- ... Si vous ne l’êtes pas, vous le serez. Disons que vous avez des espérances ! Je reprends : nous ne sommes pauvres ni l’un ni l'autre. En outre je suis à Monsieur, vous êtes à la Reine qui nous veulent du bien... Le Roi même serait favorable. Que demander de plus ?
- Le fait que ma mère ait probablement empoisonné mon père ne vous dérange pas ?
- S'il fallait écouter tous les potins ! Et puis vous ne feriez jamais une chose pareille ! Pas à moi ! Ne vous ai-je pas sauvé la vie ?
Le lui rappeler était un manque de tact mais le bon Saint-Forgeat était si content de lui qu’il ne l’aurait pas crue si elle lui avait dit qu’il était un malotru...
- Je ne l’avais pas oublié, rassurez-vous ! Quant à vous épouser...
Elle se donna le temps de l’examiner, essayant d’imaginer ce que ce pourrait être de partager la vie avec cette grande asperge qu’elle n’arrivait pas à trouver belle, en dépit de son nez grec, de sa bouche délicate, de ses yeux bleus et de ses cheveux... d’une couleur indécise. Elle l’avait connu en effet sous un amas de frisures d’un noir profond et elle le retrouvait tirant sur le brun roux. Il est vrai que la mode des grandes perruques permettait toutes les fantaisies. Pour le reste c’étaient toujours les mêmes gestes précieux, l’abondance de rubans - couleur d’aurore ce jour-là ! -, le même air perpétuellement las et le même parfum entêtant... sans parler de cette voix haut perchée !... De plus, la mémoire de Charlotte lui joua soudain le tour de faire apparaître en surimpression l’image d’Alban qui se chargea de changer son envie de rire en envie de pleurer. Mais il fallait répondre. D'ailleurs le prétendant s'impatientait :
- Alors ?
- Je ne sais pas si vous allez me comprendre et surtout je ne voudrais pas que vous en fassiez une affaire personnelle mais pour le moment c’est non. En fait... je n’ai pas envie de me marier du tout !
- Vous voulez rester vieille fille ? Avec votre tournure ?
- Je n’en suis pas encore là.
- Non, mais c’est vite venu !
- Peut-être... Disons que je me réserve un peu de temps pour penser au mariage. J’ai vécu des moments difficiles mais depuis que je suis chez la Reine, je goûte une paix profonde.
- Je ne vois pas pourquoi une union avec moi changerait quelque chose. Il est hors de question que je quitte Monsieur, moi ! Notre position s’en trouverait même renforcée !
- Je ne voudrais pas vous contredire. Eh bien, disons que j’ai besoin de réfléchir. Vous conviendrez que votre demande est un peu subite.
- Absolument pas ! J’y songe depuis longtemps !
- Que n’en avez-vous parlé plus tôt dans ce cas, j’aurais eu le temps d’y réfléchir. Ce que je ne manquerai pas de faire...
- Quand pensez-vous me rendre votre réponse ?
Seigneur ! Il devenait agaçant ! A quoi rimait cette hâte intempestive de la faire passer devant l’autel ?
- Est-ce que je sais ? Pour l’heure présente c’est non... mais il se peut... qu’à la longue... je change d’avis !
- Je ne saurais trop vous le conseiller ! Si vous tardez trop, il se pourrait que ce soit moi qui change d’avis !
Et, sur un salut désinvolte, il recoiffa son chapeau et partit à grands pas. Charlotte le suivit des yeux en retenant une hilarité dont l’envie ne dura guère. Il y avait dans cette curieuse façon de demander une fille en mariage un ou deux points qui donnaient à penser. A commencer par l’assurance que le Roi serait d’accord et aussi la hâte que Saint-Forgeat semblait avoir de l’épouser alors qu’elle n’était pas - et de loin! - le plus beau parti de la Cour.
Quittant non sans regrets son buisson de roses, Charlotte se mit à la recherche de Theobon, la seule à qui elle pût raconter son histoire pour obtenir en échange un conseil judicieux. Mais elle ne la trouva pas et finit par apprendre que Madame l’avait dépêchée à Paris faire des emplettes. Elle en fut contrariée, surtout en apprenant que Lydie ne serait pas de retour avant le départ du Roi et de la Reine. Restait Cécile, mais sur l’ordre de Madame qui appréhendait de voir ses enfants mélangés à la Cour, elle les avait emmenés en voiture faire collation sur les bords de la Seine. Inutile donc de la chercher et puis la pauvre était suffisamment occupée d’un mariage qui ne l’enchantait pas !
