— Mais tu en as sur le duc Charles, Marie, continua la Reine Mère sur le ton geignard qu’elle employait lorsqu’elle voulait faire croire qu’elle allait pleurer, fais-le pour moi…
— Je veux bien, mais…
L’entrée d’un huissier de la Chambre lui coupa la parole. Du seuil, celui-ci, tête haute et talons joints, annonçait :
— Le Roi !
Il arrivait en effet. Son pas rapide faisait sonner les dalles de marbre de la galerie des Rubens et quand il apparut, Marie plongea dans sa révérence tandis que Marie de Médicis restait debout, attendant. Louis XIII fronça le sourcil en reconnaissant la visiteuse mais s’abstint de tout commentaire. Il vint à sa mère dont il baisa la main tandis qu’elle pliait légèrement les genoux, puis l’embrassa sur les deux joues avant de jeter son chapeau sur un meuble et de s’asseoir près d’elle :
— J’ai de bonnes nouvelles pour vous, Madame ! Ah ! Madame de Chevreuse ? Je ne vous avais pas vue ! mentit-il avec un aplomb souverain qui arracha une grimace à Marie. Ainsi reconnue, elle fut obligée de saluer de nouveau mais déjà la Reine Mère accaparait son fils aîné en réclamant les « bonnes nouvelles ».
— La seule vraiment bonne serait le retour de Gaston, marmotta-t-elle avec un petit reniflement dédaigneux.
— Justement, c’est de lui qu’il s’agit. Un courrier de ce matin laisse entendre que nous pourrions nous accommoder. Monsieur le Cardinal…
— Ah non ! Celui-là, je ne veux plus qu’on m’en parle !
— C’est pourtant lui qui a œuvré pour le retour de votre fils. Aussi, suis-je venu vous demander d’écrire vous-même à mon frère pour lui conseiller de rentrer…
— Pour qu’il me réponde quelque insolence ? Grand merci !
— Je ne crois pas. Nous savons de source sûre qu’il reviendrait… à condition d’y trouver son intérêt. Et si les propositions sont faites par vous, il les recevrait très volontiers, nous en sommes certains !
— Quelles propositions ?
— Eh bien, par exemple : le gouvernement d’Amboise plus cent mille livres sur le domaine de Valois ?
— C’est assez plaisant mais je ne suis pas certaine qu’il trouve cela suffisant… Vous savez comment il est ?
— Oh je sais ! Ses repentirs coûtent de plus en plus cher au Trésor et je le laisserais avec plaisir là où il est si la présence de mon frère en terre notoirement hostile n’était d’un effet si déplorable… Proposez-lui en outre… disons cinquante mille écus mais en deux versements ! Et je n’irai pas plus loin !
La belle humeur de Louis XIII fondait à vue d’œil. Sa mère ne s’y trompa pas et afficha un grand sourire :
— Je vais écrire en ce sens ! Voulez-vous boire quelque chose, Sire mon fils ?
— Je ne dis pas non ! Mais… je ne vois pas Mademoiselle de Hautefort ? Elle n’est pas souffrante j’espère ? ajouta-t-il sur un ton d’inquiétude qui fit dresser l’oreille de Marie.
Sa malgracieuse Majesté serait-elle en train de s’éprendre du trop joli tendron ? Elle n’en douta qu’un instant : juste le temps qu’il fallut pour que la belle enfant apparût, portant un plateau chaîné d’un flacon et d’un verre avec lesquels elle vint s’agenouiller devant le Roi. Le regard dont celui-ci l’enveloppa, le sourire qu’il lui adressa étaient pour elle plus que révélateurs. Elle n’avait pas oublié l’époque où Louis, amoureux d’elle, la comblait de prévenances et de billets galants. Sans aller toutefois jusqu’à la conclusion, qu’elle souhaitait mais il y avait plus de dix ans de cela et Louis avait des retenues d’adolescent que l’âge lui avait peut-être enlevées. Marie devinait dans cette Hautefort une hardiesse, une insolence qui pouvaient en faire une ennemie redoutable pour Anne d’Autriche. Elle représentait peut-être l’arme secrète de sa belle-mère dans sa lutte contre Richelieu et sa tentative pour reprendre l’emprise que son fils semblait à présent lui contester. Et si Louis flambait pour cette fille comme le laissait voir le regard affamé dont il la caressait, il faudrait recourir à une autre panacée que l’innocent « remontant » de Basilio pour le ramener au lit de sa femme…
Aussi Marie quitta-t-elle le Luxembourg très soucieuse après avoir demandé une permission de se retirer qu’on lui accorda avec une désinvolture qu’elle n’apprécia pas. L’affaire Gaston étant en bonne voie de solution, on n’avait plus besoin d’elle et on ne le lui envoyait pas dire ! La grosse Médicis était décidément une vieille garce prête à tout pour arracher le pouvoir à son ancien serviteur et asservir son fils comme son égoïsme n’avait pas craint de le faire durant sa minorité. Jusqu’à ce que Charles de Luynes, le premier mari de Madame de Chevreuse, prît les choses en main et obtînt l’autorisation de faire assassiner Concini.
