— Quelle délicieuse idée de venir me surprendre, Madame la Duchesse !
Du fond de sa révérence, Marie prit l’une des mains dont elle baisa l’anneau avant de se relever et de se laisser guider vers le siège placé de l’autre côté du bureau.
— Je demande excuses pour l’heure tardive. Monseigneur, mais il fallait que je vinsse. D’abord afin de vous offrir tous mes compliments pour votre victoire…
— Venant de vous – et il insista sur le « vous » – ils me sont doublement précieux. Avez-vous vu la Reine ?
— Pas encore. Je viens d’être assez souffrante…
— … mais rapidement guérie si j’en crois l’éclat de votre teint, de vos yeux ?
« Seigneur ! pensa Marie, s’il se met à me faire la cour, cela ne va pas me faciliter les choses… »
— Je suis encore bien lasse, Monsieur le Cardinal, mais lorsqu’il s’agit de secourir la détresse d’un être cher, il n’est d’effort dont je ne me sente capable.
— C’est d’une bonne chrétienne… et d’une femme courageuse. Pour ne pas vous fatiguer plus que de raison, dites-moi de qui vous voulez me parler ?
— De la princesse de Conti, ma belle-sœur… et mon amie !
— Qui devrait s’appeler Madame de Bassompierre…
— Ah ! vous le savez ? Le mariage fut cependant secret ?
— C’est mon intérêt et surtout celui de la France d’être renseigné sur ce que l’on s’efforce de me cacher. Eh bien, Madame de Conti, puisqu’il faut respecter le protocole ?
— Vient d’être exilée au château d’Eu, chez sa mère…
— Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? nasilla le Cardinal.
— À condition que la famille ne soit pas pire qu’un couvent. Voici plus de quarante ans que ma belle-mère, Catherine de Clèves, y pleure la mort de son époux, le Balafré. En outre, mère et fille ne se sont jamais vraiment accordées… ce que je peux comprendre. Je vous en supplie, faites révoquer cet exil qui la tuera !
— Voyons, Madame la Duchesse, vous-même avez subi plusieurs éloignements… et votre beauté ne semble pas en avoir souffert !
— J’ai trente ans et elle est au seuil de la vieillesse. En outre elle va souffrir le martyre d’être séparée d’un époux qu’elle adore. Elle préférerait de beaucoup le rejoindre à la Bastille !
— Où elle serait séparée de lui par des murs plus encore que par la distance ? Il n’est pas d’usage d’incarcérer ensemble des gens mariés… surtout s’ils ne le sont pas officiellement ! Croyez-moi, Madame la Duchesse, cet exil n’est pas si grave. D’autant que l’on en revient, ainsi que vous en êtes la preuve vivante.
— Elle n’en reviendra pas. Sa santé laisse à désirer !
— Que serait-ce dans une prison d’Etat ! Eu est proche de la mer dont l’air est le plus sain qui soit et l’on dit que la campagne y est charmante…
— Mais le château est étroit. Henri de Guise, qui avait commencé la reconstruction sur les ruines laissées par Louis XI, a eu juste le temps de bâtir une aile et la chapelle.
— Ce qui est important pour une dame qui vit depuis des années à l’ombre du clocher de Saint-Germain-des-Prés. Et deux femmes ne tiennent pas tant de place !
— Quand elles sont duchesse de Guise et princesse de Conti ? Vous voulez rire, Monseigneur !
— Mais… j’aimerais beaucoup ! Cela me délasserait ! Oh ! je suis impardonnable : je ne vous ai encore rien offert !
— Merci, c’est inutile ! À moins que vous ne songiez à un cordial destiné à me remettre d’un refus qui n’ose pas dire son nom ?
— Moi, vous refuser quelque chose ? Il se trouve que cette affaire n’est pas de mon ressort. Croyez-moi, le Roi ne m’a pas consulté sur les mesures qu’il a lui-même décidées contre l’entourage par trop turbulent de sa mère ! Tout ce que je peux faire, c’est vous conseiller à toutes deux le calme… et la patience. Parler à Sa Majesté ne servirait à rien qu’à aggraver les choses, car elle est très montée contre Bassompierre… et son épouse. Que la Princesse fasse preuve d’obéissance sera la meilleure des plaidoiries. Je veillerai à ce qu’on y soit sensible… Encore une fois, on revient d’exil ; plus difficilement de la Bastille.
