Ce furent des jours très sombres.
Et puis soudain, début décembre, « la » nouvelle si longtemps espérée : épuisé par la maladie, le cardinal de Richelieu s’était éteint, le quatrième jour du mois, dans son beau Palais-Cardinal… à deux pas de la rue Saint-Thomas-du-Louvre.
Sur l’ordre de son Gouverneur, Bruxelles illumina. Il y eut bal, bombance, actions de grâces, comme si ce prince de l’Eglise qui venait de s’éteindre eût été l’Antéchrist. Marie exulta et avec elle ceux que la rigueur tenait hors des frontières. Nul ne doutait que cette mort ne fût le signe du retour de tous les exilés puisque, de l’avis général, le Roi n’était guère qu’un pantin. De toute façon, on savait que l’état de santé de Louis XIII n’était pas plus brillant que celui du défunt. Marie prépara ses bagages, persuadée d’être reçue à bras ouverts, à présent que son « bourreau » n’était plus.
Or, il fallut déchanter. Même si c’était une opinion désagréable à caresser, Louis XIII était toujours le Roi intransigeant et sans faiblesse qu’il n’avait jamais cessé d’être. Il fit savoir à tous les gouverneurs de province que la mort du Cardinal ne modifiait en rien la politique du gouvernement. Ceux qui étaient en place y resteraient, et il en irait de même pour les bannis. Plus que tous, Madame de Chevreuse que le Roi à présent appelait « le Diable ». Et par écrit, devant le Conseil, il lui fit défense formelle d’entrer dans le royaume. De même, Châteauneuf était maintenu dans sa prison d’Angoulême.
Cependant, il allait vers la mort et le savait. À contrecœur il prescrivit la Lieutenance générale pour son frère. Quant à la Régence, il ne put se résigner à la remettre pleine et entière à sa femme, craignant par trop qu’elle ne fit revenir la maudite Chevreuse qui avait l’honneur de hanter ses cauchemars. C’est le Conseil qui devait régner au nom du jeune Louis XIV. Le Roi se doutait que son testament, comme la plupart des testaments royaux, serait cassé, mais il recommandait vivement à Anne d’Autriche de ne pas se séparer du cardinal Mazarin, tant apprécié par Richelieu, en qui il voyait un véritable homme d’Etat.
À Bruxelles, Marie retenait son souffle comme tous ceux qui brûlaient de rentrer en France. Enfin la nouvelle arriva : le 14 mai 1643, Louis XIII s’était éteint. Anne d’Autriche ne perdit pas une seconde pour faire casser le testament par le Parlement devant lequel, Régente, elle se rendit afin de lui présenter le petit Roi d’à peine cinq ans… que Claude de Chevreuse, son Grand Chambellan, portait dans ses bras. Cela aussi, Marie l’apprit et en conçut les espoirs les plus fous : elle allait rentrer, reprendre sa place auprès de la Reine, cette pâte molle ! Elle allait régner après si longtemps !
Elle s’étonna même de n’être pas rappelée dès le lendemain, mais attribua ce retard à l’effervescence qui devait agiter Paris à l’annonce de la grande victoire de Rocroi, remportée par le jeune duc d’Enghien, fils du prince de Condé, cinq jours après la mort de Louis XIII. Cela n’avait rien à voir, mais elle ne le sut que plus tard. Et puis, en juin, elle vit arriver… Boispillé qui venait la chercher. Elle ne s’étonna pas trop de la minceur du personnage : après tout, c’était l’intendant de Dampierre et c’était Chevreuse qui faisait rentrer sa femme. En outre, elle était toujours en terre ennemie.
Exultant de joie, elle partit donc, accompagnée jusqu’à Notre-Dame de Hal par une vingtaine de carrosses de la société bruxelloise tenant à honorer cette émigrée un brin dédaignée dans les derniers temps mais dont chacun pensait qu’elle allait redevenir une puissance. Sa voiture traversa les lignes espagnoles, ce qui lui permit de voir de près les ravages de la guerre. Elle dormit à Mons cette ultime nuit hors de France puis gagna Cambrai et la frontière où, cette fois, elle trouva le marquis d’Hocquincourt, Maréchal de camp, venu l’accueillir cérémonieusement pour la conduire à Péronne dont il était le Gouverneur et où l’attendait une réception magnifique. Elle eut la surprise d’y retrouver son ex-beau-frère, le duc de Chaulnes, l’oncle de son petit duc de Luynes dont elle ne savait plus rien depuis une éternité. L’ancien « homme aux cadenettes[21] » et sa femme lui apprirent, au cours d’un dîner qu’ils tinrent à lui offrir dans leur château de Chaulnes, qu’il était à présent marié. Même si ces nouvelles avaient un léger goût d’amertume puisqu’elles lui faisaient sentir combien, avec ces années loin d’eux, elle s’était exclue des siens, elle apprécia cet instant familial, s’étant toujours assez bien entendue avec ce beau-frère-là ! Et elle reprit son chemin.
