Après en avoir relu deux, le Cardinal les remit soigneusement en place. L’accueil exceptionnel que lui avait réservé le Roi lui laissait espérer que celui-ci se rangerait à son côté… Le mieux pour le moment était d’attendre aussi calmement que possible l’effet de ses lettres de démission.
Ce dernier dépassa presque ses espérances. Le Roi jeta feu et flammes et reprocha durement à sa mère d’avoir osé s’en prendre à l’homme le plus indispensable du royaume. La Reine Mère entra du coup dans une de ces fureurs dont elle avait le secret et qui transformait alors son appartement en une sorte de marché arabe vociférant… Pendant une grande heure, elle cracha le venin qu’elle emmagasinait depuis que Richelieu avait eu l’outrecuidance d’adopter une politique diamétralement opposée à la sienne. Elle l’accusa d’ingratitude, de fourberie, et aussi d’entraîner le roi de France sur le chemin de la damnation éternelle en osant se dresser contre le Pape. En outre, le misérable faisait le jeu des protestants maudits en tournant ses armes contre la très catholique Espagne qu’elle tenait pour chère à son cœur et dont elle lui avait fait épouser la fille…
— En ce cas, ma mère, expliquez-moi pourquoi, depuis ce mariage tant souhaité par vous, vous n’avez eu de cesse de me démontrer l’indignité d’une épouse que j’aurais chassée depuis belle lurette si je vous avais écoutée.
— Dans les meilleures maisons il y a des brebis galeuses et ce n’est la faute de personne. Et puisque nous en sommes à parler mariage, veuillez vous rappeler aussi, Sire mon fils, que cet homme a eu le front de se mêler de nos affaires de famille en favorisant le penchant de votre frère pour cette fille de Gonzague, allant même jusqu’à vous pousser à une guerre afin d’assurer le trône de Mantoue à son père. Oui, il a osé alors qu’il savait à quel point j’étais hostile à ce mariage…
— Vous vous égarez, Madame ! En assistant le prince de Gonzague et en obligeant vos amis espagnols à libérer Casal, le Cardinal et moi-même n’avons jamais eu en vue ce mariage qui ne me plaît pas plus qu’à vous mais bien l’équilibre du royaume par la possession de places importantes. À ce propos, vous devriez être la dernière à me faire souvenir que vous avez abusé de vos pouvoirs de régence en faisant incarcérer cette pauvre jeune fille et sa tante au donjon de Vincennes et que…
Un ricanement sauvage de la Florentine lui coupa la parole :
— J’ai fait ce que je devais faire, je me suis comportée en reine plus que vous en roi puisque vous laissez votre Ministre agir à votre place et qu’il a eu l’impudence de libérer ces deux femmes…
— Ce n’est pas lui qui les a fait sortir de prison, Madame ! C’est moi… à la demande de mon frère, indigné à juste raison du traitement infligé à des innocentes !
— Vraiment ? En ce cas votre frère devrait vous être reconnaissant ? Alors expliquez-moi pour quelle raison il est enragé de colère contre ce maudit Cardinal ? Au point qu’il songerait, m’a-t-on laissé entendre, à se réfugier à Bruxelles afin de…
L’entrée soudaine du duc de Bellegarde, Grand Ecuyer de France et fort ami de Gaston d’Orléans, interrompit un instant la joute oratoire. Il en demanda excuses sur l’importance de la nouvelle qui l’amenait :
— Il importait, dit-il, que Vos Majestés apprennent sur l’heure que Monsieur est parti…
— Là ! triompha la Reine Mère. Qu’est-ce que je disais ? Voilà votre frère passé chez ceux en qui vous vous obstinez à voir des ennemis.
Bellegarde se mit à tousser, ce qui lui permit de reprendre la parole :
— Que Votre Majesté me pardonne. Madame, mais je n’avais pas fini : Monsieur est parti, certes, mais pas pour les Pays-Bas.
— Où est-il ? demanda le Roi.
— En Lorraine. Il est allé demander l’hospitalité au duc Charles !
— Qui n’est pas plus de nos amis que l’infante Isabelle-Claire-Eugénie ! Savez-vous si Mademoiselle de Gonzague l’accompagne ?