Il se levait, indiquant ainsi que l’audience se terminait. Force fut à Marie de l’imiter d’autant plus furieuse qu’il n’y avait rien à reprendre à l’implacable raisonnement du Cardinal. Elle allait pourtant essayer de placer un ultime argument, quand un valet entra et vint parler à l’oreille de Richelieu. Celui-ci sourit :
— Qu’il entre, voyons ! L’occasion tombe à point !
Celui qui vint n’était pas un inconnu pour Marie encore qu’elle ne l’eût jamais apprécié en dépit du charme indéniable qu’il dégageait. Naguère ambassadeur à Londres, Charles de l’Aubespine, marquis de Châteauneuf, ne s’inscrivait pas au nombre de ses admirateurs. Par Montaigu, elle avait appris qu’il avait tenté de la desservir auprès de Charles Ier, osant même écrire : « … que la Duchesse était une femme de qui la malice surpassait celle de son sexe quelque malicieux qu’il soit, et l’on avait éprouvé que plusieurs personnes de condition et de puissance se détournaient du service du Roi pour adhérer à ses passions… » Une littérature qui n’avait pas eu grand effet sur le souverain anglais – toujours selon Montaigu – mais que Marie gardait sur le cœur.
Aussi fut-ce d’un œil sévère qu’elle regarda s’approcher d’elle ce bel homme d’une cinquantaine d’années, élancé, bien fait et fort élégant, aux cheveux et à la moustache gris mais soyeux, dont les yeux noisette et le sourire à belles dents toujours blanches était aussi charmant que spirituel.
— Monseigneur a raison, dit, en s’inclinant sur sa main froide, Châteauneuf qui en entrant avait entendu la dernière phrase du Cardinal. Voilà en effet l’occasion de mettre à vos pieds, Madame la Duchesse, des hommages qui devraient y être depuis longtemps !
— Qui donc vous en empêchait ? La distance peut-être ? Vous étiez en Angleterre, il y a peu…
Elle n’entendit pas sa réponse parce que son attention fut soudain détournée. Il était tout près d’elle à présent et elle pouvait respirer le parfum assez fort qui se dégageait de ses vêtements, un parfum d’ambre et de musc mêlé à une senteur plus suave qu’elle ne pouvait identifier mais qu’elle était sûre de reconnaître entre toutes : c’était celle de l’inconnu du pavillon, de l’homme qui s’était introduit chez elle par surprise et qui avait si bien su profiter de l’instant de nostalgie qu’elle y était allée chercher. Elle le regarda alors avec attention parce qu’elle le savait proche du Cardinal, et quand celui-ci ajouta qu’il était le nouveau Garde des Sceaux en remplacement de Michel de Marillac emprisonné, elle pensa qu’il y avait peut-être là une carte importante à jouer. Si vraiment cet homme s’était permis de s’emparer d’elle par surprise, elle allait le lui faire payer d’autant plus cher que le plaisir avait été plus vif et si d’aventure il était amoureux d’elle – et s’il ne l’était pas encore elle se chargeait de l’en faire devenir –, il n’avait pas fini de souffrir…
S’excusant sur l’heure avancée et sur le besoin que les deux hauts personnages avaient de s’entretenir, elle prit congé, s’attarda un instant dans la galerie précédant le cabinet pour bavarder avec Madame de Combalet puis se dirigea vers sa voiture avec une sage lenteur, comme une femme qui, après un important entretien, réfléchit sur ce qu’elle vient d’entendre. Ainsi qu’elle l’espérait vaguement, Châteauneuf la rejoignit au moment où un laquais abaissait devant elle le marchepied du carrosse. Il avait dû courir car il était un peu haletant. Mêlée à la sueur, l’odeur ne fit plus aucun doute pour Marie.
— Madame la Duchesse, pria-t-il, m’accorderez-vous le privilège d’aller vous saluer au jour qu’il vous plaira de me recevoir ?
Un pli d’ironie au coin des yeux, au coin des lèvres, elle eut un demi-sourire légèrement insolent :
— Je crains que vous n’en ayez guère le temps. Vous venez de prendre les Sceaux, c’est là une tâche absorbante.
— Sans aucun doute et je m’y prépare, mais il n’est rien que je ne sois disposé à accomplir, dussé-je employer mes nuits au travail, pour le bonheur d’un moment auprès de vous. Il y a si longtemps que je brûle de vous être présenté…
— Si vous brûliez, votre flamme restait bien cachée. En outre, les propos que l’on m’a rapportés, de vous sur moi, étaient loin de me laisser supposer un tel feu mais puisque Monsieur le Cardinal nous a présentés, vous voilà content, j’imagine ?
— Je ne le serai que lorsque vous m’aurez pardonné…
— Quoi ?
