- Moi, Sire, fit courageusement Cécile. Et j'ajoute, si le Roi le permet, que nous n’avons fait qu’obéir à Sa Majesté !
Mme de Maintenon se tourna à nouveau vers le Roi, lui murmura quelque chose en regardant Charlotte. Ce qui eut le don d’exciter la colère de la marquise de Montespan. Elle s’écria :
- Je me demande, Sire, quelle est la raison ténébreuse qui anime Mme de Maintenon contre cette jeune fille ? Qu’a-t-elle donc à lui reprocher ? D’être belle et d’offrir une ressemblance avec cette pauvre La Vallière ?
- Mme de Fontenac s'est venue plaindre à moi. Devrait-on ignorer la douleur d’une mère bafouée plus encore que le Seigneur Dieu ?
- La douleur d’une mère ? Laissez-moi rire, lança Madame. Mme de Brécourt, persuadée que cette femme a empoisonné son époux, ne m’en a rien laissé ignorer.
- Mensonge ! Siffla la Maintenon. Si cela était, M. de La Reynie aurait instrumenté depuis longtemps et...
- Quoi qu’il en soit, coupa le Roi irrité, cette demoiselle risque d’être à ma cour un sujet de scandale.
- Je vous ferais remarquer, Sire mon frère, qu’elle appartient à la mienne où elle n’en cause aucun. Et nous repartons demain pour Saint-Cloud, elle y compris !
- Il n’en peut être question, Madame ! Le moins que je puisse faire est de rendre cette fille à sa mère. Il me semble, ajouta-t-il méprisant, qu’elle est trop insignifiante pour nous occuper aussi longtemps. L’affaire est entendue !...
Charlotte éclata en sanglots, terrifiée par ce qui l’attendait. Elle était perdue et c'était cette femme inconnue, cette Maintenon, qui venait de décréter de son sort... Pourquoi? Que lui avait-elle fait ?... Soudain on entendit une voix douce mais cependant ferme intervenir :
- Pas pour moi, Sire ! Mme de Brécourt était de mes dames et je l’aimais beaucoup : elle ne m’a rien caché de cette triste histoire !
C’était la Reine qui se faisait entendre au milieu d’un silence stupéfait. On avait tellement l’habitude de la voir s’effacer, accepter les volontés du Roi - lui fussent-elles insupportables ! - sans mot dire que c’était un peu comme si l’une des statues venait de prendre la parole. Et Louis ne fut pas le moins surpris :
- Vous, Madame ? A quoi pensez-vous en parlant ainsi?
Marie-Thérèse était devenue très rouge. Pourtant elle poursuivit bravement :
- A la justice, Sire ! A votre justice. Et aussi à sauver une jeune fille innocente d’un sort certainement cruel. Feu Mme de Brécourt savait ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait. Et moi je vous demande instamment de me donner Mlle de Fontenac !
- Vous, si pieuse, si soumise à Dieu, vous me demandez de vous confier cette fille ?
- Oui, Sire ! Je vous le demande... moi la Reine !
Elle s’était redressée de toute sa petite taille et il émana soudain d’elle une telle majesté que Louis détourna le regard...
- Qu'allez-vous en faire ? Vous n'avez plus de filles d'honneur...
Ce n'était pas une bonne idée de lui dire cela. Marie-Thérèse en effet avait obtenu de les supprimer quand elle s'était aperçue que son auguste époux considérait la chambre de ses demoiselles comme un terrain de chasse à portée de la main...
- J’en ferai ma lectrice. Je sais qu'elle parle espagnol...
Il n’y avait plus rien à ajouter. Le mari volage força le Roi à rendre les armes :
- Qu'il soit fait selon votre volonté ! Prenez-la ! Je vous la donne. Et vous, jeune fille, remerciez votre reine !
Mais Charlotte n'avait pas attendu son ordre : elle était déjà aux genoux de Marie-Thérèse pour baiser le bas de sa robe :
- Merci ! Oh merci, Madame ! Votre Majesté n'aura pas de servante plus fidèle que moi.
On la releva et elle put constater que celle qui la sauvait tremblait autant qu’elle. L’effort que Marie-Thérèse avait fourni pour oser s’opposer ainsi à Louis, et en public, avait dû épuiser ses forces. Elle en retrouva cependant assez pour sourire à son acquisition :
- J’en suis certaine... Ma sœur, ajouta-t-elle en s’adressant à Madame, vous voudrez bien la faire conduire chez moi à Saint-Germain puisque demain nous rentrons chacune chez nous.
