Au sourire qui épanouit soudain le visage de Châteauneuf, elle comprit qu’elle avait touché juste… et que ce benêt était prêt à se laisser mener par le bout du nez à condition d’y mettre du doigté…
Si Anne d’Autriche fut surprise en la voyant arriver avec le Garde des Sceaux à sa remorque, elle eut le tact de n’en rien montrer, devinant que son amie devait avoir une idée derrière la tête : elle se montra sinon aimable, du moins courtoise, accueillant gracieusement les compliments discrets assortis d’une encore plus discrète offre de service et d’une sorte d’amende honorable. Elle finit par remercier Madame de Chevreuse de lui avoir amené ce nouvel ami. Celle-ci cependant les avait laissés converser pour s’intéresser aux changements advenus dans la Maison d’Anne d’Autriche.
Madeleine du Fargis exilée – on l’avait même condamnée et brûlée en effigie pour avoir mené contre le Roi des projets d’attentat dont Marie n’avait d’ailleurs jamais eu connaissance ! –, sa place de dame d’atour venait d’être donnée à une aimable personne déjà âgée, Catherine Le Vayer, dame de La Flotte, qui avait fait partie de l’entourage de Marie de Médicis mais sans rien savoir de ses projets politiques. En fait, elle était assez incolore mais il n’en allait pas de même pour sa petite-fille : l’éblouissante Marie de Hautefort venait de prendre rang, sur ordre du Roi, dans le bataillon des filles d’honneur où sa beauté et son assurance lui avaient attribué d’emblée une sorte de prééminence. Que semblait cependant lui contester une autre nouvelle venue, très jolie elle aussi mais moins éclatante : Françoise de Chémerault qui déplut d’emblée à la Duchesse et ne semblait pas agréer davantage à la Reine.
Marie en eut confirmation quand, s’étant approchée de Hautefort pour la complimenter, elle entendit celle-ci lui lâcher :
— Merci de vos vœux, Madame la Duchesse, mais par grâce n’allez pas en dire autant à Chémerault ! C’est le Cardinal qui nous l’impose, ce sera notre espionne. Ce qui déplaît fort à Sa Majesté : elle n’est déjà pas tellement ravie de ma présence, ajouta-t-elle avec une pointe d’amertume.
— Vous êtes peut-être un peu trop belle pour la paix d’une femme maltraitée. En outre, le bruit court que le Roi vous aime. Cela fait beaucoup !
— Il n’obtiendra rien de moi ! affirma la jeune fille. Si je suis heureuse d’être ici, ce n’est pas pour être plus proche de lui mais de la Reine. C’est elle qui a besoin d’aide. Et c’est à elle que j’entends me dévouer !
Le regard des magnifiques yeux bleus était droit, limpide, plein d’une fierté qui plut à Marie même s’il y entrait du défi. Elle donna sur la main de la nouvelle fille d’honneur un petit coup d’éventail amical :
— Comptez sur moi pour lever l’équivoque. Nous verrons ensuite jusqu’où nous pourrons nous entendre…
L’entrée inattendue du Roi les sépara. Avant de partir chasser à Versailles, Louis XIII venait saluer sa femme. C’était du moins le prétexte : en réalité, il venait s’assurer que Mademoiselle de Hautefort était satisfaite de son nouveau poste et, dès qu’il en eut fini avec les politesses obligatoires, s’isola avec elle dans une embrasure de fenêtre, si visiblement heureux de cet instant d’intimité qu’il prit à peine garde à la présence de Châteauneuf et ne remarqua pas Madame de Chevreuse. Celle-ci en profita pour se rapprocher de la Reine qui retenait difficilement des larmes de rage :
— S’il veut courtiser cette fille, ne peut-il le faire ailleurs que chez moi et sous mes yeux ?
— Surtout ne montrez pas que vous êtes blessée et ne faites pas mauvais visage à cette jeune fille, chuchota Marie. C’est une vertu sur laquelle il se cassera les dents et qui pourrait lui donner du fil à retordre.
— Résister au Roi ? Ce serait la première !
— Non, Madame, ce sera au moins la seconde ! Souvenez-vous que j’ai eu ce redoutable honneur ! assura-t-elle en se gardant prudemment d’ajouter qu’elle aurait volontiers cédé si ses scrupules religieux n’avaient retenu Louis au bord du piège séduisant qu’elle lui tendait. Et cela pour deux excellentes raisons : elle ne l’aime pas et ne souhaite que se dévouer pour vous !
— Vous en êtes sûre ?
