Celui-ci vit rouge.
Il lui fallait à n’importe quel prix s’emparer de celui qui assurait la liaison entre Mme de Châtillon et Condé. Ayant appris que l’on avait vu Ricous à Paris aux alentours de la maison de Bertaut où il avait dû apprendre son arrestation, il envoya un message à Mazarin :
« Ricous est dans cette ville [Paris] et s’en ira à Mello, s’il peut s’échapper. S’il plaît à Votre Eminence de donner à du Mouchet, chevau-léger et qui s’est fort bien conduit et avec votre affection [ ?], huit des gardes de Votre Eminence, il ira demain à la pointe du jour à Pierrefitte qui est un passage où indubitablement donnera Ricous. Mouchet le connaît et j’ai des espions en dix endroits pour l’attraper. »
Le piège était bien tendu. Ricous y fonça tout droit et fut conduit à Vincennes où, habilement interrogé par M. de Breteuil en présence de l’abbé Fouquet, « il fut amené à croire et à dire que ce devait être Mme de Châtillon qui l’avait fait prendre… ».
Le moyen auquel on l’avait « amené à croire » tient en sept petits mots : le bourreau et ses outils de travail. En l’occurrence une cuve d’eau et un entonnoir.
Le patient était placé sur une sellette, les bras attachés au-dessus de la tête à un anneau scellé dans le mur et les pieds retenus au sol par un autre anneau. On lui bouchait le nez avec une pince puis, à l’aide de l’entonnoir, on l’obligeait à ingurgiter un pot d’eau d’environ deux litres, après quoi le juge demandait à l’homme2 de livrer ses complices. S’il ne s’exécutait pas, on lui enfournait une deuxième pinte puis une troisième et jusqu’à une sixième. Ça c’était « l’ordinaire ». Après ce menu préambule on s’attaquait à la « question extraordinaire » qui consistait à doubler le nombre des pots d’eau. Ce qui fit écrire à La Bruyère : « Ce malheureux que vous appliquez à la question songe bien moins à dire ce qu’il sait qu’à se délivrer de ce qu’il sent… »
Arrêté bien avant Ricous, Bertaut fut le premier à subir cette horreur. Il s’agissait de lui faire avouer qu’il avait eu des « conférences » avec Mme de Châtillon. Ce fut seulement à la suite de la sixième pinte qu’il demanda ce que « l’on voulait qu’il avoue ». Il reconnut avoir correspondu avec Monsieur le Prince et reçu de lui mille écus pour se créer des complices. Après le huitième il avoua un entretien avec Mme de Châtillon et avoir vu de sa part « mylord Digby » au sujet d’un projet d’assassinat du Cardinal et cita Ricous comme intermédiaire principal.
Aussi, quand ce fut au tour de Ricous d’être « interrogé », celui-ci avoua tout ce que l’on voulut sans attendre d’être gonflé comme une outre. Malgré tout, par précaution sans doute, on le gratifia de deux pots supplémentaires au sortir desquels – persuadé par ailleurs d’avoir été livré par la duchesse – il avoua s’être rendu plusieurs fois à Mello pour discuter avec la duchesse des moyens d’assassiner Mazarin quand ils apprirent l’arrestation de Bertaut, d’en avoir touché de l’argent et aussi certaine « poudre de sympathie » qui n’était en réalité que du poison….
Par acquit de conscience on lui fit avaler un troisième pot qui lui fit perdre connaissance et l’on ne s’avança pas plus loin. Fouquet en savait suffisamment pour avoir barre sur Isabelle et courut faire son rapport à Mazarin en mentionnant – heureusement ! – que « la duchesse n’avait agi ainsi qu’après avoir été persuadée du projet de Mazarin d’assassiner Condé là où il se trouvait… ». Il demandait, naturellement, un ordre d’arrestation. Qu’on lui refusa :
— Je ne croirai jamais, dit Mazarin, qu’une personne si bien faite et possédant de si belles qualités pût concevoir des pensées si exécrables !
— Le poison est l’arme des femmes, Monseigneur ! Tout le monde sait cela !
— Je le sais aussi mais pas la duchesse ! Elle a un regard qui ne trompe pas ! Il ne se détourne pas quand vous le cherchez ! C’est le contraire de vous, tenez ! Il ne glisse pas sous la paupière comme le vôtre ! ajouta-t-il aimablement.
— J’espère que Monseigneur n’aura pas à regretter sa mansuétude, grogna l’abbé. Et les prisonniers, qu’en fait-on ?
