- Si je vous ai bien comprise, fit la vieille dame d'un ton las, il s'agirait d'un séjour prolongé. En outre il n'y a pas que cela. Mais je n'ai pas dû être assez claire. Il se passe dans cette maison des choses dont j'ignore où elles aboutiront mais je pense sincèrement que, dans les semaines à venir, Aude sera plus en sûreté auprès de vous et de la reine Marguerite...
Un bruit de voix masculines se fit entendre au-dehors et la porte s'ouvrit sous la main de Mathieu. Voyant que sa mère n'était pas seule, il fronça le sourcil, se retourna, murmura quelques mots à ceux qui raccompagnaient, Rémi et Olivier, et ce dernier s'éloigna vers l'atelier. Ensuite il entra dans la salle avec son fils.
- Je vous donne le bonsoir, ma sœur ! Quel vent vous amène céans ?
A la sévérité du ton, Bertrade n'eut aucune peine à deviner que ce vent-là n'était pas le bienvenu...
Celui de mars qui entrait avec lui était aigre à souhait.
CHAPITRE VII
LE BÛCHER
Surprise par un accueil aussi abrupt, Bertrade ne trouva rien à dire sur l'instant et ce fut Mathilde qui se chargea de la réponse :
- Bertrade souhaite que notre petite Aude revienne pour quelque temps. Elle craint que dans les jours à venir elle n'y soit plus en aussi grande sécurité qu'auparavant...
- Pourquoi ? Que s'est-il passé ? Aurait-elle commis quelque faute grave ?
- En aucune façon, et si faute il y a - et il y a ! -, ce n'est ni la sienne ni la mienne...
Elle hésita un instant, consultant le visage fermé de son beau-frère, son regard si dur mais si droit, puis se décida :
- La reine Marguerite a un amant et commet de lourdes imprudences. Le jour où le Hutin l'apprendra - et le Roi avec lui ! -, sa colère frappera aveuglément tous les gens de son hôtel car, malheureusement, cela se passe chez lui...
Mathieu ne fit pas écho au « Oh ! » scandalisé de Rémi mais le pli de dégoût de sa bouche était explicite. Il ajouta d'ailleurs :
- Il ne me plaisait pas que ma fille aille se frotter aux belles dames de la Cour et vous le savez. Je n'imaginais pas cependant qu'elle pût être mêlée à une telle forfaiture ! Cette princesse doit être folle de faire courir si gros risque aux siens... mais, pour le moment, il est hors de question qu'Aude regagne le domicile. Même pour quelques jours !
- Je le lui ai dit, coupa la vieille dame. Il fallait bien que je donne une raison... Alors j'ai parlé de notre hôte...
- Vous avez bien fait. L'une des qualités de dame Bertrade est qu'elle sait tenir sa langue...
- Je viens en effet d'en faire une belle démonstration ! fit celle-ci avec amertume.
- Vous aussi deviez donner une raison. Votre visite prouve seulement combien Aude vous est chère et quel souci vous prenez de la famille. Cependant, ma sœur, ce n'est pas à cause d'Olivier que je refuse de recevoir Aude : il reste fidèle à la règle du Temple qui lui interdit le commerce des femmes et n'entre jamais ici quand les femmes s'y tiennent. La meilleure preuve est qu'elle ne s'est à aucun moment aperçue de sa présence quand elle venait passer quelques jours avec nous... A ce propos, pensez-vous qu'elle l'aime toujours ?
Ce fut Rémi qui répondit :
- J'en jurerais ! Toutes les fois où je la suis allé voir à l'hôtel de Nesle, elle s'arrangeait pour me poser au moins une question à son sujet. Elle le croit caché quelque part dans le royaume. Peut-être même retourné en Provence... Mais l'oublier, non !
- Oh, j'en suis bien d'accord ! soupira Bertrade. Aucun garçon, si aimable soit-il, ne trouve grâce à ses yeux. J'ai la crainte qu'elle ne soit femme d'un seul amour !
- Comme sa mère ! affirma Mathieu non sans satisfaction. Il est seulement dommage que si bel amour s'attache non à qui n'en est pas digne, au contraire, mais à qui ne peut le rendre. Mais assez glosé là-dessus ! Les folies d'une princesse ne sont pas à l'ordre du jour. C'est l'événement majeur de demain qui l'est... et je ne suis pas si mécontent de votre venue finalement !
- Comment l'entendez-vous ?
- Je vous le dirai plus tard ! Où sont ma femme et la servante ?
- Au lavoir comme d’habitude le jeudi, grogna Mathilde. Je trouve même qu’elles s’attardent…
- Pour l'instant, je préfère. Dites-moi, ma sœur, n'avez-vous rien remarqué en passant près de Notre-Dame ?
