Le soleil couchant exaltait le parfum des fleurs et nimbait la jeune femme d’une lumière infiniment douce…
Ebloui, Condé tomba à genoux :
— Il fallait que je vous voie ! fit-il d’une voix sourde. Votre visite chez moi hier répondait à trop de questions et je suis venu me rendre à merci !
— Comment l’entendez-vous ? murmura-t-elle, plus émue qu’elle ne voulait le paraître.
— Comme il vous plaira. Je ne sais qu’une chose : j’ai besoin de vous ! Je suis las de tout, des autres comme de moi-même… et en premier de cette guerre absurde qui à peine éteinte se réveille et flambe plus haut qu’avant !
— Ne restez pas là ! Quelqu’un pourrait vous voir. Venez plutôt vous asseoir auprès de moi…
Il ne devait attendre que cette invitation car à peine l’eut-il rejointe sur le banc de pierre qu’il voulut la prendre dans ses bras mais elle leur échappa en glissant habilement à l’autre bout. C’était l’un de ces sièges en arc de cercle si commodes pour la conversation.
— Pas si près ! corrigea-t-elle avec un sourire. Et répondez-moi : le roi d’Espagne fait-il partie de cette grande lassitude ?
— Oui car il est un mauvais allié en dépit de ce qu’en dit ma sœur : il promet des armes, des hommes et de l’argent mais il ne débourse que peu d’or et ne concède que quelques compagnies trop hétéroclites pour faire de bons soldats.
— Comment se fait-il qu’il se montre si ladre ? Le flot d’or venu des Amériques serait-il tari ?
— Je le crois moins abondant qu’au temps des conquistadors, Cortés, etc. Cela tient sans doute au mauvais vouloir des vice-rois qui doivent rogner sur la part royale afin d’augmenter la leur. Je n’ai pas encore fait allégeance à Philippe IV…
Isabelle n’eut pas assez de force pour maîtriser sa joie :
— Si vous n’êtes pas lié à lui, François ne l’est pas non plus alors ? Il n’ambitionne rien d’autre que de vous suivre où vous irez !
— Je sais, et soyez assurée que je lui rends pleinement son amitié. Il est bourré de talents et devrait faire une belle carrière ! Parfois je me prends à penser qu’il m’aime trop !… Non pas comme vous le redoutez ! se hâta-t-il de préciser devant la muette inquiétude qu’exprimait le regard de la jeune femme. Il adore le sexe dit « faible » et a toujours quelque amour sur le feu ! Cessez donc de vous tourmenter ! Je suis aussi venu vous dire que je réglerai au denier près ce que je vous dois…
Le rire léger d’Isabelle fusa :
— Je vous tiens quitte des deniers puisque Judas n’est plus Judas.
Et ce fut elle qui, cette fois, ouvrit les bras…
L’instant suivant, elle se retrouva dans l’herbe entre deux massifs de fleurs en train de se faire éplucher plutôt que déshabiller par des mains aussi brutales que maladroites, tant elles avaient hâte de découvrir son corps. Le tout sous un déluge de baisers, de griffures – Monseigneur ne se coupait pas souvent les ongles ! – et même de morsures. Et pourtant, le cri que lui arracha cette bourrasque exprima un plaisir d’une violence telle qu’elle ne se souvenait pas d’en avoir déjà ressenti de semblable…
Quand enfin l’orage se calma et qu’il se laissa retomber dans l’herbe, elle se retrouva quasiment nue sur les débris de sa jolie robe en charpie. Elle ne pouvait tout de même pas rentrer ainsi dans la maison. Enflant sa voix autant qu’elle le put, elle appela Agathe. Qui ne devait pas être très loin car elle apparut presque aussitôt… tenant en main une ample robe de chambre dont elle enveloppa sa maîtresse avant de ramasser les morceaux de tissu épars de la robe. Pendant ce temps Condé se rajustait :
— Demeurez au jardin ou allez m’attendre dans le cabinet bleu, lui dit Isabelle. Nous souperons ensemble !
— Ma foi, je reste encore un peu : il fait si doux… murmura-t-il en retenant la main de la jeune femme pour y poser un baiser.
— Je ne serai pas longue ! Je meurs de faim !
— Moi aussi mais je vais vous attendre ici !
