Sans hésiter, Marie accepta les propositions de l’Archiduc lui offrant de se mettre au service des Habsbourg, qu’ils soient d’Espagne ou d’Autriche. Non seulement elle était très connue pour son esprit d’intrigue et ses aventures, mais on savait, en outre, que son époux gardait fermement sa place à la cour de France, restant immuablement fidèle au Roi qu’il s’était choisi même si celui-ci n’était qu’un enfant. Cela pourrait être utile. On la mit aussi en relations avec un certain comte de Saint-Ibal – Henri d’Escars de Saint-Bonnet – qui était la cheville ouvrière de toute conspiration visant à éliminer Mazarin. L’archiduc Léopold l’avait commis à la liaison avec les émigrés. Il ne tarda pas à en avoir une avec la Duchesse.
C’était un homme séduisant mais cyclothymique, passant presque sans transition de la plus franche gaieté à la plus noire mélancolie, brave d’ailleurs, cousin du pire ennemi de Mazarin, le coadjuteur de l’Evêque de Paris, Jean-François-Paul de Gondi[25], et plus ou moins confident des Condé, ce qui était plutôt étrange étant donné les victoires du Prince contre les Espagnols et les Impériaux.
Ensemble, ils concoctèrent un plan pharamineux : Marie se faisait fort d’avoir avec elle le duc d’Epernon, les gens de La Rochelle et les huguenots grâce à Tancrède de Rohan, le fils posthume de l’indomptable Duc dont on s’emparerait pour le mettre à la tête de ses coreligionnaires. Conjointement, l’Espagne débarquerait dans l’estuaire de la Gironde tandis que Saint-Ibal se rendrait à Münster auprès du duc de Longueville. En résumé, un assemblage de vues de l’esprit aussi peu réaliste que possible mais auquel tout le monde semblait croire. En même temps, Marie que tenaillait la nostalgie du pays écrivait à son époux pour le presser de la faire revenir auprès de lui. En dépit de leurs brouilles et de leurs chicanes, elle sentait, elle savait qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer…
Cependant, à Paris, quelqu’un pensait à Marie. Ce n’était pas son époux – encore qu’il eût fait quelques tentatives pour la ramener – mais le coadjuteur de Gondi qui voyait en elle un brandon capable de faire exploser la mèche et la poudre qu’il était en train d’allumer sous les pas de Mazarin. Il lui envoya l’un de ses amis avec une consigne précise : la séduire, devenir son amant et ainsi la lier entièrement à leur cause. Il s’appelait Geoffroy, marquis de Laigues et baron du Plessis-Paté, ancien Capitaine aux Gardes Françaises qu’il avait quittées afin de pouvoir régler des comptes personnels.
Lorsqu’il se présenta à Marie, elle le jugea « quelconque ». Peut-être parce que le charme, un rien sulfureux, de Saint-Ibal agissait encore sur elle. C’était tout de même un bel homme de trente-quatre ans, de haute taille et bien bâti, portant avec une certaine arrogance un visage rond et frais orné d’un nez légèrement retroussé sous d’abondants cheveux blonds bouclant naturellement et offrant un heureux contraste avec des yeux bruns volontiers dominateurs.
Il eut le tort d’aborder Marie avec une mine conquérante qui eut le don de l’exaspérer. Elle ne se gêna pas pour le lui faire comprendre :
— Je suis heureuse, Monsieur, que vous ayez de moi si bonne opinion que vous souhaitiez… comment avez-vous dit ?… me servir en toutes choses ? Mais en dehors des nouvelles que j’attends de vous puisque vous arrivez de Paris, je ne vois rien en quoi vous puissiez m’être utile…
— À défaut d’utilité j’espérais vous être agréable, répondit-il en frisant sa moustache.
— Comment l’entendez-vous ?
— Mais… je ne sais trop ! Il y a si longtemps que je vous admire !
— De loin alors, de très loin, parce que moi je ne me souviens pas de vous avoir jamais vu. Donnez-moi plutôt ces nouvelles !
Elles étaient d’importance. Pour avoir voulu continuer la politique de Richelieu sans en avoir l’énergie, Mazarin et Anne d’Autriche s’étaient mis Paris à dos et en particulier le Parlement qui avait pris sous son bonnet – alors qu’il n’était qu’une simple cour de justice ! – de jouer au souverain, de révoquer les intendants et de diminuer les tailles. Pris de court et effrayés par ce qui se passait en Angleterre où le Roi était en train de perdre sa couronne, le couple choisit d’atermoyer. Encouragées, les cours souveraines s’unirent pour résister à la création de nouvelles charges. Soutenu par le peuple de Paris qui détestait Mazarin d’instinct, le Parlement s’enhardit et entreprit de réformer le royaume. Ce que la Régente ne pouvait accepter. Elle fit arrêter le Conseiller Broussel, l’un des plus enragés. En une nuit, Paris se couvrit de barricades, enfermant la Reine, le Roi et le Ministre dans le Palais-Royal…
Marie, fascinée écoutait de toutes ses oreilles. Se pouvait-il que son rêve se réalisât, que le peuple se charge d’abattre le Mazarin exécré pour avoir osé lui voler sa place, à elle ? Comme un rideau de théâtre, les lourds nuages masquant l’avenir commençaient à se lever…
— Dites-moi, Marquis ! C’est une révolution que vous m’annoncez là ?
