- Dame ? Sans doute l’étiez-vous dans la maison de votre fils à Montreuil, mais vous ne représentez plus grand-chose maintenant qu'il est en fuite et que vous avez osé vous réfugier dans cette maison qui est mon bien, puisque ma chère tante n'est plus de ce monde. Et vous avez l'audace de me demander ce que je viens faire ici ? Prendre possession, simplement, aboya-t-il.
- Comme ça vous change un homme tout de même, une perspective d'héritage ! On vous a connu plus poli et plus aimable, Maître Imbert !
Le personnage était en effet Gontran Imbert, le mercier, neveu par alliance de Bertrade. Et la remarque acerbe de Mathilde était amplement justifiée : jusqu'à présent la famille de Mathieu avait connu - assez peu d'ailleurs ! - le gros mercier de la rue Quiquenpoist sous des dehors amènes, souriants et plutôt agréables. Bertrade n'avait eu qu'à s'en louer après le décès de son époux quand les biens avaient été partagés entre eux : lui recevant le fructueux commerce assorti de la place dans la Galerie Mercière du Palais qui faisait de lui l'un des plus riches de Paris, elle un douaire auquel s'ajoutaient un logement - qu'elle lui avait abandonné deux ans auparavant pour qu'il put agrandir sa demeure ! - et le Clos des Abeilles. Et voilà qu'aujourd'hui il leur tombait dessus en jetant feux et flammes ! Peut-être sous le coup de la surprise, ne s'attendant sans doute pas à trouver la maison occupée…
- Je suis comme je suis ! Ça ne regarde que moi !
- Nous aussi, je pense ! fit sèchement Juliane et s'approchant jusqu'à le regarder en face. Et d'abord qui vous a dit que ma sœur est morte ?
- Les gens de l'hôtel de Nesle d'où je viens ! Je m'y étais rendu, inquiet des bruits courant sur ce qui s'y passait depuis l'affaire des princesses, et je voulais en parler avec elle, savoir quelle position était la sienne. Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que j'allais la voir et je pensais être favorablement connu, mais l'intendant - un homme que je n'avais jamais vu ! - m'a presque jeté dehors en me disant que Bertrade avait gravement offensé Monseigneur Louis de Navarre et que celui-ci, dans un mouvement de colère, l'avait frappée… un peu trop fort peut-être, et qu'elle avait trépassé. Quand je lui ai réclamé le corps, il a ricané en disant que les gens du prince s'étaient chargés des funérailles. Là-dessus, il a fait chercher un paquet de vieilles nippes lui appartenant - celles qui étaient neuves, on a dû se les partager ! - et il me l'a fourré dans les bras en me disant de m'en contenter, de me tenir coi si je ne voulais pas d'ennuis et d'aller me faire pendre ailleurs ! Moi, Gontran Imbert, maître mercier qui ai pignon sur rue, si grande réputation et si belle pratique !
- Ce n'est un secret pour personne ! Que n’êtes-vous allé porter votre plainte au plaid du Roi ? Vous êtes un grand bourgeois et il aime fort les gens de votre sorte.
- Moi ? Que j'aille… et dans un temps si incertain ? Il faudrait que je fusse insensé. Je… j'ai déjà peine à soutenir le regard du Roi quand il passe dans la Galerie Mercière alors…
- Vous avez préféré venir ici ! Je me demande bien pourquoi !
- Je vous l'ai dit : entrer en jouissance de ce qui me revient… et y enterrer ce paquet de hardes que vous voyez sur ma mule. J'aurais pu le jeter n'importe où mais il m'est apparu que ce ne serait pas…
- Mettre la main sur ce qui ne vous a jamais été destiné, vous trouvez que c'est mieux ? Les biens propres de ma sœur reviennent à ma fille que voici. Cette maison, du moins, dont elle a toujours dit qu'elle lui appartiendrait…
- Encore faudrait-il qu'elle l'ait écrit devant notaire ! Or je crois pas que ce soit fait. C'est regrettable mais, comme ce Clos était à mon oncle, il est normal qu'il soit à moi !
- Avez-vous consulté le notaire ?
A la petite veine qui battait à la tempe de Juliane, il était visible qu'elle luttait contre une colère envahissante et qu'il lui en coûtait de garder son calme en face de cette figure bouffie et pateline de matou content de soi. Elle eut encore plus grande envie de la griffer quand elle se para d'un sourire finaud :
- Est-ce bien nécessaire ? Votre époux et votre fils se sont mis hors la loi, dame Juliane et, de ce fait, vous et vos possessions le sont aussi. Vous n'avez donc plus rien et je vous prie de vous souvenir qu'il me suffirait de monter là-haut, jusqu'au château, pour que l'on vienne vous en déloger.