En rejoignant enfin le Louvre, Marie était moins heureuse qu’avant sa visite au Luxembourg… En revanche la Reine, elle, était d’une humeur charmante : elle attendait son amie avec impatience et l’accabla de questions dès son arrivée, un peu inquiète tout de même de la convocation toutes affaires cessantes de sa belle-mère. Marie, n’ayant aucune raison de garder leurs propos secrets, lui raconta son entrevue – sans toutefois mentionner Mademoiselle de Hautefort ! – y compris l’apparition du Roi et l’information qu’il apportait.
— Ainsi mon beau-frère va revenir ?
— Ce n’est pas encore certain…
— Oh ! je n’en doute pas un seul instant : il ne saurait résister à ce qu’on lui propose. Avec de l’or on obtient de Monsieur ce que l’on veut ! ajouta-t-elle avec une nuance de mépris qui n’échappa pas à son amie. C’est en vérité un homme impossible ! Quand je pense au mal que nous nous donnions pour le faire partir pour Bruxelles avec sa « fiancée » ! Quand je pense surtout que vous aviez songé, un temps, me le faire épouser…
— Il m’arrive d’y songer encore ! La santé du Roi ne me paraît pas mirobolante et, en cas de malheur, c’est toujours Monsieur son héritier…
— Je sais, Duchesse, je sais… et ne le sais que trop ! C’est mon souci le plus constant… Je prie beaucoup pour que le Seigneur, enfin, me prenne en pitié et m’accorde l’enfant tant désiré !
— Encore faut-il que le Roi fasse ce qu’il est nécessaire pour obtenir un héritier, osa Marie. Vous rejoint-il souvent ?
La Reine s’empourpra et détourna les yeux :
— Pas vraiment. À son retour d’Italie, il s’est montré assez constant mais, depuis un mois je ne l’ai guère vu. J’ai l’impression qu’il a été fort déçu que je ne me retrouve pas enceinte à ce moment-là.
Marie connaissait suffisamment Louis XIII pour la croire sans peine. Il allait falloir changer cela, mais s’il avait en tête la fille d’honneur de sa mère la tâche ne serait pas facile. Pour la première fois de sa vie, Marie regretta l’absence du Cardinal : lui seul possédait sur son maître l’influence nécessaire pour l’amener à plus d’assiduité dans le devoir conjugal. Restait la potion de Basilio à laquelle, bien sûr, elle ne croyait guère, mais il faudrait avoir la possibilité de la lui administrer discrètement et surtout sans que la Reine le sache : c’était un moyen qu’elle n’accepterait jamais…
En effet, Marie eut tôt fait de s’apercevoir que la vie religieuse de sa souveraine avait pris des proportions incroyables. Sans doute Anne était-elle fort pieuse et depuis l’enfance, mais pas à ce point-là ! Elle passait à présent à la chapelle deux fois plus de temps que naguère, multipliait les visites de sanctuaires, les neuvaines, les récitations répétées du rosaire, sans compter les retraites au Val-de-Grâce où, cette fois, elle passait en prière le temps qu’elle consacrait il y a peu à ses petites conspirations intimes. Une seule fois, en deux mois, elle y reçut le marquis de Mirabel. Même la sémillante Madame du Fargis prenait sa part de cette débauche d’oraisons. L’atmosphère autour de la Reine devenait lugubre : on se serait cru à l’Escurial…
Marie s’en ouvrit à Louise de Conti, qui d’ailleurs fréquentait moins l’entourage d’Anne.
— Je ne doute pas qu’elle soit contente de m’avoir retrouvée mais j’ai le sentiment que les rôles sont renversés : jadis elle écoutait mes conseils. À présent c’est elle qui ne cesse de m’en donner : on dirait qu’elle a pris à charge ma conversion mais, mille tonnerres, un homme ça ne se séduit pas avec des prières et des macérations ! Elle a même perdu de son éclat ! Où sont les temps joyeux de Mylord Buckingham ?
