« La disgrâce vous attend et peut-être la Bastille, disait-il. De toute façon la mort approche. Si elle ne vous est pas donnée par la main du bourreau, nous nous en chargerons sans crainte d’être poursuivis. Ceux qui ne vous pardonneront jamais la mort de Chalais. »
Le coup fut si rude que Marie s’évanouit. Avec le temps elle avait fini par se croire à l’abri de cet ennemi sans visage qui avait déjà tenté de la tuer sur la route du Verger. Elle pensait que les hasards de l’époque s’en étaient chargés, qu’il était peut-être mort ? Or, voilà qu’il reparaissait au moment précis où son destin s’enfonçait dans les brumes de l’incertitude…
Lorsqu’elle reprit connaissance, elle ressentit une telle angoisse qu’elle donna à Herminie l’ordre de préparer ses coffres de voyage et d’appeler Peran :
— Il se peut que je sois obligée de partir rapidement… pour une destination lointaine. Fais tes préparatifs en conséquence.
— Loin, cela veut dire où ? s’enquit le cocher sans se départir de son habituelle impassibilité.
— Les Pays-Bas… l’Angleterre. Est-ce que je sais ? s’emporta-t-elle. Mais peut-être bien la seconde ? J’y serai plus en sûreté…
Elle serait surtout plus près de Holland auquel, depuis ces derniers jours, elle ne cessait de penser. Le besoin de le revoir devenait criant et à cet instant proche de la panique, elle éprouvait comme une nécessité. Qu’il eût une maîtresse lui importait peu : elle se savait assez forte pour le reprendre à n’importe qui. Et puis, chez le roi Charles dont l’amitié ne lui avait jamais fait défaut, elle serait protégée mieux que n’importe où…
Quittant un lit où elle n’avait plus que faire, Marie, tandis que ses femmes sortaient ses bagages pour commencer à les remplir, demanda ses cassettes de joyaux qu’elle passa en revue afin de s’assurer qu’il n’en manquait pas, à l’exception d’une parure de saphirs confiée à son joaillier pour un remontage. Pensant que l’ouvrage ne pouvait être achevé, elle se résigna à l’abandonner aux soins de son époux. Puis s’assura de ce qu’elle possédait en argent liquide…
Jamais elle ne s’était sentie aussi nerveuse. Herminie, qui ne comprenait pas son attitude, s’efforça de la calmer en demandant ce qui justifiait une telle hâte alors que l’on était sans nouvelles de Monseigneur le duc. Elle se fit rabrouer :
— Je sais ce que je fais, mille tonnerres ! clama la Duchesse. Si je reste ici je suis en danger et il ne sert d’attendre qu’on m’apprenne je ne sais quelle catastrophe. Cette nuit, nous partons pour la Normandie… Si tu as peur de me suivre, tu n’as qu’à rester !
— Qu’y ferais-je, grands dieux ? Mais je soutiens qu’avant de prendre une si grave décision, il faudrait en avertir Monseigneur. Tant qu’il est auprès de Sa Majesté, vous n’avez sûrement pas grand-chose à redouter…
— Un jour, il m’a laissée être condamnée à l’exil sans protester. Il s’est même chargé de l’exécution. Je préfère suivre mon instinct et mon instinct me dit de passer la mer…
Il fut impossible de l’en faire démordre. Aussi, quand Chevreuse rentra au logis, vers la fin du jour, trouva-t-il la maison sens dessus dessous, le carrosse de sa femme dans la cour et celle-ci dans l’escalier.
— Où allez-vous donc ? s’étonna-t-il. Vous rentrez à Dampierre ?
— Non. Je quitte le royaume. Vous trouverez là-haut une lettre !
— Qu’est-ce qui vous prend ? Vous partez au moment où la Reine a besoin de vous plus que jamais ? Je vous le défends formellement.
— Vous me le… défendez ? souffla Marie abasourdie par cette soudaine poussée d’autorité maritale. Voilà qui est nouveau !
— Il est nécessaire que je fasse preuve de fermeté quand vous vous disposez à commettre une sottise.
— Une sottise ? fit Marie amèrement, alors que je tente de me soustraire à la vengeance de la Reine Mère… et de quelques autres ? Elle est rancunière en diable et n’a pas le triomphe modeste ! Quel sort a-t-on fait au Cardinal ?
— Le Cardinal ? Il est plus puissant que jamais : le Roi vient d’élever sa terre de Richelieu au titre de duché-pairie. Il a déclaré hautement que quiconque s’en prendrait à lui offenserait la Couronne dont il est l’indispensable soutien…
La surprise coupa les jambes de Marie qui se laissa tomber, assise sur les marches de l’escalier.