— Absolument. En revanche, méfiez-vous de Mademoiselle de Chémerault : elle serait à la solde du Cardinal…
Marie en eut la preuve le lendemain même en recevant de Richelieu une courtoise invitation à lui rendre visite dans l’après-midi à l’heure qui lui conviendrait. Marie fit répondre qu’elle s’y rendrait vers trois heures.
Lorsqu’elle entra dans son cabinet, le Cardinal, radieux, vint à elle les deux mains tendues :
— Comme vous êtes bonne d’être venue ! Votre grâce illumine le triste jour que nous avons dehors, ajouta-t-il en la menant à un fauteuil placé près de la cheminée flambante avant de s’asseoir en face d’elle.
— La lourde charge qui pèse sur les épaules de Votre Eminence ne lui permet guère de perdre son temps en réceptions oiseuses : j’ai pensé que je pourrais peut-être lui être bonne à quelque chose ?
— Vous me prêtez là des intentions… mercantiles. L’idée ne vous vient pas que je pourrais avoir simplement l’envie de vous voir, Madame la Duchesse ? Ma tâche est pesante, vous avez raison, mais quoi de plus rafraîchissant que de contempler votre beauté dans tout son état ? Un privilège dont beaucoup peuvent jouir mais moi qui vis dans des sphères austères où vous ne paraissez guère, je suis bien obligé de vous demander de vous déplacer jusqu’à moi si j’en veux ma part..
Marie éclata de son joli rire en cascade :
— Dieu me pardonne, Monsieur le Cardinal, mais je n’ose penser que vous me faites la cour ?
— Et pourquoi pas ? Je suis un homme comme les autres et j’ai des yeux pour voir, une âme pour ressentir. Les quelques… divergences de vue qui nous ont séparés ne m’ont jamais empêché de vous admirer. Il faudrait être aveugle pour ne pas admettre la puissance de vos charmes. Ils n’épargnent personne… pas même mon pauvre Châteauneuf si j’en crois ce que l’on m’a appris !
— Je pense qu’on a beaucoup exagéré. Il y avait, entre Monsieur de Châteauneuf et moi, un contentieux désagréable remontant à sa dernière ambassade en Angleterre. De ce fait, il n’avait pas sa place dans l’esprit d’entente qui devrait à présent régner sur cette cour et nous nous sommes expliqués. Je lui ai pardonné ses mauvaises paroles…
— … et vous l’avez emmené chez la Reine pour qu’elle l’absolve à son tour, encore que je ne voie pas ce qu’il a pu lui faire ?
— Rien du tout, Monseigneur ! Mais il est notoirement de vos amis et j’ai voulu, la Reine ne le connaissant qu’à peine, démontrer à Sa Majesté qu’il pouvait être agréable de recevoir un ami du Cardinal de Richelieu : c’est-à-dire l’un des plus capables de lui faire sentir la valeur réelle de Votre Eminence…
— Autrement dit, vous cherchiez à me rendre service ?
— À ma petite mesure, oui ! assura Marie avec un regard d’une telle limpidité que Richelieu s’y laissa prendre :
— C’est une excellente idée et je vous en remercie. Il est bon en effet pour le bien du royaume et la paix intérieure du Roi que Sa Majesté finisse par admettre que je me voudrais le plus fidèle de ses serviteurs !
Marie faillit dire que, dans ce cas, Mademoiselle de Chémerault lui semblait un accessoire superflu, mais préféra garder l’idée pour plus tard. D’ailleurs, le secrétaire du Cardinal venait d’entrer et, après l’avoir saluée, parlait quelques instants à l’oreille de son maître dont le visage reprit son expression sévère tandis qu’il le renvoyait d’un geste.
— Il semblerait, dit-il, que l’on se ligue dès à présent contre cette entente que je souhaite établir entre nous et j’ai pour vous, Madame la duchesse de Chevreuse, une fort mauvaise nouvelle.
— Laquelle, mon Dieu ? Que s’est-il passé ?
— Votre époux vient de se battre en duel contre le duc de Montmorency… et cela dans la cour du Louvre !
— Quoi ?
À demi étranglée de colère et d’inquiétude mélangées, Marie changea de couleur et se leva si brusquement qu’elle fit basculer son fauteuil :
— Miséricorde ! Il n’est pas… mort au moins ?
— Non. En fuite et intact. Des Mousquetaires les ont séparés à temps. Montmorency n’a qu’une légère blessure…
En fait, il s’était passé ceci : Montmorency et la jolie duchesse de Montbazon, belle-mère de Marie, avaient entrepris pour distraire la Cour de faire ce que l’on appelait des « valentins rimés », sortes de distiques burlesques prenant pour cibles quelques personnages en vue. L’un d’eux touchait Claude de Chevreuse, qui souffrait à la fois d’une rage de dents et d’une inflammation à l’œil correspondant :
Monsieur de Chevreuse
L’œil pourri et la dent creuse.
