— Madame, Madame, plaida-t-elle en offrant à la vieille dame sa révérence et un ensorcelant sourire. C’est Noël ce soir ! Nous devrions nous soucier seulement de chanter la gloire de l’Enfant-Dieu… et de faire honneur à ce que nous prépare Monsieur le Cardinal ! Il serait dommage de gâcher si jolie fête.
La Reine Mère darda sur elle son œil de porcelaine turquoise sans reflets :
— Mais ma parole, te voilà devenue son amie, Maria ? Ce n’est quand même pas ton voyage en Lorraine qui a accompli ce miracle ? Le duc Charles l’exècre et je vous croyais d’accord là-dessus ?
— Sur une vitre de Chambord, le roi François Ier a écrit : « Souvent femme varie… » C’est donc un privilège féminin et il serait par trop injuste de répondre par l’ingratitude à un geste qui comble mes désirs les plus chers.
— Pas les miens ! Et, tout compte fait, ce que je vois céans est misérable ! Mon carrosse ! Je rentre au Luxembourg…
Personne n’eut le courage de s’opposer à son départ. Même le Cardinal, bien obligé de la raccompagner jusqu’à sa voiture. Il eut cependant la satisfaction, en remontant, de constater que l’atmosphère s’était considérablement détendue, grâce en grande partie à Madame de Chevreuse dont la joie était communicative. La comédie et le ballet furent fort applaudis, après quoi l’on passa à table où le Cardinal tint à présenter lui-même au Roi et à la Reine le plat principal ce qui fut jugé du dernier galant, ainsi que le fit remarquer Louise de Conti quand, le repas achevé, elle rejoignit son amie. Les deux femmes ne s’étaient pas vues depuis des mois, elles étaient ravies de se retrouver.
— Qui aurait dit que je vous verrais un jour devenue l’invitée privilégiée du Cardinal ? fit Louise en riant. J’espère que vous savez à qui vous devez cet étonnant retour d’événements ?
— Son Eminence me l’a laissé entendre au cours d’un entretien que nous avons eu, elle et moi, il y a peu. Notre hôte, profondément choqué par l’attitude si nouvelle de la Reine Mère qui semble l’avoir pris en grippe, estime qu’il faut l’empêcher à tout prix de reprendre sur le Roi son ancienne influence, et il ne m’a pas caché qu’il souhaite se rapprocher de la Reine. D’où un retour qui m’enchante…
— Qui nous enchante tous, ma chère, et à commencer par la Reine ! Il y a longtemps que je ne lui ai vu ce visage souriant. D’autant que la reconnaissance envers le Cardinal ne lui sera pas trop pesante. À vous non plus d’ailleurs…
— Pourquoi ?
— Parce que, avant la fin de l’année, Son Eminence nous aura quittés.
— Il va mourir ? Il n’a pourtant pas l’air malade…
— La campagne vous aurait-elle rendue un peu simplette, ma chère « sœur » ? Il n’est pas malade le moins du monde mais le Roi vient de le nommer Lieutenant général des armées que commandera en réalité le maréchal de La Force. Bassompierre me l’a dit hier : nous avons à nouveau des soucis en Italie où Casal se retrouve menacée ainsi que Mantoue, mais cette fois par les Impériaux. L’Empereur n’a pas admis que l’on intronise le nouveau duc de Mantoue sans sa permission. Le Roi ne pouvant s’absenter de Paris en ce moment, c’est le Cardinal qui part faire entendre là-bas la voix de la France…
— Mais c’est une excellente nouvelle, ça ! exulta Marie. Le Roi séparé de son Ministre chéri sera peut-être mieux disposé envers la Reine – elle pensait évidemment à la potion de Basilio qu’elle n’avait eu garde d’oublier à Dampierre – sans compter qu’il serait possible de briser un morceau de cette belle entente qui pèse à tout le monde ici…
La Princesse éclata de lire :
— Incorrigible Marie ! Ce n’est pas la reconnaissance qui vous étouffe, à ce que l’on dirait ! Alors que vous êtes en quelque sorte la reine de la soirée, voilà que vous revenez déjà à vos vieilles rancunes ? Je vous croyais les meilleurs amis qui soient, le Cardinal et vous ?
— Il est bon qu’il le croie aussi et pour l’instant je n’ai aucune envie d’agir contre lui. Je vais seulement attendre de voir comment se dérouleront les événements. Au fait, pourquoi donc le Roi qui aime tant la guerre le laisse-t-il partir seul ?
— Parce qu’il a d’autres affaires à régler. Par exemple avec l’Angleterre où il s’agit de remettre les relations sur un plan plus… familial. Tenez ! Regardez avec qui mon « époux » est en grande conversation dans cette embrasure de fenêtre.
Bassompierre en effet causait avec un personnage dont la tournure évoquait un souvenir à Marie malgré qu’il lui tournât le dos :
— Qui est-ce ? demanda-t-elle, mais la réponse lui vint aussitôt quand l’inconnu se détourna pour prendre un verre sur le plateau qu’offrait un laquais :
— Dudley Carleton ? murmura-t-elle. Mais pourquoi est-il là ?
