– Alors je n’aurai plus le droit de te voir ?
– Si, répondit Audrey… tu me verras à la télévision.
Elle fit signe au chauffeur et Mathias regarda le taxi disparaître dans la nuit.
Il rebroussa chemin dans la rue déserte. Il lui semblait encore voir les traces des pas d’Audrey sur le trottoir mouillé. Il s’adossa à un arbre, prit sa tête dans ses mains et se laissa glisser le long du tronc.
Le salon était éclairé par une seule petite lampe posée sur le guéridon. Antoine attendait, assis dans le fauteuil en cuir. Mathias venait d’entrer.
– J’avoue qu’avant j’étais contre, mais là…, s’exclama Antoine.
– Ah oui, là…, répondit Mathias en se laissant choir dans le fauteuil en vis-à-
vis.
– Ah non, parce que là, vraiment… elle est formidable !
– Bon, eh bien, si tu en es convaincu, tant mieux ! répondit Mathias en serrant les mâchoires.
Il se leva et se dirigea vers l’escalier.
– 174 –
– Je me demande si on ne lui a pas fait un tout petit peu peur ? questionna Antoine.
– Ne te le demande plus !
– On n’a pas fait un petit peu couple, quand même ?
– Mais non, pourquoi ? questionna Mathias en haussant le ton.
Il se rapprocha d’Antoine et lui prit la main.
– Mais pas du tout ! Et puis surtout, tu n’as rien fait pour… Ça fait couple, ça ?
dit-il en lui assénant une tape sur la paume. Rassure-moi, ça ne fait pas couple, répé-
ta-t-il en tapant à nouveau. Elle est tellement formidable qu’elle vient de me quitter !
– Attends, ne mets pas tout sur mon dos, les enfants aussi ont mis le paquet.
– Ta gueule, Antoine ! dit Mathias en s’éloignant vers l’entrée.
Antoine le rattrapa et le retint par le bras.
– Mais qu’est-ce que tu croyais ? Que ce ne serait pas difficile pour elle ?
Quand est-ce que tu vas voir la vie autrement que par tes petites prunelles ?
Et alors qu’il lui parlait de ses yeux, il les vit se remplir de larmes. Sa colère retomba aussitôt. Antoine prit Mathias par l’épaule et le laissa épancher son chagrin.
– Je suis désolé mon vieux, allez, calme-toi, dit-il en le serrant contre lui, ce n’est peut-être pas fichu ?
– Si, c’est foutu, dit Mathias en ressortant de la maison.
Antoine le laissa s’éloigner dans la rue. Mathias avait besoin d’être seul.
Il s’arrêta au carrefour d’Old Brompton, c’était là qu’il avait pris un taxi la dernière fois avec Audrey. Un peu plus loin, il passa devant l’atelier d’un facteur de pianos ; Audrey lui avait confié qu’elle en jouait de temps à autre et qu’elle rêvait de reprendre des cours ; mais, dans le reflet de la vitrine, c’était sa propre image qu’il détestait.
Ses pas le guidèrent jusqu’à Bute Street. Il vit le rai de lumière qui passait sous le rideau de fer du restaurant d’Yvonne, entra dans l’impasse et frappa à la porte de service.
*
Yvonne posa ses cartes et se leva.
– Excusez-moi une minute, dit-elle à ses trois amies.
Danièle, Colette et Martine râlèrent de concert. Si Yvonne quittait la table, elle perdait le coup d’office.
– Tu as du monde ? dit Mathias en entrant dans la cuisine.
– 175 –
– Tu peux jouer avec nous si tu veux… Tu connais déjà Danièle, elle est coriace, mais elle bluffe tout le temps, Colette est un peu pompette et Martine est facile à battre.
Mathias ouvrit le réfrigérateur.
– Tu as quelque chose à grignoter ?
– Il reste du rôti de ce soir, répondit Yvonne en observant Mathias.
– Je serais plutôt pour une douceur… Ça me ferait du bien, une petite douceur.
Mais va, ne te soucie pas de moi, je vais trouver mon bonheur là-dedans.
– À voir ta tête, je doute que tu le trouves dans mon frigo !
Yvonne retourna dans la salle rejoindre ses amies.
– Tu as perdu le coup ma vieille, dit Danièle en ramassant les cartes.
– Elle a triché, annonça Colette en se resservant un verre de vin blanc.
