On devine aisément l’explosion de fureur dont Marie fut le témoin à la fois « compréhensif » et impavide. Elle avait, pour sa part, reçu le jour même une lettre d’un Richelieu toujours aussi fermement assis sur ses positions. La contrition ou pas de retour : « Si vous êtes innocente, votre sûreté dépendra de vous-même et si la légèreté de l’esprit humain, pour ne pas dire celle du sexe, vous a fait relâcher à quelque chose dont Sa Majesté ait sujet de se plaindre vous trouverez en sa bonté ce que vous pouvez attendre et que vous devez désirer. » Le Cardinal ajoutait « que l’entêtement n’avait jamais servi à rien et qu’il était stupide de se condamner soi-même à l’exil quand en échange de quelques mots d’écrit il serait si facile de retrouver tout ce qu’on avait perdu »…
Cette fois Marie fit attendre sa réponse. Elle voulait réfléchir, et surtout l’agréable paysage de la cour de Londres se couvrait de noirs nuages.
Charles Ier avait pris lui-même les armes et marchait vers les Ecossais commandés par Alexandre Leslie, un homme de guerre confirmé. Pendant ce temps, sa femme accouchait d’une petite Catherine qui ne vécut pas, mais avant cette épreuve, elle avait arraché à son mari le commandement de la Cavalerie au bénéfice du cher Holland qui n’y connaissait pas grand-chose tandis que le commandement général allait au comte d’Arundel qui ne valait guère mieux. Le résultat fut piteux : devant Kelso, Holland qui, en fait de cavalerie, commandait trois mille fantassins et seulement trois cents cavaliers, se trouva en face d’une armée deux fois supérieure. Il n’essaya même pas de combattre et battit en retraite le plus simplement du monde. C’était peut-être la sagesse ; ce n’était pas faire preuve d’une bravoure folle et Charles Ier qui, de son côté, avait rencontré Leslie sans beaucoup de dommages mit un terme à ces premières hostilités qui avaient tourné à l’avantage d’une Ecosse qui entendait se régir seule à l’avenir.
Holland rentra à Londres se faire consoler par la Reine. Sa retraite précipitée l’avait couvert de ridicule et Marie pensa en mourir de honte. Se pouvait-il que, depuis des années, elle, Marie de Rohan, eût aimé passionnément un lâche… et même l’aimât encore ? La réponse allait lui être donnée sans tarder.
Un soir où il y avait concert chez la Reine, Marie qui souffrait depuis le début de l’après-midi d’une légère migraine que la musique n’arrangeait pas prit le bras de William Craft pour rentrer chez elle par les jardins. Le temps de septembre était encore doux mais une fraîcheur dans l’air annonçait déjà l’automne. Après la touffeur des salons illuminés de bougies et irrespirables de parfums mélangés, elle se sentit mieux. Ils marchèrent à pas lents le long de la Tamise dont le satin noir reflétait un mince croissant de lune. Fidèle à son habitude, William parlait de son amour dont, à l’entendre, chaque jour qui passait augmentait l’intensité :
— Je vous voudrais toute à moi dans une demeure enfouie sous les arbres et les fleurs, dans un lieu si bien caché que nul ne pourrait nous y venir chercher. Marie ! Merveilleuse Marie ! Dites-moi qu’un jour vous me rejoindrez afin de réaliser ce rêve…
— Tu peux toujours rêver, mais tout seul ! gronda une voix qui semblait sortir d’un buisson.
Et soudain, Holland fut là. Entièrement vêtu de noir, il se confondait avec la nuit, mais la faible lumière tira un éclat de l’épée qu’il tenait à la main. Marie serra plus fort le bras de son cavalier tandis que son cœur se mettait à battre la chamade. Craft, lui, ne s’émut pas.
— Comment l’entendez-vous ? laissa-t-il tomber avec dédain en couvrant de sa main celle de Marie pour la rassurer, mais elle n’avait pas peur.
Au contraire, elle se sentait frémir d’une excitation qu’elle n’avait pas connue depuis longtemps.
— C’est élémentaire. Cette femme est à moi et je viens la reprendre comme…
L’éclat de rire de Craft lui coupa la parole :
— Vous ? La reprendre ? Encore faudrait-il qu’elle le souhaite ! Vous êtes un lâche, Mylord, et chacun le sait ici. Cette belle dame ainsi que les autres, et comme j’ai l’immense bonheur d’être son amant, ce n’est pas le triste héros de Kelso…
Il n’en dit pas plus. Holland, grinçant des dents, venait de se jeter sur lui les mains en avant après avoir laissé tomber sa rapière, prêt à l’étrangler. Il était de taille plus élevée, plus fort que William qui faisait de vains efforts pour desserrer la poigne de fer. Marie que l’assaut avait fait tomber se releva et, ne sachant comment les séparer, saisit la dague pendue à la ceinture de Holland et lui en piqua les côtes.
