— De quoi ? maugréa-t-il mais en allant s’asseoir en face de son hôtesse, s’avouant ainsi implicitement vaincu.
— Dans un pays qui ne cesse de tourner à l’envers il me semble que les sujets ne manquent pas et je voudrais savoir où vous en êtes avec la Cour et aussi le Parlement ?
— Je suis mal avec les deux. A mon retour de Bléneau le peuple m’a porté en triomphe mais cela n’a pas été le cas chez les robins ! Non seulement ils m’ont reçu froidement mais en outre ils se sont permis quelques questions insidieuses à propos de mes relations avec les Espagnols.
— Vous n’imaginiez pas que cela ne ferait pas de bruit ! Que leur avez-vous répondu ?
— Je les ai envoyés paître ! On a donné à ces gens trop d’importance et à présent ils en abusent…
— Il fallait s’y attendre… Quand on a goûté au pouvoir, même acquis par la violence… surtout peut-être par la violence ! fit-elle, soudain songeuse.
Réfléchissant, elle garda le silence et il le respecta, se contentant de la regarder. Dieu qu’elle était belle ! Dans cette robe somptueuse encore qu’un peu sévère à son avis, elle ressemblait à une idole…
— Laissons ce sujet de côté pour un moment, l’engagea-t-elle enfin, et venons-en à la Cour… ou plutôt à la Reine et au Roi ! Comment s’est passée votre visite ? (Puis, le voyant s’assombrir, elle murmura :) Si dramatique que cela ?
— Plus encore ! C’est tout juste si l’on m’a permis d’entamer la liste de mes griefs après les politesses de la porte et…
— Une minute, s’il vous plaît ! J’ai dû comprendre de travers ou vous avez vraiment parlé de « vos griefs » et des « politesses de la porte » ?
— Vous avez fort bien compris !
— Alors c’est que vous perdez l’esprit au point d’oublier à qui vous vous adressiez ! Les politesses de la porte, selon votre expression, ne sont pas de mise au pied d’un trône ! C’est au Roi que vous aviez affaire, pas à un quelconque particulier.
— Laissez-moi rire ! Un gamin même pas couronné…
— Le Roi tout de même ! Vous savez qu’en France il ne meurt jamais et que le sacre n’a d’autre but que le renouvellement de l’allégeance à Dieu ! Mais laissons cela ! Que vous a-t-il répondu ?
— Rien ! Il m’a tourné le dos. C’est la Reine qui s’en est chargée. Si on peut appeler cela répondre…
— Mais encore ?
— Elle a piqué une verte colère en accusant mon « insatiable ambition » qui me poussait à vouloir ceindre la couronne et à détruire ce qui pouvait se mettre en travers de ma route. Et comme je lui coupais la parole pour lui assener que seule m’importait la perte de Mazarin, le ton est monté d’une octave : « Mazarin, Mazarin ! Vous n’avez que ce nom à la bouche ! Qu’il soit exilé, banni tel un pestiféré, avec sa famille, dépouillé de sa demeure comme de ses biens ne vous suffit pas ? C’est sa tête que vous voulez, je suppose ? » Et comme j’allais répliquer, le Roi ne m’en a pas laissé le loisir : « Le Cardinal est “mon” ministre ! C’est à moi seul de décider de son sort. Et non seulement je ne vous donnerai pas sa tête mais je le rappellerai sans hésitation si vous et les vôtres me poussez à bout ! »… Là-dessus je suis parti. Et voilà où nous en sommes !
— Brillant ! ironisa Isabelle. Quel magnifique ambassadeur vous feriez, Monseigneur ! Si l’on a vraiment envie de faire la guerre à son voisin, on ne saurait choisir meilleur que vous pour décider d’accommodements possibles ! Une épée d’une main et de l’autre un brandon pour mettre le feu aux canons ! De quoi chasser au bout de la terre la plus entêtée des colombes de la paix ! En vérité, il y a des moments où je me demande si vous n’êtes pas…
Elle allait dire « fou » mais s’arrêta à temps sachant à quel point le mot lui faisait horreur ! Non sans raison ! Une de ses aïeules avait montré une attirance pour la débauche que seul un esprit dérangé pouvait nourrir. En outre la mère de sa femme, épousée sous la contrainte, était franchement folle et Condé craignait pour sa descendance. Isabelle ravala donc le mot malvenu qu’elle se hâta de remplacer par « un peu trop enclin à voir les choses sous votre éclairage personnel ».
— Comment l’entendez-vous ?