— Je ne le pense pas, Sire ! Aux termes de la lettre que Monsieur a bien voulu me faire tenir, il dit qu’il est excédé que l’on se mêle constamment de ses affaires et qu’il entend les mener désormais à sa guise…
Du coup Marie de Médicis régala ses interlocuteurs d’une magistrale crise de nerfs avec larmes, imprécations et prise à témoin du Ciel de tout ce que cette pauvre mère était condamnée à souffrir par des fils sans entrailles dont le but inavoué était de la mener au tombeau par les moyens les plus rapides. On s’empressa autour d’elle, on appela ses femmes qui l’emportèrent à sa chambre avec des soins infinis, on la coucha avant d’appeler médecin et chapelain afin qu’ils vinssent apporter les secours dont ils disposaient à si grande affliction. Pendant ce temps, le Roi regagnait son cabinet où il fit appeler le Cardinal.
Celui-ci était déjà au courant de ce qui venait de se passer et s’en montrait soucieux :
— Je cherche en vain. Sire, en quoi j’ai pu offenser la Reine Mère à qui j’ai toujours montré reconnaissance et affection. Il me semble avoir fait de mon mieux pour la servir…
— … jusqu’à ce que vous choisissiez de servir d’abord le Roi et la France, ajouta Louis avec une mélancolie qui toucha son Ministre. Ma mère a toujours exigé d’être première servie, le reste ne l’intéresse pas. Il faudra cependant qu’elle accepte de se réconcilier avec vous.
— Je doute qu’elle accepte. Sire. C’est pourquoi ma démission me semblait la meilleure solution…
— Pas pour moi, Monsieur le Cardinal, pas pour moi. Et la couronne c’est moi qui la porte. Veuillez vous en souvenir !
— Je n’aurai garde de l’oublier, conclut Richelieu en saluant profondément.
Dans les jours qui suivirent, Louis XIII fit en sorte que tous, à sa cour et dans le royaume, eussent une claire idée de l’estime qu’il lui portait. Richelieu reçut officiellement le titre de premier des Ministres dont il exerçait les fonctions. On lui offrit plusieurs bénéfices et son frère Alphonse, le chartreux, se retrouva archevêque d’Aix et plus tard de Lyon, coiffant en même temps le chapeau de Cardinal.
Force fut à la Reine Mère d’accepter la réconciliation qu’exigeait son fils mais chacun savait bien, et Richelieu, le premier, qu’elle satisfaisait seulement aux apparences et qu’en fait son ancien serviteur n’avait plus à attendre d’elle que de mauvais procédés, d’autant plus dangereux sans doute qu’ils seraient plus sournois. Elle lui en voulait même de la mort subite de son plus fidèle soutien qui était aussi l’ennemi le plus acharné de Richelieu : le cardinal de Bérulle mourut de façon si providentielle que d’aucuns y virent le doigt de Dieu, d’autres, au premier rang desquels était la Florentine, la main discrète du Ministre.
Sachant qu’il ne pouvait plus espérer le moindre appui de ce côté, celui-ci pensa qu’il serait peut-être bon pour lui de se chercher d’autres alliés dans la famille royale et que la Reine – toujours tellement malmenée par sa belle-mère – lui serait peut-être reconnaissante de s’intéresser à son sort et de lui offrir l’aide dont elle manquait si cruellement et depuis tant d’années.
Songeant qu’il y avait peut-être, à portée de sa main, un moyen simple de lui faire plaisir, le Cardinal fit prier Claude de Chevreuse de vouloir bien lui rendre visite. Quelques jours plus tard, Marie, ivre de bonheur, apprenait sa rentrée en grâce pleine et entière : sa place auprès de la Reine lui était rendue ! Basilio avait eu raison sur toute la ligne… Le salut lui était venu d’où elle ne l’attendait pas.
Elle en pleura de joie, puis se hâta de faire préparer ses coffres…
CHAPITRE V
UN CADEAU POUR LA REINE
C’était Noël et le Cardinal donnait une fête dans l’hôtel, proche de la porte Saint-Honoré, qu’il avait acheté quelques années plus tôt au Secrétaire d’Etat Forget du Fresne en prévision de ce qui venait de se passer : sa rupture avec la Reine Mère, ce qui lui rendait impossible le séjour du Petit Luxembourg, autrement dit une position de repli. Ce n’en était pas moins une fort jolie demeure bien qu’il la jugeât trop exiguë. Son nouveau titre de premier des Ministres lui faisait désirer davantage d’espace aussi ne cachait-il pas son intention de la faire prochainement agrandir afin d’obtenir une sorte de palais digne de sa grandeur et de celle du Roi. Il avait déjà commandé à Lemercier les plans de ce qui serait bientôt le Palais-Cardinal[6], nanti des beaux jardins que Son Eminence appréciait par-dessus tout.
