Pour en revenir à Isabelle, sa mère et Mme de Brienne lui firent comprendre que finalement elle n’était pas si mal lotie, simplement assignée à résidence dans le plus joli de ses châteaux, où elle pouvait recevoir qui elle voulait… et même qui elle ne voulait pas.
C’est ainsi qu’au lendemain de la condamnation royale, alors qu’elle était seule au château – sa mère était retournée passer quelques jours à Précy et Mme de Brienne était à Paris –, Agathe vint lui annoncer que l’abbé Fouquet venait d’arriver et souhaitait être reçu.
— Il est seul ou accompagné ?
— Non. Il est seul ! Arguant le froid, il a demandé que l’on mène son cheval à l’écurie…
— Qu’on en prenne soin mais qu’on le tienne prêt à repartir ! J’espère que cet individu n’a pas la prétention d’être invité à rester cette nuit ?
Elle était plus que mécontente. Cette venue tardive alors que le gel n’était pas loin et que le soleil n’allait pas tarder à disparaître ne lui disait rien qui vaille. Elle donna cependant l’ordre d’introduire le visiteur et alla l’attendre dans la « librairie » qui était l’une des pièces où elle se tenait le plus volontiers. Les livres dont s’habillaient les murs lui conféraient la gravité adéquate pour la circonstance. En outre, durant la mauvaise saison, on y entretenait le feu quotidiennement afin de protéger les reliures de l’humidité. Une table à écrire en occupait le centre et c’est là qu’elle choisit de s’asseoir ; espérant ainsi lui faire comprendre qu’elle lui accordait audience plus qu’elle ne le recevait. Et pour mieux enfoncer le clou, elle prit une feuille de papier et une plume.
Elle venait juste d’écrire : « Ma chère amie… » quand il fit son entrée, élégant à son habitude quoique un peu poussiéreux mais le sourire aux lèvres… qui s’effaça vite devant le regard glacé qui l’accueillait. Isabelle avait simplement relevé les paupières :
— Vous, l’abbé ? Quel vent vous pousse ici à cette heure ?
Il lui adressa un beau salut – auquel elle répondit d’un signe de tête – qui lui donna quelques secondes pour réfléchir. Puis, s’avançant, désigna l’une des deux chaises placées devant :
— Puis-je m’asseoir ?
— C’est selon…
— Comment dois-je l’entendre ?
— Comme je l’ai dit. Cela dépend de ce qui vous amène. Jusqu’à présent vous n’avez guère été l’homme des bonnes nouvelles puisque celles que vous apportiez étaient fausses ! Et surtout, ne venez pas me parler d’amitié. Je sais ce qu’en vaut l’aune !
— Aussi n’en parlerai-je pas ! Je ne suis venu que pour vous mettre en garde… mais si vous vouliez bien me permettre de m’asseoir, je vous en saurais un gré infini ! Je déteste l’idée de m’évanouir devant vous et depuis quelques jours mon dos…
Elle lui désigna de la tête une chaise où il se laissa tomber plutôt qu’il ne s’assit. Et soudain elle se mit à rire :
— Une de vos victimes vous aurait-elle fait bastonner par ses valets ? Si c’est le cas, vous avez pris des risques insensés en venant chez moi. Je brûle d’envie d’en faire autant… Monsieur le maître espion de Mazarin ! Vous voyez que je sais qui vous êtes à présent ? Vous m’avez desservie au point de me rendre responsable des émeutes et d’assurer que Paris n’aurait la paix de sitôt tant que j’y serais ? Et vous osez encore me regarder en face ? Des amis tels que vous…
— Je n’ai jamais souhaité être votre ami ! Votre amant, oui ! Je vous voulais pour moi… et je vous veux toujours !
— Sortez !
— Non. Pas avant de m’être justifié ! Je vous ai laissée m’insulter à loisir. Maintenant vous devez m’entendre !
— Soyez bref ! Je vous accorde cinq minutes !
— Et davantage ! Quoi que vous en pensiez, madame la duchesse, je ne suis pas venu seul.
— De mieux en mieux ! Si vous venez m’arrêter vous aurez du mal et…
— Pour l’amour de Dieu, laissez-moi parler ! fit-il, exaspéré, mais elle se remit à rire :
— Allons bon, voilà Dieu ! C’est vrai que vous êtes d’Eglise ! Drôle d’Eglise en vérité ! Entre Mazarin et vous, le Seigneur a d’étranges serviteurs ! Et si vous ajoutez le cardinal de Retz, cela forme un trio à qui on peut hésiter à confier son âme ! (Puis se calmant brusquement :) J’empiète sur vos cinq minutes. Vous avez la parole !
