- Raison de plus pour déblayer, père ! Il faut retrouver les restes de ce démon…
- Il ne doit pas en subsister grand-chose…
- Ce que l'on trouvera, on le leur montrera avant de le jeter au torrent. Ensuite nous reconstruirons. Nous devons remettre à l'abri la cheminée dont nous ignorons si le mécanisme fonctionne encore. Si c'est le cas, il faudra le détruire afin de fermer à jamais le chemin de l'Arche qu'une occasion fortuite pourrait révéler. Et quand le mal en aura été extirpé, le père Anselme bénira solennellement notre ouvrage…
- Tu as peut-être raison et nous allons y songer. Tu ne veux quand même pas que l'on s'y mette dès à présent ?
- Le plus tôt possible. Dès que Montou et moi aurons accompli notre pèlerinage à Notre-Dame-de-Moustiers !
- Tu veux partir déjà ?
- C'est l'affaire de trois jours, sourit Olivier. Ensuite je ne vous quitterai plus…
Les deux hommes redescendirent vers le logis au seuil duquel ils trouvèrent Montou :
- Nous partirons pour Moustiers quand vous le désirerez, lui dit Olivier. Nous avons une nouvelle raison de rendre grâce.
Et en quelques phrases, il lui raconta la mort de Roncelin. Le visage de Montou était impassible en l'écoutant et quand ce fut fini il n'y eut aucun commentaire. Simplement l'ancien Templier se dirigea vers les ruines et resta à les contempler. Olivier respecta sa méditation durant quelques instants puis le rejoignit. Pierre se retourna et il vit des larmes sur son visage.
- Vous pleurez ? s'étonna-t-il.
- Pas sur lui mais sur un jeune frère que j'avais… et qu'il a jadis perverti, avili, déviant de la droite voie avec une part du Temple. Antoine s'est donné la mort et c'est pourquoi, moi, je me suis fait Templier pour chercher et punir l'auteur de ce désastre.
- Il n'est pas le seul a avoir détourné certains des nôtres, observa Olivier avec douceur. Bien avant lui, l'Orient et ses doctrines étranges nous avaient entamés.
- Sans doute, mais Antoine seul importait pour moi et mon cœur n'était pas pur quand j'ai reçu le manteau blanc. De cela aussi je dois compte à Dieu qui s'est chargé de ma vengeance… Allons à Moustiers, s'il vous plaît ! J'ai hâte d'y être…
Ils partirent dans l'heure suivante, à pied comme ils étaient venus et comme il convenait à ces errants de Dieu qui sillonnaient l'Europe vers les hauts lieux de la foi. Mais, cinq jours plus tard, Olivier revint seul…
A leur arrivée à Moustiers, le soleil arrachait des éclairs à la grande étoile de bronze pendue au-dessus de la vertigineuse crevasse entre les deux pics jumeaux. Cette vue marqua pour Montou une sorte de chemin de Damas : il tomba à genoux sur la terre puis se prosterna un long moment sans un mot avant de monter à la chapelle où jadis, Sancie venait prier Notre-Dame de ne pas laisser son fils devenir Templier.
C'était à sa mère qu'Olivier pensait sans cesse tandis que se déroulaient les rites du pèlerinage. Elle était exaucée maintenant mais au prix de tant de drames, de tant de souffrances, de tant d'épreuves que le rescapé se demandait comment elle aurait vécu cet étrange accomplissement. Alors il pria pour elle et pour les siens avec toute la ferveur de jadis sans plus se soucier de Montou que celui-ci ne s'occupait de lui. Il ne sut rien du cheminement intime du fabuleux archer qui avait osé faire parler une cathédrale, et c'est seulement quand vint le moment de se remettre en route que la fracture se manifesta : Pierre de Montou voulait entrer dans le monastère au-dessus duquel brillait une étoile qui parlait d'Orient.
Olivier ne montra aucune surprise, n'essaya pas de discuter - au nom de quel droit ? - une décision dont la fermeté ne faisait aucun doute. Et il se sépara de lui comme il s'était séparé d'Hervé : sur une chaude accolade à cette différence près qu'il lui promit de revenir parfois s'enquérir de lui. Au dernier instant, cependant, l'ancien Montou refit surface :
- J'aimerais avoir le privilège de bénir vos enfants… quand vous en aurez ! lui dit-il gravement.
Le mot fit sursauter Olivier :
- Mes enfants ? Devrais-je donc en avoir ?
- C'est le but de tout mariage chrétien, non ? Vous avez lavé votre âme et vous allez vous marier ! Cette belle jeune fille vous aime. Vous l'aimez aussi : il m'a suffi de vous voir ensemble pour en être certain.
