Quasiment intronisée favorite officielle, la duchesse de Chevreuse savourait avec volupté cette atmosphère de fête perpétuelle dont elle était la reine. Cette bouffée d’encens, même pas toujours sincère, lui montait à la tête, elle était délicieuse à respirer mais ne lui faisait pas oublier la cour de France et la place éminente qu’elle occupait naguère auprès de la Reine. Naturellement, elle en voulait à mort au roi Louis et au cardinal de Richelieu, et, une fois bien assurée de son emprise sur le duc de Lorraine, elle se hâta de se réintroduire dans le jeu passionnant de la politique.
D’Anne d’Autriche, inconsolable du départ de son amie, elle recevait de longues lettres tristes. Marie lui manquait et elle ne le cachait pas. En outre, la jeune duchesse d’Orléans était enceinte alors qu’elle-même ne voyait toujours pas se dessiner le moindre espoir d’un enfant. Cela entraînait une angoisse permanente qui allait croissant à mesure que le temps passait : que l’épouse de Monsieur[2] mît au monde un fils et la répudiation se profilerait à l’horizon ! Le courage de Marie, la vivacité de Marie lui faisaient si cruellement défaut qu’elle avait à plusieurs reprises demandé sa grâce au Roi. Sans le moindre succès bien sûr.
De son côté, Claude de Chevreuse s’était livré à quelques timides tentatives dans ce sens, proposant même que sa femme se retire en Auvergne ou dans le Bourbonnais où il s’engageait à veiller sur elle. Le danger de mort qu’elle avait couru et la crainte qu’elle pût l’en croire l’auteur l’avaient bouleversé. Le Roi ayant plus ou moins accepté sa proposition, il fit même le voyage à Nancy pour porter la nouvelle à Marie et conclure avec elle une sorte de paix conjugale. Qu’on lui accorda : l’occasion était trop belle pour la jeune femme de reprendre son ascendant sur son mari. Marie ouvrit ses bras et son lit à des retrouvailles, passionnées de la part de Claude : il y avait si longtemps qu’il n’avait goûté aux charmes de l’enchanteresse qu’il retomba en son pouvoir comme par le passé. Mais quand il voulut la ramener, ce fut une autre chanson, les plaisirs rustiques de la France profonde ne la tentaient absolument pas. Ce qu’elle voulait, c’était rentrer au moins dans son cher Dampierre. Hors de cela rien n’était possible, et si Chevreuse désirait retrouver avec elle les joies de l’existence à deux, il lui fallait agir dans ce sens-là. Qu’il prenne langue avec la Reine et qu’ils joignent leurs efforts ! Elle-même ne quitterait la Lorraine qu’une fois certaine de son avenir…
Et Claude était reparti l’oreille basse, avec pour seule consolation d’être accompagné un bout de chemin par Marie qui avait décidé de quitter Nancy où sa position devenait inconfortable : son ménage à trois commençait à indisposer des gens plus attachés à leur Duchesse qu’elle ne l’avait supposé. Aussi choisit-elle de s’installer à une vingtaine de lieues de la capitale, à Bar-le-Duc, fief nominal de la duchesse Nicole pour lequel l’hommage était dû au roi de France : une question encore en suspens. Au printemps 1627, Charles de Lorraine se rendit d’ailleurs à Paris pour en discuter et, en même temps, essayer de plaider la cause de sa maîtresse. Sans plus de succès que les autres et au retour, il vint chercher des consolations dans les bras de Marie pour laquelle on avait choisi l’une des plus belles demeures de la ville haute, pourvue d’un jardin d’où l’on découvrait les méandres de la rivière Onzain. L’endroit était charmant, discret et infiniment plus agréable que l’appartement en plein palais ducal où l’on risquait toujours d’entrer en collision avec la duchesse Nicole au détour d’un couloir.
L’échec de ses deux négociateurs rendit Marie furieuse. Elle décida qu’il était temps pour elle de prendre en main ses propres intérêts et de préparer une nouvelle coalition contre la France de Richelieu. Les circonstances étaient favorables à une belle intrigue : à Paris d’abord, où la Reine pouvait respirer plus à l’aise, car, après dix mois de mariage, Madame, duchesse d’Orléans, était morte en donnant naissance à une vigoureuse petite fille, Anne-Marie-Louise d’Orléans que l’on appellera un jour la Grande Mademoiselle. Mais personne ne l’eût alors imaginé et ce qui comptait, c’est qu’elle n’était qu’une fille : Anne d’Autriche était sûre de rester sur le trône sans trop de soucis, Monsieur n’ayant aucune envie de s’encombrer d’une nouvelle épouse avant un bon moment.