Mathilde eut un cri d'indignation et Juliane, la gorge sèche, ne trouva sur l'instant rien à répliquer. Ce fut Aude, alors, qui s'en mêla : elle se jeta entre sa mère et le mercier, blonde Némésis dont les yeux flambaient de colère :
- Il faut que vous soyez un fier misérable pour oser menacer des femmes dont la famille était la vôtre et sur qui le malheur s'est abattu, afin de profiter vilainement de leur triste situation !
- Ma famille ? Parce que votre tante avait épousé mon oncle ? C'est beaucoup dire, il me semble ! En tout cas, comme il apparaît que cette pauvre Bertrade… ainsi que vous-même, servait une putain heureusement en train de pourrir dans un cachot…
La gifle, assenée à la volée par la jeune fille avec une vigueur inattendue, lui rejeta la tête en arrière et laissa sur sa joue épaisse la trace des ongles. Il faillit tomber, resta debout par un miracle d'équilibre. Debout, mais furieux :
- Ça, la belle, tu me le paieras… Et je vais te dire comment ! Je veux bien vous garder céans, toi et tes vieilles, mais vous serez mes domestiques… et Toi tu serviras à mes plaisirs car je te mettrai dans mon lit ! grinça-t-il, les yeux fous et les dents serrées avant de courir aussi vite que le permettaient sa masse et ses jambes courtes vers sa mule, d'où il enleva le ballot qu'il envoya rouler du pied.
Puis se hissant sur sa bête, il hurla :
- Tu n'as pas fini de regretter ton soufflet, petite garce ! Demain je reviendrai… et pas seul ! Je laisserai ici ce qu'il faut pour vous apprendre à toutes qui est le maître ! Sinon…
Une sonnerie de trompe l'interrompit, et au lieu de talonner sa mule, il la retint, tendant l'oreille tandis qu'un large sourire s'étalait sur sa face :
- On dirait que je n'aurai pas loin à aller ! Ça, c'est notre sire Philippe qui vient prendre un peu de repos dans son manoir de Passiacum…
- Je croyais que vous en aviez peur ? jeta Mathilde méprisante.
Il éclata de rire en remettant l'animal en marche.
- C'était avant ! Mais, si vous refusez mes conditions, je crois que je n'aurai guère de peine à aller vous dénoncer. D'autant plus que j'aurai soin de ne pas y aller seul ! A demain…
Avec un geste dérisoire, il s'avança vers le portail du Clos qu'en revenant des bois, les trois femmes n'avaient pas songé à refermer, mais il ne put le franchir : il y avait là un homme, sale, poussiéreux, mais dont la stature lui arracha un hoquet. Jambes écartées bras croisés, l'inconnu l'attendait et il n'eut même pas le temps de lui crier de faire place : en trois enjambées, Olivier fut sur lui, l'arracha de sa selle, le jeta à terre où son beau chaperon l'abandonna.
- Pourquoi attendre ? gronda-t-il. Allons-y tout de suite !
Se penchant, il empoigna le col de la belle robe brodée pour remettre le mercier à la verticale et le faire marcher devant lui. De son autre main, il avait dégainé son couteau dont la pointe alla piquer les reins de Gontran.
- Messire ! cria Juliane affolée. Qu'allez-vous faire ? Vous nous perdez !
- Je ne le pense pas ! Il est temps que je sache ce que vaut la justice de Philippe ! Si quelqu'un se perd, je vous jure que ce sera ce gros porc ! Moi aussi peut-être, mais vous ne pouvez continuer à vivre, vous qui n'êtes que des femmes seules, ajouta-t-il en appuyant sur le « seules », avec cette menace sur vos têtes. Si je ne reviens pas prenez quelques précautions…
- C'est une bonne idée ! éructa Imbert. Parce que moi aussi je vais parler et le Roi m'entendra mieux qu'un va-nu-pieds. Je suis bourgeois de Paris…
- Et moi je suis chevalier ! J'ai nom Olivier de Courtenay ! Le Roi aussi est chevalier ! Marche à présent !
- Attendez, Messire, fit Margot, la servante que l'on n'entendait jamais parce qu'apparemment elle n'avait rien à dire. En fait de précautions, prenez donc celle-ci ! Je vais vous aider.