— La même raison qu’il y a trois ans : apaiser les relations entre son Roi et le nôtre. Il est l’un de ceux qui ont signé le traité de paix… Mais que vous voilà pâle ? Ce Carleton ne vous a jamais été cher, que je sache ?
— Où est votre mémoire, Louise ? Avez-vous oublié qui l’accompagnait lors de sa dernière ambassade… et comment elle s’est terminée ?
La voix de Madame de Conti baissa jusqu’au murmure :
— Le duel entre mon frère et Holland qui s’est achevé par le renvoi en Angleterre de ce dernier ? Comment l’oublier ? Et si j’en juge la mine que fait notre Claude, il doit s’en souvenir. À l’évidence, il attend que Bassompierre en ait fini avec l’Anglais pour venir lui parler…
— Moi aussi je voudrais lui parler, fit Marie soudain tendue. Pouvez-vous m’aider ?
— On peut toujours essayer…
Bassompierre s’étant tourné vers Louise à cet instant, elle lui fit un signe discret pour l’appeler à elle mais alla au-devant de lui et l’entraîna rapidement en direction de Chevreuse. Marie en profita pour rejoindre l’Anglais qui à sa vue eut un haut-le-corps. Il était visible que la rencontre ne lui faisait pas plaisir. Il ne s’en inclina pas moins devant elle ainsi que l’exigeait la courtoisie :
— Madame la duchesse de Chevreuse, je suis votre serviteur !
Le ton était froid et n’engageait guère à établir le dialogue mais c’était insuffisant pour décourager la jeune femme. Maniant avec nonchalance son éventail de plumes blanches, elle offrit à l’Anglais son plus désarmant sourire :
— Quel plaisir inattendu que votre présence, Lord Carleton. Je croyais les ambassadeurs britanniques repartis. Or vous êtes là… et à Noël encore !
— Monsieur le Cardinal m’ayant fait la grâce de m’inviter… en ami à cette belle fête, je n’aurais eu garde d’y manquer mais je repars demain.
— Sans nous avoir honorés seulement d’une visite ? Avez-vous donc gardé si mauvais souvenir de l’hospitalité des Chevreuse ?
— Mais je suis allé saluer le Duc. Aurait-il omis de vous en informer ? Il est vrai que vous étiez absente. Depuis longtemps, m’a-t-on dit ?
Le ton frisait l’insolence, mais à ce jeu Marie n’avait de leçon à recevoir de personne :
— J’aime voyager. Quant à votre visite, mon époux a dû simplement oublier de m’en parler. Il a peu de mémoire et le sait. Aussi la réserve-t-il pour les affaires importantes. Ainsi vous regagnez Londres demain ? C’est dommage : nous donnons une fête le soir de la Saint-Sylvestre…
— Ce sera sans doute fort agréable mais je suis déjà engagé et pour rien au monde je ne voudrais manquer celle que Lady Holland prépare à Chiswick pour ce même soir…
Le cœur de Marie manqua un battement. En abordant l’Anglais elle espérait en tirer quelques nouvelles mais elle ne s’attendait pas à ce qu’il lui jette ce nom à la figure. Néanmoins, elle était trop habituée au jeu perfide des cours pour laisser voir la moindre émotion. Elle se contenta de lever délicatement les sourcils :
— Lady Holland seule ? Comme c’est étrange ! Oh ! j’avais oublié : le bruit m’est revenu que son époux est allé visiter ses terres d’Amérique. Elle doit, naturellement, se sentir un peu abandonnée…
À la courte flamme qui brilla dans les yeux de son interlocuteur, Marie comprit qu’elle avait réussi à le surprendre. Il cherchait sans doute à deviner qui avait pu le lui apprendre mais il se reprit vite :
— Elle ? Certainement pas ! Il est exact qu’un moment, Holland songeait à accompagner Warwick, son frère, dans une de ses pérégrinations mais il y a renoncé. Il a eu pour cela la meilleure des raisons.
