Avec l’entêtement buté des faibles, il signifia à son épouse qu’elle n’avait aucun bon procédé à attendre de lui tant qu’on ne lui aurait pas rendu son Lorraine bien-aimé… Et celle-ci se retrouva seule avec de rares amis assez courageux pour braver l’humeur agressive du mari. Isabelle était de ceux-là.
Liée à Mme de Gamaches, la première femme de chambre de la princesse, elle s’efforçait, avec Mademoiselle, de lui rendre goût à une vie qu’elle semblait perdre. Dès le retour d’Angleterre, Monsieur l’avait emmenée hors de Saint-Germain pour passer quelques jours à Paris puis on alla s’installer à Saint-Cloud, affirmant ainsi une résolution d’éloigner Madame de la Cour et surtout du Roi… Il aurait volontiers chassé les dames qui venaient la visiter. Mademoiselle par exemple, ce qui était difficile, et Isabelle, mais son rang de princesse étrangère la préservait. Au moins de se voir refuser l’accès aux appartements de Madame.
Ce dimanche 29 juin Madame rejoignit Monsieur pour entendre la messe. Il faisait déjà très chaud et sachant que la princesse aurait besoin de se désaltérer dans la journée, un garçon de service vint déposer dans une armoire « fraîche » de son antichambre un plateau contenant une tasse et deux pots. L’un contenait de l’eau de chicorée et l’autre de l’eau pure au cas où le breuvage serait jugé trop amer.
Or, dans la journée, le même garçon fut surpris de voir le marquis d’Effiat près de l’armoire en train d’essuyer la tasse avec du papier.
— Monsieur, demanda-t-il, que faites-vous donc à notre armoire et à la tasse de Madame ?
— Je crève de soif, mon ami, mais je n’ai bu qu’un peu d’eau, et voyant la tasse malpropre je préfère l’essuyer…
Vers cinq heures de l’après-midi, alors qu’elle bavardait avec Mme de La Fayette et Isabelle à l’ombre d’un salon aux rideaux tirés, la princesse demanda son eau de chicorée… on la servit et, après en avoir offert à ses visiteuses qui refusèrent – Isabelle parce qu’elle détestait cette mixture –, Henriette en but une pleine tasse et presque aussitôt poussa un cri en portant les mains à son ventre avant de rouler à terre en se tordant de douleur. Comme les deux dames s’empressaient, elle balbutia :
— Du poison !… On m’a donné du poison… oh, que j’ai mal !
On l’emporta sur son lit crachant le sang tandis que faisant preuve d’un beau courage Isabelle prenait le pot d’eau suspect et allait en boire à même le goulot quand Mademoiselle l’arrêta :
— Vous n’êtes pas folle ? Vous voulez ingérer de ce breuvage dont Madame dit qu’il l’a empoisonnée ?… Regardez comme elle est !
Et pour plus de sûreté, elle fit enlever le plateau mais en donnant l’ordre de ne pas y toucher, le contenu devant être examiné par les médecins.
Isabelle aurait voulu s’asseoir au chevet de Madame, lui tenir la main, mais la chambre s’emplissait d’instant en instant comme si la Cour entière voulait s’y montrer.
Le Roi vint avec la Reine mais aussi La Vallière et Montespan et la comtesse de Soissons, si dangereuse. Monsieur aussi, évidemment, qui pensait qu’on exagérait un embarras gastrique et préconisait du lait. On ne l’avait pas attendu pour en administrer à la malheureuse, sans résultat. Tout ce monde papotant comme dans un salon, à l’exception du couple royal qui ne s’attarda pas. Très sombre, Louis avait des questions à poser, des ordres à donner, ce qui n’était guère possible au milieu de cette volière caquetante dont Isabelle tentait vainement d’obtenir un peu de silence par respect pour les souffrances de Madame… Et la chaleur était à tomber.
L’assemblée se calma d’un seul coup quand les portes s’ouvrirent devant les moires violettes de l’évêque de Condom, Mgr Bossuet, que la mourante avait fait mander pour l’assister. Elle se souvenait des paroles si belles prononcées par lui au chevet de la Reine Henriette-Marie, sa mère, et ensuite durant ses funérailles. Se sachant perdue, la jeune femme ne voulait plus s’adresser qu’à Dieu !