- J'ai prononcé des vœux ! Comment pourrais-je les renier ? murmura-t-il d'une voix soudain très lasse. En bonne justice je devrais suivre votre exemple.
- Ce serait stupide. D'abord parce que je n'ai jamais été un exemple pour personne… ensuite parce que l'Eglise a effacé le Temple. S'il n'existe plus vos vœux non plus…
Depuis qu'il était arrivé à Valcroze, Olivier tentait de s'en persuader. Avait-il dit d'ailleurs autre chose à son frère Hervé au moment de le quitter ? Mais l'atmosphère de ce couvent l'avait replongé dans ses doutes et ses scrupules. Devinant ce qu'il pensait, Montou ajouta :
- Allez donc en discuter avec le père Anselme ! C'est un prêtre comme il en faudrait davantage parce qu'il sait écouter les voix de la nature… et de son Créateur ! Valcroze a besoin de vous pour continuer…
- Si Aude veut de moi, décida alors Olivier, nous le continuerons ensemble…
Tandis qu'il regagnait son château, il courait presque à tel point il se sentait pousser des ailes, tant il avait hâte de « la » revoir, de « lui » parler, de « la » conquérir enfin ! Il entra dans Valcroze comme en Paradis et sans même souffler chercha son père. Il le trouva assis dans son cabinet d'armes et si visiblement soucieux qu'il s'inquiéta, mais Renaud ne lui laissa pas le temps de poser une question.
- Tu en as mis du temps ! s’écria-t-il. Devais-tu t'attarder à ce point ? Tu avais dit trois jours !
Il semblait hors de lui et Olivier, sur le coup, ne sut quoi répondre sinon :
- J'avais besoin de prier davantage… Etait-ce d'une telle importance ?
- Plus que tu ne crois ! Ils sont partis !
- Qui ?
- Qui veux-tu ? Rémi et cette ravissante enfant !... C'est elle qui l'a voulu ! Avant-hier comme souvent elle était allée faire une promenade à la chapelle que j'ai fait édifier à l'endroit où ta mère est…
Comme d'habitude, il buta sur le mot parce qu'il refusait toujours d'associer le nom de son épouse à la mort, mais il ne fit que le sauter et reprit :
- Quand elle rentrée, Aude était bouleversée et sans rien vouloir expliquer, elle a supplié son frère de l'emmener loin d'ici.
- Mais enfin, cela n'a pas de sens. Pourquoi ?
- Encore une fois je n'en sais rien. Elle s'est tut obstinément, se contentant d'assurer que s'il ne l'emmenait pas elle partirait seule ! Il a bien fallu s'exécuter. La mort dans l'âme chez Rémi qui je crois nous aime.
- Et elle ne nous aime pas, c'est ce que vous pensez ?
- J'aurais pourtant juré que si, émit Renaud avec mélancolie. Toi, assurément, et moi il me semblait avoir gagné son affection.
- Mais enfin, père, que s'est-il passé durant cette… promenade ?
- Comment veux-tu que je le sache ? Ils sont partis ce matin.
- Savez-vous au moins dans quelle direction ?
- Quand Rémi est venu me dire combien il était désolé, je lui ai parlé d'Aix où l'on travaille à la cathédrale Saint-Sauveur qui promet d'être magnifique. Tout le pays en parle.
- Ils ont repris leur mule ?
- Je leur en ai même donné une autre. Rémi a promis de revenir achever l'effigie de ta mère…
- Il la finira avant d'entamer le moindre ouvrage où que ce soit ! gronda Olivier. Je saurai les retrouver… et il faudra bien qu'elle me dise si elle m'aime ou pas !
Un moment plus tard il était à l'écurie et sellait lui-même un cheval tant il était pressé de partir, quand Barbette s'encadra dans la porte et s'y appuya d'une épaule :
- Il va faire nuit, remarqua-t-elle tranquillement. Ils feront halte quelque part et non seulement vous ne les rattraperez pas mais vous risquez de les dépasser.
- Je sais à quelle allure peuvent marcher des mules… et je sais aussi que les haltes possibles sur leur chemin sont rares. Si Rémi est sage, ils seront à Combs afin d'attaquer au matin le haut plateau de…
- Peut-être et peut-être pas ! En tout cas, prenez ce sac ! Vous avez pensé à votre cheval mais pas à vous, ajouta-t-elle avec un coup d'œil à l'équipement sanglé à l'arçon de la selle. Vous y trouverez du pain, du fromage, des olives…
- Merci ! Mais à présent laisse-moi passer !