– Et moi ? dit Martine en tendant son verre. Quelqu’un t’a dit que je n’avais pas soif ?
Colette regarda la bouteille, rassurée, il y avait encore de quoi servir Martine.
Yvonne prit les cartes des mains de Danièle. Pendant qu’elle les battait, ses trois copines tournèrent la tête vers la cuisine. Et comme la maîtresse des lieux ne bronchait pas, elles haussèrent les épaules et replongèrent dans leur partie.
Colette toussota, Mathias venait d’entrer, il s’assit à leur table et les salua. Da-nièle lui servit un jeu d’office.
– Le coup est à combien ? demanda Mathias inquiet en voyant le pécule entassé sur la table.
– Cent et on se tait ! répondit Danièle du tac au tac.
– Je passe, annonça aussitôt Mathias en jetant ses cartes.
Les trois copines qui n’avaient même pas eu le temps de regarder les leurs lui jetèrent un regard incendiaire avant d’abattre à leur tour. Danièle regroupa les cartes en pile, fit couper à Martine et redistribua. Une fois encore, Mathias déplia sa poignée et annonça tout de suite qu’il passait.
– Tu veux peut-être parler ? suggéra Yvonne.
– Ah non ! reprit aussitôt Danièle, pour une fois que tu ne jacasses pas à chaque pli, on se tait !
– Ce n’est pas à Martine qu’elle s’adressait, mais à lui ! rétorqua Colette en montrant Mathias du doigt.
– Eh bien, lui non plus il ne parle pas ! reprit Martine. Dès que je dis un mot je me fais rembarrer. Ça fait trois tours de suite qu’il passe, alors qu’il parle avec sa mise et qu’il se taise !
Mathias prit la pile et distribua les cartes.
– Qu’est-ce que tu vieillis mal ma vieille, reprit Danièle à l’intention de Martine, on ne te parle pas de parler pendant la partie, mais de le laisser parler lui ! Tu ne vois pas qu’il en a gros sur la patate !
Martine réordonna son jeu et dodelina de la tête.
– 176 –
– Ah ben là c’est différent, s’il doit parler alors qu’il parle, qu’est-ce que tu veux que je te dise !
Elle étala un brelan d’as et ramassa la mise. Mathias prit son verre et le but d’un trait.
– Il y a des gens qui font deux heures de transport en commun tous les jours pour aller travailler ! dit-il en parlant tout seul.
Les quatre amies se regardèrent sans dire un mot.
– Paris, ce n’est jamais qu’à deux heures quarante, ajouta Mathias.
– On va se faire le temps de trajet de toutes les capitales européennes ou on joue au poker ? tempêta Colette.
Danièle lui donna un coup de coude pour qu’elle se taise.
Mathias les regarda tour à tour, avant de reprendre sa litanie.
– C’est quand même compliqué de changer de ville et de retourner vivre à Paris…
– C’est moins compliqué que d’immigrer de Pologne en 1934 si tu veux mon avis ! grommela Colette en jetant une carte.
Cette fois, ce fut Martine qui lui donna un coup de coude.
Yvonne tança Mathias du regard.
– Ça ne semblait pas l’être tant que ça au début du printemps ! répondit-elle du tac au tac.
– Pourquoi dis-tu ça ? demanda Mathias.
– Tu m’as très bien comprise !
– Nous on n’a rien compris en tout cas, reprirent en chœur ses trois copines.
– Ce n’est pas la distance physique qui abîme un couple, c’est celle qu’on installe dans sa vie. C’est pour ça que tu as perdu Valentine, pas parce que tu l’avais trompée. Elle t’aimait trop pour ne pas finir un jour par te pardonner. Mais tu étais si loin d’elle. Il serait temps que tu te décides à grandir un peu, essaie au moins de le faire avant que ta fille soit plus mûre que toi ! Maintenant tais-toi, c’est à toi de jouer !
– Je vais peut-être aller nous rouvrir une bouteille, annonça Colette en quittant la table.
*
Mathias avait noyé son chagrin en compagnie des quatre sœurs Dalton. Ce soir-là, en remontant l’escalier de la maison, il eut un vrai sentiment de vertige.