Sans se laisser impressionner par la raideur du ton, Isabelle continua :
— Cela coule de source. Il est le Roi… pas vous et cela fait une sacrée différence !
— Je ne trouve pas ! Nous sommes des Bourbons, l’un comme l’autre !
— Mais vous ne descendez pas d’Henri IV et c’est une nuance à laquelle le plus obtus des gens de ce pays se montre sensible ! Somme toute, si je vous ai compris, vous n’êtes plus en bons termes avec les robins et en plus mauvais encore si c’est possible avec la Cour. Seulement, mon cher Prince, je vous le répète, je me demande si vous n’invertissez pas les rôles ?
— Avec ces robins ?
— Non. Ceux-là je vous les abandonne. Ils ne récoltent que ce qu’ils méritent. Mais vous avez quelque tendance à tout mélanger quand il s’agit de la Cour. En résumé, que demandez-vous pour vous comporter en prince français digne de ce nom ?
— L’épée de Connétable qui me donnera la préséance sur n’importe quel prince pour commander les armées…
— Peste ! Comme vous y allez !
— Elle me revient de droit ! Je suis le cousin du Roi et le plus grand soldat de ce temps !
— Au moins vous ne doutez pas de vous ! Et vous avez raison d’ailleurs mais il y a cette espèce d’alliance que vous avez conclue avec l’Espagne et l’épée aux fleurs de lys n’a pas été forgée pour se fourvoyer dans les rangs espagnols ! Je la crois capable d’aller se planter d’elle-même dans un rocher à l’instar, jadis, d’Excalibur, pour se refuser d’en bouger en attendant le héros qui en sera digne.
— Je vous parle de choses sérieuses et vous me renvoyez aux légendes !
— Elles contiennent parfois tant de vérités ! Et c’est tout ce que vous demandiez ?
— Nous en sommes loin ! Vous oubliez que mes frères et moi avons été emprisonnés injustement ! J’entends que nous soyons dédommagés après avoir reçu les excuses de la Régente ! J’entends aussi que les amis qui ont combattu avec moi reçoivent…
— Une récompense peut-être ? Et de combien ?
— Cent mille livres à Nemours, idem à La Rochefoucauld…
— A La Rochefoucauld ? Les charmes de madame votre sœur, cette incomparable déesse, ne lui semblent pas suffisante récompense ?
— On lui a brûlé son château. Et ce n’est pas la seule doléance…
En effet, la liste était si longue qu’Isabelle manqua s’endormir car il la débitait en prenant soin de ne plus lui permettre d’intervenir. Elle le laissa donc aller jusqu’au bout, se contentant de soupirer quand il eut fini :
— Faites-vous Espagnol tout de suite, Monseigneur ! Vous y gagnerez au moins du temps !
— Vous trouvez que je demande trop ?
— Vous ne demandez pas, vous exigez. Et quoi ? Le beurre, l’argent du beurre et la laitière par-dessus le marché. Ce qui m’étonne c’est que vous n’ayez pas réclamé aussi la tête de Mazarin. Sans doute parce qu’il n’est pas là !
— Vous vous abusez ! Il a ramené en France une petite armée de mercenaires qu’il a confiés à je ne sais trop qui pendant son absence car la Régente…
— Il n’y a plus de Régente !
— Oh, vous m’agacez ! La Reine mère qui ne peut plus se passer de son amant l’a fait revenir discrètement et le cache je ne sais où. Voilà pourquoi ma liste est si longue : j’espère faire sortir le loup du bois et m’en emparer. Devenu mon otage, j’obtiendrai ce que je veux et il ne me restera plus qu’à le lâcher dans Paris. Et ce sera sa fin : la foule le massacrera et pendra sa dépouille au premier arbre venu… Après, tout rentrera dans l’ordre.
Ce fut le mot de la fin pour ce soir-là. Très soucieuse, Isabelle se déclara fatiguée. Elle souhaitait réfléchir. Le Prince dut ravaler sa déception et n’obtint d’elle qu’un baiser. Encore veilla-t-elle à ce qu’il ne s’éternisât pas. Il partit donc mais en promettant de revenir le lendemain « voir si elle se sentait mieux ». Tout sauf hypocrite, il n’était pas difficile de deviner ce qu’il sous-entendait ! La toilette n’étant pas son occupation préférée, il voudrait sûrement profiter du sacrifice qu’il avait consenti… les ongles repoussent si vite !