— Pas tout à fait, Madame la Duchesse. Disons une révolte mais qui a déjà trouvé son nom : on l’appelle la Fronde !
— À cause de ce jouet d’enfant..
— Qui peut devenir une arme meurtrière ? Oui, Madame.
— Le nom me plaît ! Vive la Fronde ! Mais… dites-moi encore ! S’est-elle donné un chef ?
— Le plus déclaré est Monsieur le coadjuteur Paul de Gondi mais elle va en recevoir un beaucoup plus prestigieux : le duc de Beaufort s’est évadé du donjon de Vincennes ! Eh bien, Madame, êtes-vous satisfaite de moi ?
— Vos nouvelles sont passionnantes. Apportez-m’en d’aussi agréables tous les matins et nous serons amis…
— Amis seulement ? Oh ! Madame, si vous saviez seulement…
— Mais je ne veux pas savoir ! Il faut que je commence à préparer mon retour et cette fois, sans la permission de qui que ce soit ! Portée sur les balles de la Fronde, je serai reçue en triomphe !
— Ne précipitez rien ! Il est encore trop tôt ! Songez que le prince de Condé vient de remporter une nouvelle et brillante victoire à Lens et qu’il a aussi repris Dunkerque. Laissez les choses se décanter. Quand il n’y aura plus péril…
— Mais j’en veux ma part, de ce péril ! Si je dois participer à la victoire, il me faut être au combat. N’êtes-vous pas d’accord ?
— Jusqu’à un certain point ! Ne hâtez rien et remettez-vous-en à moi… à moi qui ne rêve que de vous protéger, devenir votre appui, votre épée…
— Et pourquoi pas mon amant ? s’écria-t-elle goguenarde. Dites-moi un peu, mon beau Monsieur ? Vous ne seriez pas par hasard chargé de me séduire ?
Il parut blessé, ne répondit pas tout de suite, se contentant de la regarder avec une intensité qui la fit rougir. Enfin, il soupira :
— Quand on vous a vue une seule fois. Madame, on n’a besoin d’être poussé par personne. On ne peut que vous aimer…
Ayant dit, il salua et sortit, laissant Marie interdite, vaguement émue. Elle alla se regarder au grand miroir vénitien placé au-dessus d’une commode. Le miroir était ancien, l’image un peu floue, mais cela ne changeait rien à l’éclat de son teint, de ses yeux d’outremer, même si de légères rides apparaissaient sur son front. Elle restait belle et cette constatation ranima son courage et lui rendit foi en l’avenir. Elle imaginait déjà le moment où elle reverrait le ciel de Paris, peut-être au lendemain de l’arrestation… ou de la mort de Mazarin ? Si, comme elle le pensait, il était l’amant de la Régente, celle-ci aurait besoin d’une épaule pour le pleurer et Marie était toute prête à lui offrir la sienne. Ce qui lui permettrait de reprendre son influence… Enfin, elle pourrait se réaliser !
Elle sortait de table avec Charlotte, ce soir-là, quand on vint lui annoncer qu’un voyageur venu d’Angleterre demandait à lui parler en privé. Elle pria alors sa fille de la laisser seule et donna ordre d’introduire l’arrivant. C’était un homme entre deux âges, entièrement vêtu de noir sous la poussière du voyage et dont le visage empreint de tristesse n’était pas inconnu à Marie. Il semblait las mais salua comme il convenait.
— Qui êtes-vous. Monsieur ? demanda Marie.
— Madame la Duchesse ne me remet pas ? Je suis Higgins, le valet de Mylord Holland, et c’est lui qui m’envoie…
— Lui ? Donnez-moi vite de ses nouvelles ! Comment va-t-il ? Mais asseyez-vous ! Vous semblez fatigué…
Il accepta volontiers, ainsi que le verre de vin que Marie lui porta elle-même. Ce fut seulement quand il eut bu qu’il tira une lettre de sa poche et l’offrit à la Duchesse :
— Mylord ne va pas bien, Madame, et il vous réclame… Il vous envoie ceci.
