Pendant des jours et des jours, des courriers sillonnèrent les routes. Le duc de Lorraine protestait contre la violation de son territoire par Bourbonne. Lui et le roi d’Angleterre réclamaient la libération de Montaigu dont les papiers par extraordinaire ne comportaient rien qui pût compromettre la Reine. L’un comme l’autre demandaient avec insistance le retour de Madame de Chevreuse, leur « amie très chère ». La Reine aussi soupirait après elle et enfin, le duc Claude pria qu’on voulût bien la lui rendre. Ce fut lui qui l’emporta. Durant l’absence prolongée de sa femme, il n’avait cessé de servir loyalement le Roi qui l’en avait récompensé en le nommant Premier Gentilhomme de la Chambre et Pair de France. Après mûre réflexion, Richelieu finit non seulement par accepter ce retour mais encore par le conseiller :
— Mieux vaut avoir la Duchesse en France où il sera facile de la surveiller, ce qui n’est pas le cas chez le duc de Lorraine dont elle fait ce qu’elle veut !
Louis XIII avait froncé le sourcil :
— Vous ne pensez quand même pas l’inclure dans les clauses du traité de paix comme veut le faire Charles d’Angleterre ?
— Ce serait lui faire trop d’honneur ! Puisque le traité sera signé au printemps, faisons-la rentrer avant la fin de l’année mais, naturellement, il ne peut être question qu’elle revienne à la Cour. Elle devra gagner Dampierre discrètement, y retourner sans éclats et s’y tenir tranquille. Proposons-lui cela !
— Elle acceptera ce que l’on voudra pour revenir en France, fit le Roi avec un haussement d’épaules. Elle promettra ! Mais quant à se tenir tranquille… Cette femme a l’intrigue dans le sang !
— Nous le savons l’un et l’autre, Sire, mais encore une fois elle sera plus facile à contrôler ici. En outre il se peut que la famille du défunt Chalais n’ait pas encore renoncé à le venger. Même Chevreuse devra se tenir sur ses gardes et agir comme nous l’entendons… si elle veut être protégée ! Il faudra l’en faire souvenir…
— Qu’il en soit donc ainsi que vous le voulez ! conclut Louis XIII avec un soupir.
Ainsi réglé, Madame de Chevreuse reprit le chemin de Dampierre, ramenant avec elle l’un de ces souvenirs de voyage dont elle semblait avoir le secret : quelques mois plus tôt, elle avait mis au monde une nouvelle petite fille, Charlotte-Marie, dont Chevreuse allait être obligé d’endosser la paternité et dont le duc Charles était parrain, sans qu’aucun d’entre eux pût démêler avec certitude de qui elle pouvait être l’enfant. Trois candidats étaient en lice en effet : le Prince lorrain, Claude lui-même qui avait naturellement pu l’engendrer lors de son voyage à Nancy, et enfin Lord Montaigu. Marie étant elle-même incapable de se prononcer et la petite ne ressemblant qu’à elle seule – une chance pour elle ! – le mystère restait entier.
Bien que l’on fût au 20 décembre lorsqu’on approcha de Dampierre, le temps sec et frais était agréable pour la saison et changeait des rafales glacées que l’on avait essuyées en quittant Bar-le-Duc. Grâce à Dieu, celles-ci abandonnèrent la partie quand on fut à Vitry-le-François et le carrosse de voyage à six chevaux, lourdement chargé, put poursuivre son long parcours d’environ soixante-quinze lieues dans des conditions plus acceptables, les routes séchées n’étant plus réduites à l’état de fondrières boueuses auxquelles il fallait parfois arracher les roues au moyen de planches ou de paille quand il ne s’agissait pas de mettre pied à terre dans les côtes pour alléger le véhicule. La Duchesse en effet rentrait sans faste et sans tapage ainsi qu’il le lui avait été prescrit.
