Grimpant à son appartement, elle changea sa robe chatoyante pour du velours et de la mousseline noirs à peine éclairés par la batiste blanche de l’étroite collerette et des manchettes. Sur sa tête elle fit poser un voile, refusa le moindre bijou, se fit donner sa mante noire et ordonna à Herminie de la suivre car il n’était pas séant qu’une femme se rende seule dans les appartements du Roi. Et c’est pourtant tout juste ce qu’elle avait l’intention de faire.
Son arrivée dans son carrosse d’apparat et cet appareil funèbre ne passèrent pas inaperçus et, tandis qu’elle montait le Grand Degré suivie d’Herminie, plusieurs gentilshommes la saluèrent auxquels elle répondit d’un signe de tête plein de gravité. Derrière elle Herminie goûtait chaque seconde d’une circonstance aussi exceptionnelle, et offrait l’image même de la dignité. On arriva ainsi dans l’antichambre où veillaient les Suisses. Marie y trouva Monsieur de La Vieuville et lui dit qu’elle sollicitait une audience pour un cas grave.
— Sa Majesté est rentrée de la chasse. Je viens de voir ses équipages dans la cour…
— Je ne sais si vous choisissez bien votre moment, Madame la Duchesse. Sa Majesté est de fort méchante humeur. Elle est occupée à recevoir dans son Cabinet des Armes Monsieur de Tréville et quatre Mousquetaires pour une affaire désagréable qui ne fera, je le crains, qu’augmenter sa bile…
— C’est pourtant de cette affaire que je viens lui parler ! Je vous en conjure. Duc, faites qu’il me reçoive, fût-ce un seul instant !
— Mais… vous êtes en deuil, dirait-on ?
— Oui, de ma belle-sœur. Madame de Conti, et profondément affligée…
— Suivez-moi, je vais voir ce que je peux faire…
Il la conduisit dans la salle qui précédait le Cabinet des Armes et l’y laissa tandis qu’après avoir gratté à la porte où veillaient deux Gardes du Corps, il pénétrait dans la pièce presque sur la pointe des pieds. Pour en ressortir pratiquement aussitôt, suivi de peu par Tréville et ses quatre gentilshommes dont les mines sombres augmentèrent à la fois l’angoisse de Marie et sa détermination. Jamais l’approche d’un combat ne lui avait fait peur et si elle redoutait de perdre celui-là, c’était uniquement à cause de Gabriel.
En passant près d’elle, les cinq hommes la saluèrent, Aramitz avec un regard désolé et un hochement de tête négatif. Elle n’en regarda pas moins avec intérêt les compagnons de Malleville, les devinant d’aussi grande qualité que lui. Athos, le plus âgé, une figure noble et fière aux yeux profonds, Porthau, un géant doué sans doute d’une force exceptionnelle mais dont l’aimable figure de bon vivant reniflait des larmes, d’Artagnan enfin, un Béarnais sec et vif comme l’avait été Henri IV en personne avec un visage hardi et des yeux de feu. Leur salut fut silencieux mais elle leur lança :
— C’est pour moi qu’il s’est battu ! À mon tour de me battre pour lui…
Mais déjà La Vieuville l’introduisait…
Tendu de tapisseries des Flandres sur lesquelles s’enlevaient des trophées, meublé de coffres et d’armoires remplis d’armes diverses, ce cabinet n’était pas une nouveauté pour Marie. Au temps lointain de sa faveur, elle y était venue à maintes reprises, le jeune Roi trouvant plaisir à lui faire admirer ses dernières acquisitions. Il venait alors au-devant d’elle pour baiser sa main en lui demandant des nouvelles de sa santé avec une tendre sollicitude. Il n’en fut rien cette fois…
Assis dans un haut fauteuil de cuir et de bois sculpté, Louis XIII faisait jouer dans son fourreau une longue dague d’acier bleu dont la poignée dorée et niellée annonçait qu’elle venait de Tolède. Il n’accorda qu’un bref regard à sa visiteuse tandis qu’elle lui offrait la plus gracieuse, la plus respectueuse de ses révérences. Pourtant, ce regard s’était attaché un instant à sa toilette :
— Pourquoi ce deuil ? Chevreuse n’est pas mort que je sache ?
— Non, Sire, Dieu merci, mais il vient de perdre une sœur qu’il aimait et je partageais cet amour.
Les noirs sourcils se relevèrent : il ne devait pas le savoir. Et, en effet :
— Je l’ignorais. De quoi est morte Madame de Conti ?
