Une immense clameur fit savoir que la tête du dernier des Montmorency venait de tomber. Le sang éclaboussa la statue d’un Henri IV dont il était le filleul. Inconsolable, Maria-Felicia alla enfermer sa douleur sous le voile des Visitandines de Moulins où elle mourrait en odeur de sainteté…
Pour Marie, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Elle avait pleuré durant des heures en compagnie de la Reine et, en dépit de son courage, éprouvait une sorte de terreur en face du couple Louis XIII-Richelieu dont elle était persuadée à présent que leur dessein primordial était l’anéantissement total de la haute noblesse. Châteauneuf, lui-même, plus amoureux que jamais, se détachait du Cardinal. Il ne protestait plus que mollement quand sa belle maîtresse lui disait que la France et les Français seraient beaucoup plus heureux si l’Homme rouge venait à disparaître et que le Garde des Sceaux fût appelé à le remplacer… Les conciliabules chez la Reine devinrent de plus en plus fréquents.
Les faits semblaient d’ailleurs leur donner raison. Quelques jours après la mort de Montmorency, Louis XIII planta là tout son monde et rejoignit Paris ou plutôt son cher Versailles. De son côté, le Cardinal désireux d’effacer un tant soit peu l’effet désastreux de l’exécution organisa pour la Cour un grand périple en Aquitaine avec concerts, joutes, combats nautiques et bals. Sans Monsieur, déjà reparti pour la Lorraine en clamant que le Roi lui avait menti en lui promettant la grâce de Montmorency. On allait ainsi de château en château et, à Cadillac, la somptueuse demeure du vieux duc d’Epernon – l’un des plus fermes soutiens de la Reine Mère à laquelle le liaient certaines obscurités sur la mort d’Henri IV –, la fête fut d’autant plus réussie que le Cardinal tomba malade. Il souffrait d’un abcès à la vessie et de graves hémorroïdes. Peu soucieux de rester dans une position si inférieure dans une maison que sa faiblesse fragilisait, il y laissa la Cour et se fit porter à Bordeaux.
Marie et son amant dansèrent la nuit entière au fastueux bal que le Duc donna à la Reine. Il semblait à tous qu’une sorte d’âge d’or pointait à l’horizon.
Cependant, la principale fonction d’un Garde des Sceaux ne consistant pas à battre l’entrechat, Châteauneuf fut rapidement prié de rejoindre le Cardinal. Il s’en consola en reprenant avec sa Duchesse une correspondance enflammée dans laquelle, oubliant la plus élémentaire prudence, on faisait des projets d’avenir.
En quittant Cadillac on passa par Bordeaux, mais, sans y rester – ne convenait-il pas de laisser l’ennemi agoniser en paix ? – et l’on alla s’installer à Blaye où de nouvelles fêtes eurent lieu. Néanmoins, trouvant que la fin tardait par trop, Anne d’Autriche envoya La Porte aux nouvelles en le pressant de revenir au plus vite, dès le dernier soupir… Ce qu’il rapporta sema la consternation : il avait effectivement trouvé le Cardinal au lit « en train de se faire panser le derrière », mais convalescent Marie se reprit la première :
— Eh bien, soupira-t-elle, il ne nous reste qu’à faire aussi bonne mine que possible et à montrer sur nos visages plus de joie que nous n’en avons au cœur…
Et à reprendre le fil si séduisant des conspirations !
En ayant assez des fêtes locales, la Cour repartit pour Paris, laissant Richelieu revenir à petites étapes dont deux donnèrent à réfléchir à Madame de Chevreuse : les châteaux de Couzières et de Rochefort en Yvelines appartenant à son père, Hercule de Rohan-Montbazon, avec qui elle n’entretenait que des rapports très rares depuis la Noël de Dampierre. Devenu Gouverneur de Paris et plus que jamais attaché au parti du Roi, le vieil ours ne cachait pas le mépris que lui inspirait sa fille, mépris que celle-ci lui rendait en ironie : il était de notoriété publique que sa ravissante épouse le trompait abondamment. Avec, entre autres, le malheureux Montmorency ! Mais qu’il reçût chez lui, et par deux fois, le Cardinal, cela signifiait qu’il étendait désormais son attachement à Louis XIII, jusqu’à son Ministre. Il conviendrait à l’avenir d’en tenir compte puisque Richelieu s’obstinait à vivre.