Barbette ne bougea pas d'un pouce, croisant même ses bras sur sa poitrine. Sa mine était frondeuse.
- Je suis montée à la chapelle ce tantôt. Il y avait là un berger qui pâture avec ses moutons.
- Tu me raconteras ça plus tard ! s'emporta Olivier. Laisse-moi passer te dis-je !
- Vous avez bien une minute ! Avant-hier il a vu demoiselle Aude et constaté qu'elle n'était pas seule. Une dame l'a rejointe…
- Une dame ? Là-haut ? Quelle dame ?
- Il ne sait pas, mais elles ont parlé un moment et demoiselle Aude est partie en pleurant.
- S'il ne sait pas le nom de cette femme, il l'a peut-être décrite ? Les bergers ont de bons yeux d'habitude !
- Il a fait ce qu'il a pu et ça m'a donné une idée…
- Laquelle ? Parle, sacrebleu ! Assez lambiné !
- ... que j'ai rapprochée d'un bruit entendu il y a deux semaines au marché de Castellane. La dame d'Esparron, qui est veuve depuis deux ans, serait à Chasteuil, chez une sienne cousine.
- Agnès de Barjols ? Aude l'aurait rencontrée ?
- J'ai l'impression que si ce n'est pas elle, ça lui ressemble beaucoup… Hé là !
Elle eut juste le temps de s'écarter : tirant son cheval après lui, Olivier marchait sur elle, sauta en selle dès qu'il fut dans la cour et fonça vers l'extérieur avec un extraordinaire sentiment de délivrance parce qu'enfin, il montait un vrai destrier et non une mule de chanoine. Enfin ! Après tant d'années, il redevenait lui-même ! Et tout de suite, entre lui et cet animal qu'il ne connaissait pas, l'entente fut totale, absolue. Il fallait qu'il en fût ainsi - et aussi qu'Olivier connût chaque pierre, chaque ravine, chaque touffe d'herbe pour qu'ils ne se rompissent pas, lui le cou et le cheval les jambes, dans les difficiles chemins.
- Il s'appelle Lancelot ! lui avait hurlé Tonin lors de sa sortie en trombe, et le nom lui avait plu.
Le soleil se couchait dans une débauche d'or et de pourpre lorsqu'il quitta Valcroze et la nuit était complète quand il passa sous Trigance si chère jadis et qu'il ne regarda même pas. En dépit de sa hâte, cependant, il dut se résigner à ralentir afin d'éviter les pièges de l'obscurité, mais continua malgré tout son chemin, parvint à Combs où il fit halte au bord de l'Artuby. Le bourg s'abritait au penchant d'un rocher où se trouvait l'église. Il était trop tard pour frapper à une porte, essayer de savoir si ceux qu'il cherchait étaient là et il se résigna à attendre le jour. Mais quand l'aube revint, Olivier apprit que si l'on avait bien vu, la veille, les deux voyageurs, ils ne s'étaient arrêtés que peu de temps et l'inquiétude lui revint : c'était folie d'avoir grimpé en fin de journée le haut plateau désertique où ils ne trouveraient rien pour s'abriter sinon d'anciennes bories…
Avec prudence cette fois, et même à certains endroits en menant Lancelot par la bride, il escalada la rude montée, poussant un soupir de soulagement quand, enfin, il déboucha sur l'immensité vide où il put se lancer au galop sans crainte de dévier car le chemin était assez bien marqué. Son regard fouillait les horizons avec au cœur une vague angoisse, se demandant où Rémi et Aude avaient bien pu passer.
Et soudain il les aperçut après avoir tourné le coude formé par un gros rocher. Ils cheminaient côte à côte, en gens que rien ne presse, mais une profonde impression de tristesse émanait de ces deux silhouettes perdues dans le gigantesque paysage. Avec un hurlement de triomphe, Olivier lança son coursier à fond de train, les rattrapa, les dépassa puis, freinant des quatre fers, fit volte-face et revint sur eux, frappé par la diversité de leurs expressions : la joie sur celui de Rémi et une sorte de crainte sur celui d'Aude comme si elle se trouvait en face d'un objet susceptible de la blesser. Ce fut à elle qu'il s'adressa après avoir envoyé un sourire à son ami et s'être emparé de la courroie de la mule de la jeune fille :
- Quoi que vous ait dit la dame d'Esparron, elle en a menti ! Jamais je ne l'ai aimée, lança-t-il avec une force qui fit tressaillir Aude peu préparée à une attaque aussi brutale.
"Olivier ou les Trésors Templiers" отзывы
Отзывы читателей о книге "Olivier ou les Trésors Templiers". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Olivier ou les Trésors Templiers" друзьям в соцсетях.