- Si fait ! On construit une tribune devant le portail... L’étrange, c'est que le chantier des contreforts était désert...
- C'est demain qu'y seront menés solennellement Maître Jacques et les dignitaires encore détenus au Temple pour entendre leur jugement.
- Mon Dieu ! Je pensais qu'on les avait oubliés. Pourquoi tant de solennité ? Ils ont, paraît-il, avoué tout ce qu'on a voulu et la Commission pontificale ne va les sortir de prison que pour les faire entrer dans une autre !
- Sans doute mais reste à savoir laquelle... et c'est, voyez-vous, un détail qui nous intéresse.
Les liens unissant depuis si longtemps les bâtisseurs de sanctuaires au Temple étaient trop connus pour que Bertrade les ignorât. Elle savait également que son beau-frère y était solidement attaché, mais la détermination qui sonnait dans sa voix lui fit peur tout à coup. Elle regarda son neveu et vit la même résolution sur son visage assombri.
- A quoi songez-vous donc à cette heure ? demanda-t-elle en baissant le ton jusqu'au niveau de l'inquiétude.
- Sauf votre respect, ma sœur, cela ne vous regarde pas ! Sachez simplement qu'un certain danger pourrait menacer cette maison dans un proche avenir. Et à ce sujet, votre visite m'a remis en mémoire votre clos de Passiacum et je me demande s'il ne serait pas bon d'inviter votre sœur et ma mère à séjourner chez vous ?... Aude pourrait les y rejoindre et ainsi le problème que vous posiez en arrivant se trouverait résolu. Qu'en pensez-vous ?
Il semblait si heureux tout à coup, que Bertrade se sentit une soudaine - et parfaitement incongrue ! - envie de rire :
- Qu'elles risquent de ne pas s'y plaire beaucoup ! Passe encore une fin de printemps avec les arbres en fleurs, mais à cette époque la Seine est grosse et elles pourraient bien avoir les pieds dans l'eau ! Cela dit, ajouta-t-elle en voyant se froncer à nouveau le sourcil de son beau-frère, ma maison est à leur disposition. D'autant que j'y vais de moins en moins, bien que Blandine et Aubin à qui mon époux a donné asile depuis longtemps veillent à la tenir en état. Si Rémi veut m'accompagner demain je lui donnerai les clefs...
D'un mouvement spontané, Mathieu s'empara des mains de sa belle-sœur et les serra fermement :
- Grand merci, ma sœur ! Vous m'ôtez une épine du pied...
- A votre place, intervint Mathilde, j'attendrais le retour de ma bru pour savoir ce qu'elle en pense. Telle que je la connais, je serais fort surprise qu'elle accepte de sortir de chez elle.
A ce moment, Juliane et Margot revenaient avec la charrette pleine de linge mouillé que l'on allait mettre à sécher, non sur le pré comme aux beaux jours, mais sur des cordes tendues et pour ce faire sous un auvent. C'était, en effet, la dernière grande lessive de l'année. On ne laverait au baquet que le petit linge de corps...
L'épouse de Mathieu embrassa sa sœur avec une joie visible. D'abord parce qu'elle l'aimait, ensuite parce qu'elle lui apportait des nouvelles d'une fille dont elle ne cessait de regretter l'éloignement. Pourtant quand son époux avait installé chez eux Olivier, donc la cause première de cette mise à l'écart, pas une fois, dans sa générosité, elle n'avait eu seulement l'idée de lui en tenir rigueur, sachant pertinemment que le Templier n'avait jamais rien fait pour s'attirer ou encourager un amour dont il ignorait tout. Elle le voyait d'ailleurs si peu qu'elle en venait presque à l'oublier car on ne pouvait pas être plus discret. Pourtant lorsqu'il lui arrivait de l'apercevoir, elle ne pouvait s'empêcher de comprendre le sentiment tenace que lui vouait sa fille et se surprenait à regretter qu'un homme aussi attirant - et d'autant plus qu'il était plus lointain ! - fut définitivement perdu pour les femmes... D'aucunes, à sa place, se fussent peut-être livrées à quelque tentative de séduction - ce qui n'eût pas été entaché de ridicule : Juliane, en dépit de l'âge, était encore belle -, mais elle avait l'âme trop haute pour de telles roueries. En outre, son époux, dont elle devinait qu'il préparait quelque chose, occupait bien suffisamment sa pensée.