Lui parti, Isabelle descendit respirer un peu l’air du jardin. Elle avait pensé d’abord y faire servir le souper mais avait craint que la demi- obscurité et les odeurs complices n’eussent paru à son invité autant d’appels à une sensualité qui n’avait nul besoin d’encouragement… et, guimpe ou pas, Isabelle eût perdu dans l’aventure une de ses plus belles robes…
Elle fit quelques pas et alla s’asseoir sur son banc préféré quand Agathe survint en relevant ses jupes à deux mains pour ne pas se prendre les pieds dedans et, ne voyant pas sa maîtresse, l’appela en sourdine :
— Je suis là ! Qu’y a-t-il encore ? Monsieur le Prince a oublié quelque chose ?
— Non. Cette fois c’est M. le duc de Nemours. J’ai eu beau lui répéter que madame la duchesse se reposait, il m’a bousculée et s’est élancé dans l’escalier. J’ai hésité un instant à appeler un ou deux valets et j’ai préféré venir jusqu’ici !
— Vous avez bien fait ! Il ne manquait plus que lui, en vérité !
Elle se hâta de rentrer et alla se poster en bas des marches de chêne, croisa les bras et attendit que se calme, dans les hauteurs, le claquement des portes que l’on ouvrait et refermait. Enfin elle l’entendit redescendre lourdement et, quand elle le vit en haut de la dernière volée, demanda :
— On peut savoir ce que vous venez chercher ?
Il exhala un soupir de soulagement qui eût suffi à gonfler la voile d’un bateau. La vue, sans doute, de la robe de cour à la fois somptueuse et un rien sévère. L’œil de la jeune femme, lui, était nettement orageux.
— Vous, bien sûr ! répondit-il. Je venais vous saluer quand j’ai vu sortir Condé, et…
Il s’arrêta, inquiet soudain en face de ce visage hermétique :
— Et quoi ? s’impatienta Isabelle.
De plus en plus mal à l’aise, il hésita, marmonna quelque chose d’indistinct et finalement lâcha :
— Ne pouvons-nous nous entretenir ailleurs que dans cet escalier ?
— Je vous ferai remarquer que ce n’est pas moi qui l’ai choisi. Pour une raison que j’ignore, vous avez jugé urgent d’effectuer chez moi une visite domiciliaire, mais si le cabinet de musique vous agrée…
— Je préférerais… votre chambre pour ce que j’ai à dire !
— Pas moi ! Alors c’est le cabinet de musique ou… la porte !
— Va pour la musique !
Ladite pièce n’avait rien de la salle de concert. Elle tenait surtout son nom des tapisseries qui l’habillaient où dieux et déesses évoluaient gracieusement aux sons d’instruments variés. On y trouvait certainement une guitare et un théorbe sur une table, mais c’était à peu près tout. En entrant, Isabelle alla s’asseoir près de la guitare et la prit sur ses genoux en posant négligemment une main sur les cordes.
— Voilà ! Prenez un siège et dites ce qui vous amène. Vous avez vu mon cousin Condé ? Et ensuite ?
— Un doute affreux s’est emparé de moi… N’est-il toujours que votre parent… ou aussi votre amant ?
Elle prit un air rêveur et caressa les cordes du bout des doigts :
— Quittez ce doute ! Je crois qu’on peut le dire ainsi : il est à la fois mon cousin et mon amant. Satisfait ? Et pendant que j’y pense, comment va cette chère Longueville ?
A la surprise d’Isabelle, il parut soudain très malheureux et se laissa tomber à genoux :
— Pitié, Isabelle ! Ne m’accablez pas ! Je venais vers vous pour implorer votre pardon ! Je ne sais, en vérité, ce qui m’est arrivé car je n’ai pas d’amour pour elle. J’ai été victime… d’une sorte de… d’un vertige des sens, c’est le mot ! Vous étiez loin de moi ; elle s’offrait. J’ai cru, avec elle, échapper à ma mélancolie et… et voilà ! Ou plutôt me voilà à vos pieds vous suppliant de m’accorder votre pardon !
Abandonnant sa mine sévère, elle lui offrit son plus charmant sourire :
— J’aurais mauvaise grâce à vous le refuser puisque hier soir je me suis donnée à votre grand chef !
Il se figea sur place comme si le feu du ciel l’avait changé en statue de sel à l’instar de la femme de Loth, et devint rouge vif :
— Vous ?… Vous, sa maîtresse ? Un léger bruit m’en était venu mais je n’y avais pas attaché trop d’importance ! On en raconte tellement… et je ne manque pas d’ennemis !
— En tout cas il n’aura pas perdu de temps en route, votre ennemi ! L’événement a eu lieu ici même et hier soir ! Et à moins que le Prince n’en ait fait une proclamation ?…
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