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Il lui relança le sachet et repartit en hochant la tête.
*
Le soir, en rentrant à la maison, Mathias trouva Emily et Louis assis devant des dessins animés. Antoine préparait le repas dans la cuisine. Mathias se dirigea vers lui et croisa les bras.
– Je ne comprends pas bien ! dit-il en désignant la télévision allumée. Qu’est-ce que j’avais dit ?
Ébahi, Antoine releva la tête.
– Pas… de… té-lé-vi-sion ! Alors ce que je dis ou rien, c’est pareil ? C’est quand même un comble ! cria-t-il en levant les bras au ciel.
Depuis le canapé, Emily et Louis observaient la scène.
– Je voudrais bien que l’on respecte un peu mon autorité dans cette maison.
Quand je prends une décision au sujet des enfants, j’aimerais que tu m’épaules, c’est un peu facile que ce soit toujours le même qui punisse et l’autre qui récompense !
Antoine, qui n’avait pas quitté Mathias du regard, en arrêta de touiller sa rata-touille.
– C’est une question de cohérence familiale ! conclut Mathias en trempant son doigt dans la casserole et en faisant un clin d’œil à son ami.
Antoine lui asséna un coup sur la main avec la louche.
L’incident clos, tout le monde passa à table. À la fin du dîner, Mathias emmena Emily se coucher.
Allongé à côté d’elle, il lui raconta la plus longue des histoires qu’il connaissait.
Et quand, pour finir, Théodore, le lapin aux pouvoirs magiques, vit dans le ciel l’aigle qui tournait en rond (le pauvre animal avait depuis sa naissance une aile plus courte que l’autre… de quelques plumes), Emily mit son pouce dans sa bouche et se blottit contre son père.
– Tu dors, ma princesse ? chuchota Mathias.
Il se laissa glisser tout doucement sur le côté. Agenouillé près du lit, il caressa les cheveux de sa petite fille et resta un long moment à la regarder dormir.
Emily avait une main posée sur le front, l’autre retenait encore celle de son père. De temps en temps, ses lèvres frémissaient, comme si elle allait dire quelque chose.
– Qu’est-ce que tu lui ressembles, murmura Mathias.
Il posa un baiser sur sa joue, lui dit qu’il l’aimait plus que tout et quitta la chambre sans faire de bruit.
– 192 –
*
Antoine, en pyjama, couché dans son lit, lisait tranquillement. On frappa à sa chambre.
– J’ai oublié de récupérer mon costume chez le teinturier, dit Mathias en passant la tête par l’entrebâillement de la porte.
– J’y suis passé, il est dans ta penderie, répondit Antoine en reprenant le début de sa page.
Mathias s’approcha du lit et s’allongea sur la couverture. Il prit la télécommande et alluma la télévision.
– Il est bon, ton matelas !
– C’est le même que le tien !
Mathias se redressa et tapota l’oreiller pour améliorer son confort.
– Je ne te dérange pas ? demanda Mathias.
– Si !
– Tu vois, après tu te plains qu’on ne se parle jamais.
Antoine lui confisqua la télécommande et éteignit le poste.
– Tu sais, j’ai repensé à ton vertige, ce n’est pas neutre comme problème. Tu as peur de grandir, de te projeter en avant et c’est ça qui te paralyse, y compris dans tes relations avec les autres. Avec ta femme tu avais peur d’être un mari, et parfois, même avec ta fille tu as peur d’être un père. À quand remonte la dernière fois que tu as fait quelque chose pour quelqu’un d’autre que toi ?
Antoine appuya sur l’interrupteur de la lampe de chevet et se retourna. Mathias resta ainsi quelques minutes, silencieux dans l’obscurité ; il finit par se lever et, juste avant de sortir, regarda fixement son ami.
– Alors tu sais quoi ? Conseil pour conseil, j’en ai un qui te concerne, Antoine : laisser entrer quelqu’un dans sa vie, c’est abattre les murs qu’on a construits pour se protéger, pas attendre que l’autre les enfonce !
– Et pourquoi tu me dis ça ? Je ne l’ai pas cassé le mur, peut-être ? cria Antoine.
– Non, c’est moi qui l’ai fait et je ne parlais pas de ça ! C’était quoi la pointure des chaussons dans le magasin de layette ?
Et la porte se referma.
*
– 193 –
Antoine ne dormit pas de la nuit… ou presque. Il ralluma la lumière, ouvrit le tiroir de sa table de chevet, prit une feuille de papier et se mit à écrire. Ce n’est qu’au petit matin que le sommeil l’emporta, quand il eut finit de rédiger sa lettre.
Mathias non plus ne dormit pas de la nuit… ou presque. Lui aussi ralluma la lumière, et comme pour Antoine, ce n’est qu’au petit matin qu’enfin le sommeil l’emporta, quand il eut pris quelques résolutions.
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XX
Ce vendredi, Emily et Louis arrivèrent vraiment en retard à l’école. Ils avaient eu beau secouer leurs pères pour les tirer du lit, rien n’y fit. Et pendant qu’ils regardaient des dessins animés (cartables au dos, au cas où quelqu’un aurait eu le culot de leur faire un reproche), Mathias se rasait dans sa salle de bains et Antoine, catastro-phé, appelait McKenzie pour le prévenir qu’il serait à l’agence dans une demi-heure.
*
Mathias entra dans sa librairie, écrivit au marqueur sur une feuille de papier Canson « Fermé pour la journée », la colla sur la porte vitrée et repartit aussitôt.
