- Cela ne veut pas dire qu'il n'ira pas aussi à Fontainebleau !
- C'est impossible. Il n'effectuera pas d'autre séjour hors de Paris alors que l'hiver approche. Ainsi, mon ami, vous pouvez repartir tranquille vers ce pauvre Mathieu. Il attendra en vain et si quelqu'un doit se charger d'exécuter les volontés du Grand Maître, ce ne sera pas lui !
Le soupir qui dégonfla la poitrine de Courtenay était de taille à faire envoler la toiture. Cet homme hors du commun avait le don de lui inspirer une confiance absolue. Cependant il voulut se faire encore un peu l'avocat du diable :
- Il peut être contraint d'interrompre son séjour. Le royaume…
- … est en paix… quoi qu'il me soit dur de l'admettre. Les ligues formées après la mort du Grand Maître ont été calmées et le prêt que Marigny a obtenu des Lombards a renfloué les finances. Enfin, souvenez-vous qu'en hiver on ne se bat pas. Le repos qu'il doit penser avoir bien mérité, le Roi le passe à Pont-Sainte-Maxence. Un point c'est tout.
Il n'y avait rien à ajouter à cela. Olivier rendit les armes avec plaisir. A présent, il avait hâte d'aller rejoindre Rémi afin de lui porter la bonne nouvelle. Lui et son père pourraient œuvrer en paix pour les chanoines de Corbeil et lui-même reprendre sa route vers le ciel bleu du pays natal. Il se leva mais Montou le retint :
- Où pensez-vous aller comme ça ? Il fait nuit et les portes de Paris sont fermées…
- C'est vrai. J'oubliais ! J'oubliais même que je suis fatigué.
- Alors demeurez et reposez-vous ! fit Montou en se relevant. Dormez tout votre soûl, les lieux sont à vous !
- Vous sortez ?
- Une ou deux affaires à régler. A l'aube je serai là pour vous dire adieu !
Ayant dit, il s'enveloppa dans son grand manteau noir, enfonça sur son crâne un chapeau informe et sortit. Sans emporter l'arc dont il jouait si bien et dont Olivier, avant de se coucher, alla s'assurer qu'il était toujours à sa place. Cela fait il s'étendit sur la paillasse et s'endormit dans l'instant.
Ce fut le coq asthmatique du prieuré Saint-Denis-de-la-Châtre relayé par la cloche de prime qui le réveilla, et aussi le froid plus mordant aux approches de l'aube. Montou n'était pas rentré. Il examina par la fenêtre le ciel qui lui parut relativement clair, puis hésita sur ce qu'il convenait de faire. Se sentant dispos, il était pressé à présent de repartir et souhaitait franchir les portes dès l'ouverture, mais d'autre part son hôte avait spécifié qu'il serait de retour à l'aube pour lui dire adieu… Après réflexion et comme la meilleure manière de se réchauffer était d'avaler quelque chose, il choisit de descendre dans la salle et d'y déjeuner en attendant l'oiseau de nuit.
Gros-Moulu y était déjà, caressant d'un balai négligent les détritus laissés par les clients de la veille, mais dans l'âtre le feu flambait et Olivier s'en approcha avec satisfaction.
- Puis-je manger un morceau ? demanda-t-il au tavernier qui n'avait pas eu l'air de s'apercevoir de sa présence.
Sans un mot, celui-ci alla couper une large tranche à un chanteau de pain, tira un pot de petite bière à un tonneau près du comptoir, posa le tout sur une table et retourna à son balai :
- C'est maigre ! se plaignit Olivier.
Gros-Moulu, décidément peu enclin à la conversation, fit signe qu'il avait compris, repartit couper une autre tranche, y ajouta un gros oignon, un morceau de fromage, une nouvelle pinte de bière et vint les servir à son client en tendant une paume significative. Olivier comprit, paya son écot et après une courte prière, s'absorba dans son repas. Cela lui prit un peu de temps. Comme le Temple l'avait appris de l'Orient, comme il l'avait appris du Temple, il mangeait lentement par respect pour la nourriture de Dieu qu'il convient de prendre en silence. Sur ce point il n'avait rien à craindre du tavernier qui continuait son esquisse de ménage sans plus s'occuper de lui. Mais, quand il en fut aux dernières miettes, il fut bien obligé de constater que Montou n'était toujours pas rentré et que le jour était levé. Il en fit autant :
- Je ne peux pas l'attendre plus longtemps, dit-il à Gros-Moulu. Je dois partir et tu lui feras mes adieux. Dis-lui aussi que, s'il a besoin de moi, il sait où me trouver. J'y serai jusqu'à la fin de l'année, précisa-t-il en ajoutant une piécette à titre d'encouragement.