Dans la haute noblesse, les ferments de révolte étaient à l’œuvre : on avait appris en septembre la mort bizarre du maréchal d’Ornano au donjon de Vincennes. La version officielle était une crise d’urémie, mais dans sa « chambre bleue » la marquise de Rambouillet, reine des beaux esprits et des précieuses, déclarait sans se gêner que le cachot qu’on lui avait donné « valait son pesant d’arsenic ». Autre tragédie, survenue au lendemain de la mort de Madame, l’incorrigible duelliste, Montmorency-Bouteville, avait porté au bourreau sa tête obstinée : il s’était battu contre le marquis de Beuvron en pleine place Royale, à deux heures de l’après-midi et devant le texte de l’édit interdisant le duel. Le Cardinal s’était montré impitoyable et le jeune fou avait été exécuté, à la consternation indignée des Montmorency et d’une bonne partie de la noblesse. Madame de Chevreuse s’ingénia alors à réveiller la cabale aristocratique assoupie depuis la mort de Chalais. Elle écrivit beaucoup, assistée du duc de Lorraine, et de nombreux messagers coururent les grands chemins ranimant le feu qui couvait aux quatre coins du royaume. Un plan prit forme : tandis que Charles de Lorraine marcherait sur Paris avec ses troupes, le comte de Soissons et le duc de Savoie envahiraient la Provence et le Dauphiné. Quant aux chefs protestants, Rohan et Soubise, ils s’empareraient du Languedoc, au mépris des traités, en réveillant la guerre de religion.
Mais pour cette dernière partie du programme l’aide de l’Angleterre était nécessaire et Marie reprit sa correspondance avec le duc de Buckingham toujours aussi enragé d’avoir été exclu de France et empêché d’y poursuivre ses amours avec la reine Anne si maladroitement compromises dans le jardin d’Amiens[3]. Le beau George poussa l’armement des navires qu’il voulait lancer sur les côtes de France tandis que de toute part le bruit des armes se faisait entendre. En résumé, la duchesse de Chevreuse était prête à précipiter la moitié de l’Europe sur le royaume de Louis XIII afin de pouvoir revenir au Louvre en triomphatrice, fût-ce dans les bagages de l’ennemi. La Reine, tenue au courant par leur correspondance, ne demandait pas mieux que d’applaudir. Et le mauvais coup faillit bien réussir.
Afin de conforter le Prince lorrain dans les bonnes dispositions où l’avait mis sa maîtresse et de faciliter leurs relations, Buckingham envoya à Nancy l’un de ses proches, Lord Montaigu, dont Marie avait fait la connaissance en Angleterre à l’occasion du mariage de Charles Ier avec Henriette-Marie de France. Elle en avait fait un ami. Sans plus. Il ne manquait pas de charme mais, passionnément éprise alors de Henry Holland et essentiellement occupée à entretenir son amitié avec Buckingham, elle ne pouvait s’intéresser à aucun autre homme.
Ce fut une autre histoire lorsqu’il vint la saluer dans sa maison de Bar et développer devant elle les plans ourdis par Buckingham pour réduire la France. Marie fut enchantée d’apprendre que le Duc était en train d’armer trois flottes de dix mille hommes, dans le but d’aller attaquer l’île de Ré et de prêter main-forte aux protestants de La Rochelle, mais si elle écouta beaucoup, elle regarda aussi l’arrivant d’un œil neuf. C’était un Anglais, blond, froid, distingué, élégant qui s’exprimait aisément en deux ou trois langues et qui, en outre, offrait une vague ressemblance avec le tant regretté Holland. Tandis qu’il lui expliquait que si la première flotte était destinée à La Rochelle, les deux autres devaient bloquer les vallées de la Loire et de la Seine, elle lui sourit beaucoup et Walter Montaigu, oubliant son magnifique self-control britannique, prit feu comme une torche approchée d’une flamme. Ce furent des amours d’autant plus excitantes qu’un parfum de conspiration s’y mêlait, mais des amours écourtées par la force des choses. Présenté au duc Charles avec un plein succès – le Lorrain avait cependant spécifié qu’il mettrait ses troupes en marche seulement quand les Anglais auraient débarqué –, Montaigu devait se rendre aussi en Savoie, en Suisse, en Hollande, à Venise et en Bretagne chez les Rohan, parents de Marie. Il partit donc tandis qu’elle se précipitait sur son écritoire pour exciter l’ardeur des divers souverains dont on espérait l’aide. On s’agita un peu partout, levant ou promettant des troupes destinées à récupérer pour leurs maîtres un morceau du gâteau France. Cela semblait marcher pour le mieux. De toute part on attendait que Buckingham mît ses troupes à terre pour lancer les autres invasions. Et, il faut le dire, Anne d’Autriche faisant fi de ses devoirs de Reine participait à la même espérance. Marie et ses amis n’oubliaient qu’une chose : la redoutable paire que formaient le roi Louis XIII et son ministre, le cardinal de Richelieu…