Cependant, au nom du Roi, M. de Brissac interrogeait les domestiques et n’eut aucun mal à trouver le valet qui avait vu le marquis d’Effiat près de l’armoire. Ce serviteur révéla ce qu’il en était, en dépit des consignes que lui avait données à ce sujet Pernon, maître d’hôtel de Monsieur.
Conduit discrètement devant le Roi, celui-ci, en échange de la promesse de ne pas être mis en cause quoi qu’il ait laissé faire, raconta alors qu’un certain Morel, envoyé depuis peu au marquis d’Effiat par le chevalier de Lorraine, était intégré dans le personnel et que peut-être…
On fit venir l’homme qui semblait mal à l’aise.
Le Roi posa alors la question qui le tourmentait :
— Vous ne serez pas inquiété mais prenez garde de dire la vérité car nous parviendrons toujours à la connaître. Monsieur a-t-il eu connaissance de cette horreur ?
— Non, Sire ! Sur le salut de mon âme ! Il est trop brouillon pour qu’on lui confie un tel secret ! lâcha-t-il spontanément.
— C’est bien. Vous pouvez aller mais sachez vous taire à présent !…
Madame mourut au bout de quelques heures, le 30 juin à trois heures du matin5 faisant souffler sur la Cour un vent d’effroi. C’est lors des funérailles à l’abbaye royale de Saint-Denis que Bossuet prononça sa célèbre oraison funèbre.
Madame se meurt, Madame est morte…
Au retour des funérailles solennelles, Isabelle, plus bouleversée par cette fin tragique qu’elle ne l’aurait cru et mesurant l’affection qu’elle portait à la charmante princesse, se jeta dans les bras de Christian, secouée de sanglots :
— Emmenez-moi, mon ami ! Emmenez-moi chez vous, en Allemagne ! Je… je ne peux plus me supporter ici ! Je préfère vivre au milieu des Vandales que de ces gens prétendument civilisés capables de porter le poison jusqu’au trône !…
1 L’orthographe surréaliste de la duchesse ôtant beaucoup de l’intensité dramatique de ses écrits, j’ai jugé plus prudent de l’adapter.
2 Le second prénom d’Isabelle était Angélique.
3 L’asile psychiatrique.
4 Que l’on n’en déduise pas que la duchesse entretenait une relation amoureuse avec le ministre. Il ne s’agit là que d’un terme de politesse normal à cette époque.
5 En fait ce n’était pas l’eau de chicorée qui était empoisonnée mais la tasse elle-même. Effiat y aurait procédé en « essuyant » la tasse prétendument malpropre avec le papier contenant le poison.
ET POURTANT, QUELQUES ANNÉES APRÈS…
La gloire… enfin !
Que Paris était donc beau quand, sous le soleil du début de l’automne, il se laissait emporter par l’enthousiasme et la joie de fêter un triomphe. Maisons pavoisées, fenêtres fleuries, costumes d’apparat, c’était un peuple entier qui s’adonnait à la griserie que seules peuvent apporter une série de victoires retentissantes qui allaient ajouter quelques rayons à la gloire de son Roi-Soleil !
Un peu partout on chantait, on dansait dans les rues, on buvait dans les auberges qui avaient fait toilette. Paris sentait le pain chaud, le fumet des rôtisseries aux portes grandes ouvertes.
Cependant c’était vers Notre-Dame que la foule semblait se diriger et les gardes de la prévôté avaient fort à faire pour garder libres les accès à la cathédrale dont les cloches sonnaient à toute volée mettant en fuite les pigeons de l’Hôtel-Dieu. C’est qu’on allait y chanter un « Te Deum » particulièrement glorieux pour remercier Dieu et Madame Marie de la série de victoires dont ils avaient bien voulu couronner les armes du maréchal de Luxembourg, alors le plus grand soldat du royaume !
Assise auprès de sa mère dans son carrosse d’apparat qu’entouraient des gardes, Isabelle avait glissé son bras sous celui de Mme de Bouteville dont elle avait tenu à ce qu’elle soit présente en ce jour magnifique couronnant la carrière de son fils. Une sorte de revanche, durement méritée par cette femme de quatre-vingt- cinq ans frappée en plein cœur soixante-six ans plus tôt par la mort, sous l’épée du bourreau, d’un époux bien-aimé jamais remplacé, jamais oublié… Entre le parvis de Notre-Dame et la place de Grève où s’était dressé l’échafaud, il n’y avait que la largeur d’un bras de la Seine… que son regard évitait de traverser.
