- Votre foi en Dieu est-elle si faible et votre orgueil si grand que vous osiez vous croire choisi par le Seigneur pour être son envoyé ? Le Pape est mort, Nogaret est mot… et sans votre aide que je sache !
- Certes, certes ! Mais le Pape Clément était environné de cardinaux qui étaient autant d'ennemis potentiels, Nogaret universellement haï vivait en bourgeois. Le Roi, couronné à Reims, l'oint du Seigneur, c'est autre chose. Il faut qu'un homme se dévoue corps et âme à sa perte et cet homme, c'est moi !
- Belle certitude ! Où la prenez-vous ?
- Dans les commandements de Maître Jacques. Il m'est apparu à plusieurs reprises dans mon sommeil et ses paroles sont gravées en moi : « Frappe hardiment ! dit-il. Frappe sans hésiter et sans faiblir ! Tu délivreras tous ceux qui gémissent sous le joug de Philippe et ta récompense sera grande quand tu me rejoindras ! »
En parlant Mathieu s'exaltait en même temps que sa figure se tournait vers le toit de la cabane à défaut de ciel.
Olivier, lui, regardait Rémi. Celui-ci hocha la tête avec un mouvement d'épaules traduisant la résignation. Difficile, en effet, de discuter avec un homme en proie à de pareilles visions ! Un peu à bout d'arguments, Olivier reprit cependant :
- Et s'il ne va pas à Fontainebleau cette année ?
- Pourquoi dérogerait-il à une habitude qui lui est chère ? Il viendra. Maître Jacques l'a promis, répondit Mathieu avec l'obstination de l'illuminé tellement sûr de son fait qu'il écarte systématiquement tout ce qui tente de se mettre en travers de son idée fixe.
Depuis qu'il le connaissait, Olivier estimait infiniment l'intelligence, la clarté de vues et le talent de ce maître d'œuvre au grand cœur et il lui était douloureux de voir tant de belles qualités - à l'exception de l'art de construire toutefois ! - se dissoudre dans une obstination aussi pernicieuse mais, comme il n'aimait pas non plus s'avouer vaincu, il essaya encore quelque chose :
- Avez-vous songé que, le Roi mort, Gontran Imbert se croira peut-être autorisé à revenir assouvir à Passiacum une sorte de vengeance ?
- Il n'a pas été pendu, celui-là ?
- A mon grand regret il a seulement été condamné à être fouetté devant le peuple, exposé au pilori avec l'interdiction formelle de s'approcher du Clos des Abeilles à moins d'un quart de lieue… mais quand la poigne de fer de Philippe disparaîtra, le Hutin ne sera guère difficile à manœuvrer.
Mathieu lui jeta un regard furieux :
- On s'en occupera en temps utile ! N'importe, vous savez ce que je pense de cette maison ! Le plus tôt mon épouse et ma fille en sortiront sera le mieux. Et puisque la quasi-impotence de ma pauvre mère ne les y retient plus, je vais envoyer Rémi les chercher. Il y a suffisante place pour elles dans ce logis que les chanoines m'ont donné. Au moins, nous y serons ensemble et prêts à gagner la frontière de l'empire une fois ma besogne accomplie !
- Parce que vous imaginez que vous en sortirez vivant ? Même si votre cible vient ici en petit appareil, il y aura toujours au moins quelques gardes, et messire de Pareilles qui n'a pas les yeux dans sa poche et qui ne vous fera pas de quartier. Que deviendront-elles en ce cas ? Vous n'êtes pas assez fou pour penser que les chanoines les garderont benoîtement alors que vous aurez trahi votre engagement envers eux pour devenir régicide ?
- Dieu y pourvoira ! Dieu… et Maître Jacques !
Décidément c'était sans espoir ! Olivier baissa les armes :
- Vous avez vraiment réponse à tout ! Ecoutez… laissez-les en repos pour le moment ! La saison s'avance. Les chemins vont devenir difficiles, surtout si neige et gel sont précoces. Une dure épreuve pour des femmes dont le deuil vient à peine de commencer. Accordez-leur un peu de temps pour pleurer dame Mathilde, votre noble mère, si tôt après la fin cruelle de dame Bertrade !
