement critiquée par la princesse de Condé qui les détestait.
— Je me suis laissé dire que Montbazon rimait avec « âne sans raison », mais cela n’a jamais été plus vrai que ce soir ! La moindre des politesses voulait qu’il soit présent au moins pour « me » recevoir !
C’était une dame qui avait une haute idée de sa personne depuis qu’avant de se faire assassiner par Ravaillac, Henri IV avait pour la conquérir et l’arracher à son époux commis toutes les folies possibles et imaginables, allant jusqu’à faire trembler la reine Marie de Médicis, sa femme, pour la suite de son mariage.
Rien, cependant, n’atteignit Marie, entièrement à la joie de sentir se desserrer l’étau qui menaçait de l’étouffer et elle était sincèrement reconnaissante à son époux de lui avoir rendu un avenir qu’elle voulait exceptionnellement brillant.
Comme elle n’était veuve que depuis quatre mois – et même si elle l’avait été depuis plus longtemps ! –, la bénédiction nuptiale ne fut pas suivie de fêtes mais d’un repas de « famille » suffisamment copieux et arrosé pour satisfaire les invités, après quoi, dans la nuit, les nouveaux mariés montèrent en carrosse pour s’en aller cacher leur bonheur à Lésigny même si d’aucuns pouvaient juger la chose choquante : à Lésigny, Marie était vraiment chez elle, persuadée qu’elle était de la protection de la Galigaï par Basilio interposé.
Les nouveaux époux y vécurent quatre jours et quatre nuits torrides, enfermés dans leur chambre sans voir personne que le valet chargé de les ravitailler. Devenue enfin duchesse de Chevreuse, Marie payait sa dette de reconnaissance… et la payait royalement !
CHAPITRE III
LE RETOUR
Si séduit qu’il eût été par Lésigny, les délices nocturnes qu’on y goûtait et les immenses bois environnants qui lui promettaient de belles chasses, Claude finit par émerger de son nirvana amoureux pour proposer un autre séjour à sa ravissante épouse.
— Vous êtes duchesse de Chevreuse, ma chère. Il est temps pour vous de faire connaissance avec votre duché et pour moi de montrer à nos sujets quelle adorable souveraine va désormais régner sur eux. J’ai annoncé notre arrivée et nous sommes attendus.
Marie ne se fit pas prier. Du temps de leurs amours semi-clandestines, Claude ne l’avait jamais emmenée chez lui et elle avait hâte à présent de découvrir ses nouvelles possessions. On partit donc par des chemins ensoleillés qui rachetaient leurs ornières et leur poussière par des haies d’aubépines en fleur, l’herbe toute neuve des talus et les jeunes feuilles d’un vert si tendre dont se paraient les arbres…
Assise au bord de l’Yvette à la rencontre des vallons de la Rochecouloir et de Choisel, la petite ville capitale ne déçut pas la jeune femme. Le site était charmant, l’antique bourg tranquille et propret, calé au pied du coteau de la Madeleine que couronnait l’ancien château fort, ne manquait ni de caractère ni de grâce surtout en ce jour de fête où la nouvelle duchesse vit venir à elle, dans leurs plus beaux habits, ceux qui, dans le duché, occupaient une fonction quelconque : le bailli flanqué de son greffier et d’un tabellion, les officiers de justice, les gardes chargés de la paix des domaines, le châtelain de la vieille forteresse, les capitaines des chasses suivis de leurs épouses, de leurs enfants et de leurs serviteurs, plus le clergé sous ses plus beaux ornements. Il y eut messe à l’église Saint-Martin, discours, fleurs et cantiques avant de monter au château où un souper allait être servi dans la salle d’honneur du gros donjon rectangulaire auquel un toit à quatre pentes surmonté d’un clocheton n’arrivait pas à conférer un aspect avenant, et même si le repas était servi avec magnificence. A contempler les murs sévères où entre des trophées d’armes pendaient de vieilles bannières, Marie avait froid dans le dos. Ce fut pire encore quand elle comprit que l’on coucherait là. Au moins, la salle possédait une énorme cheminée où l’on avait fait du feu mais dans la chambre à coucher médiévale, en dépit de deux tapisseries murales et d’un bouquet de lilas sur la table, il faisait froid et humide.
— Devrons-nous vraiment vivre dans ce mausolée quand nous viendrons à Chevreuse ? demanda-t-elle d’une voix de petite fille déçue. N’avons-nous pas d’autres domaines ?
— Nous ferons le tour du propriétaire demain, répondit son époux qui, pour une fois, devinait ce qu’elle pensait et s’en amusait. Mais je ne vois pas ce que vous reprochez à notre château ?
— Je suis gelée !
— Cela vous passera. Allons nous coucher, je vous réchaufferai. Et en été, vous verrez, il fait délicieusement frais…
Elle n’arrivait pas à surmonter sa déception et, pour une fois, subit les assauts de Claude sans y participer. Ils furent brefs d’ailleurs : le Duc avait beaucoup mangé, bu plus encore et il tomba bientôt dans un profond sommeil accompagné de ronflements si triomphants qu’elle essaya, en le secouant, de les faire taire. Mais au fond de sa léthargie, il opposa une si belle résistance qu’elle en pleura de dépit.