Carleton attendait visiblement que Marie lui demande laquelle mais celle-ci, bien qu’elle en mourût d’envie, eut assez d’empire sur elle-même pour se contenter d’un « Vraiment ? » jeté avec une indifférence d’autant mieux jouée qu’elle l’accompagna d’un sourire et d’un petit signe de tête à l’adresse d’un gentilhomme qui passait auprès d’elle en la saluant… un gentilhomme dont, au prix de sa vie, elle eût été incapable de dire qui il était. Carleton en conçut du dépit et insista lourdement :
— J’aurais dû dire la plus ravissante des raisons. Notre ami est tombé éperdument amoureux d’une des filles d’honneur de la Reine, Cornelia Hyde, dont, quand je suis parti, il assiégeait la vertu déjà chancelante. Sa victoire me semblait toute proche…
Garder un visage impassible tandis que Carleton distillait l’horrible nouvelle avec une sorte de gourmandise exigea de Marie une volonté qui lui sécha la gorge et lui mit le sang aux joues. Sous le masque souriant de la femme du monde elle endurait mille morts. Elle aurait voulu fuir et cependant devait rester là à écouter cet homme lui vanter les charmes de l’inconnue qui lui avait volé son amant. Aussi suivit-elle avec empressement le chevalier de Jars venu lui dire que la Reine la réclamait. Non sans avoir offert à son bourreau décontenancé la plus gracieuse des révérences accompagnée d’un éblouissant sourire :
— Faites-lui mes compliments quand vous le verrez…
Cette nuit-là, il lui fut impossible de trouver le sommeil. Etendue au côté de Claude qui ronflait à faire tomber les murs après avoir un peu trop arrosé le souper du Cardinal, elle souffrit mille morts. Les larmes coulaient en silence de ses yeux sur l’oreiller qu’elles mouillaient sans qu’elle fît rien pour les retenir. Dudley Carleton avait gâché pour elle le soir de son triomphe, éteignant sa joie à présent remplacée par un regret déchirant. Celui d’avoir sacrifié sur l’autel de son ambition et d’une vaine gloriole l’aventure passionnée que lui offrait Henry. Si elle avait accepté de le suivre, à cette heure, ils seraient en train de s’aimer sous un ciel inconnu loin des intrigues de cour. Elle aurait sa bouche, ses yeux, ses mains, son corps, ce merveilleux instrument d’amour qui avait l’art de lui dispenser l’extase. Et par sa faute c’était une autre à présent qui recevait ses caresses… L’évocation fut si précise soudain qu’elle lui arracha un gémissement. Claude le perçut du fond de son sommeil et se retourna lourdement vers elle sans s’éveiller pour autant mais elle sentit qu’une main tâtonnante s’aventurait entre ses cuisses… Son époux sentait la sueur, le vin. L’idée de faire l’amour avec lui la révulsa et elle glissa doucement du lit jusqu’à se retrouver sur le tapis. Là elle chercha ses pantoufles, sa robe de chambre, et s’en revêtit pour s’approcher de la fenêtre. Elle donnait sur le jardin intérieur alors éclairé par la lune…
La froide lumière ciselait les allées, les parterres, les tonnelles et là-bas tout au bout et proche du mur derrière lequel s’étendaient les jardins du Louvre, le pavillon où Holland l’avait aimée pour la première fois avec cette violence qu’il libérait quand le désir l’avait trop longtemps taraudé et qu’elle goûtait si intensément… L’envie d’y retourner fut si forte qu’elle n’y résista pas. Jetant une mante noire par-dessus ses vêtements de nuit, elle descendit par le petit escalier intérieur menant directement au jardin. Cette nuit de Noël était froide mais sèche. La neige tombée au début de la semaine avait disparu. Marie emplit ses poumons de l’air frais. Il chassa les remugles du lit conjugal mais n’apaisa pas sa fièvre. Elle hâta le pas comme si quelqu’un l’attendait derrière la porte encadrée de gracieuses colonnettes, une porte que l’on ne fermait plus depuis la nuit du duel. Marie elle-même en avait jeté les clés à la Seine.
Elle entra rapidement, s’adossa au vantail refermé, surprise de constater qu’il y faisait tiède bien que la cheminée fût éteinte, mais une vague senteur de bois brûlé s’attardait comme si quelqu’un avait fait du feu. Un domestique, sans doute, afin de protéger meubles et tentures contre l’humidité et la moisissure. Il y avait si longtemps qu’elle n’était venue – c’était seulement la veille qu’elle était arrivée de Dampierre ! – qu’elle ne savait plus trop comment fonctionnait l’hôtel de Chevreuse. Mais l’impression qu’elle ressentait était infiniment douce parce qu’un parfum s’y ajoutait. Cela sentait l’ambre, le parfum d’Henry, mêlé à une autre senteur. Dans l’obscurité – la lune venait de se cacher derrière un nuage – elle s’avança dans la pièce, laissa tomber sa mante, sa robe de chambre et sa chemise. Au moins retrouver sur sa peau nue le contact des coussins qui les accueillaient jadis, elle et Holland. Elle toucha du genou le lit de repos et s’y laissa tomber avec un sanglot quand deux mains s’emparèrent d’elle avec une force contre laquelle il ne lui vint même pas l’idée de lutter parce qu’elle donnait vie à son rêve. Le parfum d’ambre se fit plus intense. Elle voulut murmurer « Henry » tout en ayant conscience que ce n’était pas lui mais des lèvres moustachues fermèrent les siennes avant de les entrouvrir pour aspirer son souffle. Contre sa peau, elle sentit le velours brodé d’or ou d’argent d’un pourpoint qui la griffa mais elle n’essaya pas de le repousser parce qu’elle était déjà captive d’un jeu savant de caresses qui lui mirent le feu au sang. Quel qu’il soit, l’homme était un maître en amour et Marie s’abandonna à lui avec un soupir de bonheur… C’était tellement ce dont elle avait besoin !…
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