— Ils ont avoué. On les a exécutés hier soir, devant la Bastille. Ils étaient condamnés à être roués mais étant donné l’état où ils se trouvaient j’avais donné l’ordre à M. de Breteuil de faire en sorte que le bourreau les étrangle discrètement avant de leurs briser les os.
— Monseigneur est la bonté même ! grinça Basile. Et la duchesse ?
— Encore ? Cela tourne à l’idée fixe ! La Reine veut qu’on la laisse tranquille !
Fouquet prit un air engageant :
— Pas même une petite perquisition ? insinua-t-il.
— Pas même ! Elle est exilée, cela suffit ! En revanche, pourquoi ne pas rendre une visite à lord Digby ? Sa « poudre de sympathie » me paraît intéressante !
— Si Monseigneur songe à en déverser sur ses ennemis, Digby va avoir besoin d’aide car il faudra la fabriquer en quantité impressionnante ! Cet homme doit être fou !
— En tout cas le bruit m’est venu qu’il avait quelque talent pour se débarrasser des gêneurs ! Savez-vous pourquoi il est venu en France ?
— Comme tous ses compatriotes réfugiés chez nous : afin de se protéger des coups du sieur Cromwell ?
— Peut-être mais surtout il se serait débarrassé d’une épouse devenue encombrante. D’une manière qui rend honneur à son imagination : il lui aurait servi un chapon farci à la chair de vipère.
— Hein ?
— Que voulez-vous, conclut le Cardinal avec un bon sourire. C’est un homme qui adore faire la cuisine et chacun sait que celle des Anglais est immangeable…
Cependant, à Mello, on ne voyait pas les choses d’un œil aussi badin. L’exécution de Christophe Bertaut et de Jacques de Ricous avait provoqué un réel chagrin. Non qu’Isabelle portât à ces deux hommes un sentiment plus chaud qu’une certaine sympathie mais ce terrible événement la terrifia en lui faisant comprendre que nul n’était plus à l’abri des perfidies de Mazarin et qu’elle avait sous-estimé l’adversaire. Elle craignait aussi pour Agathe et lui proposa de l’envoyer rejoindre son époux en Flandres auprès de Monsieur le Prince.
Mais Agathe réagit plus calmement. Elle ne connaissait pas Bertaut et n’aimait pas tellement son beau-frère.
— Les tourmenteurs n’ont pas dû avoir grand mal à l’amener à avouer. Habile, oui, rusé, mais loin d’avoir la vaillance de son frère. Depuis qu’il assurait la liaison avec Monsieur le Prince, et surtout depuis les édits de condamnation, je redoutais que l’on mît la main sur lui. Mon époux lui-même n’aura guère de chagrin. Il avait souvent conseillé à Monsieur le Prince de ne pas confier à son frère du courrier trop… compromettant pour la sécurité de tous, mais vous savez comment est Monsieur le Prince. Maintenant c’est de vous qu’il faut se soucier. Et en premier lieu de cet abbé Fouquet…
— Croyez-vous que je n’y songe pas ? Ce démon est capable d’obtenir un ordre d’arrestation à mon encontre afin de me tenir à sa merci !…. Et peut-être même d’en fabriquer un. Que faire ?
Pour la première fois Isabelle se sentait désorientée. Non qu’elle redoutât que l’on s’en prît à sa vie mais bien plutôt à son honneur. L’abbé Basile ne lui avait pas caché son intention de l’enlever et de l’enfermer dans un de ses repaires afin d’en user à sa guise.
Une chose était certaine : il était urgent qu’elle parte. Mais pour où ? Un instant elle caressa l’idée de rejoindre Condé en Flandres. Si elle n’avait écouté que son cœur, elle roulerait déjà vers Bruxelles mais ce serait accompagner Condé dans la trahison et elle se refusait à frapper de cette flétrissure le nom de son enfant. En outre les mauvaises langues auraient beau jeu de l’incorporer au troupeau de filles que toute armée traînait dans son sillage. Ce serait intolérable ! A plus forte raison si Longueville, son ennemie jurée, était là-bas ! La seule idée de la revoir la révulsait !
Alors retourner à Châtillon, dûment pourvu en défenses, capable de soutenir un siège, était tentant mais, si elle faisait prendre les armes pour se protéger, on en reviendrait à salir le blason de Louis-Gaspard, ce dont sa mère ne voulait à aucun prix. Les instants qu’elle vivait auprès de lui étaient ses seuls moments de bonheur pur et elle ne voulait pas tirer de traite sur l’avenir en son nom. D’ailleurs il était encore à Précy et, si d’aventure un ordre d’arrestation était délivré contre elle, son château natal était le premier endroit où on la rechercherait après Mello.
