Mais Olivier déjà continuait :

- C'est vous que j'aime et depuis longtemps je crois, et c'est vous que je veux pour être ma dame épousée… si vous, vous voulez de moi !

Oh ! La belle lumière dont s'irradia le visage d'Aude où s'attardaient encore des larmes anciennes ! Cependant une inquiétude demeurait dans l'eau limpide de ses yeux et Olivier devina ce qu'elle pensait :

- Le Temple ayant cessé d'exister, mes vœux sont rompus. J'en ai reçu l'assurance du père Anselme. Il nous mariera si vous m'acceptez et si Rémi donne son agrément, ajouta-t-il en se tournant vers son ami qui, trop ému pour parler, accepta d'un signe de tête.

Olivier revint à Aude et, sans oser encore la toucher, plia le genou devant elle :

- Je ne suis plus un jouvenceau. J'ai vingt ans de plus que vous mais j'ai tant d'amour à vous donner ! Aude, Aude je vous en supplie, répondez-moi ! Voulez-vous être à moi comme je serai à vous ?

Elle lui tendit alors ses deux mains. Il les prit en se relevant et la fit descendre du même mouvement. Elle se retrouva dans ses bras.

- De toute mon âme, de tout mon corps, je veux être à vous, mon seigneur, parce que je ne me souviens pas d'avoir vécu un seul jour sans vous avoir aimé…

Elle levait vers lui son clair visage et Olivier n'eut qu'à se pencher pour trouver ses lèvres…

Une fauvette dérangée s'envola au-dessus de leurs têtes, piquant droit vers le soleil…

Un moment plus tard, ce fut en croupe sur Lancelot et les bras passés autour de la taille d'Olivier qu'Aude retourna à Valcroze.


Lorsqu'une semaine plus tard, elle s'agenouilla auprès d'Olivier dans la chapelle du château, Aude portait la belle robe écarlate brodée d'or offerte par la reine Marguerite de Provence à Sancie de Signes à l'occasion de son mariage à Saint-Jean-d'Acre. La veille, elle avait déposé sur l'autel le fermail de rubis donné par cette autre Marguerite que l'on avait trouvé morte, deux mois auparavant, dans sa prison de Château-Gaillard. Elle se refusait à la porter, préférant l'offrir à Notre-Dame…

Etant donné les circonstances, les fiancés avaient pensé se marier dans la discrétion mais, en Provence, une fête secrète ne saurait se concevoir. Barbette dut faire face, dès la veille, à quelques joyeuses cavalcades de la noblesse environnante venue, toutes bannières armoriées dehors et portant des présents comme les Rois Mages, prendre leur part des noces. Et le soir venu, ce fut une chatoyante troupe de dames qui mena au lit nuptial la fille de Mathieu de Montreuil… mais celle d'Esparron n'y était pas…

Un an après, la tour foudroyée était reconstruite. Dans les décombres, on avait trouvé, avec les restes de trois autres hommes un corps carbonisé, mais entier et encore reconnaissable. On les mit dans un sac avec un quartier de roc avant de précipiter le tout du haut d'une falaise dans les eaux tourbillonnantes du Verdon.

Le jour où le bouquet fut attaché au sommet de la tour, Aude donna le jour à un petit Thibaut brun comme une châtaigne que Renaud, lorsqu'Olivier le lui présenta, reçut avec émotion. L'élevant entre ses mains, le vieil homme alla vers une fenêtre d'où l'on pouvait voir le bâtiment neuf.

- Voilà donc la continuité assurée ! s'écria-t-il tandis que, mécontent du traitement, le bébé protestait avec vigueur. N'était-il pas étrange que Dieu nous ait chargés de garder l'un des plus grands trésors de l'humanité et le plus grand à coup sûr du peuple juif, nous qui portons en nous le sang des Rois de Jérusalem, des empereurs de Byzance et du grand Saladin ?

- Nous sommes les Veilleurs, père, et j'en ai bien conscience. J'en suis fier aussi mais… nous ne durerons pas jusqu'à la fin des temps. Qui assurera la relève ?

- Le Seigneur y pourvoira, mon fils ! Les derniers Veilleurs seront la montagne… et l'oubli.

Le mécanisme du secret ayant en effet résisté au feu du Ciel, Renaud et Olivier l'avaient détruit d'un commun accord…