Pour ce soir-là, cependant, le faste déployé compensait l’exiguïté – relative ! – de la demeure éclairée a giorno par des milliers de chandelles et de lanternes que reflétaient d’immenses miroirs. Il y aurait comédie – Mélite d’un illustre inconnu nommé Corneille – jouée par la troupe de Charles Lenoir et de Mondory[7] musique, ballet et enfin un festin comme il convenait d’en offrir lorsque l’on avait l’honneur de recevoir le Roi et les Reines et une partie de la Cour triée sur le volet : celle qui avait le plus de chance de plaire à Leurs Majestés Louis XIII et Anne d’Autriche, au premier rang de laquelle rayonnait Madame la duchesse de Chevreuse dont c’était le retour.
En fait, celle-ci constituait la surprise de la soirée, le cadeau de Noël que le Cardinal avait réservé à la Reine. Nul n’était au courant et quand elle descendit de carrosse, éblouissante en velours noir et satin blanc constellé de diamants, suivie de son époux, un murmure flatteur la précéda dans l’escalier au bas duquel le Cardinal vint l’accueillir en personne :
— Vous rayonnez, ce soir. Madame la Duchesse. Merci d’embellir de votre grâce et de votre beauté cette modeste demeure…
— Si vous souhaitiez à ce point ma présence, Monsieur le Cardinal, que ne l’avez-vous réclamée plus tôt ?… fit-elle en riant.
— J’ai préféré attendre ce soir qui est celui de la plus douce des fêtes, celle où la Nativité de Notre-Seigneur invite tous les hommes à oublier le passé et à vivre en bonne intelligence.
— L’idée est jolie mais… le Roi la partage-t-il ?
— S’il ne l’avait pas partagée, la réalisation en eût été impossible. Et moi je me réjouis de pouvoir vous ramener à celle qui, depuis des mois ne cesse de vous regretter, de vous réclamer…
— La Reine ne sait pas…
— Non. Le secret a été scrupuleusement gardé. Par vous aussi, j’espère ?
— N’en doutez pas ! C’est une grande minute que vous m’offrez là, Monseigneur. Je l’ai attendue dans la fièvre et je saurai m’en souvenir…
Quelques instants plus tard, toujours menée par Richelieu, Marie offrait au couple royal la plus parfaite des révérences. En même temps, son guide disait :
— Plaise à Leurs Majestés de recevoir en grâce Madame la duchesse de Chevreuse qui, après une longue absence, brûle du désir de servir à nouveau de tout son cœur nos bien-aimés souverains !
À vrai dire, le visage immobile de Louis XIII ne s’illumina guère. Il salua de la tête en marmottant une vague bienvenue mais sa femme fut incapable de réprimer son émotion. Avec une exclamation de joie, elle tendit à son amie retrouvée ses deux mains que celle-ci baisa agenouillée, avant de la relever pour l’embrasser :
— Quel beau Noël vous m’offrez là, Monsieur le Cardinal ! Soyez-en remercié… ainsi que vous, Sire mon époux !
— Vous me voyez heureux de vous faire plaisir. Madame, nasilla ce dernier. Espérons seulement que nous n’aurons pas lieu de le regretter… ni vous non plus mon cousin, ajouta-t-il à l’adresse de Chevreuse qui se tenait derrière elle.
Ce fut ce moment que choisit Marie de Médicis pour faire son entrée, délibérément en retard afin que les assistants fussent conscients qu’elle était de beaucoup le personnage le plus important. Naturellement, elle était d’une humeur de chien d’avoir constaté que Richelieu ne patientait pas au milieu de la cour pour l’accueillir à sa descente de voiture. Cela ne s’arrangea pas en découvrant auprès de qui il se trouvait :
— Par tous les diables ! Qu’est-ce que cette mijaurée fait ici ? Si c’est vous qui l’avez rappelée, mon fils, vous avez fait une fière sottise ! Je ne lui donne pas huit jours pour mettre votre ménage cul par dessus tête !
— Monsieur le Cardinal nous a fait part du repentir de Madame de Chevreuse et il nous est apparu que ce soir de Noël était bien choisi pour oublier le passé…
— Oublier le passé ? Comme si vous en étiez capable, mon fils ?
— Il me semble vous en avoir déjà donné des preuves, ma mère… au temps où vous vous étiez mis en tête de me faire la guerre ?
L’escarmouche menaçait de tourner au vinaigre. Marie audacieusement s’en mêla :
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