Le gros homme fit signe qu'il avait entendu, toucha son bonnet et, tout de même, lâcha :
- De ton côté tu peux revenir ici quand tu veux ! Même sans lui.
- Merci !
En se dirigeant vers le Petit-Pont pour gagner la rive gauche, Olivier essaya d'analyser ce qui avait bien pu le pousser, il y a un instant, à dire qu'il resterait à Corbeil jusqu'à la fin de l'année alors qu'hier soir, après avoir reçu l'assurance que le Roi ne viendrait pas à Fontainebleau, il était décidé à reprendre son chemin à destination de Valcroze. Cela lui était venu spontanément et, à y songer, il finit par conclure en son désir profond de n'abandonner Mathieu et Rémi qu'une fois certain que, prédiction accomplie ou non - et au fond de lui-même il était persuadé qu'elle le serait ! -, l'année fatidique serait achevée. La famille de ses amis pourrait à ce moment se ressouder et s'en aller travailler en paix pour d'autres cathédrales sous d'autres cieux. A ce point de sa cogitation, la pensée que les cieux en question pouvaient être méditerranéens lui traversa l'esprit mais il la chassa avec colère. N'avait-il pas à expier le grave manquement à l'honneur qu'il venait de commettre ? Or, s'il ne savait pas encore quelle forme de pénitence lui imposerait le confesseur qui l'entendrait, elle ne pouvait en aucun cas inclure la présence d'une éblouissante jeune fille.
En entrant dans Corbeil le lendemain - sachant qu'à la tombée de la nuit les portes seraient closes - il avait demandé l'hospitalité à un monastère à une lieue de la ville - il était toujours aussi heureux de la bonne nouvelle qu'il apportait à Rémi, mais cette espèce d'état de grâce ne résista pas longtemps quand il fut aux abords du chantier. Au lieu d'être à l'échafaudage, les ouvriers causaient groupés autour de Cauvin et de Rémi. Celui-ci se détacha du groupe en apercevant Olivier. Il était pâle, visiblement inquiet, et cela pour la meilleure des raisons : Mathieu avait disparu.
- Comment ça, disparu ? demanda Olivier.
- Il a quitté le chantier hier dans l'après-midi pour rentrer chez lui. Quand j'y suis allé, moi, il n'y était pas et personne, cependant, ne l'a vu sortir. Ne sachant trop où il avait pu se rendre, je l'ai attendu. Et même toute la nuit sans qu'il reparaisse.
- Avez-vous bien visité la maison ? Il a peut-être laissé un billet, quelques lignes d'écriture.
- Je n'ai rien trouvé, mais j'étais tellement fébrile : j'ai mal cherché sans doute !
- Allons voir !
Il n'y avait rien à voir. La maisonnette au bord de l'eau était parfaitement en ordre. Rien qui indiquât un départ précipité ou une attaque quelconque. Rémi d'ailleurs s'en serait aperçu au premier coup d'œil. A force de chercher, cependant, le jeune homme finit par remarquer que, dans le coffre de son père, plusieurs vêtements manquaient en sus de ceux qu'il avait sur lui. En outre, la petite réserve d'argent qu'il y gardait était diminuée de moitié.
- Il serait parti en voyage ? conclut Rémi sans réussir à y croire entièrement. Mais pour quoi faire et, surtout, pourquoi ne m'avoir rien dit ?
- Pour que vous ne vous y opposiez pas ! Je me demande… oh, ce n'est pas possible ! Comment aurait-il pu savoir…
- Quoi ?
- Que le Roi ne viendra pas à Fontainebleau cet automne pour l'excellente raison qu'il est à Pont-Sainte-Maxence, sur l'Oise. Je l'ai appris à Paris et je me suis mis en route de venir vous l'apprendre à vous… mais en aucun cas à lui. C'était l'assurance pour nous qu'il ne commettrait pas la folie qu'il méditait. Il n'y avait plus qu'à laisser rouler le temps…
- Vous en êtes certain ?
- Oui ! A Paris tout le monde le sait, paraît-il. Il faut que Maitre Mathieu ait rencontré une personne de là-bas qui l'ait mis au courant ! Nous ne sommes pas si loin et les bateaux qui ravitaillent la ville…
Olivier s'interrompit. Bien sûr, ce ne pouvait être que cela ! Les chalands qui descendaient presque quotidiennement la Seine la remontaient aussi, tramés par les puissants chevaux au long des chemins de halage. Comment n'avait-il pas pensé qu'il ne rapportait qu'un secret éventé ? Il avait suffi que le maître bâtisseur s'entretint avec l'un de ces hommes pour apprendre ce qu'on était déterminé à lui cacher…
- Quel imbécile je fais ! exhala-t-il, furieux, puis se retournant vers son ami. Savez-vous si, hier matin, il est descendu au port et s'il a conversé avec quelqu'un ?
