Quelques jours après, le 21 octobre 1652, le jeune roi quittait Saint-Germain où il était revenu depuis peu et, à la tête d’une armée, faisait à Paris une entrée véritablement triomphale. Dans un carrosse derrière lui venait la Reine accompagnée de Monsieur, tout sourires…

En arrivant au Louvre on y trouva le cardinal de Gondi, environné de son clergé, qui les régala d’un long compliment…

Dès le lendemain, le Roi signifiait ses volontés au Parlement en lui interdisant de s’occuper désormais des affaires de l’Etat. Puis des lettres de cachet furent envoyées aux ducs de Beaufort et de Rohan, ainsi qu’aux présidents Viole, Broussel, Perrault et autres Frondeurs de quelque importance.

Enfin trois dames de haute naissance étaient chassées de la Cour comme ennemies du Roi : Mademoiselle pour avoir osé faire tirer contre lui les canons de la Bastille, Mme la duchesse de Longueville… et Mme la duchesse de Châtillon comme trop dévouée à Condé. Elles étaient reléguées dans leurs terres – Isabelle à Mello ! – avec défense d’en sortir !

Pendant qu’il y était, le bon abbé Basile obtint l’arrestation du cardinal de Retz qui se croyait pourtant en si bons termes avec la Reine. On s’empara de sa personne indignée au Louvre même alors qu’il venait faire sa cour !…

Cette fois la Fronde était bien morte.

Le 26 octobre, Louis XIV rappelait Mazarin qui n’arriva que le 3 février suivant et, comme on pouvait s’y attendre, reçut de Paris… un accueil triomphal !

Mais le 17 novembre le prince de Condé était nommé généralissime de l’armée espagnole…



1 Je n’ai pu découvrir les noms des autres combattants à l’exception de Pierre de Villars, père du futur maréchal, tenant de Beaufort et qui survécut. Parmi les autres deux furent tués et deux blessés. L’hôtel en question s’élevait à l’emplacement de la place Vendôme.

2 C’est sans doute dans ce double jeu qu’il faut chercher la raison de ce que Mademoiselle raconte dans ses Mémoires touchant Isabelle et dont on ne trouve confirmation nulle part ailleurs.

3 Fief du duc de Longueville par-dessus le marché !

4 À cette époque le dîner était notre déjeuner actuel.

4

Exilée !

Se retrouver coupable de trahison après avoir tant œuvré pour ramener Condé dans le droit chemin ulcéra Isabelle… Alors qu’elle s’était dépensée sans compter pour sauver son amant de lui-même, atterrir dans le même panier qu’une Longueville qui, depuis des années, ouvrait largement à l’Espagne l’estuaire de la Gironde, lui était intolérable. Son ennemie n’allait-elle pas jusqu’à s’appuyer sur un parti, l’Ormée, nettement révolutionnaire, qui ne rêvait rien de moins qu’établir sur tout le Bordelais une sorte de république dont la « merveilleuse duchesse de Longueville » eût été le symbole et même la déesse ? Isabelle, pour sa part, n’avait pas une goutte de sang sur les mains ce qui n’était pas le cas – et de loin ! – de l’infernale duchesse que liaient à ses deux frères des amours incestueuses lesquelles s’accommodaient fort bien d’autres amants comme ce malheureux La Rochefoucauld, presque aveugle et parti enfermer dans son château de Verteuil ses souffrances et son désespoir. Qu’il allait d’ailleurs traduire en Mémoires et maximes amères et magnifiques1.

Témoins d’abord impuissants de la détresse d’Isabelle, Mme de Brienne et Marie de Saint-Sauveur s’étaient relayées pour la guérir d’on ne savait quelle folie née moins de la funeste décision de Condé que d’avoir vu son cher petit frère le suivre vers ce qui ne pouvait être que sa perte. Dans ses cauchemars les deux femmes pouvaient l’entendre balbutier, les larmes coulant sur ses joues :

— Le troisième Montmorency à l’échafaud… Le troisième Montmorency à l’échafaud !…

Cela dura trois jours et trois nuits au bout desquelles, enfin, Isabelle retrouva la claire conscience. Pour apprendre que, vu son état de santé, on lui accordait deux jours pour se remettre et prendre le chemin de Mello, faute de quoi elle y serait conduite de force, un ordre d’exil étant exécutoire aussitôt promulgué.

Sur une nature moins combative que la sienne, cette cruauté supplémentaire eût généré un surcroît d’abattement. Isabelle s’en trouva remise instantanément à la grande joie de ses deux amies.

