– J’aime le goût de ta peau, dit-elle en caressant son torse.
– Tu reviendras quand ? demanda-t-il en aspirant une bouffée.
– Tu fumes ?
– J’ai arrêté, dit-il en toussotant.
– Tu vas rater ton train.
– Ça veut dire que tu dois retourner au studio ?
– Si tu veux que je vienne te voir à Londres, il faut que je termine de monter ce reportage et c’est loin d’être fini.
– Les images étaient si mauvaises que ça ?
– Pires encore, je suis obligée d’aller piquer dans les archives ; je me demande pourquoi mes genoux t’obsèdent autant, tu n’as filmé pratiquement qu’eux.
– C’est de la faute de ce viseur, pas de la mienne, répondit Mathias en s’habillant.
– 141 –
Audrey lui dit de ne pas l’attendre, elle allait profiter d’être chez elle pour se changer et prendre de quoi grignoter ce soir. Pour rattraper le temps perdu, elle tra-vaillerait toute la nuit.
– C’était vraiment du temps perdu ? demanda Mathias.
– Non, mais toi tu es vraiment imbécile, répondit-elle en l’embrassant.
Mathias était déjà sur le palier, Audrey l’observa longuement.
– Pourquoi me regardes-tu comme ça ? demanda-t-il en appuyant sur le bouton de l’ascenseur.
– Tu n’as personne d’autre dans ta vie ?
– Si, ma fille…
– Alors file !
Et la porte du studio se referma sur le baiser qu’elle venait de lui envoyer.
*
– À quelle heure est ton train ? demanda Yvonne.
– Puisque tu ne veux pas que nous allions chez toi, et que le Kent est encore trop loin à tes yeux, que dirais-tu de dormir dans un palace ?
– Toi et moi dans un hôtel ? John, tu as vu nos âges ?
– Dans mes yeux tu n’as pas d’âge, et quand je suis avec toi, je n’en ai pas non plus. Je ne te verrai jamais autrement qu’avec le visage de cette jeune femme qui est entrée un jour dans ma librairie.
– Tu es bien le seul ! Tu te souviens de notre première nuit ?
– Je me souviens que tu as pleuré comme une Madeleine.
– J’ai pleuré parce que tu ne m’avais pas touchée.
– Je ne l’ai pas fait parce que tu avais peur.
– C’est bien parce que tu l’avais compris que j’ai pleuré, imbécile.
– J’ai réservé une suite.
– Allons déjà dîner dans ton palace, nous verrons après.
– Aurai-je le droit d’essayer de t’enivrer ?
– Je crois que tu le fais depuis que je t’ai rencontré, dit Yvonne en serrant sa main dans la sienne.
*
– 142 –
Dix-sept heures trente. L’Austin Healey filait sur des chemins de traverse. Le Sussex était une région magnifique. Antoine sourit, au loin la rame d’un Eurostar était arrêtée en pleine campagne. Les passagers à son bord n’étaient pas près d’arriver à destination, alors que lui serait à Londres dans deux heures environ…
*
Dix-sept heures trente-deux. Le contrôleur avait annoncé un retard de une heure sur l’horaire prévu. Mathias aurait voulu appeler Danièle pour la prévenir. Il n’y avait aucune raison pour qu’Antoine arrive avant lui, mais il était préférable de préparer un bon alibi. La campagne était magnifique, mais malheureusement pour lui, le long des voies ferrées, son portable ne captait aucun réseau.
– Je hais les vaches, dit-il en regardant par la fenêtre.
*
La journée tirait à sa fin, Sophie rangea les pétales éparpillés dans le tiroir pré-
vu à cet effet. Elle en dispersait toujours quelques poignées dans ses bouquets. Elle tira la grille du magasin, ôta sa blouse et sortit par l’arrière-boutique. L’air était frais, mais la lumière bien trop belle pour rentrer chez soi. Enya l’invita à choisir une table parmi celles qui étaient libres, et il y en avait beaucoup. Dans la salle de restaurant, un homme aux airs d’explorateur perdu dînait seul. Elle répondit à son sourire, hésita un moment puis fit signe à Enya qu’elle allait dîner au côté du jeune homme. Elle avait toujours rêvé de visiter l’Australie, elle aurait mille questions à poser.
*
Vingt heures. Le train arrivait enfin en gare de Waterloo. Mathias se précipita sur le quai et dévala le tapis roulant, bousculant tous ceux qui gênaient soir passage.