Quelques mots seulement sur l’étroit papier que l’on avait plié plusieurs fois afin qu’il tînt le moins de place possible : « Si vous m’aimez encore un peu, Marie, vous suivrez Higgins que je vous envoie ! Il faut à tout prix que je vous revoie mais, par pitié, ne posez aucune question !… »
C’était la dernière chose à écrire car justement Marie brûlait d’en savoir plus :
— Mylord me demande de ne pas vous interroger. Voulez-vous m’accorder deux questions, très petites ?
— Cest selon…
— Est-il malade ?
— Non.
— Où m’emmenez-vous ? Naturellement, je vous suis dans l’instant !
— À Londres. J’ai un bateau à Ostende. Veuillez vous vêtir avec simplicité et le noir serait le mieux. Les usages ont changé chez nous ! À présent je ne répondrai plus.
— Le temps de prévenir ma fille, de me changer, et je vais avec vous…
Tout en troquant ses atours contre la robe de laine noire sans autre ornement qu’une guimpe blanche qu’elle réservait aux offices de la Semaine Sainte, Marie prévint sa fille de son départ sans entrer dans les détails, se contentant de dire qu’elle allait à Londres. Charlotte eut le bon goût de ne pas chercher à en savoir davantage. Elle connaissait trop sa mère à présent pour se tromper sur l’expression tendue de son visage. Elle l’aida à chausser des bottes souples et à endosser une épaisse mante à capuchon doublée de fourrure noire : on était en janvier, et s’il n’y avait pas de neige, si le temps restait sec, le froid n’en était pas moins mordant. Puis, au dernier moment, elle l’embrassa avec une chaleur qui émut la Duchesse.
— Prenez soin de vous et que Dieu vous garde à mon affection, ma mère !
Marie la serra dans ses bras sans répondre. Dans la cour, elle rejoignit Higgins qui parlait avec Peran. Celui-ci était équipé pour le voyage et il y avait trois chevaux. Marie ouvrit la bouche pour protester mais le Breton ne lui en laissa pas le loisir :
— Je vous empêcherai de partir sans moi. Il y a trop de dangers de l’autre côté de la mer !
En dépit de la saison, le voyage fut étonnamment rapide. Higgins avait tout préparé avec soin. Un bateau solide monté par trois pêcheurs attendait en effet à Ostende. Il tenait bien la mer et les vents furent favorables : quelques heures après son départ, Marie posait à nouveau le pied sur la terre anglaise près de Rochester, d’où elle avait fui l’arrivée de Claude. Non sans y mettre des précautions : les « Têtes rondes », comme l’on avait surnommé les nouveaux maîtres à cause de leurs cheveux courts, surveillaient les côtes mais Higgins semblait disposer de connivences et l’on put rejoindre Londres sans autre inconvénient que le froid.
En abordant la capitale, la nuit tombait et Marie eut peine à la reconnaître. Les quais du port gardaient quelque animation mais on y voyait aussi des soldats casque en tête et mousquet sur l’épaule. Les rues étaient tristes, silencieuses si l’on se souvenait du charivari d’autrefois. Les tavernes étaient fermées…
— Et pas seulement les tavernes, dit Higgins, répondant à son œil interrogateur, mais également les maisons de jeu, les maisons de prostitution, les théâtres. Combats de coqs et courses de chevaux sont interdits et le dimanche on doit rester chez soi à chanter des cantiques…
— Ce n’est pas possible ? souffla Marie abasourdie. Même les maisons de commerce sont fermées ? interrogea-t-elle en montrant les volets clos d’un drapier.
— Non… mais hier le Roi a été décapité sur un échafaud construit sous ses fenêtres à Whitehall. Le peuple, même s’il l’a voulu, doit avoir un peu de peine à s’en remettre…
— Mon Dieu ! gémit Marie en fermant les yeux et en joignant ses mains qui tremblaient… Le Roi exécuté ? Ce n’est pas possible, c’est un cauchemar ?
— C’est hélas un cauchemar qui dure, mais prenez garde de montrer trop d’émotion. Nous arrivons !
Elle laissa retomber ses mains et vit que l’on abordait l’Auberge du Lion d’Or qui était l’une des meilleures de Londres, située au carrefour toujours animé de Charring Cross. Là il y avait du monde mais le soupir de soulagement qu’allait pousser Marie en se préparant à entrer dans l’hôtellerie s’étrangla dans sa gorge : tous ces gens étaient en train de regarder un échafaud s’élever au centre de la place. Elle devint si pâle que Higgins craignit de la voir s’évanouir et, aidé de Peran, la fit entrer dans l’auberge. Dixon, l’aubergiste, pour qui la Duchesse n’était pas une inconnue, vint la recevoir mais fit semblant de ne pas la reconnaître. Visiblement, il mourait de peur.
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