Une demi-heure plus tard, ils se retrouvaient devant un souper froid qu’ils attaquèrent avec un égal appétit, parlant de tout, de rien et riant à chaque instant, Isabelle, ses beaux cheveux noués lâchement sur ses épaules, portait à présent une robe de ce rouge corail clair qui lui seyait si bien, rayonnait d’un éclat qui semblait fasciner son invité. Cependant, ledit invité buvait comme une éponge et, à une certaine lueur trouble qu’elle décela dans ses yeux, Isabelle sentit qu’il n’allait pas tarder à renouveler son exploit. Or, si heureuse qu’elle fût de l’avoir enfin amené où elle le voulait, elle gardait la tête suffisamment froide pour ne pas lui permettre de se… goinfrer d’elle dès la première fois. Aussi, en se levant, esquissa-t-elle un bâillement vite caché sous sa main et, en même temps, sonnait :
— Pardonnez-moi, Monseigneur, mais je me sens très lasse tout à coup…
— Déjà ? Mais je voulais… enfin j’espérais…
— Non, refusa-t-elle gentiment. J’ai besoin de retrouver des idées claires après ces moments merveilleux que je vous dois…
— Et que je brûle de réitérer ! Je vous aime, Isabelle ! Vous le savez, n’est-ce pas ?… Aussi, par pitié, ne vous jouez pas de cette passion que vous avez allumée…
— M’en jouer ? Loin de moi une aussi laide pensée. Je veux au contraire en savourer chaque minute mais il faut que nous parlions… et vous en êtes conscient… Alors, pour ce soir, laissez-moi sur mon joli nuage… et revenez demain soir, nous souperons… dans ma chambre ?
Elle lui tendait sa main pour qu’il la baisât cependant que l’entrée d’un valet empêchait les lèvres du Prince de remonter plus haut… Il avait un peu la mine d’un chien à qui l’on vient de retirer son os mais gardait assez de sang-froid pour sentir que, pour cette nuit, il n’obtiendrait rien de plus.
— A demain donc, duchesse ! Je vais passer une nuit affreuse !
— Affreuse ? Alors que j’espère la mienne si pleine de rêves ? En ce cas, mieux vaudrait peut-être…
— Non, non, non, non !… Je me suis mal exprimé ! A demain, madame !
Profond salut contre révérence, l’élégant rituel s’effectua avec grâce et enfin Condé se retira. Isabelle remonta chez elle où Agathe achevait de disposer la chemise de nuit sur le lit puis elle la rejoignit devant la table à coiffer pour dénouer ses cheveux et les brosser longuement. Un léger sourire aux lèvres et tout à son rêve intérieur, Isabelle la laissait faire sans rien dire. Sans vraiment se regarder elle détachait les girandoles de rubis et de diamants qui encadraient si plaisamment son cou quand elle entendit :
— Encore deux soirées comme celle-ci et madame la duchesse ne pourra plus porter que des robes à fraise, ou à collet haut ! Est-ce bien raisonnable ?
Elle tressaillit et voulut regarder sa camériste qui, du coup, lui tira les cheveux :
— Pourquoi dites-vous cela ?
Agathe se mit à rire et, désignant le miroir de Venise :
— Madame la duchesse devrait s’examiner de plus près !
— Doux Jésus !…
Ses lèvres légèrement tuméfiées n’étaient pas choquantes et semblaient au contraire plus pulpeuses mais ce qui l’était d’évidence c’était un splendide assortiment d’hématomes, de griffures, jusqu’à une trace de morsure à la rondeur d’une épaule. Horrifiée, elle laissa glisser le peignoir de batiste et découvrit les mêmes traces sur ses seins et son ventre…
D’abord accablée, elle sentit monter une bouffée de colère d’autant plus amère qu’elle ne pouvait oublier l’intense jouissance, à la limite de la douleur, qu’elle avait ressentie et qu’elle aspirait même déjà à retrouver… Elle tourna vers sa femme de chambre un regard presque implorant :
— Comment faire pour masquer… tout cela ?
— En dehors d’endosser une armure pour faire l’amour, le seul remède est… de vous refuser !
— Mais je l’aime !… Et j’en ai envie ! Et il revient demain soir !
Elle semblait si penaude qu’Agathe éclata de rire. Ce qui la fâcha :
— Il n’y a rien de drôle là-dedans !
— Que madame la duchesse me pardonne ! Nous allons essayer de remédier à ce désastre !
Après avoir nettoyé à l’eau de rose toutes les menues blessures, elle appliqua un baume à l’arnica sur les contusions qui effaça au moins les sensations de brûlure… En enfilant sa chemise de nuit Isabelle se sentait déjà plus fraîche.
— A présent, il y a deux choses dont il faut s’occuper, reprit Agathe, c’est protéger ce que les robes laissent voir et prier Monseigneur de se faire couper les ongles à ras.