Peut-être afin d’éviter ce regard scintillant de moquerie, il se leva et avec une légère grimace alla se poster près d’une fenêtre donnant sur la ville. Il s’y appuya :
— C’est vrai que je vous aime et c’est vrai encore que je hais Condé plus peut-être en raison de cet amour que vous lui vouez que pour son infernale arrogance. Et c’est enfin vrai que je vous ai dénoncée ! Pas pour vous permettre de le rejoindre mais pour pouvoir vous enlever et vous conduire dans un manoir que je possède et vous garder pour moi seul. Je voulais dans mon refuge vous traiter en idole, vivre à vos pieds, heureux de vous regarder, d’emplir mes yeux de votre beauté jour après jour, nuit après nuit mais sans chercher à vous forcer ! Je voulais vous donner une telle somme d’amour que vous auriez fini par en être touchée et, une belle nuit, peut-être…
— Comment se fait-il alors que nous soyons ici vous et moi ? Je suis exilée donc hors de Paris… et je suis chez moi ?
Isabelle ne songeait plus à rire. La voix qu’elle entendait était sombre, lourde d’une tristesse où se mêlait de la colère.
— Parce que je suis un imbécile qui a laissé passer sa chance. Comme vous le dites, vous m’avez échappé et je ne m’en console pas.
Un silence suivit qu’Isabelle ne laissa pas durer :
— Dans ce cas m’expliquerez-vous le pourquoi de votre visite ce soir ? Vous excuser ?
— Non. Vous mettre en garde !
— Contre qui ?
— Contre vous-même ! On vous a traitée avec mansuétude en vous bannissant dans ce joli château… Vous le devez à la Reine… et à la sympathie qu’éprouve pour vous le Cardinal…
— Il est bien bon !
— Ne vous moquez pas. C’est un fait. Tous deux pensent que vous souhaitiez « arranger les choses » entre la Cour et Monsieur le Prince… Ce qui était normal étant donné les liens qui vous unissent à la famille de Bourbon-Condé. Et tant que le Prince n’était coupable que de rébellion on pouvait montrer quelque indulgence au vainqueur de Rocroi, Lens… et beaucoup d’autres ! A présent il en va différemment et les condamnations qui viennent de tomber le soulignent : Condé s’est vendu à l’ennemi. C’est donc un traître passible de la peine de mort. Aussi devez-vous cesser tout rapport avec lui !
Isabelle fronça les sourcils : elle détestait qu’on lui donne des ordres et plus encore sur ce ton de maître !
— Qui vous envoie ?
— Disons que je m’envoie moi-même ! Il m’insupporte de vous voir prendre le chemin de la Bastille, dans une voiture fermée entourée de gardes.
— Pour y assister il faudrait que vous soyez sur place au moment de ce regrettable événement. J’espère que vous ne prétendez pas vous installer ici ?
— Ce serait pourtant mon vœu le plus cher car cela me permettrait de veiller sur vous.
— De veiller ou de me surveiller ? Sans compter que les gazettes auraient tôt fait de raconter que je suis votre maîtresse !
— Et alors ? Je rencontre assez de succès auprès des dames pour que nul ne s’en étonne. Pourquoi pas vous ?
Elle se leva d’un bond, ce qui obligea Fouquet à en faire autant et les mit face à face séparés par la largeur du bureau mais, en dépit de son audace, Basile recula d’un pas devant la fulgurance que l’orgueil alluma dans le regard de la jeune femme :
— Parce que, moi, je suis la duchesse de Châtillon née Montmorency et donc pas n’importe quelle dame !
— Et moi je suis quoi ? Un valet ? Un homme de peu ? Outre l’honneur où l’on tient ma famille – ma mère est une Maupéou, mon frère aîné procureur général au Parlement3…
— Je ne l’ignore pas mais je suis veuve et mon fils vit près de moi, mon petit duc…
— Ce qui ne vous empêche pas d’être la maîtresse déclarée de Condé, traître à son Roi, traître à sa patrie. Et la correspondance assidue que vous entretenez avec lui ! Vous ne comprenez donc pas que ma présence à vos côtés vous mettrait à l’abri…
— De quels dangers ? Des espions de Mazarin dont vous êtes le chef ? Non merci ! Allez-vous-en, monsieur l’abbé Fouquet ! Moins je vous verrai et mieux je me porterai !