Oh ! ce ton indifférent ! Marie dut faire effort sur elle-même pour s’obliger à répondre sans aigreur :
— De douleur. Sire ! Du chagrin d’être séparée de celui qui, devant Dieu, était son époux…
— Ah, c’est vrai ! Il va falloir annoncer à Bassompierre qu’il est veuf. J’en chargerai le Garde des Sceaux. À présent, Madame, dites sans barguigner la raison qui vous amène !
Quoi qu’il lui en coûtât, Marie se laissa tomber à genoux :
— La grâce du chevalier de Malleville, Sire, l’un de vos Mousquetaires qui…
— Je sais ! Et pourquoi la demander ? C’était sans doute l’un de vos amants ?
— Non. C’était mon écuyer avant qu’il ne choisisse le service de Votre Majesté dont il admirait la bravoure. Le Duc et moi avons beaucoup regretté le serviteur hors pair qu’il était. Et sans doute l’une des meilleures lames de France !
— Il vient de le démontrer en tuant Bellanger qui n’était pas maladroit mais qui était ivre. Et cela pour une femme dont on m’a refusé le nom…
— De la pure chevalerie, digne de vos Mousquetaires, Sire, mais inutile : c’est moi que le Garde du Cardinal avait insultée !
Un pli méchant se dessina sous la moustache du Roi tandis qu’il ricanait :
— Peut-on vraiment insulter une dame de votre réputation ? On ne prête qu’aux riches vous savez !
Une bouffée de colère remit Marie sur ses pieds :
— Si j’entends Votre Majesté, le premier gentilhomme de France se range à l’avis d’un soudard pris de boisson ? Oh ! Sire, le Roi que j’ai connu avait plus de hauteur de vue.
— On change. Madame ! Vous aussi avez changé.
— Moins que le Roi ne pense. Mon cœur est resté le même !
— Etrange ! Je me suis souvent demandé si vous en aviez un !
Marie comprit qu’elle n’obtiendrait rien en lui tenant tête :
— Sire, on vous a surnommé Louis le Juste. Permettrez-vous que l’un de vos plus vaillants soldats perde la vie pour avoir défendu l’honneur d’une femme qu’il a longtemps servie ? Est-ce que cela ne vous paraît pas… injuste ?
— On peut corriger un malotru sans le tuer. Et celui-là avait trop bu : il était par conséquent en état d’infériorité. Au surplus, Madame, ce Bellanger ne m’appartenait pas.
— Cela veut-il dire que, servant le Cardinal, cet homme cessait d’être français donc un sujet de Louis XIII ?
Elle eut la satisfaction de voir rougir le visage du Roi qui, un instant, chercha sa réponse :
— Vous savez bien que non. Cependant j’ai voulu que mon plus précieux serviteur dispose d’une force capable de le protéger en toutes circonstances contre tous ennemis comme je le suis moi-même…
— Alors Sire, il faudrait lui donner la moitié de vos armées car si le peuple aime, je dirais vénère, Votre Majesté, il n’en va pas de même envers un Ministre qu’il déteste chaque jour davantage !
— Je ne vous savais pas si avant dans les sentiments de mes sujets ! Quoi qu’il en soit, le mort appartenait au Cardinal : il est donc le seul à qui, en la circonstance, appartienne le droit de grâce… Je vous salue, Madame la duchesse de Chevreuse.
Force fut à Marie, ainsi congédiée, de s’incliner. Réfrénant sa colère, elle quitta l’appartement royal, hésita à se rendre chez la Reine, y renonça avec un haussement d’épaules : comme si cette malheureuse disposait du moindre pouvoir ? Aller lui conter l’affaire serait une perte de temps et le temps comptait énormément : si personne n’intervenait Gabriel n’avait plus guère d’heures à vivre…
En rejoignant son carrosse, elle aperçut Aramitz qui, les bras croisés sur la poitrine, faisait les cent pas d’un air méditatif et devina qu’il l’attendait. Il devait d’ailleurs surveiller l’escalier car il vint à elle dès qu’elle fut en bas des marches :
— Qu’en est-il ? demanda-t-il.
— Je n’ai pas été plus heureuse que vous. On m’a répondu que seul le Cardinal pouvait disposer de la vie de Malleville puisque le mort était à lui.
— C’est à peu de chose près ce que le Roi nous a fait l’honneur de nous dire, fit le Mousquetaire avec amertume. Nous voulions nous rendre auprès de lui mais Monsieur de Tréville nous l’a interdit sous le prétexte que c’était à lui de le faire, qu’il était inutile d’être cinq à mettre notre orgueil dans notre poche et que le sien devrait suffire. Vous savez sans doute que nous ne nous aimons guère, Messieurs les Gardes et nous.