Furieuse elle se leva, enfila des pantoufles et sa robe de chambre puis, s’avisant qu’il y avait une cheminée dans cette glacière, elle alla voir s’il n’y aurait pas de quoi allumer un feu. Or il n’y avait rien. Evidemment, elle aurait pu sonner pour qu’un valet vienne faire une flambée mais, par orgueil, elle résista, ne voulant pas qu’on la vît errant comme une âme en peine devant le lit où son époux dormait si bien. Elle ne savait même pas où était Elen…
En désespoir de cause, elle retourna se coucher mais sans ôter son vêtement et mit ses pieds glacés contre le flanc de Claude qui grogna vaguement avant de se retourner pour poursuivre son somme en paix. Marie se calma peu à peu après s’être promis d’exiger le retour à Lésigny dès qu’on aurait accompli le tour des fermes, villages et autres domaines… Elle finit par s’endormir et le moment venu Elen eut du mal à la réveiller. Cette fois, des flammes dansaient dans la cheminée, les servantes s’activaient autour du lit… et Claude avait disparu.
— Où est-il ? demanda-t-elle.
— Dans la cour où il cause avec ses gentilshommes en vous attendant. Il faut nous hâter !
— Pourquoi n’a-t-on allumé que ce matin, ronchonna-t-elle en désignant l’âtre rutilant. J’ai cru mourir de froid…
— Je crois qu’hier on a oublié. Vos sujets avaient tellement fêté la bienvenue de Madame la Duchesse !
— Et toi tu ne pouvais pas donner des ordres ? Mille tonnerres ! Je suis maîtresse ici et tu es ma voix !
— J’aurais aimé le faire, mais souvenez-vous, madame : Monseigneur a mis tout le monde à la porte en disant que vous vous serviriez vous-même. J’avoue, en outre, que j’étais morte de fatigue…
Marie n’insista pas et ne s’attarda pas à sa toilette. Pour une fois elle fut vite prête, avala un bol de lait chaud et descendit rejoindre son époux, bien décidée à se faire ramener pour la nuit suivante dans un endroit plus civilisé. Le temps, par chance, se maintenait superbe et en l’aidant à monter en voiture, Claude lui promit, avec un large sourire, une belle promenade.
— Après quoi nous reviendrons ici ? demanda-t-elle, méfiante.
— Une duchesse de Chevreuse doit résider sur sa terre ! fit-il doctoral.
— Encore une nuit dans cette prison des courants d’air et vous me ramènerez à Paris mourante !
— Soyez raisonnable, mon cœur ! Il n’est pas question de rentrer à Paris. Qu’y ferions-nous tant que nous n’avons pas reçu réponse de Sa Majesté le Roi ? Car il ne vous a pas répondu, n’est-ce pas ? Nous n’avons pas vu M. de Malleville depuis des jours…
— Je vous rappelle que l’hôtel de Luynes, qui s’appellera dorénavant hôtel de Chevreuse, est d’un séjour agréable et que vous projetez de l’améliorer encore ! Il serait temps de vous y mettre !
— Laissez travailler les architectes ! J’ai donné des directives en ce sens à Métezeau[4] pour les travaux et afin que nous puissions nous installer au mieux quand viendra l’automne. Allons, mon cœur, ajouta-t-il en prenant une main qu’il baisa, soyez certaine que je n’ai en vue que notre bonheur commun. Admirez plutôt la beauté de notre campagne !… Et souriez ! Vous allez être acclamée tout le long du chemin !
Le duché édifié en pairie dix ans plus tôt ne se limitait pas en effet à la petite ville de Chevreuse, son château, ses tenants et ses aboutissants. Il réunissait les terres, fiefs et seigneuries de Maurepas, Danvilliers, Maincourt plus ceux de Meudon, Saclay, Cottigny et enfin Dampierre…
Après avoir tourné et retourné par nombre de chemins en suivant un itinéraire soigneusement mis au point par le Duc, ce fut là que l’on arriva vers la fin de l’après-midi. Et Marie, soûle d’acclamations, épuisée par d’innombrables descentes et remontées en carrosse – et qui fermait les yeux de lassitude –, tressaillit en entendant son époux murmurer à son oreille :
— Voici Dampierre, Marie ! Ma résidence préférée ! Dites-moi si celle-ci a votre agrément !
Marie ouvrit les yeux et avec une exclamation de surprise, se pencha à la portière pour mieux voir. L’endroit, à la rencontre de trois vallons, était ravissant et le château – briques roses et chaînages de pierres blanches sous des toits d’ardoises bleues – ne l’était pas moins. La route, qui filait entre un bel étang et les douves d’eaux vives entourant les murs, avait de superbes ombrages. On la quitta pour accéder par un pont dormant et un autre que l’on pouvait encore relever, au pavillon d’entrée percé de trois fenêtres sous un comble aigu à la Henri IV. Cela débouchait sur une cour, pas très grande, encadrée de bâtiments en rez-de-chaussée à l’exception du logis principal élevé d’un étage percé de hautes fenêtres donnant sur un vaste jardin où des fleurs, sagement enfermées dans des bordures de buis, dessinaient une joyeuse broderie. Une galerie ouverte sur les eaux courantes des fossés l’entourait. Un autre parterre, plus important et celui-là enveloppé d’un canal que l’on franchissait sur un petit pont, le complétait. Des fontaines animaient cet ensemble où les eaux étaient reines et que Marie contempla avec délices[5]. Comme elle se retournait vers lui pour mieux l’exprimer, il sourit :
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