L'idée lui vint d’en parler... au Roi ! Pourquoi pas ! Leurs fortuites - et brèves ! - rencontres dans les jardins avaient effacé la crainte qu'il lui inspirait. Quand il le voulait, le potentat pouvait être charmant et Charlotte sentait fondre peu à peu l’impression pénible laissée par leur première entrevue. Mais il faudrait attendre. A Saint-Cloud, Sa Majesté se devait à ses hôtes.
En revanche, elle croisa Mme de Montespan sortant de chez la Reine au moment où elle allait y rentrer. La marquise la prit par le bras et l'entraîna dans l’encoignure d’une fenêtre :
- Pourquoi ne portez-vous pas les robes que je vous ai envoyées ?
- Je sais que j’aurais dû vous remercier plus tôt, Madame, mais c’est que... j’hésitais à les conserver.
- Vraiment ? Et me direz-vous pourquoi ? Elles ne vous plaisent pas ?
- Oh ! Elles sont exquises ! Et je craignais qu’on ne les remarquât trop ! On me sait pauvre...
- N’exagérons rien ! La Reine y a mis bon ordre, n’est-ce pas ?
- En effet... et c’est justement parce que ces atours sont destinés à attirer l’attention du Roi que j’ai scrupule à les porter... Si le Roi me montrait plus d’intérêt, la Reine pourrait être mécontente...
- Mais quelle bécasse ! Vous n’êtes pas favorite déclarée que je sache ! Ces robes peuvent être un cadeau... posthume de votre marraine ? C’est tout à fait dans la manière des contes de M. Perrault ! A cela près qu’il vaut mieux ne pas m’attribuer le rôle de la bonne fée. Vous seriez tout de suite suspecte ! ajouta-t-elle avec une soudaine amertume. Et cette vieille garce de Scarron aurait tôt fait de vous les faire enlever! En outre il est naturel que vous cherchiez un époux...
- Le malheur est que je viens d’en trouver un...
- On vous a demandée en mariage ?
- Pas plus tard qu'il y a cinq minutes... et j’en ai été abasourdie !
- Qui est-ce ?
- Le comte de Saint-Forgeat et...
Le fou rire de Mme de Montespan lui coupa la parole. Interdite, elle resta là à la regarder se tordre de si bon cœur qu'il était difficile de lui en vouloir. Mais la marquise se calma vite.
- Un de plus ! Exhala-t-elle en s'essuyant les yeux. Et comme ceux de Charlotte s’arrondissaient, elle expliqua :
- Vous ne pouviez pas le savoir mais il y a ces temps derniers une grande furie de mariage chez les amis de Monsieur. La meilleure manière, selon eux, de se prémunir contre l'accusation de sodomie est de convoler en justes noces! Votre Saint-Forgeat suit leur exemple, rien de plus... et pardonnez-moi si je vous enlève quelques illusions !
- Oh, son discours était loin d'être romantique ! J'avais plutôt l'impression qu’il cherchait à conclure une affaire. Seulement je ne comprends pas : depuis la clôture de la Chambre ardente, je pensais ces messieurs à l’abri des poursuites ?
- Parce qu’ils en profitent pour tourmenter cette pauvre Madame ? Ne vous y trompez pas. Si certains sont rassurés au point de se sentir quasiment intouchables, tel le chevalier de Lorraine qui tient Monsieur et le tient bien parce que c’est son plus grand amour depuis le comte de Guiche, la foule des autres sait parfaitement qu’on n’y regarderait pas à les éliminer. Le Roi n’a jamais aimé la confrérie. Même s’il a toujours fait en sorte de favoriser les goûts de son frère, certains bruits lui viennent aux oreilles. Se marier - et dare-dare ! - leur paraît une garantie convenable.
Cette fois, Charlotte avait compris. Du coup elle en profita pour lâcher ce qui la tourmentait :
- L’ennui c’est que M. de Saint-Forgeat prétend que le Roi est favorable à cette union ?
- Tiens donc ! Cela m'étonnerait fort... à moins que notre Sire préfère courtiser une femme mariée de préférence à une jeune fille ?... J’en suis la meilleure preuve... mais gardez-vous de répondre pour l’instant ! Il me faut savoir ce qu’il en est. Pour conclure : allez-vous vous décider à porter mes robes?
Et comme Charlotte se taisait :
- Avez-vous attentivement regardé la figure de Madame? J’ai bien peur que ses beaux jours ne soient derrière elle. La confrérie a juré sa perte et - chose incroyable chez une femme qui prétend incarner la vertu ! - la Maintenon la souhaite tout autant. Alors ? Allez-vous me rendre mes robes ?
- Non !... Quand nous serons à Versailles, je les porterai!