— Lâchez-le ou je vous tue ! siffla-t-elle entre ses dents serrées.
Sous la morsure de l’acier, Holland desserra l’étau, laissant choir Craft qui se mit à tousser en se raclant la gorge :
— Vous le défendez ? fit Holland avec une sombre amertume.
— Non mais nous ne sommes pas dans les bas-fonds de Londres et je ne suis pas une fille publique que l’on se dispute à coups de poing ! Si vous voulez vous battre, que ce soit de la façon qui sied à des gentilshommes : l’épée à la main.
L’instant suivant c’était chose faite : les deux hommes s’affrontaient avec une furie suant la haine. Ils étaient à peu près de force égale. Sans cesser de se battre, Craft lança après une passe particulièrement chaude :
— Bravo ! Que n’avez-vous montré tant de brio face aux Ecossais au lieu de fuir devant tel un lièvre poursuivi par les chiens !
— Ils étaient dix mille et nous seulement trois. C’eût été un massacre…
— Si vous le dites ! fit l’autre pas convaincu, mais qui presque simultanément s’écroulait, un pouce de fer dans le côté…
Marie avec un cri voulut se porter à son secours, mais Holland l’en empêcha :
— Mes gens vont prendre soin de lui, dit-il en désignant un long bachot qui avait abordé pendant le duel. Vous, je vous emmène !
Elle n’eut pas le temps de demander où. Déjà il l’enlevait de terre comme si elle n’eût rien pesé, prenait sa course vers le logis de la Duchesse. Elle n’avait pas besoin d’autres explications. Son cœur chantait de bonheur et son corps ne demandait qu’à en faire autant. Avec un soupir, elle glissa ses bras autour du cou d’Henry et se laissa emporter vers ce paradis qu’elle avait cru perdu à jamais.
Holland traversa la maison comme une tempête sous l’œil ensommeillé des serviteurs en criant :
— Que l’on ne nous dérange sous aucun prétexte !
La porte de la chambre claqua, repoussée par lui d’un coup de talon. Puis, avec une douceur inhabituelle chez lui, il laissa Marie glisser à terre mais sans la lâcher et, alors seulement, prit ses lèvres pour un baiser si long, si profond que, bouleversée, elle eut l’impression qu’il cherchait son âme…
Elle défaillait quand avec une hâte fébrile il la déshabilla, arrachant ce qui ne cédait pas assez vite à son impatience, puis il la porta sur le lit autour duquel il rassembla tous les candélabres de la chambre :
— Que fais-tu là ? Tu veux que nous brûlions ensemble ?
— Je veux te voir ! Dieu que tu es belle ! Le temps n’a aucune prise sur toi…
Tout en parlant, il se dévêtait rapidement avant de la rejoindre :
— Aucun brasier ne brûle plus que moi depuis que je t’ai revue.
— Pourquoi, dans ce cas, ce jeu stupide que tu as mené depuis mon arrivée ?
— Tu m’avais repoussé. Je voulais te le faire payer… et aussi tenter de me déprendre de toi mais c’était impossible car nulle femme au monde ne te ressemble !
Il s’empara d’elle sans ajouter un mot et Marie éblouie laissa s’épanouir en elle les jouissances à la limite de la douleur que lui seul savait lui offrir. La passion qu’elle croyait éteinte et qu’elle avait tant recherchée dans d’autres bras reprenait possession d’elle avec une éblouissante intensité.