Cependant, Mathilde - sans plonger pour autant dans les replis secrets de son esprit ! - connaissait bien sa belle-fille. Quand Mathieu lui annonça son désir de la voir partir habiter de l'autre côté de Paris avec sa belle-mère, et cela dès le lendemain, il essuya un refus formel :
- Quitter notre maison et en arracher notre mère ? N'y comptez pas ! Il faut même que vous ayez perdu la raison pour me le proposer !
- Avec l'aide de Dieu vous ne partiriez pas définitivement ! Simplement quelque temps afin que, vous sachant à l'abri, je puisse garder l'esprit libre. Et Aude vous irait rejoindre...
- Aude n'est pas en danger immédiat alors que, j'en jurerais, vous allez vous y mettre sous peu. Moi je suis votre épouse, la gardienne naturelle de notre maison et jamais je n'accepterai de la quitter de bon gré. En revanche, ajouta-t-elle en se tournant vers Mathilde, il serait peut-être sage, en effet, d'abriter notre mère. Elle n'est plus guère ingambe et...
- Il suffit, ma fille ! protesta la vieille dame indignée. Si, en cas de menace, il fallait fuir d'ici, il est bien certain que mes jambes ne me permettraient pas une course éperdue, mais ce ne serait pas une telle catastrophe. Je suis assez âgée pour faire une morte et les ruines de ce logis où j'ai vécu mes plus beaux jours me seront un tombeau très convenable.
Il n'y avait rien à ajouter. Bertrade poussa un soupir puis déclara :
- J'eusse été fort étonnée d'entendre autre chose ! Que Rémi vienne tout de même chercher les clefs ! Je ne sais trop ce que vous mijotez mais vous aurez la possibilité d'une position de repli...
Dès l'ouverture des portes, le lendemain, Bertrade flanquée de Mathieu et de Rémi et aussi d'Olivier entra dans Paris. C'était la première fois que Bertrade rencontrait l'hôte invisible de son beau-frère, mais il ne lui fut pas présenté quand il apparut dans la cour menant en bride les deux gros chevaux qui allaient porter l'un Mathieu et l'autre lui-même et Rémi en croupe. Il esquissa un salut dans sa direction comme l'aurait fait n'importe quel assistant du bâtisseur. A sa vue, elle n'en éprouva pas moins un frisson bizarre fait de la sympathie immédiate qu'il lui inspira et d'une certaine inquiétude. Malgré ses simples vêtements - cotte mi-longue en laine brune laissant voir les chausses assorties, complétée par le chaperon à pointe très allongée rabattu sur de puissantes épaules qu'il tenait un peu voûtées - cet homme dégageait une indiscutable noblesse. L'étroit visage sculpté à grands traits comme celui d'un saint de cathédrale était impassible et froid, mais que les yeux gris vert enfoncés dans l'entablement droit des sourcils avaient donc de charme ! Comme l'avait fait sa sœur, elle ne s'étonna plus de l'amour tenace de sa nièce en dépit de leurs vingt années d'écart et ce fut en étouffant un soupir qu'elle monta sur sa mule.
Il était tôt le matin mais le Roi avait fait annoncer par toute la ville que, devant Notre-Dame, les dignitaires du Temple allaient enfin recevoir leur jugement. Aussi les rues étaient pleines d'un monde qui se partageait en deux : ceux qui allaient vers L'Enclos pour assister à la sortie des prisonniers avec l'intention de les accompagner et ceux qui se dirigeaient directement vers le parvis de la Cathédrale.
Mathieu et les siens furent de ceux-là. L'atmosphère de Paris était inhabituelle. Echoppes et boutiques étaient fermées. Tout le monde était dans la rue comme pour une fête. Ce que l'on se préparait à voir était un spectacle comme un autre et le peuple adorait les spectacles. Tous, depuis les joyeuses « entrées » royales jusqu'aux exécutions capitales en passant par les « mystères » joués sur les places et les tours des baladins et autres bateleurs qui se produisaient au coin des rues. Rien de la sorte ce matin-là : ce que l'on allait voir, avec une curiosité cruelle, c'était ce que près de sept années de prison avaient fait de ces superbes seigneurs qu'étaient le Grand Maître et les plus notoires de ses frères. Sans les plaindre toutefois : ils avaient avoué de si affreuses pratiques, des actions si haïssables qu'on les apparentait plutôt à des sorciers assez vils pour fouler aux pieds la Croix, cracher dessus et adorer une tête d'idole qui ne pouvait être que celle de Satan. Celui-là seulement, le Maudit, avait pu les faire tellement riches ! A ce sujet les avis étaient partagés : certains prétendaient que dans leurs maisons fortes on avait trouvé des monceaux d'or, d'autres que, prévenus par le Diable, ils avaient enfoui leurs richesses dans les entrailles de la terre.
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