Claude arrivait tout juste pour entendre. Déjà malmené par la douleur, il entra dans une folle colère et provoqua Montmorency. On mit flamberges au vent avec la suite que l’on sait.
C’en était trop pour Marie qui, pour une telle sottise, voyait s’écrouler le délicat château de cartes qu’elle s’efforçait d’édifier. Se laissant retomber dans le fauteuil remis d’aplomb, elle éclata en sanglots. Son imagination lui montrait la suite des événements : son époux rattrapé, emprisonné et mené à l’échafaud comme le pauvre Boutteville, sans doute en compagnie de son complice. Elle-même devenue veuve et rejetée à jamais de la Cour au bénéfice d’un couvent où elle ne tarderait pas à périr d’ennui… et de fureur contre ces deux imbéciles qui, pour une broutille, avaient défié les édits royaux dans la propre demeure du souverain.
Ses larmes purement spontanées étaient sincères mais Marie possédait ce don, rare, de pouvoir pleurer avec grâce et quand Richelieu, à demi agenouillé près d’elle, écarta ses mains de son visage mouillé, ses yeux d’outremer scintillaient comme des étoiles.
— Allons, allons, ne vous désolez pas ! Personne n’est mort…
— Pas… pas encore, mais ça ne saurait tarder !
Le ton était si lamentable que Richelieu ne put s’empêcher de rire :
— Si c’est vous qui le dites ! Essuyez vos yeux, nous allons voir ensemble ce que l’on peut faire…
— Ils connaissent pourtant les édits, ces deux idiots !
— Certes, certes, mais il n’y a pas eu mort d’homme… et le Roi est à Versailles. Je lui présenterai personnellement l’affaire et s’il n’aime guère Montmorency qu’il a toujours soupçonné d’être épris de la Reine, il porte depuis longtemps une vieille affection à Monsieur de Chevreuse. Qu’il faut d’abord joindre ! Où pensez-vous qu’il se dirige ?
— Dam… Dampierre ! C’est notre refuge.
— Trop naturel, on l’y reprendrait sans peine. Que diriez-vous de Nancy ? Il ne faut pas oublier qu’il est prince lorrain et que le duc Charles est son cousin !… outre le fait qu’il est de vos amis…
L’intention était claire, Marie se sentit pâlir :
— Votre Eminence souhaiterait-elle que je prenne langue avec le Duc pour lui demander de renvoyer mon époux ?
— Non. Il n’ira pas jusque-là et nous l’aurons repris avant. Cela dit, n’ayez aucune crainte : j’aurais horreur de voir pleurer ces beaux yeux. Monsieur de Chevreuse, si le Roi m’écoute, s’en tirera avec quinze jours d’arrêts de rigueur sur ses terres de Dampierre et vous ne serez pas obligée de lui tenir compagnie…
— Oh ! Monseigneur ! C’est trop de bonté !
— Vous n’en croyez rien et vous avez raison : en politique un service en vaut un autre et la fugue du Duc me donne une idée. Vous connaissez nos incessantes difficultés avec la Lorraine ?
— Mieux que quiconque, je crois…
— Eh bien, vos relations me seraient utiles. J’aimerais que vous m’aidiez à rédiger certaines lettres au duc Charles. Son caractère vous est familier, ses réactions aussi : nous pourrions ensemble faire du bon travail.
— Ce sera avec joie. Monseigneur ! s’entendit répondre Marie qui n’arrivait pas à croire à sa chance : non seulement on ne punissait pas Claude mais encore on lui offrait de mettre son joli nez dans les affaires de Lorraine.
Cela convenait tellement à ses projets qu’elle en aurait crié de joie, mais ce n’était pas le moment de se laisser aller. Après avoir remercié de nouveau le Cardinal et pris rendez-vous avec lui, elle demanda, avant de sortir :
— Et Montmorency ? Que va-t-il advenir de lui ?
Elle avait de l’amitié pour le Duc en qui, avant que Buckingham ne s’inscrivît dans le paysage parisien, elle voyait un amant très convenable pour Anne d’Autriche. D’autant – elle le savait ! – que cet amour n’était pas éteint et que Montmorency portait sous les dentelles de ses manchettes un bracelet dans lequel étaient tissés des cheveux de la Reine autour d’un médaillon renfermant son portrait. Un temps, celle-ci s’était montrée sensible à son charme.
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