— Ces… propos dictés par le dépit puisque jusqu’à présent vous ne m’aviez seulement jamais regardé…
— Je ne vous ai, en effet, jamais regardé mais il se peut que je vous aie… entrevu, approché même dans des circonstances étranges… et qui ne laissent pas de m’importuner…
— Madame ! Je vous supplie…
Il était devenu écarlate, sans songer un instant à nier. Marie sut qu’elle avait deviné juste.
— Laissez-moi finir ! Ces circonstances sont une humiliation à mon orgueil… et c’est cela, marquis, que je ne pense pas vous pardonner ! Nous rentrons, Peran ! On gèle dans cette cour…
Et sans vouloir rien entendre d’autre, elle remonta prestement dans sa voiture dont un laquais ferma aussitôt la portière. Tandis que Peran faisait tourner les chevaux, elle remit son masque et, avec un plaisir cruel, put voir Châteauneuf toujours planté à la même place, comme frappé par la foudre et qui la suivait des yeux avec un air qu’elle connaissait bien. Aussi se mit-elle à rire toute seule à l’idée des jours à venir qui pourraient être amusants. Surtout si elle réussissait à dresser l’un contre l’autre le Garde des Sceaux et le Ministre : l’envie de leur nuire lui revenait à la pensée quittant, désespérée, son confortable palais de Saint-Germain-des-Prés pour s’en aller en plein hiver s’ensevelir dans les brumes glacées de Haute-Normandie…
Le lendemain aux petites heures, elle était chez la Reine afin d’assister à son lever. Ainsi qu’elle s’y attendait, Anne d’Autriche n’avait guère bonne mine et elle avait dû pleurer abondamment : son teint toujours si clair se marbrait de rouge cependant que la belle couleur verte semblait avoir déserté ses yeux. En sortant du lit elle tomba pratiquement dans les bras de Marie, le corps secoué de sanglots qui amenèrent de nouvelles larmes :
— Au moins je vous retrouve, balbutia-t-elle quand elle fut un peu calmée. Mais êtes-vous toujours mon amie ?
— Vous en doutez, Madame ? Je ne crois pas avoir fait quoi que ce soit vous laissant supposer que je ne vous aimais plus…
— Vous étiez malade, c’est vrai… pourtant ma belle-mère jurait que cette maladie était faux-semblant, vous permettant de vous accorder mieux avec ce maudit Richelieu qui est la source du mal que nous subissons en cette Cour…
— Faux-semblant, moi ? Que non pas ! Je souffrais vraiment, ma reine, mais c’était… de jalousie…
— Jalouse, vous ? Et de qui ?
— Justement de la Reine Mère ! Elle vous a toujours détestée et vous le lui rendiez avec usure ! Or, parce que vous lui étiez nécessaire, elle vous jouait la comédie d’une affection trop soudaine pour être crédible. Il y avait aussi la du Fargis qui me laissait à peine parler lorsque nous étions ensemble et que vous écoutiez plus volontiers que moi.
— On vous disait du dernier bien avec Richelieu ! On vous a vue lui causer dans le jardin de l’Archevêché, lui sourire…
— On m’a vue… une seule fois que je ne renie point. Votre Majesté a-t-elle oublié que je lui devais mon retour auprès d’elle ? Il m’a pour ainsi dire imposée au Roi. Cela méritait un merci il me semble et ensuite, pensant que je ne vous étais plus agréable, je me suis retirée mais à présent me revoilà, toute à vous, aussi dévouée que par le passé. Et d’abord, je veux vous rendre le sourire.
— Le sourire, quand on m’a ôté celles de mes femmes qui pouvaient me rappeler mon pays, jusqu’à cette petite enfant, Françoise Bertaut, avec qui j’avais plaisir à converser en castillan…
Elle se remettait à pleurer. Marie la serra contre elle :
— Il vous reste doña Estefania… et moi si vous acceptez de montrer quelque indulgence à un espagnol imparfait mais que je vais continuer d’apprendre.
— Vous ?
— En Lorraine, il me fallait occuper mes heures. J’ai appris ! À présent, il faut. Madame, quitter cet attirail de douleur et songer à votre beauté. Une femme ne gagne pas à se laisser aller. Que comptiez-vous faire aujourd’hui ?
Anne d’Autriche hésita mais finalement déclara :
— N’en soyez pas contrariée, Marie, mais je veux me rendre au palais du Luxembourg. Vous savez ce que sont les cours et après avoir été tellement entourée la Reine Mère doit se trouver infiniment seule. Nous partageons la même cause et je lui dois ce réconfort.
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