— Il est mort et c’est ce qui fait la différence. Elle l’a aimé plus qu’elle n’a jamais voulu vous l’avouer. Maintenant, elle prie pour son âme et pour que Dieu lui pardonne le péché qu’elle commettait en pensée tant qu’il vivait.
— Il est vrai qu’il avait énormément de charme, le monstre ! soupira Marie, et je ne vois pas où nous pourrions trouver son équivalent.
— Même si nous le trouvions, il n’aurait aucune chance : la Reine pense que Dieu la punit de son penchant pour le Duc en lui refusant le bonheur d’être mère.
— Autrement dit il n’y a de salut que dans le Roi. Or, je ne sais pas si vous le savez mais il paraît s’intéresser de près à certaine fille d’honneur de la Reine Mère…
— La petite Hautefort ? Je sais mais notre reine n’a rien à craindre d’elle.
— Ah non ? Elle est pourtant… des plus affriolante.
— Oui, mais elle est fière. De son nom, de sa race ! Je la connais un peu : elle prendra plaisir à jouer avec le Roi parce que son orgueil y trouvera son compte mais elle ne s’abandonnera jamais.
— Un jeu dangereux avec un homme comme lui ! Il prend facilement en grippe ce qu’il adorait l’instant précédent : j’en ai fait l’expérience !
— Oh ! cela ne l’effraie pas ! Si jeune qu’elle soit, elle n’a peur de rien. C’est je crois l’une des raisons pour lesquelles le Roi est fasciné par elle !
— Dans ce cas il faut l’attirer à nous : il faut qu’elle fasse entendre à ce mari impossible que la meilleure manière de lui plaire est de fréquenter la chambre de la Reine.
L’épouse secrète de Bassompierre se mit à rire.
— Vous chargeriez-vous de le lui dire ? Pas moi ! Ses jolies petites dents sont aussi dures que du granit…
Marie leva les bras pour les laisser tomber dans un geste de total découragement :
— Alors il ne nous reste plus qu’à prier, nous aussi, pour obtenir un miracle, car je ne vois plus où nous tourner : le Roi délaisse le lit de sa femme, ce qui ôte à celle-ci la moindre espérance de mettre au monde l’enfant tant désiré et, si notre sire venait à mourir, nous ne pourrions plus fonder d’espoir sur cette tête en l’air de Gaston : même s’il devenait roi, la reine Anne ne veut plus entendre parler de l’épouser.
La situation semblait bloquée mais Marie n’était pas de celles qui se découragent. Il fallait à tout prix ramener le Roi chez la Reine au moins une fois avant son départ : le bruit courait que Louis XIII n’allait pas tarder à rejoindre à la fois son armée et le Cardinal en Italie où la situation tournait au vinaigre. Non seulement l’Empereur avait refusé l’investiture au nouveau duc de Mantoue, mais il faisait assiéger sa ville tandis que les Espagnols revenaient s’installer devant Casal. Le Cardinal cependant n’avait pas perdu son temps : il avait mis en demeure le duc de Savoie de prendre parti pour ou contre l’Espagne et, devant le refus de celui-ci, s’était emparé de la puissante forteresse de Pignerol, dangereusement proche de Turin sa capitale d’outre-monts, avec l’intention d’en faire une monnaie d’échange si Casal venait à tomber. Il avait en outre rencontré un homme selon son cœur en la personne d’un certain Giulio Mazarini, secrétaire du cardinal Panzirolo, nonce du Pape à Turin. C’était un fort mince personnage de vingt-huit ans mais habité par une ambition sans frein et un véritable génie politique. Le pape Urbain VU ! craignait que dans un conflit entre Français d’une part, Impériaux et Espagnols d’autre part, ses États n’eussent grandement à en pâtir. Le jeune Mazarini qui ne manquait pas de charme était en quelque sorte son arme secrète. Et Richelieu l’avait apprécié…
Le Roi devait quitter Paris à la fin de février. Aussi Marie décida-t-elle d’agir avant. Par bonheur, elle disposait à présent d’un allié dans la place : La Porte, rentré en grâce lui aussi, avait retrouvé sa charge de portemanteau de la Reine. Son dévouement étant inchangé, il retrouva tout naturellement son ancienne entente avec Madame de Chevreuse. Comme elle, il déplorait le manque d’assiduité du Roi et ils tombèrent d’accord sur la nécessité qu’il y avait d’au moins une visite nocturne à la Reine. Marie lui confia sans hésiter l’élixir de Basilio afin qu’il en ajoutât au verre de vin que Louis XIII avait coutume d’absorber – peut-être pour se donner du courage ! – avant d’entrer au lit de sa femme.
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