Mais cette fois, le Ciel qui, apparemment, avait pris à tâche de s’occuper d’elle, lui fit un beau cadeau en rappelant à lui le brandon de discorde : la princesse Christine venait de mourir à Wolfenbüttel d’une maladie qui avait une forte chance d’être la peste. Isabelle n’en demandait pas tant ni d’ailleurs Christian qui annonça lui-même cette délivrance à sa femme :
« C’est un grand bonheur pour nous que nos plus grands ennemis soient trépassés. Le bon Dieu nous assistera et nous fera vivre ensemble. Ce que je souhaite de tout mon cœur. Il me tarde si fort de vous revoir que vous ne le sauriez croire. Quand je serais une fois avec vous, je ne vous laisserai plus car la vie est trop courte et je voudrais bien encore avoir du plaisir et contentement avant que de mourir… »
Ceux qui espéraient que l’écervelé en viendrait à oublier sa femme en furent pour leurs frais !
Cependant, Christian dut encore retarder son retour pour en finir avec la succession de sa première épouse. Il le déplorait d’autant plus que Louis XIV, s’étant enfin résolu à signer son contrat de mariage avec Isabelle, venait d’inviter Mme la duchesse de Mecklembourg-Schwerin à reparaître à la Cour, où elle recevrait désormais les honneurs dus à son rang.
Isabelle crut s’évanouir de joie. Cette fois, elle avait gagné et la longue correspondance avec Lionne venait de payer puisque que, grâce à elle, le Roi n’ignorait rien de ce qu’elle pensait. Elle hésita un instant à différer jusqu’au retour de Christian mais Condé s’y opposa :
— Vous n’êtes pas un peu folle ? C’est vous qui avez remporté cette bataille. C’est à vous d’en recevoir la récompense et vous êtes très attendue ! Madame en particulier est impatiente de vous revoir !
— Que ne l’a-t-elle dit plus tôt ? Un simple billet de sa main m’aurait été d’un tel réconfort !
— C’était impossible ! Si elle ne vous a pas retiré son affection, Monsieur, lui, vous déteste plus que jamais ! Songez qu’il a perdu à cause de vous deux de ses amis : Vardes et Guiche ! Ceux qui lui restent vous craignent comme le feu.
— Et qui sont ?
— Le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat !
— Que leur ai-je fait ?
— Rien mais vous êtes l’amie dévouée de Madame. Votre éclipse les arrangeait passablement et ils vont sûrement méditer quelque mauvais tour…
— Dans ce cas, vous avez raison : il n’y a pas une minute à perdre !
— Répondez que vous viendrez demain. Je vous attendrai à votre descente de carrosse !
Et, le 23 janvier, Isabelle, velours noir, satin blanc, sous un déluge de perles, l’ensemble recouvert de précieuses zibelines envoyées en ligne droite du Mecklembourg, prenait le chemin de Saint-Germain où elle allait être reçue avec les honneurs militaires. Ce qui, tout compte fait, ne lui procura qu’un plaisir mitigé en lui rappelant le temps de la Fronde où Mazarin les accordait à une trop jeune ambassadrice dont, en réalité, il se jouait.
Cette fois c’était sérieux et ce fut au milieu des révérences qu’elle se rendit chez Madame laquelle, bravant la colère de son époux, avait décidé de la présenter elle-même au Roi et aux deux Reines qui lui réservèrent un accueil aussi chaleureux que si rien ne s’était passé.
Le continuateur du bon Loret, parti pour un monde meilleur, n’en trempa pas moins sa plume dans l’encre de l’enthousiasme :
Aussi dit-on en haut de gamme
Que la belle et brillante dame
[…] a toujours pour escorte
Les grâces, les ris et les jeux
Et le plus beau de tous les dieux !
Ce qui en surprit plus d’un et surtout plus d’une : à quarante ans, Isabelle n’avait rien perdu de sa beauté ni de son charme, et son célèbre sourire demeurait irrésistible. Madame, elle, lui tomba dans les bras !
— Babelle ! Enfin ! Vous n’imaginez pas ma joie à vous voir de retour.
— Elle ne saurait être plus grande que la mienne, et Votre Altesse me comble de bonheur. J’ai si souvent pensé à elle, dans les jours difficiles que j’ai vécus durant tout ce temps !
Malheureusement, il fallut aussi saluer Monsieur. Soutenu par sa cour de trop beaux gentilshommes, il l’attendait de pied ferme et, quand elle lui fit sa révérence, il lui tourna le dos purement et simplement.