À Roye l’attendaient deux hommes chers à son cœur : Montaigu d’abord, puis Marcillac dont l’aide lui avait été si précieuse dans sa fuite. Si en celui-ci elle ne trouva guère de changement, Montaigu, lui, n’était plus le même. Converti au catholicisme, il avait fui l’Angleterre et était devenu Abbé de Saint-Martin, près de Pontoise. À sa surprise, il venait lui apporter les salutations et même des offres de service… de la part du Cardinal. Elle sursauta :
— Le Cardinal ? Il n’existe plus, il me semble ?
— Richelieu non mais le cardinal Mazarin, oui.
— Le petit « Monsignore » ? Il est cardinal ?
— Depuis un peu plus d’une année… et il est le plus proche conseiller de la Régente !
— Ne vous y trompez pas, reprit Marcillac : il est loin d’être sans importance, d’autant qu’il paraît décidé à poursuivre la politique de l’Homme rouge… avec peut-être quelques adoucissements !
— Peuh ! Il ne devrait pas peser bien lourd si j’en crois les avances qu’il me fait. A-t-on sorti mon pauvre Châteauneuf de prison ?
— On l’a sorti, mais…
— Alors c’est à merveille car il est l’homme qu’il nous faut ! s’écria Marie pleine d’enthousiasme. La Reine suivra sûrement mon conseil de se débarrasser de l’Italien…
— Il n’est plus italien mais français…
— Qu’il soit ce qu’il veut, il faut qu’il cède la place à Châteauneuf !
— N’allez pas trop vite, et surtout ne décidez d’aucune ligne de conduite avant d’avoir vu la Reine.
— Vous trouverez de grands changements, reprit Marcillac, singulièrement dans les goûts de Sa Majesté. Au contraire du Cardinal duc de Richelieu qu’elle détestait, elle apprécie beaucoup Mazarin avec qui elle peut s’entretenir en castillan. Ensuite, c’est un homme aimable qui jusqu’à présent n’a fait sauter la tête de personne… et qui est, je crois, le seul à être au fait des affaires étrangères…
Marie balaya l’avertissement d’un joli geste de la main :
— Nous verrons ! Ce qui m’importe, c’est de savoir si Madame de Hautefort continue à jouer les chiens de garde !
— Non. Elle a quitté la Cour peu de temps après la naissance du Dauphin. Vous savez que lors du départ de Mademoiselle de La Fayette, le Roi avait repris de l’attirance pour elle – sans plus de succès qu’auparavant d’ailleurs – mais ensuite il s’est entiché du jeune Cinq-Mars qu’il traitait en enfant chéri et comblait au-delà de ses rêves. Or l’influence de l’Aurore sur la Reine déplaisait à ce trop séduisant étourdi qui n’a su remercier son prince qu’en conspirant contre lui. Il a obtenu son départ. Je dois dire que lorsqu’elle a fait ses adieux au Roi, celui-ci en lui tendant la main, lui a dit : « Mariez-vous ! Je vous ferai du bien ! »
— Donc il la regrettait ? Mais ce Cinq-Mars, j’ai appris qu’il avait porté sa tête sur l’échafaud ?
— Une décision cruelle pour le Roi qui a fait preuve d’une immense force d’âme en la circonstance. Quant à la Reine, qui trempait plus ou moins dans le complot, elle lui devait la naissance du petit duc d’Anjou. Cinq-Mars avait suivi l’exemple de votre défunt époux, le connétable de Luynes : il avait obligé le Roi à rejoindre la Reine en le menaçant de quitter la Cour sur-le-champ s’il ne s’y résolvait point.
— L’important pour moi est que Hautefort ne soit plus là. Elle était ma seule rivale dans l’affection de la Reine…
— … qui ne l’a guère défendue, reprit Montaigu. Je connais bien Anne d’Autriche à présent : elle n’est pas constante dans ses affections et même volontiers ingrate si l’on risque de la faire souvenir d’une période qu’elle aimerait oublier.