Persuadé d'avoir remporté la victoire, Mathieu laissa son visage et sa poitrine se détendre en poussant un pro fond soupir…
- Peut-être, peut-être ! Patientons encore un brin ! Il suffira de les envoyer chercher quand… ma cible - le mot lui avait plu ! - s'annoncera. Pour l'heure remettons-nous au travail ! Vous pouvez en prendre votre part, Olivier, si, comme le prétend mon fils, c'est votre désir…
- C'est mon désir, mais pas aujourd'hui. Rémi a dû vous dire que je ne fais que passer sur la route qui mène en Provence, mon pays natal et que, si j'ai souhaité faire halte ici pour répondre à la demande de votre mère et aussi pour la joie d'œuvrer quelques jours sous vos ordres comme naguère, je n'ai plus le droit de revenir à Paris.
- Vous reviendrez autant que vous voudrez quand tout sera accompli…
- Non, car j'ai donné ma parole. Et avant de passer ces quelques jours avec vous, j'aimerais aller prier sur les vestiges d'une de nos anciennes commanderies qui se trouve dans le voisinage…
Ce qu'il était en train de concocter, c'était en fait un énorme mensonge au service d'une faute plus grave encore pour son intransigeante éthique personnelle, mais une idée lui était venue qui pouvait réussir à sauver Mathieu de sa folie et les siens avec lui. Oui, il mentait mais, pire encore, il allait se trahir lui-même en violant la parole donnée au Roi. Non seulement il allait revenir sur ses pas, mais il allait aussi rentrer dans Paris en espérant que Dieu aurait pitié du pécheur volontaire, conscient de manquer à l'honneur par amitié… et par amour. Qu'au moins avant de s'éloigner à jamais il tente de préserver l'avenir, la vie de celle qu'il aimait ! Ensuite il aurait tout le temps lui restant à vivre pour faire pénitence…
A Rémi qui avait peine à cacher son étonnement, il se contenta de dire qu'il avait besoin de voir quelqu'un dont il attendait un conseil et peut-être aussi une assistance.
- Je vais essayer d'obéir à la dernière prière de votre aïeule. En attendant mon retour, veillez bien sur lui au cas où…
- J'ai compris ! Serez-vous absent longtemps ?
- Deux jours. Peut-être trois. Dieu vous garde, Rémi !
- Vous aussi Olivier !
Une heure plus tard, Courtenay repartait pour Paris.
Il y parvint le soir même, juste avant la fermeture des portes, ayant marché plus vite qu'il ne l'avait jamais fait tant il avait hâte de mener à bien sa mission et de reprendre les sentiers de la légalité. Au lieu de l'alourdir, on aurait dit que le poids de sa conscience lui donnait des ailes.
Le temps ayant consenti à rester sec, il n'était guère plus crotté qu'à son arrivée à Corbeil quand il atteignit la taverne de Gros-Moulu, et se laissa tomber sur un escabeau en réclamant un gobelet d'hypocras… Il y fut reçu avec une urbanité flatteuse. Autrement dit : on ne lui posa pas de questions indiscrètes. Le tenancier se contenta, en lui servant ce qu'il avait demandé, de faire une grimace qui, avec beaucoup de bonne volonté, rappelait ce qui pouvait être un sourire et remarqua :
- Ça fait un moment qu'on ne t'a vu ?
- Eh oui ! On ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie. Est-ce qu'il est là ? ajouta Olivier en levant le menton en direction du plafond.
- Il est même pas descendu de la journée. Faut dire que les marguilliers de Notre-Dame se préparaient pour la première messe quand il est rentré.
- Je ne te savais pas si au fait des us et coutumes de la cathédrale, fit Olivier en riant et en posant sur la table quelques pièces de monnaie. Prépare-moi quelque chose d'un peu réconfortant pour nous deux à lui monter.
Nanti de ce qu'il avait demandé - du fromage, du pain et du vin -, Olivier grimpa jusqu'à la mansarde sous le comble, trouva la porte close et frappa à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'enfin une tête plus embroussaillée que jamais se montre par l'entrebâillement. Les yeux avaient du mal à s'ouvrir, mais on le reconnut tout de même :
- Tiens ? C'est vous ? Quel bon vent vous amène ? émit Montou en considérant le repas avec satisfaction.
- Un vent en forme de point d'interrogation. J'ai besoin de votre aide.
Il faisait plus que frais dans la mansarde, la crainte de l'incendie en bannissait toute forme de feu et cela sentait le renfermé. Montou alla cependant ouvrir sa fenêtre avant de se laisser retomber sur sa paillasse en indiquant du geste à son hôte d'en faire autant. Après quoi il avala un gobelet de vin, se tailla un morceau de fromage et une épaisse tranche de pain avant d'entamer le dialogue :
- Que puis-je pour vous ? Avons-nous encore quelque jouvencelle à sauver ?