Elle n’eut pas le loisir de se relever : la voix du Roi se faisait entendre.
— Il est à craindre que vous n’ayez pas compris, mon frère ! Vous vous occupez à offenser la souveraine d’un Etat allemand dont l’amitié nous est aussi utile qu’agréable !
Comme si une balle l’avait frappé dans le dos, le prince se figea puis se retourna lentement et lâcha :
— Mille pardons, madame ! Mon erreur vient de votre ressemblance extrême avec une dame pour laquelle je n’éprouve aucune sympathie !
— Ce sera donc à moi de faire en sorte que Monseigneur ne nous confonde plus ! fit-elle avec un grand sourire. Et j’espère de tout mon cœur qu’il ne verra en moi que sa dévouée servante !
Difficile sous les yeux du Roi de garder une attitude hostile ! D’ailleurs un détail venait de lui souffler une sorte de terrain d’entente pour le moins inattendu. Opérant un demi-tour sur ses talons, Monsieur considéra, l’œil brillant d’intérêt, l’une des mains d’Isabelle :
— Vous avez là un fort beau manchon ! C’est de la martre, je présume ?
— De la zibeline, Monseigneur ! J’avoue que je deviens frileuse et il est indélicat d’offrir à ses amis une main glacée.
— Et cela vous satisfait ?
— Absolument ! Si Monseigneur veut me faire l’honneur d’essayer ?
Elle offrit, dans une révérence, l’objet à l’intérieur duquel le prince enfouit ses mains, avec un plaisir qui l’épanouit :
— Hmmm !… Vous avez raison, princesse ! C’est tout à fait délicieux !… Et vous avez trouvé cette merveille à Paris ?
— Oh non, Monseigneur : en Mecklembourg et singulièrement en pays vandale. C’est sur les terres froides que l’on chasse les plus belles fourrures… et j’avoue que mon seigneur époux m’en envoie par caisses !
— Tant que cela ?
— Tant que cela !… Mais si Monseigneur voulait me faire le grand plaisir de garder celui-ci qui est, à mon sentiment, digne de lui parce que particulièrement beau…
— Vous me le donnez ?
— Non. Je prie humblement Monseigneur de bien vouloir me faire la grâce de l’accepter, répondit Isabelle, sur une nouvelle révérence.
— Alors j’accepte. Merci, princesse !
Et il lui tourna le dos pour offrir à l’admiration de son entourage ce présent inattendu et qui, visiblement, l’enchantait. Sur ce, Isabelle rejoignit Madame qui l’embrassa :
— Vous nous avez acquis la paix pour un moment et je ne vous en remercierai jamais assez. Mais vous allez être accablée d’amis dont vous ignoriez l’existence jusqu’à ce soir !
— Que Madame ne s’inquiète pas : je saurai faire le tri. D’autant que les ennemis se feront plus nombreux encore…
Le duc Christian rentra le lendemain même et Isabelle l’accueillit avec une joie sincère à la mesure de la crainte qu’elle avait ressentie de ne plus le revoir. La route est longue qui mène aux froides plaines d’Allemagne du Nord et les ennemis ne manquaient pas à ce brave garçon souvent trop confiant, qui n’avait pas un brin de méchanceté et qui l’aimait avec une telle confiance. Des adversaires qu’il serait prudent de ne pas oublier et qui sauraient sûrement attendre que leur insigne faveur baisse et d’autant plus dangereux qu’elle n’en connaissait certainement pas la moitié…
Cette nuit-là, Isabelle se comporta en épouse amoureuse, oubliant fermement que Christian n’était pas l’amant idéal, loin s’en fallait, et se contentant de s’abandonner à une force et une chaleur dont elle avait un réel besoin…
Ce fut le début d’une période des plus agréables. Dès le lendemain de la réception à Saint- Germain, Condé donnait une fête à sa mesure en l’honneur du couple en son hôtel parisien dont Isabelle fut la reine.
Ce serait mieux encore à la fête que le Roi avait commandée dans les jardins de Versailles pour fêter le carnaval. Isabelle y brilla d’autant plus qu’on la savait volontiers généreuse et l’affaire du manchon avait fait long feu. Toute la Cour souhaitait se parer des fourrures du Mecklembourg. Elle en fit venir beaucoup, réservant les plus belles à la famille royale. Le Roi par exemple reçut un justaucorps dont il se montra enchanté. Se refusant à faire du commerce avec Sa Majesté, Isabelle non seulement n’avait pas réclamé de paiement mais supplia humblement que l’on veuille bien accepter un présent d’une « fidèle servante ». Elle en fut remerciée par un splendide diamant et l’assurance d’avoir part dorénavant à « l’amitié du Roi », le tout via Lionne devenu un ami après avoir échangé avec lui des dizaines de lettres.
