- Auriez-vous eu... un enfant de lui ?
- Dieu a eu pitié : je l'ai perdu quand nous avons essuyé cette tempête. Seule Honorine l'a su. Moi, j'aurais préféré me trancher la gorge plutôt que vous le dire...
- N'y pensez plus, mon cœur, nous aurons d'autres enfants. Bien à nous !
- N'est-il pas trop tard ? J'ai trente ans !
- Et moi trente-six ! Nous sommes loin d'être des vieillards !
- A propos d'enfants, qu'avez-vous fait du jeune Basile ? Dans ma joie de vous retrouver, je ne me suis pas inquiétée de lui mais j'espère qu'il ne lui est... rien arrivé de fâcheux ?
- Oh non ! Il est seulement marié. A Byzance il a rencontré la jolie fille d'un marchand de tissus grec du quartier du Boucoléon. Ce fut le grand amour et les parents de cette Melissa, amadoués par la dot que notre empereur a tenu à lui constituer, l'ont accueilli à bras ouverts. Il est retourné au métier qui était celui de ses pères. Il est heureux... et il a déjà deux fils. J'avoue que je l'ai envié. Aussi, ma douce, j'aimerais beaucoup que vous fissiez de moi un père...
- Vous voulez aussi des fils, bien sûr !
- Je n'ai rien contre les filles si elles vous ressemblent !
Malheureusement l'attente fut longue. A quatre reprises Sancie se trouva enceinte mais l'enfant venait mort-né ou ne vivait que quelques heures, au désespoir de ses parents. Sancie avait accompli à plusieurs reprises le pèlerinage à la Sainte-Baume, ce qui représentait un voyage long et souvent difficile, mais elle finit par y renoncer. A l'instante demande de son époux à qui elle ne permettait jamais de l'accompagner. Ce fut lui qui, un jour, la conduisit à Moustiers après avoir déclaré qu'il valait mieux s'adresser au Bon Dieu qu'à ses saints et qu'en l'occurrence Notre Dame lui paraissait plus apte à traiter les affaires d'enfants que la Madeleine l'avait jamais été. Et leur souhait fut exaucé : dans la nuit de Noël 1270, alors que les cloches se parlaient d'un clocher à l'autre à travers la Provence dans un ciel aussi bleu, aussi étoilé que lors du retour de son père, Olivier poussa son premier cri. Qui ne fut pas, et de loin, le dernier car il semblait doué des poumons les plus vigoureux de la comté.
Après lui, le couple dont l'amour ne se démentait pas n'eut pas d'autres enfants, mais celui-là semblait de taille à tenir toute la place à lui seul. De son père il eut les cheveux blonds, de sa mère les longues et vertes prunelles dont la couleur s'estompait d'un gris léger qui, avec le temps, les fit méditatives. Des deux, un caractère trempé, droit et vaillant comme l'épée dont, en dépit de son grand âge, le vieux Pernon trouva la force de lui apprendre à se servir. Au château on l'adorait. Cependant son père comme sa mère surent l'élever sans faiblesse ni mièvrerie. Un autre aussi intervint, involontairement peut-être, dans la formation de ce jeune garçon : frère Clément revenu au pays après une absence de plusieurs années.
C'était à présent un haut dignitaire de l'Ordre. A la suite d'un assez long séjour dans les templeries du Nord où il s’attacha à Guillaume de Beaujeu devenu le Grand Maître, il partit avec lui pour Saint-Jean-D’acre.
Parent du Roi de France, grand seigneur s'il en fut et d'une belle rigueur morale jointe à une bravoure exceptionnelle, frère Guillaume réussit, là-bas, à rendre au Temple sa grandeur et son auréole trop souvent menacées.
Ce fut lui, qui, sans tenir compte des regrets à se séparer d'un bras droit qu'il affectionnait particulièrement, le renvoya en Provence où, entre les exigences du comte, Charles d'Anjou investi désormais du royaume de Naples-Sicile, et la turbulence des cités dont plusieurs réclamaient des franchises à l'exemple de Marseille, la situation des maisons du Temple n'était pas toujours facile.
Frère Clément rentra donc mais, délaissant Marseille, choisit de s'installer à la tête de l'importante commanderie du Ruou, ce qui, en le ramenant dans son pays natal, permettait à son magistère d'atteindre sa dimension aussi bien dans le paysage que dans l'esprit des hommes en le détachant des agitations urbaines. Naturellement, les relations reprirent avec ceux de Valcroze. Une amitié se noua entre Renaud et lui. Le petit Olivier en fut le témoin admiratif. Peu à peu la puissante personnalité du Templier, sa foi exemplaire et la pureté de son engagement monastique et guerrier s'imposèrent à l'enfant au point qu'il finit par voir en lui une sorte d'archange descendu sur la terre pour la rédemption des pauvres humains.