Quand vint l’hiver, tout le monde était rentré à Paris où l’habituelle vie de cour se déroula durant quelques semaines dans un calme inhabituel. C’était à croire que les partis en présence choisissaient le silence, chacun s’observant sans manifester d’autres sentiments qu’une exacte courtoisie. Le Roi vint même, en janvier, chasser à Dampierre où le couple Chevreuse le reçut avec une joie sincère chez Claude, mais feinte chez Marie servie par sa grâce naturelle.
À la joie de Châteauneuf, les relations de la jeune femme avec Richelieu étaient inexistantes. En revanche, s’il ignorait tout de la correspondance active et secrète que Marie et la Reine entretenaient avec la Lorraine, l’Angleterre et l’Espagne, il était plus proche d’elle que jamais même si leurs moments d’intimité étaient rares. Il lui écrivait abondamment et, lorsqu’ils se rencontraient chez la Reine, il se laissait tirer les vers du nez avec un total abandon, allant jusqu’à raconter ce qu’il se passait au Conseil. Ce qui permit à Marie d’avertir Charles de Lorraine d’une prochaine attaque des troupes françaises contre l’une de ses villes frontières…
Le Cardinal semblait s’en désintéresser. Quant au Roi, toujours épris de Mademoiselle de Hautefort, il lui faisait une cour à la fois timide et assidue que la jeune fille traitait avec une ironie cruelle…
Et puis, soudain, l’orage que personne n’avait vu venir éclata.
Le 25 février, alors que le Roi se trouvait à Saint-Germain, il fit appeler le marquis de Châteauneuf et lui laissa à peine le temps de le saluer avant de lui ordonner sèchement de lui remettre les Sceaux de France, puis de le faire arrêter par Monsieur de Gordes et conduire à la Bastille tandis que ses demeures étaient fouillées de fond en comble et ses papiers saisis. On y trouva une énorme correspondance dont trente-deux lettres de Montaigu, trente et une de la reine Henriette-Marie et une quantité – malheureusement trop explicites ! – de Madame de Chevreuse.
Quelques jours plus tard, le duc de Chevreuse recevait l’ordre d’emmener sa femme hors de Paris. Mais il n’était plus question de Dampierre. Louis XIII connaissait trop la faiblesse de ce mari-là et c’est à Couzières, chez son père, que Marie était expédiée, au moment même où Châteauneuf s’en allait, sous bonne escorte, à Angoulême où l’attendait le donjon…
DEUXIÈME PARTIE
LES CHEMINS DE L’ERRANCE
CHAPITRE IX
LA PRÉSIDENTE
Retrouver Couzières où elle avait passé la plus grande partie de son enfance causa une sorte de déception à Madame de Chevreuse. Trop habituée aux palais royaux et à son superbe Dampierre, elle le trouva plus petit que dans son souvenir. Gracieux cependant avec son clair logis à hautes fenêtres entre deux tours coiffées de poivrières d’ardoise bleue et surtout ses jardins – mal entretenus, hélas ! – qui descendaient jusqu’à l’Indre, il n’était plus à la mesure de ses ambitions. À ses yeux blasés ce n’était qu’un manoir, heureusement bien meublé et disposant d’un certain confort. Ce qui ne l’empêchait pas d’être déjà entré dans l’Histoire, puisqu’il avait servi de cadre à la réconciliation de Louis XIII et de son impossible mère après leur première guerre. Un autre lieu l’attachait à Marie qui n’avait pas attiré son attention jadis mais qui à présent l’émouvait : son père l’avait acheté avant sa naissance au marquis de l’Aubépine, père de son pauvre Châteauneuf. Le prisonnier d’Angoulême y avait joué, enfant, comme elle-même sous les grands arbres et au bord de la rivière.
Son dernier amant, elle n’y pensait pas sans regrets : c’était un partenaire délicieux et elle l’aimait d’une certaine manière. Elle savait qu’elle penserait à lui longtemps, même si elle n’était effleurée par aucun remords. Quand on suit un but, on mesure ce que l’on risque et il faut savoir perdre avec élégance. L’idée ne lui venait pas qu’elle pût être la cause de son malheur actuel : un homme de qualité ne pouvait continuer à servir platement un Richelieu. L’important était qu’il n’y eût pas laissé la vie et Marie se faisait fort de le tirer un jour ou l’autre de sa triste condition. Elle savait – on le lui avait dit – qu’il avait pris arrestation et incarcération avec une aimable philosophie, presque avec le sourire. Il s’était accusé « tant qu’on voulut d’avoir trop aimé les dames », ajoutant que « le reste n’était que folies de femmes et badineries ». En vérité on ne pouvait rêver prisonnier plus décontracté !