Tout commença bien : le 22 juillet 1628 Buckingham prenait pied sur l’île de Ré : cent navires, cinq mille hommes et cent chevaux débarquèrent. Impressionnant mais insuffisant pour réduire l’héroïque Toiras qui s’enfermait dans le fort Saint-Martin où il tiendra bon ! Le Roi et le Cardinal de leur côté se mirent en marche afin de le ravitailler et d’assiéger La Rochelle. Dans la nuit du 30 octobre, des troupes d’élite débarquèrent dans l’île de Ré. Toiras repoussa l’assaut des Anglais. Quelques jours plus tard, Ré était reprise par le maréchal de Schomberg. Poursuivis, Buckingham et Soubise rembarquèrent, laissant plus de quinze cents morts derrière eux. Ce qui restait de leurs troupes manqua alors d’approvisionnements et se vit décimé par la maladie sur une flotte qui avait grand besoin de réparations.
Les laissant à leurs problèmes, Richelieu, qui avait construit la fameuse digue, assiégea la ville qu’il réduisit par la famine. À la fin d’août 1628, Charles d’Angleterre et Buckingham s’apprêtèrent à lancer une nouvelle flotte, rassemblée plus mal que bien en raison de la haine que le peuple anglais portait au favori.
Le 2 septembre, à Portsmouth, John Felton, un officier poussé à bout par la misère et les injustices, assassinait le duc de Buckingham d’un coup de poignard en plein cœur…
Près de trois mois s’étaient écoulés depuis que Marie avait appris l’affreuse nouvelle de la bouche de Charles de Lorraine, mais le temps n’atténuait pas encore l’impression horrible qu’elle avait ressentie : c’était aussi déchirant que si elle avait perdu un frère follement admiré. Son amour pour Holland l’avait gardée de s’éprendre de lui mais à la souffrance qu’elle éprouva elle se rendit compte qu’elle aimait peut-être « Steenie » plus qu’elle ne le croyait… À peine Charles avait-il achevé son faire-part sans nuances qu’elle était tombée évanouie à ses pieds. Ce qui avait fort étonné le duc sans pour autant le bouleverser : les femmes pouvaient se montrer tellement imprévisibles ! Il avait appelé, on avait secouru la duchesse et, non sans peine et après plusieurs saignées, elle avait repris connaissance. Mais, dès lors, la donne avait changé : « Steenie » était la pièce maîtresse du dangereux jeu d’échecs qu’elle avait entamé contre Louis XIII et Richelieu. Il n’était pas difficile de deviner ce qui allait se passer : Buckingham mort, l’expédition anglaise ne reprendrait jamais l’île de Ré et les princes conjurés qui, tous, attendaient ce succès de l’Angleterre pour lancer leurs troupes sur la France, ne bougeraient plus… Surtout si La Rochelle affamée faisait sa soumission ! Le 1er novembre, c’était chose acquise. La ténacité de Richelieu l’emportait sur toute la ligne et le grand vainqueur c’était lui !
Jamais Marie ne l’avait autant haï. Il lui avait tout pris : son avenir, son espoir de revanche et jusqu’à son dernier amant ! Walter Montaigu, au moment où le couteau de Felton abattait Buckingham, était déjà emprisonné à la Bastille !
Trop sûr de lui, le diplomate anglais ne s’était pas méfié du réseau d’agents que le Cardinal tissait sur le royaume : deux Basques le suivaient à la trace à travers l’Europe et un soir, où justement il s’apprêtait à rejoindre Marie à Bar-le-Duc, ceux-ci avaient alerté M. de Bourbonne qui commandait le dernier poste avant la frontière lorraine. Celui-ci avec une poignée d’hommes franchit ladite frontière – le duché de Bar il est vrai était encore feudataire du roi de France – juste ce qu’il fallait pour s’emparer de Montaigu » de son valet et de sa valise bourrée de papiers dont nul ne savait au juste ce qu’ils contenaient mais que l’on pouvait supposer compromettants pour une foule de gens : les princes coalisés sans doute, Madame de Chevreuse à coup sûr et la Reine probablement…
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