Aussi l’intérieur de la voiture dont le toit et les ressorts arrière étaient encombrés de bagages ressemblait-il un peu à une roulotte de bohémiens. Là où Marie, à son arrivée en Lorraine, régnait seule avec Anna, sa camériste bretonne, elle partageait à présent l’espace avec Simplicie, la nourrice de Charlotte-Marie, berçant à longueur d’étapes le bébé qui, heureusement, montrait un flegme tout britannique, ne se faisant entendre que dans les moments d’urgence extrême. Quand elle ne dormait pas, Charlotte souriait béatement, montrait un si bon caractère que Marie, peu maternelle cependant, prenait plaisir à la prendre de temps en temps dans ses bras pour l’entendre rire et gazouiller. Il y avait aussi une petite cousine pauvre, Herminie de Lénoncourt, issue de la famille maternelle de Marie, qui, à seize ans, avait déjà réussi l’exploit de se faire chasser de trois couvents pour dissipation chronique. Quand elle ne versait pas de l’encre dans les bénitiers, la jeune Herminie volait des confitures dans les réserves, prenait un malin plaisir à chanter faux durant les offices et cachait des grenouilles dans les lits des religieuses. Entre autres inventions mirobolantes qu’aucune punition, aucun séjour à la cave ou dans les placards terriblement noirs, aucune « discipline » n’avait réussi à décourager… Ne sachant plus qu’en faire, sa mère Madeleine de Lénoncourt, veuve et chargée de famille, avait supplié sa cousine Marie d’essayer de la transformer en une suivante à peu près convenable pour elle-même ou pour ses filles. Dans une atmosphère plus amusante que celle des maisons religieuses qu’Herminie abhorrait, il serait peut-être possible d’en tirer quelque chose. Et Marie avait accepté. D’abord parce qu’elle avait de l’amitié pour Madeleine, la créature la plus douce et la plus désarmée qui fût au monde. Ensuite parce que l’œil frondeur – noisette et pétillant ! – de la gamine, son franc-parler et sa redoutable franchise lui plaisaient et même l’amusaient. Enfin parce que Herminie ne rappelait en rien Elen du Latz, son ancienne fille d’honneur qui s’était follement éprise de Holland et, après la mort du pauvre Chalais, avait choisi justement de se retirer dans un couvent nantais. Elen était assez belle pour être une rivale, ce qui ne risquait pas d’arriver avec Herminie, sa grande bouche, ses innombrables taches de rousseur et son nez retroussé. Plutôt ronde – son amour des sucreries y était sans doute pour quelque chose –, elle n’en portait pas moins avec une désinvolture proche de l’élégance les vêtements de tissus solides qui avaient habillé ses deux sœurs aînées avant elle. Sa nouvelle maîtresse en augurait que, convenablement vêtue, la jouvencelle serait tout à fait présentable dans son nouveau rôle. Par chance, elle était propre et soigneuse. En outre elle savait se taire, contrairement à l’une de ses sœurs qui était un véritable torrent de paroles, et c’était une qualité que Marie appréciait. Ainsi, pendant la durée du voyage, Herminie avait beaucoup regardé par la portière, passionnée par ce qu’elle découvrait de nouveautés et par les moindres incidents. Elle s’intéressait aussi à Charlotte qu’elle prenait souvent quand la nourrice faisait un somme. Elle devenait bavarde alors, entretenant avec le bébé des dialogues chuchotés dans cette langue incompréhensible qui est celle des tout-petits et qu’elle semblait posséder à fond.
— Comment fais-tu ? demanda Marie intriguée. Charlotte a l’air de te comprendre ?
— Comme vous le savez, ma cousine, j’ai trois jeunes frères et sœur. Et puis j’aime les bambins. Alors on se comprend sans peine.
— En ce cas tu ne seras pas dépaysée à Dampierre où nous allons retrouver mes enfants. Je ne saurais trop te dire à quoi ils ressemblent : je les voyais peu avant de me rendre en Lorraine et pas du tout depuis deux ans.
— Quel âge ont-ils ?
— Ma fille aînée doit avoir dix ans, mon gentil duc de Luynes en a huit, Anne-Marie six, Marie-Anne deux. Elle est la sœur aînée de Charlotte puisqu’elle est une Chevreuse.
— Une belle famille en vérité ! Et ils ne vous manquent pas ?
Une odeur fade, légèrement fétide, envahit l’étroit espace tapissé de velours vert. Charlotte devait avoir besoin d’être changée, ce dont la nourrice s’acquitta tandis que Mme de Chevreuse promenait délicatement sous son nez un mouchoir parfumé au jasmin.
— Ma foi non ! Certes, j’accourrais du bout de la terre si un danger les menaçait, mais dès l’instant où je les sais en de bonnes mains et où rien ne leur manque…
— Alors vous ne les aimez pas ! décréta Herminie en revenant au paysage pour s’absorber dans sa contemplation, indiquant ainsi à la Duchesse que pour elle l’affaire était entendue et l’entretien clos.