Ce sages conseils firent sourire Marie. Elle seule connaissait la Reine à fond et ne doutait pas qu’elle n’eût qu’à paraître pour renouer les liens d’autrefois…
En attendant, il s’agissait aussi de renouer avec son époux. Elle le retrouva au château de la Versine, sur les bords de l’Oise, où il était venu l’attendre. Cette fois les retrouvailles furent fraîches : il y avait entre eux le contentieux du procès, les affaires d’argent toujours pendantes et une certaine rancune mutuelle. Chevreuse reprochait à sa femme d’avoir quasiment fui devant lui lorsqu’il voulait aller la chercher. Marie digérait mal qu’il l’eût laissée si longtemps sans nouvelles pour plaire à Richelieu. Cependant une procédure de séparation définitive eût été aussi nuisible à l’une qu’à l’autre. Mieux valait reformer le couple, du moins en apparence. Cette nuit-là Marie ferma soigneusement sa porte, mais personne ne vint frapper…
Côte à côte les deux époux rentrèrent rue Saint-Thomas-du-Louvre que Marie retrouva avec joie : elle y avait tant de souvenirs ! En outre, elle y vit accourir vers elle une foule de gens, dont certains lui étaient quasiment inconnus mais qui la confortèrent dans sa conviction qu’elle allait reprendre son influence sur la Reine et la débarrasser du « signore Mazarini » que les Condé, Vendôme, Guise et autres Grandis détestaient déjà tout en le méprisant. Personne ne comprenait que l’ex-Infante ait pu s’enticher de ce faquin ! Le cher Châteauneuf le premier : Marie le revit avec joie tout en constatant qu’il avait « bien vieilli » mais qu’il était encore assez vert pour jouer le rôle qu’elle lui assignait !
Vint enfin le moment tant attendu de se rendre chez la Reine. Ce ne fut pas sans un battement de cœur que Marie gravit le Grand Degré du Louvre et se fit annoncer par un gentilhomme qu’elle ne connaissait pas. Le cher La Porte, tiré de la Bastille, avait rejoint sa province comme Marie de Hautefort. Elle fut reçue comme autrefois dans la chambre de la Régente, sourit en reconnaissant Madame de Senecey, et ne cacha pas sa surprise en identifiant une certaine Madame de Motteville qui n’était autre que cette petite Françoise Bertaut qui, à sept ans, parlait espagnol avec Anne d’Autriche et qui avait été exilée jadis avec sa mère, femme de chambre privilégiée… Enfin, sa révérence étala sa robe de pourpre et d’or aux pieds d’Anne d’Autriche à laquelle son deuil somptueux, éclairé de ses célèbres perles, conférait une majesté accrue. Sa bouche étroite se pinça devant les atours éclatants de son ancienne amie. Alors que Marie les avait choisis comme un rappel des heures joyeuses d’antan, de sa propre vitalité, l’Espagnole les recevait comme un souvenir de ses folies passées. Cependant elle se décida à sourire :
— Vous voici donc, Duchesse ? Il y a longtemps que je n’ai eu le plaisir de vous voir !
— Dix ans, Madame, qui pour moi furent une éternité mais qui semblent n’avoir guère pesé sur Votre Majesté ?
Elle mentait. Anne d’Autriche était devenue différente : elle avait gardé son teint clair, ses mains admirables et ses yeux verts, mais elle s’était alourdie et, dans son attitude un rien hiératique, Marie, stupéfaite et désorientée, crut déceler une vague ressemblance avec Marie de Médicis. Elle eut une envie soudaine de la prendre aux épaules et de la secouer pour faire craquer cette espèce de glaçure qui élevait entre elles deux un obstacle tellement inattendu. Elle avait envie de lui crier :
— Mais enfin, c’est moi, Marie, votre « Chevrette » ! Ne me reconnaissez-vous plus ?…
La Régente reprenait la parole d’un air embarrassé :
— Vous ne doutez pas, j’espère, de la joie qui serait la mienne à vous rendre auprès de moi votre place de jadis mais… nous sommes toujours en guerre et les alliés de la France pourraient concevoir un soupçon si, incontinent après votre retour de Flandre, ils vous savaient à mes côtés. Pour cette raison, mieux vaudrait que, pour un temps au moins, vous vous établissiez à Dampierre. Que vous devez avoir hâte de retrouver, lâcha-t-elle avec un sourire où entrait du soulagement : elle avait dit ce qu’elle devait et c’était une bonne chose de faite.
Marie était trop fine pour ne pas le sentir, trop déçue aussi pour ne pas discuter :
— Votre Majesté ne doute pas de mon obéissance, j’espère, mais je la supplie de considérer que toute l’Europe à ce jour sait les persécutions dont j’ai été l’objet pour l’amour de la Reine et ce serait peut-être faire tort à elle-même si elle m’éloignait si promptement ? J’en appelle à Monsieur le Cardinal, continua-t-elle en opérant une brusque volte-face pour saluer le prélat qu’elle venait de voir entrer.
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