Mais ce qui la rendait la plus heureuse était de retrouver sa place auprès de Madame qui appréciait chaque jour davantage sa présence, sa gaieté et une affection qui l’aidait à supporter une vie conjugale de plus en plus difficile, Monsieur subissant sans discontinuer l’influence néfaste du jeune et trop séduisant chevalier de Lorraine qui n’hésitait pas à le malmener jusque sous les yeux de sa femme.
Celle-ci jouait l’indifférence alors qu’elle bouillait intérieurement d’une colère dont elle ne put retenir l’éclat le soir où elle vit son ennemi paré du manchon de zibeline d’Isabelle :
— Il n’est guère encourageant pour qui souhaiterait vous offrir un cadeau précieux de voir le cas que vous en faites ! lança-t-elle à son époux.
— Je ne vois pas pourquoi ? Les plus belles choses ne sont-elles pas destinées naturellement aux êtres les plus beaux ? Et personne n’est plus beau que mon cher chevalier !
Madame pâlit mais, malheureusement pour Monsieur, le Roi arrivait à cet instant. Un coup d’œil lui suffit à juger de la situation.
— Rendez ce manchon à Mme la duchesse de Mecklembourg ! ordonna-t-il au chevalier puis, se tournant vers Monsieur devenu rouge de colère : En vous l’offrant elle n’a certainement pas prévu que vous le galvauderiez !
Celle-ci intervint aussitôt :
— Avec la permission du Roi, je ne reprends jamais ce que je donne.
— En ce cas, je m’en charge ! Saint-Aignan, vous porterez cet objet à certaine vieille dame que je vous dirai. Elle avait les plus belles mains du monde mais l’âge et les rhumatismes les déforment et la font souffrir. Elle saura l’apprécier à sa juste valeur…
Et il alla prendre la main de sa belle-sœur pour l’emmener souper. Mortifié, Monsieur avait disparu. Lorraine regardant s’éloigner Madame, suivie d’Isabelle, se rapprocha de son plus cher ami, le marquis d’Effiat qui, lui aussi, suivait la princesse des yeux avec une expression indéfinissable :
— Que penses-tu de cela, Effiat ? demanda-t-il.
— Que Madame est une femme dangereuse opposant une barrière entre Monsieur et le Roi. Qui semble, entre nous, y tenir particulièrement ! Je sais comme tout un chacun qu’elle est le lien solide entre son frère d’Angleterre et Louis. Sans elle nous serions peut-être déjà en guerre.
— Je n’ai rien contre la guerre mais je pense qu’ici l’on se porterait mieux si elle venait à disparaître. Et… nous savons qu’elle est de santé fragile et que ses dernières couches ont été difficiles…
— Laissons un peu faire le temps et s’il ne se met pas à notre service nous pourrions alors… mais allons d’abord rejoindre Monsieur ! Il n’est jamais bon de le laisser seul trop longtemps…
La guerre ne tarderait guère à venir mais d’où on ne l’attendait pas. A la fin de l’été le Roi Philippe d’Espagne, père de la Reine Marie-Thérèse et frère de la Reine mère, rendait son âme à Dieu. Aussitôt, sous le prétexte de réclamer sa part dans la succession et impatient de gloire militaire, le Roi décida de se mettre lui-même à la tête de ses armées pour conquérir les Flandres.
Rien ne le retenait, Anne d’Autriche ayant quitté ce monde trois mois après. Une mort ô combien douloureuse à la suite d’un cancer du sein aux souffrances duquel la science était impuissante à apporter d’adoucissement à l’exception d’un peu d’opiat.
Ses deux fils, atteints d’une égale douleur, s’étaient retrouvés à son chevet et ne l’avaient quitté qu’une fois la vie éteinte. Mais le Roi – peut-être pour trouver un dérivatif à sa propre douleur – se lança dans cette guerre avec une sorte de soulagement.
A la Cour ce fut une explosion. Toute la jeunesse brûla du désir de se distinguer aux yeux du souverain et ceux qui n’avaient pas de commandement partaient simples volontaires. Christian partit lui aussi :
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