Sancie, en mère attentive, s'aperçut la première de cet engouement mais s'en tracassa peu, pensant qu'avec la puberté, les aspirations de son fils se tourneraient davantage vers les filles que vers la vie austère d'une templerie. Elle savait ce qu'avaient été les appétits charnels de son époux, ce qu'ils étaient toujours pour son plus grand bonheur et elle pensait, non sans raison, que les chiens ne font pas des chats. Mais Olivier, s'il aimait les chevaux, les armes, la chasse et les chansons des troubadours célébrant les grands exploits et même l'amour des dames, ne semblait s'intéresser à aucune, leur préférant les longues causeries avec le chapelain Anselme, un prêtre doux et lettré qui lui avait appris à lire et à peu près tout ce qu'il savait. Les parents finirent par s'en inquiéter :
- Il ne va pas finir par nous réclamer un jour la permission de se faire tonsurer ? explosa un jour Renaud qui prit à part le père Anselme pour le prier de diriger les pensées de son fils unique vers des régions moins éthérées que le royaume de Dieu.
Le prêtre répondit qu'il ne faisait rien pour cela mais que l'adolescent était de ces âmes supérieures qui ne sauraient se satisfaire d'un quotidien trop à ras du sol :
- Cependant, ajouta-t-il, vous n'avez je crois à redouter ni la prêtrise ni le froc bénédictin, franciscain ou autre. Olivier aime trop les armes, les grands exploits, les beaux récits guerriers. Il attend l'adoubement comme une profession de foi, un véritable engagement au service des faibles, des meurtris, des victimes comme étant le meilleur moyen de servir Dieu.
- Vous êtes son confesseur : aucun visage féminin ne logerait-il au fond de son cœur ? Je ne vous demande pas de trahir le secret de la confession. Pas de nom...
- Qu'il n'aurait d'ailleurs pas confié mais, sire Renaud, vous le savez aussi bien que moi : aimer n'a jamais été un péché dont il faille s'accuser tant que l'amour n'offense aucun commandement divin !
- Vous avez raison. Pardonnez-moi ! Peut-être est-il encore un peu jeune...
Renaud se voulut rassurant en rapportant cet entretien à Sancie mais, dans sa sensibilité de femme et de mère, elle se montra plus clairvoyante :
- Et cela vous a contenté ? Trop jeune, dites-vous ? On peut n'être qu'un enfant et aimer de tout son être. N'avez-vous donc pas compris quel destin le père Anselme vous a décrit ? Celui d'un Templier ! Oubliez-vous que frère Clément, notre parent, est, avec vous... plus que vous peut-être, son héros, son modèle ?
- Non je ne l'oublie pas, fit Renaud soudain très sombre et qui, finalement, tempêta : Mais, par tous les saints du Paradis, il n'y a pas que le Temple ! Les Hospitaliers, eux aussi, sont chevaliers et savent combattre aussi bien que leurs... rivaux puisqu'ils l'ont toujours été !
- N'essayez donc pas de nous leurrer ! Ce n'est pas pareil et vous savez bien que j'ai raison...
Certes il le savait et aussi qu'il cherchait à les rassurer tous les deux sans y croire vraiment. Puisqu'ils n'auraient jamais qu'un seul enfant, ils se sentaient prêts à n'importe quel sacrifice pour le détourner d'une voie menant à une destruction sans gloire dont ils ne doutaient pas qu'elle fût inéluctable. Renaud pensait avec rage que, si Dieu lui avait permis de retrouver Roncelin et de lui faire payer ses crimes, l'âme d'Aymar de Rayaq, le vieux templier rescapé des Cornes de Hattin qui avait choisi de périr par le feu pour tenter de sauver la Vraie Croix, se fût apaisée jusqu'à retirer sa malédiction. Mais le démon avait si bien disparu que Courtenay finit par penser - et il avait fait part de son idée à Sancie ! - qu'il ne s'agissait peut-être pas d'un homme véritable, mais de l'un de ces suppôts de Satan voués à la perdition des âmes pures : en l'occurrence celle de ce Temple, béni par Bernard de Cîteaux qui, jadis, était si grand quand il était si pauvre et n'avait pas encore accumulé des richesses...