Quand la vague ardente leur laissa un instant de répit, elle entendit Henry chuchoter :
— Tu comprends à présent pourquoi j’ai fui, à Kelso ? Car ce n’était rien d’autre qu’une fuite dont tu es la cause. Engager le combat, c’était aller à une mort certaine, que d’aucuns diraient glorieuse et moi stupide. Je ne voulais pas mourir sans t’avoir reprise. Tu vois, Marie, je t’aurai aimée jusqu’au déshonneur ! Tu es mon enfer et mon paradis…
Durant quatre jours et autant de nuits les deux amants vécurent enfermés, ne laissant approcher leur refuge que pour la nécessaire nourriture et quelques ablutions qu’ils traitaient comme autant de prétextes à de nouvelles caresses. Autour d’eux tout était silence. La Reine, la Cour, le monde entier, ils les avaient oubliés…
Mais à l’aube du cinquième jour, la vie réelle reprit ses droits avec l’arrivée de l’abbé du Dorat qui, depuis des mois, s’efforçait d’amener Madame de Chevreuse à composition. Il revenait de Paris pour la énième fois. À son dernier départ, il avait pu emporter ce qu’il était persuadé être une victoire. Marie, en effet, un peu lasse d’une vie qui s’étriquait depuis que la guerre occupait le roi Charles, avait fini par « reconnaître sincèrement la mauvaise conduite qu’elle avait prise dans le passé et s’en repentait de tout son cœur »… Ce n’était pas très explicite mais à Paris on avait bien voulu s’en contenter : ce que l’Abbé venait annoncer à la Duchesse c’était, enfin, la permission de rentrer.
Tandis que Holland s’esquivait par la porte de la cuisine en promettant de revenir à la nuit dose, Marie recevait l’Abbé avec toute la dignité dont elle était capable :
— Ainsi donc, lui dit-elle, Sa Majesté et Monsieur le Cardinal reconnaissent le bien-fondé de mes demandes ?
— On ne m’en a pas dit autant mais la lettre que voici vous en apprendra davantage. Elle est de la main du Cardinal.
— Voyons sa prose.
En quelques lignes Richelieu faisait savoir à Madame de Chevreuse qu’elle était autorisée à revenir en son château de Dampierre pourvu qu’elle promît d’y demeurer paisiblement et de ne plus cabaler. L’abbé du Dorat avait pour mission de la ramener dans les jours suivants…
Sans le retour tellement inespéré d’Henry, Marie se fût contentée de ce demi-succès et eût ordonné que l’on prépare ses coffres, mais il était là, de nouveau, l’amant tant aimé, et cette fois, elle entendait rester auprès de lui le plus longtemps possible.
— Voilà qui est bien, l’Abbé, et vous me voyez fort heureuse des bonnes dispositions que m’annonce Monsieur le Cardinal. Malheureusement, je ne peux plus quitter Londres…
— Mais pourquoi ?
— Des dettes, l’Abbé ! Des tas de dettes que j’ai dû contracter puisque Monsieur de Chevreuse me laisse manquer du nécessaire..
— Mais, la reine Henriette-Marie et le roi Charles ne veillent-ils pas à votre quotidien ?
— Le Roi est loin et la Reine, malade à la suite de ses dernières couches et aussi d’être séparée de lui, ne se soucie plus de personne. Mes créanciers le savent : ils ne me laisseront pas partir. Il faut payer ou crever !
Déconfit, du Dorat prit congé pour aller référer sur-le-champ de ce nouveau problème, ce qui enchanta Marie. Cela accordait à son bonheur au moins quelques jours et peut-être même davantage une fois que ses dettes seraient payées. On trouverait bien une idée pour retarder encore ce retour qu’elle désirait si ardemment, peu de temps auparavant.
La réponse du Cardinal fut plus rapide qu’elle ne le pensait : il envoyait à Marie l’intendant de Dampierre, Boispillé – dont elle ignorait qu’il était passé au clan du Cardinal ! – avec dix-huit mille livres, quand elle n’en demandait que douze mille. On n’était pas plus généreux ! En outre, celui-ci lui fit savoir qu’elle devrait prendre toutes dispositions pour le voyage de retour que l’on souhaitait aussi agréable qu’il se pourrait. La route de Dieppe était choisie et le gouverneur de ce port comme celui de Rouen recevraient des ordres pour qu’elle fût accueillie avec honneur. De son côté, l’Angleterre mettait à sa disposition l’un de ses vaisseaux les meilleurs. Quant au duc de Chevreuse, il enverrait à Dieppe carrosses et chevaux, ne pouvant se déplacer lui-même à cause d’une cruelle crise de goutte, cette malédiction des grands buveurs.
Décidément, tout allait vite, trop vite même au goût de Marie. Elle voulait continuer à gagner du temps quand Holland lui annonça qu’il devait rejoindre le Roi en Ecosse. On lui donnait, à lui aussi, une nouvelle chance sous peine de perdre tous ses biens.
Devant les larmes qu’elle ne pouvait retenir, il brusqua les adieux :
— Il est mieux que tu repartes, dit-il, ne fût-ce que pour ta propre sûreté. Ce royaume, crois-moi, n’en a pas fini avec la guerre. Le Parlement demandera bientôt des comptes difficiles à rendre. En France tu seras à l’abri.
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