– 177 –
*
Le lendemain, Antoine raccompagna les enfants de l’école avant de repartir aussitôt. Il avait beaucoup de travail à l’agence à cause du chantier d’Yvonne. Et puisque Mathias courait au parc pour se changer les idées, Sophie vint les garder pendant deux heures. Emily se dit que si son père voulait changer d’idée, il aurait dû en choisir une meilleure ; aller courir au parc, c’était pas très malin dans son état.
Depuis que son papa avait mangé du gratin de courgettes, il avait vraiment une mine épouvantable et son vertige empirait. Et comme ça remontait maintenant à deux jours, c’était quand même qu’il devait couver quelque chose.
Après concertation avec Louis, il fut décidé de ne faire aucun commentaire.
Avec un peu de chance, Sophie resterait dîner et quand elle était là c’était toujours une bonne nouvelle : plateau-télé et couché tard.
*
Ce soir-là justement, Emily confia à son journal intime qu’elle avait bien remarqué que quelque chose ne tournait pas rond. Au moment où elle avait entendu le bruit de la chute dans l’escalier, elle avait dit à Louis d’appeler tout de suite les secours, et Louis ajouta dans la marge que les secours en question, c’était son papa.
*
Antoine faisait les cent pas dans le couloir du centre médical. La salle d’attente était pleine à craquer. Chacun attendait son tour, feuilletant les magazines écornés empilés sur la table basse. Inquiet comme il l’était, il n’avait aucun goût pour la lecture.
Enfin, le médecin sortait de la salle d’examen et venait à sa rencontre. Le docteur le pria de bien vouloir le suivre et l’entraîna à l’écart.
– Il n’y a aucune contusion cérébrale, juste un gros hématome sur le front, et les radios sont tout à fait rassurantes. À titre préventif, nous avons fait une échogra-phie. On ne voit pas grand-chose, mais la meilleure nouvelle que je puisse vous donner, c’est que le bébé n’a rien.
– 178 –
XVIII
La porte du box s’entrouvrit. Sophie portait une blouse bleue et les chaussons qu’on lui avait fait mettre pour les examens.
– Va m’attendre dehors, dit-elle à Antoine.
Il retourna s’asseoir sur les chaises, en face de l’accueil. Elle avait une toute petite mine quand elle le rejoignit.
– Tu attendais quoi pour m’en parler ? demanda Antoine.
– Te parler de quoi ?… Ce n’est pas une maladie.
– Le père, c’est le type à qui j’écris tes lettres ?
La caissière du dispensaire fit un signe à Sophie. Le compte-rendu était dacty-lographié, elle pouvait venir régler.
– Je suis fatiguée Antoine, je paie et tu me ramènes !
*
La clé tournait dans la serrure. Mathias posa son portefeuille dans le vide-poches de l’entrée. Installé dans le fauteuil en cuir, Antoine lisait à la faveur de la lampe du guéridon.
– Pardon, il est tard mais j’avais un boulot de dingue.
– Mmm.
– Quoi ?
– Rien, tu as un boulot de dingue tous les soirs.
– Ben voilà, j’ai un boulot de dingue !
– Parle moins fort, Sophie dort dans le bureau.
– Tu es sorti ?
– De quoi tu parles ?… Elle a eu un malaise.
– Ah mince, c’est grave ?
– Elle a vomi et elle s’est évanouie.
– Elle a mangé de ta mousse au chocolat ?
– Une femme qui vomit et qui s’évanouit, tu veux un sous-titre ?
– 179 –
– Oh merde ! dit Mathias en se laissant tomber dans le fauteuil en vis-à-vis.
*
Tard dans la nuit, Antoine et Mathias étaient face à face, assis à la table de la cuisine. Mathias n’avait toujours pas dîné, Antoine sortit une bouteille de vin rouge, une panière et une assiette de fromages.
– C’est formidable le XXIe siècle, dit Mathias, on divorce pour un rien, les femmes font leurs enfants avec des surfeurs de passage et après, elles disent qu’elles nous trouvent moins sûrs de nous qu’avant…
– Oui et puis il y a aussi des hommes qui vivent à deux, sous le même toit… Tu vas nous débiter toutes les conneries que tu as en stock ?
– Tiens, passe-moi le beurre, demanda Mathias en se préparant une tartine.
Antoine déboucha la bouteille.
– Il faut qu’on l’aide, dit-il en se servant un verre.
Mathias reprit la bouteille des mains d’Antoine et se servit à son tour.
– Qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda-t-il.
– Il n’y a pas de père… Je vais reconnaître l’enfant.
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