— Qui a signé cela ? demanda-t-elle en considérant l’imposant paraphe – imposant mais illisible ! Je ne connais pas cette écriture ! Oh, et puis après tout qu’importe ! Que l’on achève les préparatifs ! Je veux être à Mello ce soir !

— Vous êtes encore bien pâle ! observa Marie de Saint-Sauveur. Laissez-moi vous accompagner !

— Et moi, pendant ce temps-là, je verrai la Reine et j’irai à Mello vous rendre compte  ! Il est inconcevable que vous receviez un châtiment si peu mérité ! La Longueville, oui, Mademoiselle largement plus puisqu’elle a osé faire tirer le canon sur les troupes royales, mais vous qui n’avez cessé de prêcher la concorde et l’apaisement, c’est non seulement injuste mais inimaginable !

— Veillez surtout à ne pas y perdre votre crédit ! lui recommanda Isabelle. On aurait pu me frapper plus cruellement !… En m’enlevant Châtillon d’abord…

— Châtillon est à votre fils puisqu’il en est le dernier duc… De toute façon être exilé sur ses terres provinciales n’entraîne pas la confiscation des propriétés. Il en va tout autrement du bannissement hors de France et, naturellement, de la peine de mort. On ne vous reproche qu’une trop grande amitié pour Monsieur le Prince. Lui relève de la haute trahison. S’il était pris en France il pourrait y laisser sa tête…

— C’est pourquoi j’ai tout tenté pour le retenir sur la pente fatale !

— Et parce que vous l’aimez ! L’amour n’est pas un crime et la Reine doit être la première à le comprendre.

— Malheureusement je n’ai même pas pu retenir mon François. Il en a fait son dieu. Et c’est pour lui que j’ai si peur ! Ce n’est pas un prince du sang, lui… et si on le capture…

— Cessez de cultiver les idées noires ! Cela ne vous convient pas, ma chère petite ! Songez plutôt que vous allez pouvoir vivre avec votre fils ! Vous ne l’avez pas vu depuis longtemps et il doit vous manquer !

— Oui et non ! Vous allez me prendre pour une mère indifférente, je vous jure toutefois que ce n’est pas le cas. Je l’aime mais ces temps derniers j’ai vécu dans un tel tourbillon que je n’y pensais même pas. Je sais qu’il est au mieux auprès de ma mère ! Cependant quand j’y pense, je vous avoue que j’ai un peu honte ! Je ne suis personne pour lui… et il risque de ne pas me reconnaître !

— Quel âge a-t-il ?

— Il vient d’avoir trois ans !

— Vous pourriez avoir une surprise ! conclut Mme de Brienne avec un bon sourire.

Et, en effet, quand on atteignit le château où chacun était prévenu de l’arrivée de la duchesse, Bastille qui l’escortait à cheval fit arrêter l’attelage quand on fut en haut de la rampe d’accès2 mais déjà Isabelle avait ouvert la portière, sautait à terre et courait vers le petit groupe qui venait de s’immobiliser en l’entendant. Deux femmes, Mme de Bouteville et Jeannette, la nourrice, tenant chacune une main de l’enfant, s’apprêtaient à rentrer après une promenade.

Isabelle ne vit que le bambin. Il était chaudement vêtu d’un manteau de la couleur de ses yeux bordé de fourrure blanche et coiffé d’un béguin assorti d’où dépassait une boucle blonde. Se sentant solidement étayé de chaque côté, il agitait ses courtes jambes en gloussant sur le mode aimable quand Isabelle l’enleva de terre pour le couvrir de baisers qui semblèrent le ravir :

— Mama ? émit-il joyeusement en appliquant une tape sur le visage maternel, prêt à recommencer.

Isabelle, les larmes aux yeux, attrapa la menotte au vol pour la baiser.

— Il me reconnaît ! s’écria-t-elle, transportée de bonheur. N’est-ce pas merveilleux ?

Et de l’embrasser de plus belle.

— Si vous continuez, ma fille, vous allez l’user ! remarqua Mme de Bouteville en riant. Et il n’y a là rien de merveilleux. Simplement il est intelligent et comme ici on lui parle quotidiennement de vous, en vous décrivant, il a tout de suite compris qui vous étiez !

— Quel bonheur, mon Dieu !

L’intensité de sa joie la surprenait elle-même. Ce petit bout d’homme dont il fallait reconnaître qu’elle ne s’était guère souciée – sans doute parce qu’elle le savait entre de bonnes mains ! –, voilà qu’il prenait tout à coup une place énorme et faisait reculer la douleur de la séparation. Dans les jours qui suivirent, elle s’occupa presque exclusivement de lui, retrouvant ses sensations et ses fous rires d’autrefois quand, fillette, elle jouait avec François. A cette différence près que le jeune frère ne rêvait déjà que plaies et bosses tandis que Louis-Gaspard réclamait plein, plein de câlins, surtout quand arrivait le soir. Après son repas, il venait se nicher dans les bras de sa mère qui lui faisait dire une courte prière puis il s’endormait presque aussitôt après avoir mis dans sa bouche son pouce qui n’y demeurait pas longtemps. Il ne restait plus à sa mère qu’à le déposer dans son lit sur un dernier baiser.