- Ce sera fait. En tout cas je vous remercie du fond du cœur, ma sœur ! J'aime bien cette petite qui n'a plus personne pour la protéger des mauvais procédés de... certaine dame ! Chez vous, elle sera vraiment à l'abri, renchérit-elle en lançant un coup d'œil venimeux en direction de Mme de Maintenon qui, le dos un peu courbé, s’éloignait en direction du château à la suite du Roi. Marie-Thérèse et ses dames en firent autant. Quelqu’un pourtant resta : Mme de Montespan qui riait franchement :
- Qui aurait cru Sa timide Majesté capable d'un tel exploit ! Voilà Votre Altesse Royale battue sur le terrain de la combativité ! Et pardieu, j’en suis plus aise que je ne saurais dire ! La tête de la Maintenon était à peindre !... Que lui avez-vous donc fait... Charlotte ? C’est bien cela ?
- C’est bien cela, Madame. Quant à ce que j’ai pu lui faire, je l’ignore. Je sais seulement qu'elle voit volontiers ma mère mais je ne pensais même pas qu'elle sût qui j'étais.
- Soyez sûre qu'elle le sait depuis longtemps. La seule vue de votre visage a dû l'intriguer. C'est une fouine que cette femme !... Pour ma part, je ne me reprocherai jamais assez d'avoir fait sa fortune. Et si ce palais se veut à l'image du Paradis, elle en est le serpent ! Cela posé, vous ne gagnez pas au change, ma chère. On s’amuse beaucoup moins chez la Reine que chez Madame !
- C’est sans importance ! Je me dévouerai à elle... et à vous aussi, madame, qui avez bien voulu plaider ma cause.
D’un doigt rapide Athénaïs caressa la joue de Charlotte et rejoignit le cortège qui s’éloignait. Madame et ses dames rentrèrent au château par un autre chemin. Tout en marchant la princesse mâchonnait une série de jurons qui, pour être en allemand, ne manquait pas de vigueur. Mal remise de la scène dont elle venait d’être le centre,
Charlotte ne pouvait retenir sa tristesse. Elle allait perdre ses deux meilleures amies.
- Que vais-je devenir sans votre amitié et vos conseils ? dit-elle à Cécile et à Lydie visiblement émues.
- Vous ne perdrez strictement rien ! Sa Majesté aime avoir Monsieur son frère sous les yeux et nous nous verrons souvent. En échange vous allez avoir une magnifique occasion de faire votre salut : on prie énormément chez la Reine. Vous en viendrez peut-être à regretter votre couvent ? En outre, on dirait que vous avez une alliée inattendue. La Montespan peut se montrer bonne fille quand elle veut...
De retour dans ses appartements, les ronchonnements de Madame se muèrent en cris de douleur. Le baron Gecks, ambassadeur de l’Electeur Palatin en France, l’attendait porteur d’une nouvelle qu’il délivra sans la moindre précaution :
- J’ai le regret d’apprendre à Votre Altesse Royale que son père est mort !
Une autre plus délicate se fût sans doute évanouie. Madame ouvrit la bouche pour une sorte de long hululement puis éclata en sanglots et courut se jeter sur son lit en pleurant toutes les larmes de son corps, laissant le malencontreux messager stupéfait. Il ne comprit pas davantage quand Mme de Ventadour lui montra la porte :
- Où donc avez-vous appris la diplomatie, Monsieur ? Dans un corps de garde ?
TROISIÈME PARTIE
LE RÉGICIDE
CHAPITRE X
UNE ÉTRANGE PROPOSITION
La toilette de la Reine déroulait comme chaque matin son rite immuable. Pourtant, il fut vite évident pour les dames présentes qu'il était arrivé quelque chose d’inhabituel : Marie-Thérèse n'avait pas cet air de dignité, juste teinté d’un sourire qu'on lui voyait toujours. Au point que l'on pouvait se demander si ce n'était pas un masque destiné à cacher ses souffrances, qu’elle appliquait dès le réveil. Or, pas de masque ce jour-là mais une expression de souriante douceur se rapprochant... oui, de la béatitude. Aussi les yeux des femmes de son entourage étaient-ils autant de points de muette interrogation. On pensait généralement que Sa Majesté avait dû faire un beau rêve et qu’elle était encore sous son emprise...