Une proposition lui arriva qui la toucha. William Croft vint lui offrir son hospitalité :
— Il est de notoriété publique, commença-t-il, que je suis un vieux garçon aussi peu dangereux que possible pour la réputation d’une dame. J’aime la chasse, jouer aux quilles et cultiver mon jardin.
— Vous me faisiez la cour, pourtant ?
— Vous êtes trop belle pour que l’on n’ait pas au moins un petit sentiment pour vous. Vous voir, causer avec vous suffit à mon bonheur… et je suis triste de vous savoir malheureuse ! Essayez de voir en moi un frère !
— Un frère !…
Des larmes emplirent ses yeux. Dieu seul savait ce qu’il allait advenir de François toujours indéfectiblement attaché à Condé et ne connaissant d’autre loi que la sienne.
— Venez chez moi ! insista Croft. Personne ne pensera à venir vous chercher aux Hauvenières…
— Vous oubliez l’abbé Fouquet ! Il ne désarmera pas !
— Moi non plus, fit le paisible Croft. Comme je suis d’un naturel prudent, j’ai, outre un personnel sur lequel je sais pouvoir compter, des chiens… efficaces. Par ailleurs j’ai disposé ici et là des pièges dont il est préférable de connaître l’emplacement avant de s’aventurer sur mes terres !
— S’il lui advenait malheur dans votre domaine, ami, le Cardinal n’aurait de cesse d’obtenir votre tête ! C’est lui qui règne, davantage que le Roi, ne vous y trompez pas ! En dépit du sang versé pour le chasser de France, l’amour de la Reine le rend plus puissant que jamais !…
— C’est pourquoi, ma fille, dit Mme de Bouteville qui venait d’entrer inopinément sans s’être fait annoncer, comme il était normal dans la maison d’Isabelle, vous allez accepter sur l’heure l’invitation de mylord Croft !
— Sir William, si vous le voulez bien, madame ! Je ne suis qu’un simple chevalier ! My God !… Comme vous êtes pâle !
Elle était blême, en effet, et seule sa volonté commandait ses gestes. Aussi accepta-t-elle le fauteuil qu’Isabelle lui avançait…
— Mère, s’inquiéta la jeune femme. Que se passe-t-il ?
— Il se passe que Monsieur le Prince et votre frère sont condamnés à mort et qu’en place de Grève le bourreau vient de les exécuter en effigie ! Condé ne fera peut-être qu’en rire mais pas moi, ni qui que ce soit de sensé ! Cela signifie qu’ils sont dès à présent frappés d’infamie et seront abattus sans sommation s’ils s’aventurent sur le territoire français. Alors, ajouta-t-elle en se relevant, acceptez l’offre de votre ami et moi je vais chez la Reine !
— Moi aussi ! s’écria Isabelle.
— Oh, que non ! On vous a suscité trop d’ennemis !
— Ecoutez ce que vous ordonne Mme Bouteville et tâchez de conserver une mère à votre fils !
— J’appelle Bastille et je lui dis de vous accompagner !
— Il n’en est pas question ! Je préfère qu’il veille sur vous. Comprenez donc, ma fille, que je ne risque rien ! Je connais Sa Majesté, elle compatit au malheur quand il est dignement supporté !
Elle ne se trompait pas. Quand, à son lever, Mme de Motteville lui annonça la présence de Mme de Montmorency-Bouteville, Anne d’Autriche non seulement ne donna aucun signe de contrariété mais ordonna qu’on la conduise dans son cabinet d’écriture, voisin de l’oratoire où elle aimait se retirer pour prier, n’y admettant que des gens dignes de cet honneur.
Mieux encore, lorsqu’elle vint rejoindre sa visiteuse, elle lui tendit ses deux mains, la releva de sa profonde révérence et la fit asseoir à ses côtés auprès de la cheminée où flambait un bon feu, ce début de printemps 1654 étant plus que frais.
— Votre Majesté est infiniment bonne d’accueillir ainsi la mère d’un rebelle mais je tiens à la rassurer : ce n’est pas de François dont je viens l’entretenir.
— Ah non ? Ne me dites pas que le simulacre d’hier ne vous a pas atteinte ?
— Oh, il n’y a pas manqué mais mon fils a voué dès l’enfance au vainqueur de Rocroi une vénération qui ne se reprendra jamais… hélas ! Il en sera ce que Dieu voudra ! Non, c’est au sujet de ma fille Châtillon que je suis venue afin que Votre Majesté ait la bonté de la délivrer d’une insupportable persécution, celle que fait peser sur elle M. l’abbé Fouquet. Il s’acharne à l’impliquer dans un odieux complot d’empoisonnement visant Son Eminence le cardinal Mazarin…
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