— Pas possible ! souffla-t-elle. Comment est-ce arrivé ?
— De la façon la plus simple : Sa Majesté et Son Eminence ont eu un long entretien en privé. Lorsqu’il prit fin, le Roi a envoyé un coureur à Paris chercher Monsieur de Marillac. Celui-ci est arrivé tout gonflé de joie et d’orgueil pensant que l’on allait le nommer au lieu et place du Cardinal. Il a vite déchanté : le Roi l’a d’abord prié de rendre les Sceaux, dont vous savez qu’il porte toujours les clefs au bout d’une chaîne à son col… et ensuite il fut décrété d’arrestation puis emmené au donjon de Châteaudun. En même temps un peloton de Mousquetaires était dépêché en Piémont pour porter au maréchal de Schomberg l’ordre de s’assurer de la personne de son frère, le Maréchal, qui devra être ramené en France afin d’y être jugé… Mais ne pourrions-nous poursuivre ailleurs cette conversation ? Je suis revenu ventre à terre, je meurs de faim, de soif, et vous me tenez dans l’endroit le plus incommode du monde !
Sans un mot, la Duchesse se releva et remonta chez elle en clamant que l’on serve Monseigneur au plus vite : elle-même avait déjà soupé…
Un moment plus tard, débarrassée de ses vêtements de voyage et réintégrée dans une virginale robe d’intérieur en laine blanche, elle prenait place en face de Claude, occupé à faire disparaître le solide repas que l’on venait de lui servir.
— Est-ce là tout ce que vous savez ? La Reine Mère…
— … est sans doute au courant à cette heure et les échos du Luxembourg doivent retentir de ses imprécations…
S’interrompant, Claude versa du vin dans un verre et le tendit à sa femme.
— Tenez et buvez ! Pour ce que j’ai encore à dire, il se peut que vous en ayez besoin !
Inquiète, Marie obéit. Son époux avait mangé trop vite. Son visage était très rouge mais trouva pourtant le moyen de s’assombrir.
— Madame du Fargis est chassée de la Cour, reprit-il, ainsi que la femme de chambre de la Reine, Madame Bertaut et sa fille, la petite Françoise[9] qui toutes deux ont vécu longtemps en Espagne. L’ambassadeur Mirabel et sa femme ne seront plus admis au palais que pour les audiences officielles. À l’exception de Stéphanille, les dernières femmes espagnoles devront repasser la frontière…
— Peste ! On dirait que le Cardinal a vu grand dans la vengeance ?
— Ce n’est pas le Cardinal et le Roi l’a fait savoir hautement : c’est lui-même qui manie le balai…
— Oh ! il en est capable mais, là-dedans, je ne vois rien qui nécessite de moi le besoin de réconfort ?
— Attendez la suite ! Le balai fonctionne aussi chez la Reine Mère : ses vieilles amies, les duchesses de Foligno et d’Elbeuf ainsi que la connétable de Lesdiguières sont exilées sur leurs terres. Et… ma sœur Louise ! Le Roi l’envoie chez notre mère au château d’Eu.
Marie devint blanche et se releva brusquement :
— Louise ? Mais enfin pourquoi ? Pour avoir dit du mal du Cardinal ? En ce cas, il faudrait chasser la plus grande partie de la Cour ! Et vous êtes là à vous bâfrer au lieu d’assiéger le Roi ?
— J’ai fait ce que j’ai pu, Marie, mais Louise ne s’est pas contentée de quelques paroles. Par amour pour Bassompierre elle s’est investie profondément dans la faction la plus extrême de la cabale : celle qui voulait mettre le Cardinal à mort ! Le Roi a répondu qu’elle devait s’estimer heureuse d’être éloignée de la Cour…
— Et Bassompierre alors ?
— Lui c’est plus grave : à cette heure il doit être en route pour la Bastille. À ne vous rien cacher, je suis passé chez lui avant de rentrer pour l’avertir et l’aider à fuir mais il était au courant : il se tenait dans son cabinet, occupé à brûler toutes ses lettres d’amour afin qu’elles ne tombent pas aux mains des exempts de police. Et cela faisait un tel feu d’enfer que j’ai craint un moment pour la maison…
— Il y en avait tant que ça ?
— Cinq mille, je crois… ou un peu plus ! Il faisait d’ailleurs bonne contenance et même il riait en disant que si on l’emprisonnait, il aurait enfin le temps d’écrire ses mémoires.