Il arriva le premier à la tête de station de taxis, et promit au chauffeur un pourboire substantiel s’il le déposait à South Kensington dans la demi-heure.
– 143 –
*
La pendule au tableau de bord affichait vingt heures dix, Antoine hésita et bi-furqua dans Bute Street. Les grilles du magasin de fleurs étaient évidemment fermées puisque ce week-end Sophie était en voyage. Le bras posé sur le fauteuil vide du passager, il fit une marche arrière et reprit le chemin de Clareville Grove. Il y avait une place juste devant la maison. Il s’y rangea et récupéra dans le coffre les deux minia-tures que le chef d’atelier lui avait confectionnées : l’oiseau en bois pour Emily, l’avion pour Louis. Mathias ne pourrait pas lui reprocher d’avoir oublié de rapporter des petits cadeaux pour les enfants.
Quand il entra dans le salon, Louis lui sauta dans les bras. Emily releva à peine la tête, elle était en train de terminer un dessin avec Tatie Danièle.
*
Sophie avait mangé son entrée à Sydney, découpé sa sole à Perth, et savourait une crème caramel en visitant Brisbane. C’était décidé, un jour, elle irait en Australie.
Bob Walley ne pourrait hélas lui servir de guide avant longtemps. Son tour du monde l’entraînerait dès le lendemain au Mexique. Un centre de vacances au bord de la mer lui avait promis un emploi de moniteur de voile pour six mois. Ensuite ? Il n’en savait rien, la vie guidait ses pas. Il rêvait de l’Argentine, puis en fonction de ses moyens il gagnerait le Brésil, le Panama. La côte Ouest des États-Unis serait la première étape du périple qu’il ferait l’année prochaine. Il avait rendez-vous avec des amis au printemps suivant pour chasser la grande vague.
– Où exactement sur la côte Ouest ? demanda Sophie.
– Quelque part entre San Diego et Los Angeles.
– Vous avez des points de chute précis, dit Sophie en riant de bon cœur. Comment faites-vous pour vous retrouver, avec vos amis ?
– Par le bouche à oreille, nous finissons toujours par savoir où nous joindre. Le monde des surfeurs est une petite famille.
– Et après ?
– San Francisco, passage obligatoire sous le Golden Gâte avec une voile, ensuite je chercherai un cargo qui voudra bien me prendre à son bord et je filerai vers les îles Hawaï.
Bob Walley comptait rester au moins deux années dans le Pacifique, il y avait tellement d’atolls à découvrir. Au moment de demander l’addition, Enya rappela au jeune surfeur de ne pas oublier la planche qu’il lui avait confiée. Elle l’attendait contre son mur, à l’entrée de l’office.
– Ils n’ont pas voulu vous la garder à l’hôtel ? demanda Sophie.
– 144 –
– J’avais parlé d’une chambre à un prix abordable…, répondit Bob, gêné.
Pour poursuivre son périple, il fallait qu’il gère son budget au plus serré. Il ne pouvait dépenser pour le lit d’une nuit ce qui lui permettrait de vivre presque un mois en Amérique du Sud. Mais Sophie ne devait surtout pas s’en inquiéter. Le temps était clément, les parcs de Londres magnifiques et il adorait dormir à la belle étoile. Il avait l’habitude.
Sophie leur commanda deux cafés. Un explorateur australien qui partait pour le Mexique et qui ne rentrerait de voyage qu’au siècle prochain… Ne pas s’inquiéter qu’il passe la nuit dehors ?… C’était mal la connaître ! Elle se sentait soudain très coupable de l’avoir mal aiguillé ce matin ; c’était quand même un peu de sa faute à elle, si ce beau surfeur n’avait pu trouver de quoi se loger à un prix raisonnable…
Qu’est-ce qu’elle était mignonne cette fossette qu’il avait au menton… Pour me déculpabiliser et pour me déculpabiliser seulement… C’est fou comme elle se creuse quand il sourit… Qu’est-ce qu’il a de belles mains… S’il pouvait sourire encore une fois, rien qu’une petite fois… Il faut juste trouver du courage… Après tout, ça ne doit pas être si difficile que ça à dire…
– Vous ne connaissez pas la région et c’est normal, mais à Londres il peut pleuvoir à n’importe quel moment… surtout la nuit… et quand il pleut, il pleut vraiment très fort…
Sophie fit discrètement glisser l’addition sur ses genoux, la roula en boule et la jeta sous la table. Elle fit signe à Enya qu’elle viendrait la régler le lendemain.