Elle apportait une corde avec laquelle les poignets du mercier se retrouvèrent solidement ligotés et, comme celui-ci braillait des injures, elle lui fourra dans la bouche le torchon passé à la ceinture de son devantier. Puis elle offrit le bout de la corde à Olivier avec une petite révérence :
- Ce sera plus commode comme ça !
- Merci, Margot ! sourit Olivier. Veillez bien sur nos dames… et dites adieu à… ceux qui me sont chers !
- Non ! Pas adieu ! Ou alors permettez-moi de venir avec vous, puisque c'est moi que ce vilain homme voulait salir ! Je saurai parler au Roi je l'espère, s'écria Aude qui avait suivi Margot.
- Moi, je n'en suis pas assuré. Le Roi se méfie des femmes à présent, surtout si elles sont très belles… comme vous l'êtes ! Laissez-moi faire. Ce que je veux, c'est que vous puissiez habiter en paix ici, avec vos mères et cette bonne Margot sous la garde du brave Aubin et de Blandine… comme vous l'avez fait jusqu'à présent depuis votre malheur. Qu'au moins vous reste le droit de vivre en toute quiétude !
Il parlait en appuyant légèrement sur les mots, les yeux fixés à ceux, éperdus, de la jeune fille, afin qu'elle comprit bien son intention : personne dans le village, jusqu'à présent, n'avait su la présence des hommes et c'était une chance que Mathieu et son fils fussent invisibles ce jour là. Il fallait en profiter.
- Vivre en toute quiétude ? Alors que vous allez peut-être à votre perte ? Oh, sire Olivier, ne vous retrouverai-je jamais que pour vous voir vous éloigner de moi ?
Il eut un haut-le-corps comme si elle l'avait frappé :
- Est-ce si important pour vous ? murmura-t-il d'une voix qui s'enrouait.
- Plus que je ne saurais dire.
Comprenant qu'elle était au bord de l'aveu, elle rougit, soudain honteuse d'un comportement si contraire à la retenue et même à la pudeur que cela pouvait amener à la mépriser, elle une fille du peuple qui osait lever les yeux sur lui, un chevalier… un Templier ! Alors, elle s'enfuit vers la maison en courant, les épaules secouées de sanglots. Se fût-elle retournée, le regard dont Olivier l'accompagnait eût peut-être adouci son chagrin. Il contenait un regret poignant mais aussi une lumière dont il n'avait pas conscience, mais qui était bel et bien de la joie.
- Elle vous aime…, avait dit Bertrade en son dernier souffle et Olivier, bouleversé, commençait à penser qu'elle ne délirait pas, que ce pouvait être vrai… Mais, pour l'instant, il avait mieux à faire que rêver l'impossible : par exemple, faire payer à Gontran Imbert sa vilenie. A la pensée de ce que ce pourceau lubrique voulait faire subir à |'exquise créature, son sang entra de nouveau en ébullition et il eut envie de le tuer, tout de suite ! Ce serait si simple !... Seulement, exécuter froidement un homme réduit à l'impuissance, si odieux soit-il, jamais Olivier ne le pourrait… Il enroula autour de sa paume la corde qu'il tenait toujours, la passa sur son épaule et tira :
- Allez, viens ! Il est temps de mettre de l'ordre dans ta vie comme dans la mienne…
La bannière aux fleurs de lys bougeait à peine au sommet de l'unique tour, sans fosses d'enceinte. Accotée de deux murs crénelés enfermant la chapelle et se rejoignant à une petite barbacane, elle composait le château de Passiacum. C'était d'habitude l'endroit le plus tranquille qui soit. Le châtelain, le vieux chevalier de Fourqueux, y faisait régner une certaine discipline parmi les six ou sept archers composant la garnison dans l'expectative des – rares ! - visites royales et il y serait sans doute mort d'ennui sans les parties d'échecs avec le chapelain, les repas toujours copieux qu'il partageait avec lui et l'incessant rappel de ses souvenirs guerriers. Il en assaisonnait lesdits repas, mais ceci compensait cela et le chapelain était gourmand. On vivait là en vase clos, sans autre manifestation extérieure que le tintement de la cloche de la chapelle marquant les heures canoniales.
Ce jour-là le manoir était réveillé. A l'approche de l'entrée, Olivier et son prisonnier virent deux archers près de la herse relevée et aperçurent dans la cour des sergents royaux qui, armés d'un bâton à fleur de lys, surveillaient le déchargement des quelques bagages. Naturellement deux guisarmes se croisèrent devant eux, tandis que l'un des gardes demandait en riant :
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