- Non. Grâce à Dieu et à vous, elle va bien. C'est son père qui court un grave danger.
- Mathieu de Montreuil ? Il a été arrêté ?
- Pas encore, mais ça pourrait bien ne pas tarder. Il a repris à son compte votre vieux projet d'envoyer Philippe dans l'autre monde ! Il assure voir en songe le Grand Maître qui l'a chargé de sa vengeance !
- Vous y croyez ?
- Pas vraiment. Il est surtout habité par une idée fixe et ne fait plus de différence, selon moi, entre le rêve, la réalité et l'impulsion de sa haine.
- Il a peut-être raison. Estimez-vous que le Pape et Nogaret ont vraiment trépassé de mort naturelle ? Je gagerais ma chemise - et je n'en possède qu'une ! - que des mains discrètes s'en sont chargées… Notre bon sire n'a que… quarante-six ans si je compte bien et c'est un athlète. Plus belle santé ne se saurait voir.
- Sans doute, mais Mathieu, le fameux soir, a reçu une sévère blessure qui lui rend difficile l'usage de son bras gauche. Il agira avec maladresse et se fera prendre…
- Et vous voulez que je l'assiste ?
- Absolument pas !
- Que j'agisse à sa place ?
- Encore moins ! La cathédrale Notre-Dame est-elle toujours votre porte-parole ?
- Pas depuis la mort de Nogaret que je n'ai pu résister à publier… mais cela devient difficile. L’évêque est méfiant et la surveillance plus étroite…
- Le garde des Sceaux est décédé il y a plus de quatre mois et, en principe, vous n'avez désormais rien à annoncer… sinon la fin du Roi et là c'est le « bourdon » sonnant en glas qui s'en chargera.
Pierre de Montou acheva le pichet de vin, se torcha les lèvres à sa manche, renifla, puis :
- Si vous me disiez au juste ce que vous avez en tête, nous gagnerions du temps.
- Je voudrais que la cathédrale adjure Philippe de ne pas s'approcher de Fontainebleau pour y chasser cet automne comme à son habitude.
- C'est là que Mathieu l'attend ?
- Pour l'instant, Mathieu est à Corbeil où il ne cesse de guetter le passage de l'escorte royale.
- Mais enfin, vous et son fils n'êtes pas assez grands pour l'empêcher de se lancer dans cette aventure insensée ?
- Heureux d'entendre que vous la jugez ainsi à présent ! Peut-être vaudrait-il mieux que je vous raconte ce qui s'est passé depuis que nous nous sommes quittés à la Tour de Nesle. Si toutefois vous avez le temps ?
Montou s'étendit de tout son long sur sa couche, les bras croisés derrière la tête :
- Oh, je l'ai largement ! Vous savez bien que je suis un oiseau de nuit !
Olivier n'était pas l'homme des longs développements, ce fut à la fois bref et précis. Montou l'écoutait, les yeux mi-clos comme un enfant que berce une belle histoire, mais les démêlés avec le Roi le remirent droit et singulièrement attentif :
- Il vous a rendu la liberté ? lâcha-t-il avec stupeur.
- Contre ma parole d'éviter Paris et de ne jamais revenir en France. Une parole que j'ai violée pour la première fois afin de venir vous voir, ajouta Olivier avec tristesse. J'ai honte, mais la sauvegarde de Mathieu est d'un tel prix pour moi ! Pouvez-vous me comprendre ?
- Il me reste assez de chevalerie pour deviner ce qu'il vous en coûte, mais vous avez eu raison de venir : je crois être en mesure de vous rassurer sans qu'il soit besoin de mes flèches ou de quoi que ce soit d'autre : le Roi n'ira pas à Fontainebleau cet automne.
- Comment le savez-vous ?
- J'ai une ou deux sources en bons lieux, mais cette fois point n'en ai nécessité car ce que je vais vous dire tout le monde le sait : Philippe laissant les affaires aux mains d'Enguerrand de Marigny a choisi d'aller prendre son repos et chasser sur les bords de l'Oise…
- Il est retourné à Maubuisson ?
- Non. A Pont-Sainte-Maxence. Près du bourg il a fondé il y a quelques années, et à la demande de son épouse, l'abbaye de Montcel confiée aux clarisses et, bien entendu, il s'est bâti à côté un petit château, proche d'ailleurs de la Cour-Basse, celui de Philippe de Beaumanoir, l'un de ses conseillers les plus écoutés. Peut-être même un ami…
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