Un moment, les parents d'Olivier reprirent courage. Au tournoi de Pentecôte chez Boniface de Castellane où se pressait la noblesse de la région, une jeune fille parut attirer l'attention d'Olivier. Elle se nommait Agnès de Barjols, elle avait quatorze ans et elle évoquait à elle seule toutes les fleurs du printemps sous la masse dorée d'une chevelure à rendre jaloux le soleil. Olivier en avait quinze mais, grand pour son âge, il justifiait pleinement la fierté de sa mère. Naturellement, ils furent nombreux à se presser autour de ce jeune astre rayonnant qu'était Agnès : jouvenceaux, chevaliers et même barons, mais la belle enfant semblait avoir distingué Olivier et, à l'évidence, regrettait fort qu'il ne puisse porter ses couleurs dans les joutes puisqu'il n'était pas encore adoubé. On put les voir ensemble autant que le permettait la bienséance. Ce qui n'était pas beaucoup mais, sans avoir reçu aucune confidence, Sancie aurait juré à la lumière nouvelle dans les yeux du garçon que son cœur avait enfin parlé. Olivier, d'ailleurs, se montra soudain désireux de hâter son arrivée en chevalerie.
- Il est impatient de briller dans les tournois, confia Renaud ravi à sa femme. Et, comme il en est tout à fait capable, cela pourrait se faire à la prochaine Pentecôte. Nous donnerons alors une grande fête…
Cette perspective leur accorda quelques mois de joyeuses espérances. En se mariant, Olivier recevrait le riche fief de Bédarrides qui ne ferait pas de lui un mince seigneur et au moins serait géré sur place, et non plus à distance et par un « châtelain » si dévoué soit-il. Et puis la nouvelle arriva : Agnès de Barjols épousait le seigneur d'Esparron.
Si Olivier fut atteint, il n'en montra rien. Silencieux par nature, il découvrait peu ses sentiments. Il poursuivit sa préparation comme si de rien n'était et fit montre d'une virtuosité exceptionnelle aux joutes qui suivirent son adoubement au cours d'une fête mémorable qui rassembla toute la comté. Son succès auprès des dames et des demoiselles fut en proportion. Elles étaient nombreuses à le regarder doucement et à espérer cueillir, au bout de sa lance, la couronne de reine du tournoi. Ce fut aux pieds de sa mère, à la fois confuse et enchantée, qu'il la déposa. Ce qui ne l'empêcha pas de danser ce soir-là avec toutes les dames présentes comme s'il n'avait pas passé en prières la nuit précédente.
Six mois plus tard, il demandait à son père la permission d'entrer au Temple. Pour Renaud et Sancie ce fut comme si le ciel leur tombait sur la tête.
A tour de rôle ils essayèrent de raisonner Olivier. Celui-ci leur opposa une calme mais inébranlable fermeté. A son père il dit :
- Je veux servir Dieu, de l'âme et de l'épée !
- Cela n'exige pas d'entrer en religion. C'est très possible dans le siècle, en ayant femme et enfants !
- Et au service de qui pourrais-je combattre ? Les comtes de Provence devenus Rois de Naples ne se souviennent, qu'à peine de nous et ce sont pourtant nos suzerains. Le Roi de France est en lutte quasi ouverte avec le Pape et nos cousins, les empereurs Courtenay n'existent plus que sous la forme d'une jeune fille qui vit elle aussi en Italie puisque son père a épousé la fille de feu Charles d'Anjou, Roi de Naples. Le vieux fief de Courtenay appartient à présent à une branche collatérale que vous ne connaissez même pas. Seul, le Temple combat encore en Terre Sainte. C'est pour cette raison que je veux le rejoindre. Là, je serai certain que mon épée est bien au service de Dieu !
A sa mère qui, au bord de larmes courageusement retenues, lui représentait que, s'il s'obstinait, la famille constituée si difficilement s'éteindrait, qu'elle-même n'aurait jamais la joie d'embrasser ses petits-enfants et que leurs biens iraient se perdre dans l'immensité de ceux du Temple, il répondit :
- Mieux que quiconque le Temple sait protéger et faire fructifier ce qu'on lui confie. Vous devriez en avoir connaissance, mère, vous dont frère Clément a géré si bien les domaines pendant votre pèlerinage. Vous avez eu aussi la joie de fouler le sol de Terre Sainte. Me la refuserez-vous, cette joie ?
Il n'y avait rien à répondre. Sinon prier. Alors Sancie, accompagnée de Maximin, s'en alla implorer Notre Dame en son sanctuaire de Moustiers...
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