Le cortège royal quitta Saint-Cloud le 6 mai, après avoir remercié chaleureusement Monsieur et Madame de leur accueil. Chacun put remarquer que Louis XIV s’était attardé en gardant la main de sa belle-sœur dans la sienne et lui avait murmuré quelques mots à l’oreille, faisant ainsi revenir le sourire qu’on ne lui voyait plus guère. Après quoi, se tournant vers Monsieur :
- Je vous ai donné la meilleure des épouses, mon frère. Ayez-en quelque soin !...
Incontestablement Versailles avait fait de gros progrès depuis que Charlotte l'avait vu. L’aile du Midi était achevée ainsi que les Grands Appartements et la chapelle[24]. Pourtant des centaines d’ouvriers s’activaient encore aux terrassements, aux réservoirs et à la nouvelle Orangerie. Les jardins étaient terminés mais c’était à présent au parc que l’on travaillait. On y apportait des chênes, des conifères, des sycomores, des tilleuls, des marronniers, six mille ormes et quatre millions de « pieds de charmille » arrachés à la forêt de Lions en Normandie.
Quoi qu’il en soit, l’éblouissement fut total quand, après l’entrée triomphale saluée par les trompettes et les tambours, on découvrit les Grands Appartements. Celui de la Reine arracha à celle-ci une exclamation :
- Oh ! Que c’est beau !
Ensuite, les mains jointes devant sa bouche pour endiguer son enthousiasme, elle parcourut ce qui devenait son domaine: le magnifique escalier de marbre polychrome séparant la salle des Gardes de l’Antichambre suivie de la Chambre, étourdissante avec la barrière d’argent séparant le lit du reste de la pièce, ses sièges d’argent couverts de brocart, ses meubles de bois rares, ses tapisseries parfilées d’or, les peintures de son plafond représentant les reines de l’Antiquité, ses tapis de soie, ses moulures d’or, ses bronzes dorés, ses lustres chargés de cristaux et tout ce qui pouvait séduire une femme en chantant la gloire de son époux. Cette gloire omniprésente dans le palais grâce au pinceau prestigieux de Le Brun ou de Mignard - subtilisé à Monsieur ! - et à l’art des bronziers. Partout des marbres de couleurs et de provenances différentes, carrare, brocatelle, turquin, cipolin, sans oublier les onyx, les malachites, les lapis-lazuli et l’or, encore de l’or, toujours de l’or. Et puis les énormes lustres en cristal de roche pendus aux plafonds, très hauts, qui parachevaient l’élégante richesse de l’ensemble. Inutile d’ajouter que, chez le Roi, c’était encore mieux.
Le premier éblouissement passé, chacun, à l’exception de la « famille », des favorites et des Grands Offices, se mit à la recherche de son logement. Charlotte et les femmes n’eurent pas à aller bien loin : elles habiteraient des petites pièces d’entresol donnant sur une cour intérieure. Elles furent émerveillées par la splendeur du palais mais un peu effrayées par ses dimensions et les vastes espaces qu’elles découvraient. En outre elles regrettaient à l’unanimité le bon vieux Saint-Germain où l’on se sentait tellement chez soi ! La Reine elle-même, s’apercevant que la future galerie des Glaces reliant son appartement à celui de son époux n’était pas encore praticable - elle était bâtie mais loin d’être achevée -, s’en montra contrariée. D’autant plus que ceux de Mme de Montespan et de Mme de Maintenon étaient du côté du Roi ! Mais elle fut tout de suite emportée par la série de fêtes et de réjouissances diverses qui marquèrent pour le château et pour la ville l’installation définitive... On en profita pour établir la liste des plaisirs réguliers. Il y aurait comédie trois fois la semaine, bal tous les samedis et les trois autres jours musique et chant à partir de six heures du soir. Sans oublier évidemment le jeu auquel on s’adonnerait... quasi quotidiennement.
De son précédent séjour à Versailles, Charlotte gardait un souvenir relativement serein. Sans doute parce qu’elle s’y trouvait un peu à l’écart de la Cour proprement dite. Les appartements de Madame, pour être splendides, n’étaient pas - et de beaucoup ! - les plus fréquentés, la Palatine n’ayant aucune des qualités qui font les astres, telles que les possédait l’exquise et fragile Henriette d’Angleterre. Sachant que le Roi l’aimait bien et partageait avec elle les plaisirs violents de la chasse, on la ménageait. Elle avait ses fidèles comme en avait aussi la Reine. Mais la majorité des courtisans fréquentait plus volontiers - outre les appartements sacro-saints du Roi - ceux des favorites. Après La Vallière, il y eut Montespan puis Fontanges et à présent Maintenon, encore que cette dernière refusât le plus souvent les rayons du soleil pour s’en tenir à un éclairage plus discret.
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