— Mais Louise, Louise ?
— Je l’ai vue elle aussi. Elle est désespérée mais refuse de fuir. Par-dessus le marché, elle réclame le droit d’être embastillée avec son époux mais il m’étonnerait qu’on l’écoute. Le Roi, vous le savez, ne l’a jamais aimée, souvenez-vous ! Il l’avait surnommée « le péché ». J’ai l’impression qu’il est assez satisfait d’avoir une occasion de s’en débarrasser. Il règle les comptes du Cardinal… et les siens.
— Il est toujours à Versailles ?
— Non. À Saint-Germain. Il compte y rester quelques jours…
— Le Cardinal l’y a accompagné ?
— Il est parti avant le Roi pour son château de Rueil…
— En ce cas, faites remonter mes coffres mais que Peran m’attende.
— Et où pensez-vous aller ?
— Chez le Cardinal, évidemment ! C’est à cause de lui que l’on chasse Louise c’est donc à lui d’obtenir sa grâce. Et moi c’est ce que je veux. Il y a des moments où je me demande si elle n’est pas plus ma sœur que la vôtre !
— Vous savez l’heure qu’il est ?
— Aucune importance ! C’est un grand travailleur que cet homme, même si je ne lui reconnais pas beaucoup d’autres qualités ! Et je vous garantis qu’il me recevra !
— Et demain tout Paris saura que vous êtes allée le rejoindre chez lui au lendemain de son triomphe ! Alors prenez au moins une voiture sans armoiries et enveloppez-vous de façon à n’être pas reconnaissable et…
— Vous rêvez ? Il recevra sans hésiter la duchesse de Chevreuse mais certainement pas n’importe qui ! Les gardes ne me laisseraient pas passer… Et si l’on parle, eh bien, on parlera ! Vous n’avez qu’à faire ce qu’il faut pour qu’on n’en dise pas trop !
— Comment l’entendez-vous ?
— J’ose espérer que l’insolent osant me dénigrer à portée de vos grandes oreilles n’achèverait pas sa journée debout mais au fond de son lit avec quelques pouces de fer dans le ventre… ou ailleurs !
Et elle sortit en claquant la porte.
CHAPITRE VII
OÙ MARIE ENTREVOIT
DES PERSPECTIVES INESPÉRÉES
Après Noël, on avait intensément travaillé à ce qui allait devenir le Palais-Cardinal, prouvant ainsi qu’au moins l’architecte, Jacques Lemercier, croyait en l’étoile de son client. On y travaillait encore à cette heure tardive autour de braseros s’efforçant d’offrir aux ouvriers des sources de chaleur. Les logis, eux, étaient achevés même s’ils sentaient légèrement la peinture et, dans les vastes cheminées, les flambées faisaient merveille.
Comme le pensait Marie, les gardes en tenue rouge laissèrent passer son carrosse sans la moindre objection. Un officier alla prévenir et Marie vit accourir un capucin, le Père Le Masle, qui était le secrétaire particulier du Cardinal. Il l’escorta dans le bel escalier qu’elle connaissait déjà et en haut duquel l’attendait Madame de Combalet.
Le joli visage de celle-ci portait encore les traces de larmes récentes et les plis du souci n’étaient pas encore effacés, même si elle trouva un sourire radieux pour accueillir Marie :
— Vous, Madame la Duchesse ? Et si tard ?
— Je sais l’heure qu’il est mais il faut que j’entretienne le Cardinal sans plus tarder. C’est très important !
— Important ou pas, je pense qu’il vous recevra ! Il va même être infiniment heureux de votre visite…
Visiblement, elle était la première à croire Marie définitivement rangée sous la bannière cardinalice, mais celle-ci ne jugea pas utile de doucher si vite son enthousiasme : tout allait dépendre de ce qu’elle obtiendrait. La charmante nièce l’introduisit elle-même dans le cabinet, austère avec ses boiseries sombres et ses grandes tapisseries mais adouci d’objets chatoyants comme un crucifix d’émaux translucides et quelques objets, coupes et aiguières de cristal ornées de pierres précieuses. Assis dans un vaste fauteuil de cuir, le Cardinal, une plume rouge à la main, rédigeait une lettre. La table où il s’appuyait, éclairée d’une paire de flambeaux, était couverte de portefeuilles et de longues boîtes reliées en maroquin vert et rouge ainsi que de cartes géographiques enroulées et de liasses de papier. Il eut un soupir à l’entrée de sa visiteuse, jeta sa plume et vint à elle les mains tendues :
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