Cela dit, Marie qui redoutait un peu d’avoir à subir par personnes interposées la rancune de son père fut vite rassurée : elle connaissait presque tous les serviteurs de Couzières, y fut reçue comme l’enfant prodigue et se retrouva quasiment maîtresse des lieux. Peran et Anna, à sa surprise, lui parurent heureux d’y vivre à nouveau : ils se réinstallèrent avec aisance dans leurs habitudes d’autrefois. Protégée par leur fidélité, Marie se savait en sécurité, même si, des fenêtres de sa chambre, elle pouvait apercevoir, à une demi-lieue, l’énorme donjon de Montbazon, aussi malveillant que le duc Hercule et dont elle savait qu’avant de lui laisser Couzières, il avait proposé de l’y loger « afin d’être sûr qu’elle ne causerait plus d’ennuis à quiconque ! ». On n’est pas plus affectueux !
Marie emménagea donc avec une certaine sérénité. Les ponts n’étaient pas coupés avec Anne d’Autriche, bien au contraire. Avant de quitter Paris, elle s’était entretenue longuement avec la Reine sous le prétexte de lui faire ses adieux. On avait mis au point les détails de la correspondance que l’on allait entreprendre non seulement entre Couzières et Paris mais aussi avec Bruxelles, Londres, Nancy et Madrid, grâce à un réseau de complaisances savamment agencé. Ainsi, un dénommé Plainville ferait la navette entre la Reine et la Duchesse, le courrier de Londres dont Lord Montaigu réapparu serait la cheville ouvrière passerait simplement par la valise diplomatique, celui avec l’Espagne et les Pays-Bas par le Val-de-Grâce où la Mère de Saint-Etienne était entièrement dévouée. Par ce truchement on aurait les nouvelles souhaitées de la Reine Mère et de Madame du Fargis devenue l’agent le plus actif auprès du Cardinal-Infant, frère d’Anne d’Autriche, qui avait remplacé l’infante Isabelle-Claire-Eugénie. La Porte était chargé de l’intendance : c’était lui qui conservait les encres sympathiques et le courrier que l’on ne brûlait pas.
Cette dernière conférence s’était tenue à trois et non à deux. En effet, Marie de Hautefort s’engageait à remplacer en toutes choses Madame de Chevreuse auprès de la Reine et cela, sans qu’il s’en doutât, avec la bénédiction de Louis XIII. De plus en plus amoureux de la jeune fille, il venait de lui conférer le titre de dame d’atour, en remplacement de Madame de La Flotte sa grand-mère atteinte par la maladie. Et pour bien montrer le cas qu’il faisait d’elle, il avait assorti cette nomination de l’obligation de l’appeler désormais « Madame de Hautefort » et non plus « Mademoiselle ».
Curieusement, le Cardinal avait souhaité, lui aussi, faire ses adieux à celle qui continuait à le fasciner. Pourtant, conserver sur ses sentiments envers lui la moindre illusion était faire preuve d’une incroyable faiblesse chez un homme si fort : dans les lettres de Marie saisies chez Châteauneuf, n’en avait-on pas trouvé une dans laquelle la jeune femme le traitait de « cul pourri », ce qui pouvait difficilement passer pour un terme d’amour ? Mais tel était le pouvoir de séduction de celle qu’en lui-même Richelieu appelait l’Enchanteresse…
L’entrevue n’eut cependant pas lieu. Le Roi, blindé depuis longtemps contre les charmes de la « Chevrette », en avait dissuadé son Ministre sans toutefois la lui défendre : « Vous me demandez si vous verrez Madame de Chevreuse ?… Je sais que sa visite ne peut vous être utile et vous savez bien qu’elle ne me sera pas agréable. Après cela, faites ce que vous voudrez et soyez assuré que je vous serai toujours le meilleur maître qui ait jamais été au monde… » Richelieu s’inclina en pensant que Louis avait sans doute raison, que ce serait mieux ainsi…
Et Richelieu n’avait pas revu Marie. Il le regrettait un peu, même au point de vue politique. Au cours de leurs entrevues, il arrivait à la Duchesse de laisser échapper de menues informations qui s’avéraient parfois utiles. Certes, il avait chez la Reine son espionne appointée Mademoiselle de Chémerault, mais la belle Hautefort l’avait vite devinée et montait une garde vigilante contre laquelle le Cardinal ne pouvait rien : le Roi était chaque jour plus épris de cette éclatante beauté que la Cour, unanime, avait surnommée l’Aurore et qui ne daignait pas cacher qu’elle le détestait. Oui, en dépit de ses manigances, Madame de Chevreuse lui manquerait…
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