Assise au bord de son lit, elle avait laissé Pierrette Dufour, sa femme de chambre préférée, lui passer ses bas de soie sur lesquels Mme de Saint-Martin, dame d’atour en second, avait bouclé les jarretières de rubans ornées de bijoux sans dire un mot. Puis le sourire s’était à peine effacé pendant les premières prières mais alors qu’il arrivait fréquemment quelles fussent accompagnées d’une ou deux larmes, elles avaient cette fois une apparence d’action de grâces...
Ensuite, la Reine gagna sa chaise de commodité d’un pas léger après quoi elle revint s'asseoir tandis que commençait le ballet des pages et des chambrières portant l’eau, la cuvette de cristal, le savon de Venise et les parfums. Après cela la première tasse de chocolat fut dégustée avec un plaisir visible. Et d’ailleurs aussitôt suivie d’une autre. Toujours en silence ! Aussi le cercle féminin regardait-il avec quelque agacement la naine Chica qui dormait habituellement dans la ruelle du lit et qui prenait des airs importants.
Cela fait la Reine prit sa chemise des mains de la maréchale de Béthune, première dame d’atour, puis on la vêtit d’une jupe de soie blanche, si étroite qu'elle épousait ses formes dodues, d’un léger corset en toile fine généreusement pourvu de baleines que l’on laça pour essayer d’affiner sa taille. Soudain, la duchesse de Créqui, dame d’honneur qui avait tiré la naine à part pour la confesser, s’écria avec un sourire épanoui :
- Mesdames, je crois qu’il nous faut demander à Sa Majesté la permission de lui présenter nos félicitations émues. Notre Reine a reçu, cette nuit, la visite de son auguste époux !
L’événement ne s’était pas produit depuis des années, aussi toute la chambre entra-t-elle en ébullition et les félicitations fusèrent tandis que Marie-Thérèse riait sans retenue en frottant ses petites mains l’une contre l’autre comme elle le faisait autrefois lorsque, toute jeune épousée, on la plaisantait gentiment sur l’assiduité d’un mari qui s’en serait voulu de laisser passer une seule nuit sans la rejoindre. Et ce, quelle que fût la maîtresse du moment. Or, cette bonne habitude Louis l’avait abandonnée quand sa passion pour Mme de Montespan avait flambé au point de lui faire dédaigner le devoir conjugal. Sans jamais le montrer, Marie-Thérèse avait souffert le martyre. Une seule fois, après avoir vu Athénaïs lui passer devant le nez dans la voiture du Roi, la coupe avait débordé et elle s’était écriée :
« Cette pute me fera mourir ! »
Rien de plus et jamais plus ! Mais, retombée dans son silence, la pauvre petite reine s’était efforcée de faire bon visage à celle qui lui déchirait le cœur. Ce dont d’ailleurs on ne lui avait su aucun gré. N’était-il pas normal qu’une femme se soumît aveuglément aux volontés de son époux ?
L’annonce de la « bonne nouvelle » mit un peu de désordre dans le cérémonial. Les dames parlaient toutes à la fois tandis que l’on coiffait les cheveux blonds restés très beaux, dont le cendré s’accentuait de fils d’argent lui conféraient la quarantaine et qui lui allaient bien. Le bonheur surtout lui allait bien ! Elle avait rajeuni de dix ans et le bleu de ses yeux, trop souvent rougis, retrouvait de l’éclat.
La voix de la Reine soudain domina le brouhaha :
- Je crains, dit-elle, de m’être montrée fort injuste envers cette pauvre Mme de Maintenon dont le Roi mon époux accepte les conseils. Au fond c’est une excellente personne et une vraie chrétienne.
Mme de Créqui, dont on n'était pas persuadé qu'elle en fût une vraie, protesta :
- La Reine est trop indulgente ! Quelle sorte de conseil une femme comme elle pourrait-elle bien donner ?
- A moi, non, mais au Roi si... Elle lui a fait comprendre qu’un époux vertueux se devait d’abord à sa femme et que c’était elle le véritable refuge dans la période troublée qu’il traverse. Et mon cher mari l’a écoutée. A y penser, s'il se reprend d'amour pour moi, c'est à elle que je le dois. Il faudra que je l'en remercie !
Le silence stupéfait qui suivit cette déclaration inattendue vola en éclats : Mme de Montespan, surintendante de la Maison de la Reine, faisait son entrée quotidienne c’est-à-dire accompagnée de quelque fracas. Elle avait entendu la réflexion de Marie-Thérèse et s’en indigna. Sa voix sonna haute et claire :
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