— Je vais le lui écrire tout de suite et vous ferez porter le billet à l’hôtel de Condé au lever du jour ! Et puis non ! se reprit-elle après un instant de réflexion. Le seul moyen efficace… c’est… l’abstinence !
— Madame la duchesse ne vient-elle pas de dire que… qu’elle craint de ne pas en avoir le courage ?
— Certes, je l’ai dit ! Et je m’y tiendrai. Surtout si je veux le garder longtemps !…
Et le lendemain, quand Monseigneur se présenta, tout sourires et la moustache conquérante, il eut la surprise de sa vie. La table était dressée non dans l’intimité d’une chambre féminine mais dans l’un des deux salons donnant sur le jardin brillamment illuminé. Le couvert fleuri était disposé avec raffinement ; quant à celle qui l’y accueillit d’une profonde révérence, elle portait une somptueuse robe de brocart d’un rouge éteint sur laquelle courait une chaîne de grosses perles en poires que Condé connaissait bien… De précieuses dentelles de Malines se retroussaient aux coudes et formaient une guimpe voilant le large décolleté des épaules au ras du cou souligné par un collier de belles perles rondes. Coiffée avec soin, Isabelle était à la fois somptueuse et ravissante. Et son salut fut un poème de grâce…
Le Prince n’en contempla pas moins l’ensemble avec une colère grandissante :
— Qu’est-ce que cette mascarade ? demanda-t-il sèchement, oubliant même de rendre le salut.
— Monseigneur n’avait-il pas promis de venir partager mon souper ? émit Isabelle avec un sourire radieux. Et comme c’est la première fois qu’il m’accorde l’honneur de venir souper chez moi, il m’est apparu qu’il convenait de célébrer ce grand événement ! Si Monseigneur veut me faire l’honneur de prendre place…
— Monseigneur n’est pas d’accord ! rugit-il sans se soucier des deux valets qui allaient procéder au service. Vous aviez promis que nous souperions dans votre chambre et je comptais vous y trouver dans un appareil moins fastueux…
L’heure des explications étant venue, Isabelle fit sortir ses valets d’un geste :
— Certes, mais, outre que c’eût été peu courtois, une tenue négligée relevait de l’impossible… et par votre faute !
— Comment cela, ma faute ?
— Oh, cela ne fait aucun doute ! Voulez-vous me montrer vos mains ?
Machinalement il obéit en les retournant plusieurs fois :
— Qu’est-ce qu’elles ont, mes mains ?
— Elles sont sales, comme d’habitude, mais ce n’est guère d’importance puisque l’on va vous porter des bassins, et elles sont aussi dangereuses pour une peau féminine. Que vos thuriféraires clament partout votre gloire et vous comparent à un lion est parfaitement naturel, ce qui l’est moins c’est que vous en ayez aussi les griffes… et que vous ayez si joliment arrangé votre servante qu’elle ne pourra arborer le grand décolleté avant une quinzaine de jours !
— Hé, qu’avez-vous à vous soucier des regards des autres ? Vous êtes à moi ! Montrez-les au contraire et soyez en fière puisqu’elles sont la signature de votre amant ! La lionne se plaint-elle des griffes du lion ?
— Comme personne ne le lui a jamais demandé, je suis comme le reste des humains : je n’en sais rien et n’aurais d’ailleurs pas la témérité d’aller le lui demander s’il m’arrivait d’aventure d’en rencontrer une ! Et comme à l’exception d’une seule elles ne courent pas les rues…
— Une seule ?
— Mme de Longueville, votre très aimée sœur. Elle serait furieuse et se vengerait en clamant urbi et orbi que je suis votre esclave ! Merci beaucoup !
— Ma sœur est en Guyenne et ne reviendra pas de sitôt. Vous avez largement le temps de guérir ! Venez dans mes bras… et retournons au jardin !
— Oh, que nenni ! sourit-elle en prenant place à table. Cette robe est l’une de mes préférées et je ne vous laisserai pas la transformer en haillons ! Sans compter les nouveaux dommages que vous ne manqueriez pas de m’infliger !
— Isabelle ! émit-il d’un ton plaintif.
— Pour ce soir, tout au moins, c’est non ! Nous verrons quand vous aurez été manucuré ! D’ailleurs nous avons à causer sérieusement.
"Princesses des Vandales" отзывы
Отзывы читателей о книге "Princesses des Vandales". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Princesses des Vandales" друзьям в соцсетях.