Assez surprise, celle-ci ouvrit la bouche pour remettre l’insolente à sa place puis y renonça. Elle n’avait pas acheté chat en poche et n’ignorait rien des manières de sa nouvelle suivante. Il faudrait songer à y remédier mais pour l’instant, fatiguée par le voyage, elle n’avait aucune envie d’entamer une polémique. Ne lui fallait-il pas garder quelques forces pour son premier contact avec un époux disparu de son horizon depuis des mois ?
D’ailleurs on arrivait : un « Oh ! que c’est joli ! » émis par Herminie le lui confirma. Dampierre, en effet, était en vue et Marie eut un frisson de plaisir à retrouver son beau château toujours aussi charmant, aussi pimpant avec ses briques roses, ses chaînages de pierre blanche, ses toits d’ardoise bleutée, ses jardins à demi dépouillés par l’hiver mais où les eaux courantes mettaient une vie, une chanson. La bannière de Chevreuse flottant mollement sur le pavillon d’entrée annonçait la présence du maître, mais déjà l’arrivée de la maîtresse était signalée : des villageois accouraient avec des cris de joie. Les gens de Dampierre comme ceux du duché aimaient Marie, peut-être parce qu’elle savait se montrer généreuse et accueillante envers eux. Aussi, quand le carrosse s’engagea sur le pont lancé au-dessus des douves, Peran le cocher dut faire appel à toute son habileté pour ne blesser personne : c’est tout juste si l’on n’essayait pas de porter ses chevaux en triomphe. Marie répondait par des sourires et des gestes de la main à cet enthousiasme qui plongea Herminie dans un abîme de réflexion : il était rare qu’un seigneur soit à ce point populaire et son jugement sur sa nouvelle maîtresse se trouva révisé à la hausse.
La voûte d’entrée franchie, on trouva Boispillé, l’intendant, devant le front des domestiques réunis dont les hommes s’inclinèrent d’un même mouvement tandis que les femmes faisaient une petite révérence au moment où un laquais ouvrait la portière du carrosse. Enfin, Claude de Chevreuse parut sur le perron du grand logis et vint au-devant de sa femme :
— Chacun ici est heureux de vous revoir, Madame ! clama-t-il de sa plus belle voix de commandement. Avez-vous fait bon voyage ?
— Excellent quoiqu’un peu à l’étroit ! Vous portez-vous bien ?
Il avait pris sa main pour l’aider à descendre et l’embrassa sur les deux joues à la mode paysanne :
— Le mieux du monde puisque je vous vois ! répondit-il sincère. Mais que nous apportez-vous là ? ajouta-t-il, un peu surpris de découvrir un bébé dans les bras de Simplicie.
Marie joua l’étonnement avec énormément de naturel :
— Mais Charlotte-Marie, notre dernière fille, dont je vous ai annoncé l’arrivée en mars dernier. N’avez-vous pas reçu ma lettre ? demanda-t-elle en sachant pertinemment qu’il n’y avait aucune chance pour cela puisqu’elle ne l’avait jamais écrite.
— Ma foi non, mais l’incertitude des chemins est telle ces temps derniers que ce n’est guère étonnant ! Ainsi vous m’apportez une nouvelle fille ? dit-il en se penchant sur la frimousse encadrée d’un béguin de fine toile blanche garnie de dentelles.
— Eh oui ! Encore une, mais si je ne vous ai pas encore donné de fils, je ne suis pas la seule fautive…
— Je sais, je sais… Elle n’en est pas moins la bienvenue… et nous essaierons de faire mieux une prochaine fois !
Herminie fut présentée à son tour. Etant une cousine elle eut droit à un baiser sur le front. Après quoi tout le monde rentra dans la maison. C’est là, dans le grand vestibule, qu’attendaient les enfants avec ceux qui leur étaient attachés. Louise, l’aînée, longue fillette brune aux yeux bleus douée d’une précoce gravité, accompagnée de Madame de la Tour, la gouvernante qu’elle partageait avec sa cadette, Anne-Marie, modèle réduit en plus turbulent de son aînée. Elles se tenaient un peu en retrait de leur frère, le petit duc Louis-Charles de Luynes, flanqué de son « gouverneur », Monsieur de Fevres. C’était un enfant charmant, brun comme une châtaigne avec de beaux yeux sombres, et Marie sentit son cœur trembler quand il s’avança vers elle à pas comptés pour baiser sa main en l’appelant « Madame ma mère ». Elle n’y résista pas et se pencha pour l’embrasser :
— Dieu que vous avez grandi, Monsieur mon fils ! Vous voilà presque en âge de porter l’épée !
— Je prie Dieu pour que ce soit bientôt ! J’ai tellement envie de servir le Roi !
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