Elle lui indiquait la porte. Il s’inclina et eut un méchant sourire :
— Je saurai vous faire regretter vos mépris, madame la duchesse ! Si j’ai un dernier conseil à vous donner, c’est de cesser vos relations avec Condé, sinon…
— Dehors ! s’écria-t-elle, furieuse. Un laquais va vous raccompagner…
A sa surprise, ce fut Bastille qui parut :
— Madame la duchesse a appelé ?
— Escorte M. l’abbé Fouquet et fais amener son cheval ! Puis reviens me rendre compte !
Naturellement, ledit abbé sortit sans saluer, ce qui ne fit ni chaud ni froid à Isabelle. Haussant les épaules, elle alla s’asseoir près de la cheminée tendant à la chaleur des flammes ses mains et ses pieds soudain glacés… En dépit de sa beauté et de ses manières policées, cet homme lui donnait le frisson : il lui faisait songer à un serpent. Peut-être à cause de ce regard glissant entre ses paupières qu’il n’ouvrait jamais largement ?… Quoi qu’il en soit, elle se sentit soulagée en entendant s’éloigner le galop du cheval.
Bastille revint aussitôt. Si visiblement soucieux qu’il n’attendit même pas qu’on l’interroge :
— Pourquoi recevez-vous ce… ce malfaisant ?
— Je suis consciente qu’il l’est mais on ne recevrait pas grand monde si l’on ne voyait que des gens de bien !
— Cet homme est particulièrement néfaste. C’est le principal responsable des dernières émeutes et il était présent quand la foule a incendié l’Hôtel de Ville. Je l’ai vu distribuer des insignes de paille et c’est le chef des espions de Mazarin.
— Sois tranquille, je n’ai aucune illusion en ce qui le concerne et je serais d’ailleurs fort étonnée s’il revenait. Je l’ai pour ainsi dire chassé…
— Il reviendra ! Je le sens… même si je ne sais pas pourquoi !
— Il prétend m’aimer et, si tu veux tout savoir, il voulait s’installer à Mello… pour me mettre à l’abri en m’affichant comme sa maîtresse !
— Qu’il se montre seulement et je lui casserai les reins ! gronda Bastille en serrant les poings.
— Garde-t’en ! Mazarin le vengerait en t’envoyant au bourreau… et je tiens à toi plus que je ne redoute le personnage. Tu sais où il habite ?
— Officiellement, il loge à l’hôtel de Maupéou, demeure respectable s’il en est puisque c’est l’hôtel familial. Il y vit avec sa mère…
— Femme honorable dont la réputation n’est plus à faire !…
— Mais il aurait un petit logis au Marché Neuf, près de Notre-Dame. Et puis prêtre ou pas, il possède tout de même deux abbayes ! ricana Bastille.
— Je vois ! Si tu veux le faire surveiller par des gens sûrs, n’y manque pas, je te donnerai l’or qu’il te faudra. Moi, on m’interdit toute correspondance avec Monsieur le Prince… et même avec mon frère !
A ce moment précis on gratta à la porte. Agathe entra et annonça que son beau-frère, Jacques de Ricous, venait d’arriver. D’un seul coup le moral d’Isabelle remonta de plusieurs coudées :
— Nous allons recevoir des nouvelles ! Une chance qu’il ne soit pas venu une heure plus tôt !
— Madame pense bien que je l’aurais gardé par-devers moi ! A la cuisine de préférence ! Il a grand besoin de réconfort !…
Jacques de Ricous était en effet le frère de Charles, l’époux d’Agathe, nettement plus âgé qu’elle, et était officier des gardes de Chantilly. Le jeune homme était l’un des courriers de Condé, à visage découvert ou sous déguisement selon les circonstances. Il disposait même d’une soupente à Mello en cas de nécessité…
Garçon sans beaucoup d’apparence – taille moyenne, visage moyen, stature moyenne, cheveux bruns sans nuances mais qu’il habillait parfois d’une perruque associée selon l’humeur à des moustaches, ou d’une barbe ou de tout autre ornement poilu –, curieux comme un chat, il possédait un grave défaut pour un « homme de l’ombre » : il n’était pas d’une folle bravoure, sujet au vertige et douillet comme un chanoine. Mais à l’état naturel c’était un joyeux vivant, aimant le jeu, les filles, le vin.
Tout le monde le connaissait à Mello où il lui arrivait de faire étape quand Chantilly était ainsi qu’en ce moment sous séquestre. Isabelle le trouva à la cuisine en train de se refaire des forces à l’aide d’un pâté de lièvre, d’une miche de pain et d’un pichet de vin clairet.
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