- Non, mais on peut toujours se renseigner…
Tous deux allèrent aux quais, et se partageant l'ouvrage, interrogèrent diverses personnes. Mathieu, avec sa stature, son bras quasi immobile et sa tête de vieux lion, y était universellement connu. Or aucun de ceux qu'ils questionnèrent ne put dire qu'ils l'avaient seulement vu et aucun bateau n'avait descendu le fleuve la veille ou le matin même.
C'était à se taper le crâne contre le mur !
Le soir venu, enfermés dans la maison, ils tinrent conseil avec Cauvin. Le contremaître n'ignorait rien des projets régicides de son patron. Il ne les approuvait pas, mais était prêt à courir bien des risques afin de lui porter secours.
- Si Olivier a raison, dit-il, l'un de nous doit aller voir là-haut ce qu'il en est. Même si nul ne s'en aperçut, Maître Mathieu a dû rencontrer un bavard quelconque.
Son regard en même temps se posait sur Courtenay, disant clairement que cette tâche lui revenait de droit. Personnellement il ne pouvait s'éloigner du chantier dont, en l'absence du patron, il assumait la bonne marche. Chose importante vis-à-vis des chanoines qui avaient pris le risque d'embaucher un homme recherché par le pouvoir. On ne pouvait les remercier en laissant tomber leur ouvrage, si généreusement payé au surplus.
Rémi, lui aussi, avait traduit le coup d'œil du contremaître. Il dit :
- Il faut que ce soit moi ! Olivier ne peut revenir encore une fois sur ses pas ! Ne demandez pas d'explications, Cauvin : c'est ainsi !
Olivier, lui, n'était pas de cet avis. Quelque chose le tracassait et il pensa tout haut :
- Cela ne ressemble pas à Maître Mathieu ! S'il était parti si loin, opérant de la sorte une totale reconversion, il n'y serait pas allé sans rien dire, en tapinois, laissant tout le monde ici dans l'embarras. Sans compter l'angoisse de Rémi. En outre, même s'il n'est plus tout à fait le même homme depuis qu'il s'accroche à ce qu'il appelle sa mission, il ne peut avoir renoncé à son sens du devoir et de la probité en se résignant à passer pour un voleur aux yeux du chapitre de la collégiale…
- Que proposez-vous alors ? grogna Cauvin.
- D'attendre encore un peu. Au moins cette nuit, et demain de chercher à en apprendre davantage. Nous avons passé le port au peigne fin aujourd'hui et sans résultat. Essayons demain le reste de la ville pour savoir si quelqu'un l'a vu, à défaut de lui parler !
- Cela me semble sage, approuva Rémi. Peut-être nous sommes-nous affolés trop vite et ne tardera-t-il plus à rentrer ?
- Pourquoi pas, finalement ? fit Cauvin en étouffant un bâillement. N'importe comment, les portes sont fermées, alors tâchons de dormir cette nuit. Demain il fera clair… du moins il faut l'espérer.
On se sépara là-dessus. Cauvin, qui logeait chez l'un des maçons, retourna vers son habitation, et Rémi tint à garder Olivier auprès de lui au lieu de le laisser retourner à l'auberge.
Au matin Mathieu n'était toujours pas revenu. En revanche, une fois prime sonnée, arriva au chantier un petit prêtre de l'église Saint-Etienne-d'Essonnes qui réclamait « Maître Bernard ». On lui indiqua la cabane aux plans où se trouvaient Rémi et Olivier. Il venait rapporter que son curé et le bailli étaient d'accord pour que le maître d'œuvre puisse récupérer quelques pierres de l'ancienne commanderie templière de Saint-Jean-en-l'Isle presque entièrement détruite.
- Il y avait à cet endroit une commanderie ? ne put s'empêcher de demander Olivier.
- Oh, pas énorme, mais avec de jolis bâtiments. Après l'avoir fouillée de fond en comble, les gens du Roi y ont mis le feu… et puis ceux du village se sont servis avant que le bailli ne fasse défense d'y toucher… Et lorsque Maître Bernard est venu…
- Quand était-ce ? interrogea Rémi.
- Il y a deux ou trois jours, je crois… Attendez, que je me souvienne exactement ! Oui, c'était il y a deux jours au matin. Il était en train de parler dans l'église avec notre curé quand j'y suis entré, encore tout ébaubi d'avoir vu passer sur le grand chemin le train de notre sire le Roi…
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