*
Un peu plus tard, Bob Walley cédait le passage à Sophie en entrant dans son appartement, John Glover faisait de même avec Yvonne au seuil de la suite qu’il avait réservée au Carlton, et quand Mathias inséra sa clé dans la serrure de la maison, ce fut Antoine qui lui ouvrit la porte. Il venait de raccompagner Danièle à un taxi…
*
Les images défilaient en arrière à toute vitesse. Audrey appuya sur une touche du banc de montage pour interrompre le déroulement de la bande. Sur l’écran, elle reconnut l’ancienne usine électrique, avec ses quatre gigantesques cheminées. Sur le parvis, micro en main, elle souriait ; son visage était complètement flou, mais elle s’en souvenait très bien, elle souriait. Elle abandonna son pupitre et décida qu’il était temps de descendre se chercher un café bien chaud à la cafétéria. La nuit serait longue.
– 145 –
*
Debout face à l’évier, Mathias essuyait la vaisselle. À côté de lui, Antoine, tablier autour de la taille et gants de caoutchouc aux mains, astiquait énergiquement une louche à grands coups d’éponge.
– Ça ne raye pas le bois du côté gratounette ? demanda Mathias.
Antoine l’ignora. De toute la soirée, il n’avait pas dit un mot. Après le dîner, Emily et Louis, ayant senti l’orage qui planait dans la maison, avaient préféré s’installer à l’écart pour réviser les cours de la journée ; avant de partir, Danièle leur avait laissé des devoirs à faire.
– Tu es psychorigide ! lança Mathias en reposant une assiette sur l’égouttoir.
Antoine appuya sur la pédale de la poubelle et y jeta la louche, puis l’éponge. Il se baissa pour en prendre une neuve dans un placard.
– D’accord, j’ai enfreint ta sacro-sainte règle ! poursuivit Mathias en levant les bras au ciel. J’ai eu besoin de m’absenter deux heures en fin de journée, à peine deux petites heures et je me suis permis de faire appel à une amie d’Yvonne pour garder les enfants, où est le drame ?… Et en plus ils l’adorent.
– Une baby-sitter ! rumina Antoine.
– Tu es en train de nettoyer un gobelet en plastique ! hurla Mathias.
Antoine défit son tablier et le jeta en boule sur le sol.
– Je te rappelle que nous avions dit…
– On avait dit qu’on allait s’amuser, pas qu’on allait concurrencer le stand de Monsieur Propre à la Foire de Paris.
– Tu ne respectes rien ! répondit Antoine. Nous nous étions fixé trois règles, trois toutes petites règles…
– Quatre ! répliqua Mathias du tac au tac, et je n’ai pas allumé un seul cigare dans la maison, alors s’il te plaît, hein ! Oh et puis tu me fatigues, moi aussi je vais me coucher. Ah, elles vont être belles les vacances !
– Ça n’a rien à voir avec les vacances.
Mathias monta l’escalier et s’arrêta sur la dernière marche.
– Ecoute moi bien Antoine, à partir de maintenant je change la règle. Nous agi-rons comme un couple normal ; si nous en avons besoin nous referons appel à une baby-sitter, conclut-il en entrant dans sa chambre.
Seul derrière son comptoir, Antoine ôta ses gants et regarda les enfants assis par terre en tailleur. Emily tenait une paire de ciseaux, Louis s’empara du bâton de colle. Minutieusement, ils appliquèrent les photos découpées et comparèrent leurs collages dans leurs cahiers.
– Qu’est-ce que vous faites exactement ? demanda Antoine.
– 146 –
– Un exposé sur la vie de famille ! répondirent Emily et Louis en cachant leur travail.
Antoine eut un moment d’hésitation.
– Il est temps d’aller se coucher, demain réveil à l’aube pour partir en Écosse.
Allez, tout le monde au lit.
Emily et Louis ne se firent pas prier, ils rangèrent leurs affaires. Après avoir bordé son fils, Antoine éteignit la lumière et attendit quelques instants dans la pé-
nombre.
– Votre exposé sur la vie de famille… vous me le ferez quand même lire avant de le donner à votre maîtresse.
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