— Monsieur de Tréville s’est-il déjà rendu au Palais-Cardinal ?
— Pas encore. Auparavant il avait une affaire à régler à son hôtel. Il ira ce soir, je pense !
— Moi, j’y vais tout de suite. Ainsi que vous l’avez remarqué, Son Eminence semble rechercher ma compagnie depuis quelque temps. Il reste à mesurer la qualité de sa… soudaine sympathie.
— Et si elle n’est pas ce que vous espérez ?
Elle jeta un regard déterminé dans les yeux du jeune homme :
— Il restera l’aventure : arracher Gabriel au bourreau, fût-ce au pied de l’échafaud.
Aramitz soutint son regard un instant puis salua :
— En ce cas comme en d’autres, croyez-moi votre serviteur, Madame la Duchesse ! Et je ne serai pas le seul.
— Si vous n’êtes pas de garde, allez m’attendre chez moi ! dit-elle en lui tendant sa main gantée.
Dieu que c’était bon de ne pas se sentir isolée ! Tandis que sa voiture la ramenait chez Richelieu, Marie sentait son cœur battre la charge sous l’excitation du combat à venir. Ce goût de la bataille elle le portait en elle depuis toujours y puisant un plaisir presque aussi violent que dans les jeux de l’amour.
Il commençait à se faire tard et Marie espérait que Richelieu ne serait pas encore passé à table pour un souper dont les heures variaient pour ce travailleur infatigable… Madame de Combalet ne s’en montra pas moins surprise de son retour. Assez désagréablement d’ailleurs :
— Je crains que le moment ne soit mal choisi. Le marquis de Châteauneuf qu’il a fait appeler est avec lui mais leur entretien ne devrait pas durer longtemps. Ensuite…
— Ensuite Son Eminence m’accordera bien cinq minutes ! coupa Marie, et si vos rôtis brûlent faites-en préparer d’autres, voilà tout !
— Cela vous plaît à dire mais vous n’ignorez pas que la santé de mon oncle exige des précautions : les repas pris à heures régulières en font partie !
— Mille tonnerres, Madame ! Il y a des gens qui ont autre chose à faire que vivre l’œil rivé à une pendule. Il faut que je voie le Cardinal, un point c’est tout !
Et sans plus s’occuper de la dame, Marie, luttant contre l’envie d’envahir directement le cabinet du Cardinal, alla s’asseoir en face de la porte. Elle n’attendit pas longtemps : au bout de trois ou quatre minutes, elle vit sortir Châteauneuf qui, en la reconnaissant, eut un haut-le-corps :
— Vous ici, Madame ? Et à cette heure ?
— Il n’y a pas d’heures pour les affaires importantes ! Si vous le permettez, mon cher, je vous remplace…
Et, le repoussant légèrement, elle pénétra chez le Cardinal puis referma derrière elle la porte à laquelle elle s’appuya pour laisser s’apaiser les battements de son cœur. Richelieu était en train d’écrire et ne leva pas la tête :
— Je vous attendais, Madame ! Quelque chose me disait que vous ne tarderiez guère.
— Votre Eminence possède le don de voyance ? Ou alors elle a plus d’espions que je ne le pensais…
— Ni l’un ni l’autre mais… je commence à vous connaître mieux.
Il jeta sa plume et se laissa aller dans son fauteuil avec un soupir de lassitude. Les flammes du candélabre qui éclairait sa table de travail accusaient les plis soucieux de son front, ceux, amers, de ses lèvres.
— Dans ce cas, reprit Marie, vous savez ce qui m’amène. Le Roi à ce qu’il paraît vous aime au point de vous donner le droit de vie ou de mort sur ses propres gardes.
— Pourquoi n’avoir pas dit ce matin que ce Mousquetaire était de vos amis ?
— Il vient de prouver qu’il est plus que cela : les amis ne se dévouent pas souvent pour vous. C’est pourquoi, oui, je viens vous demander sa vie !
— Et pourtant je vais vous la refuser.
— Mais pourquoi ? Je croyais que, sans aller jusqu’à l’amitié, nous avions conclu… la paix !
— Certes, et c’est l’une des raisons de mon refus. On a déjà trop tendance à clabauder sur nos relations. Si je fais une exception à ma politique de rigueur alors que j’ai envoyé Boutteville à l’échafaud et laissé le Roi y envoyer Marillac, on dira que vous êtes ma maîtresse…
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