La toilette du matin était elle aussi un important moment de félicité. Au contraire de nombre de ses contemporains – et singulièrement de Condé qui n’avait pas grand-chose à envier, côté fumet, à son père et au défunt roi Henri IV –, la jeune duchesse vouait un véritable culte à l’eau et au savon et se lavait tous les jours avant d’user d’une huile légère et parfumée qui gardait à sa peau cette souplesse et cette douceur qu’on lui enviait…

Grâce à elle, son fils se retrouva régulièrement dans un bac à lessive apporté devant une cheminée et découvrit rapidement le plaisir qu’il pouvait y avoir à barboter. Il riait et tapait dans l’eau avec ardeur sous l’œil surpris de sa grand-mère. Si Mme de Bouteville avait appris la propreté à ses enfants, elle ne s’était pas hasardée jusqu’au bain quotidien.

— Vous êtes certaine de ne pas lui donner des habitudes excessives ? demanda-t-elle un jour à sa fille. Qu’en sera-t-il lorsqu’il atteindra l’âge de passer aux mains des hommes ?

— S’il éprouve le besoin d’être propre, il s’arrangera pour trouver un moyen de se récurer. Même aux armées ! Je sais que François trouve sans faillir un ruisseau, une rivière ou un étang pour se laver. Ce qui me tourmente le plus c’est justement à qui le confier quand viendra l’âge. Il n’a plus de père et son oncle sert sous les couleurs de l’Espagne…

En voyant s’assombrir le visage de sa mère, elle regretta de n’avoir pas su retenir le nom détesté. Comme si elle ne savait pas que celle-ci avait retrouvé l’angoisse d’autrefois quand elle luttait désespérément pour arracher son époux à son sort ! Elle vint à elle et la prit dans ses bras :

— N’y songez pas, mère ! Dites-vous plutôt que si même on parvenait à se saisir de Monsieur le Prince, le Roi n’oserait pas l’envoyer à l’échafaud ! Le peuple l’a trop porté aux nues et pendant trop longtemps pour que l’on ne risque les émeutes, les barricades et les chaînes. Un jugement plus cruel pour François serait intolérable… et puis Mazarin n’est pas immortel. De toute façon nous sommes convenus, Condé et moi, de correspondre et c’est déjà beaucoup car je ne cesserai pas de lui prêcher le retour à son devoir… et qu’il ramène mon frère à une plus juste notion des réalités…

De Mello sur lequel l’hiver ne tarderait pas à se refermer, les nouvelles de Paris n’avaient rien d’affligeant. On n’en finissait pas de fêter le retour du Roi, et Mme de Brienne retournée faire sa cour à la Reine emplissait des feuilles et des feuilles avec la simple énumération des bals, comédies et réjouissances de toutes sortes ne cachant pas qu’elle espérait de « grands adoucissements dans les temps peut-être proches » quand, portée par les espions du Cardinal, la nomination de Condé à la tête des armées espagnoles éclata comme une bombe, déchaînant la colère du Roi. Fin novembre était publiée dans toute la France la condamnation royale « contre les princes de Condé, Conti, la duchesse de Longueville, le duc de La Rochefoucauld et le prince de Talmont, les déclarant rebelles, criminels de lèse-majesté, perturbateurs du repos public et traîtres à leur patrie ». Comme tels « déchus de tous honneurs, dignités, offices, pensions, gouvernements et tous droits quelconques qu’ils pourraient prétendre dans le royaume », et prononçait la confiscation de tous leurs biens…

Cette fois il n’était pas question de Mme de Châtillon qui n’en demeurait pas moins exilée. Tout comme Mademoiselle qui était allée se morfondre à Saint-Fargeau où son père la laissait benoîtement se ronger les ongles en se gardant prudemment d’intercéder pour elle : n’avait-elle pas eu l’audace de l’obliger à lui remettre les maudites clefs de la Bastille, causes de tout mal ? Ce bon père en avait exprimé haut et fort une vertueuse indignation, encouragé dans cette voie par son épouse, Marguerite de Lorraine – sœur du duc à éclipses ! –, qui détestait cordialement sa belle-fille. L’oncle du Roi était mieux en cour que jamais, et l’on put même le voir converser agréablement avec Mazarin.