Il passa à l’agence, et dérangea Antoine en pleine réunion pour le forcer à lui prêter sa voiture. La première étape de son périple le fit longer la Tamise. Une fois garé sur le parking de la tour Oxo, il alla s’asseoir sur le banc qui faisait face à la jetée, le temps de se concentrer.
*
Yvonne s’assura qu’elle n’avait rien oublié et vérifia à nouveau son billet. Ce soir, à la gare Victoria, elle monterait dans le train de dix-huit heures. Elle arriverait à Chatham cinquante-cinq minutes plus tard. Elle referma sa petite valise noire, la laissa sur le lit et quitta son studio.
Le cœur serré, elle descendit l’escalier qui conduisait vers la salle ; elle avait rendez-vous avec Antoine. C’était une bonne idée de partir ce week-end. Elle n’aurait jamais supporté de voir le grand chambardement dans son restaurant. Mais la vraie raison de ce voyage, même si son sacré caractère lui interdisait de se l’avouer, venait plutôt du cœur. Cette nuit, pour la première fois, elle dormirait dans le Kent.
Antoine regarda sa montre en sortant de sa réunion. Yvonne devait l’attendre depuis un bon quart d’heure. Il fouilla la poche de sa veste, vérifia qu’une enveloppe s’y trouvait et courut à son rendez-vous.
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*
Sophie se tenait de profil devant le miroir accroché au mur de son arrière-boutique. Elle caressa son ventre et sourit.
*
Mathias regarda une dernière fois les ondulations du fleuve. Il inspira profondément et abandonna son banc. Il avança d’un pas déterminé vers la tour Oxo et traversa le hall pour s’entretenir avec le liftier. L’homme l’écouta attentivement et accepta le généreux pourboire que Mathias lui offrait en échange d’un service qu’il trouvait néanmoins étrange. Puis il demanda aux passagers de bien vouloir se tasser un peu vers le fond de l’ascenseur. Mathias entra dans la cabine, se plaça face aux portes et annonça qu’il était prêt. Le liftier appuya sur le bouton.
*
Enya promit à Yvonne qu’elle resterait là tout le temps des travaux. Elle veillerait à ce que les ouvriers n’abîment pas sa caisse enregistreuse. C’était déjà difficile d’imaginer qu’à son retour, plus rien ne ressemblerait à rien, mais si sa vieille machine était endommagée, l’âme même de son bistrot ficherait le camp.
Elle refusa de voir les derniers dessins qu’Antoine lui présentait. Elle lui faisait confiance. Elle passa derrière son comptoir, ouvrit un tiroir et lui tendit une enveloppe.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Tu verras en l’ouvrant ! dit Yvonne.
– Si c’est un chèque je ne l’encaisserai pas !
– Si tu ne l’encaisses pas, je prends deux pots de peinture et je barbouille tout ton travail en rentrant, tu m’as bien comprise ?
Antoine voulut discuter mais Yvonne lui reprit l’enveloppe et la mit de force dans sa veste.
– Tu les prends ou non ? dit-elle en agitant un trousseau de clés. Je veux bien rajeunir ma salle, mais ma fierté ne mourra qu’avec moi, je suis de la vieille école. Je
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sais très bien que tu ne voudras jamais que je te règle tes honoraires, en tout cas mes travaux, je me les paie !
Antoine prit les clés des mains d’Yvonne et lui annonça que le restaurant était à lui jusqu’à dimanche soir. Elle n’aurait pas le droit d’y remettre les pieds avant lundi matin.
*
– Monsieur ? Il faut vraiment enlever votre pied de la porte, les gens s’impatientent ! supplia le liftier de la tour Oxo.
La cabine n’avait toujours pas quitté le rez-de-chaussée et, bien que le garçon d’ascenseur ait tenté d’expliquer la situation à tous les clients, certains n’en pouvaient plus d’attendre de rejoindre leur table au dernier étage.
– Je suis presque prêt, dit Mathias, presque prêt !
Il inspira à fond et recroquevilla ses orteils dans ses chaussures.
La femme d’affaires à ses côtés lui décocha un coup de parapluie dans le mol-let, Mathias plia la jambe et enfin la cabine s’éleva dans le ciel de Londres.
*
Yvonne quitta son restaurant. Elle avait rendez-vous chez le coiffeur et repasserait plus tard reprendre sa valise. Enya dut presque la pousser dehors, elle pouvait compter sur elle. Yvonne la serra dans ses bras et l’embrassa avant de monter dans son taxi.
Antoine remontait la rue, il s’arrêta devant le magasin de Sophie, frappa à la porte et entra.
*
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur le dernier étage. Les clients du restaurant se précipitèrent au-dehors. Accroché à la rambarde, au fond de la cabine en verre, Mathias ouvrit les yeux. Émerveillé, il découvrait une ville comme il ne l’avait jamais vue. Le liftier frappa une première fois dans ses mains, une seconde, puis l’applaudit de tout son cœur.
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– On s’en refait un, rien que tous les deux ? demanda le garçon d’ascenseur.
Mathias le regarda et sourit.
– Alors un petit seulement, parce que après j’ai de la route à faire, répondit Mathias. Je peux ? ajouta-t-il en posant son doigt sur le bouton.
– Vous êtes mon invité ! répondit fièrement le liftier.
*
– Tu viens acheter des fleurs ? demanda Sophie en regardant Antoine qui s’approchait d’elle.
Il sortit l’enveloppe de sa poche et la lui tendit.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Tu sais, cet imbécile pour lequel tu me demandais d’écrire… je crois qu’il t’a enfin répondu, alors je voulais t’apporter sa lettre en personne.
Sophie ne dit rien, elle se baissa pour ouvrir le coffret en liège et rangea la lettre au-dessus des autres.
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