Aux yeux d’Isabelle, le chemin suivi par sa mère au cours de ces années était d’une droiture dont rien ne l’avait fait dévier. Une ligne aussi droite que cette femme courageuse qui, lorsque son petit François avait eu sept ans, l’avait pris par la main pour le conduire au Louvre où elle l’avait fait incliner devant Louis XIII en disant :
— Sire, voilà le dernier des Montmorency, faites-en ce que vous voulez !
Puis était partie sans se retourner. Les Condés s’étaient alors chargés de lui et de ses deux sœurs et le résultat était là : duc de Luxembourg-Piney, prince de Tingry, maréchal et pair de France, le petit François avait dépassé toutes les espérances.
Qu’en était-il d’Isabelle elle-même ?
La douleur violente mais inattendue causée par la mort de Madame – elle ne croyait pas l’aimer autant ! –, l’horreur surtout du moyen ignoble dont on s’était servi pour la tuer et assurer l’impunité aux coupables l’avaient fait fuir le plus loin possible dans l’espoir de jouer tranquillement auprès de Christian de Mecklembourg-Schwerin son rôle d’épouse et de princesse souveraine. Un rôle qu’elle s’imaginait représentatif. Elle se voulait une sorte d’ambassadrice de l’élégance, de l’esprit, de l’art de vivre français. Son charme lui gagna bien des cœurs et le peuple accueillit chaleureusement cette grande dame pourvue d’un si joli sourire et d’un cœur si généreux.
Aimant le monde, elle en reçut beaucoup, donna des fêtes aussi bien dans les châteaux que pour le peuple, sur les places publiques où l’on se pressait ; se créa des amis mais aussi des ennemis, en particulier parmi ceux qui, profitant des nombreuses absences de leur duc, menaient le pays à leur guise. Le tout orchestré par un certain abbé de Lézignan dont elle eut quelque peine à s’accommoder, parce qu’il semait le doute et les hésitations chez un Christian qui n’avait guère de suite dans les idées et ne cessait de regretter la vie si agréable que l’on menait en France où il retournait sous les prétextes les plus variés, laissant sa duchesse se débrouiller comme elle l’entendait.
Dans les premiers temps, elle n’y vit pas d’inconvénients. Plus ami des fêtes et distractions en tout genre que des austérités du gouvernement, le cher Christian, découvrant les talents politiques de sa femme, trouva pratique – et tellement plus confortable ! – de la laisser faire face aux imbroglios du gouvernement, et retourna voir ailleurs si l’herbe était plus verte.
Or, la paix installée depuis la prise de pouvoir par Louis XIV s’effritait. La guerre de Hollande avait repris et, menacé d’une coalition des princes allemands, le Roi apprit avec stupeur que le duc de Mecklembourg, se souciant peu de son presque royaume, menait joyeuse vie à Paris et que seule Mme la duchesse régnait sur la modeste cour de Schwerin où elle s’efforçait, non seulement de faire apprécier la France, mais aussi de nouer de bonnes relations avec les princes voisins. Il s’en entretint avec ses ministres Louvois et Pomponne… qui lui déconseillèrent fortement de convoquer le duc et de lui laver la tête avant de le renvoyer faire son métier de souverain en Mecklembourg.
— Mme la duchesse a l’air de s’en tirer au mieux, dit Pomponne. Elle a appris l’allemand en un temps record (le français, langue diplomatique, était parlé pratiquement partout dans les chancelleries et les cours mais pas au niveau du peuple) et, malgré qu’elle ne soit plus toute jeune, son charme reste entier et elle sait toujours s’en servir. Elle est, à mon sentiment, la meilleure ambassadrice que nous ayons là-bas ! Elle a réussi à évincer l’abbé de Lézignan.
— Pas de liaison amoureuse ?
— Pas que l’on sache, sinon par écrit, ajouta le secrétaire d’Etat avec un sourire. Le courrier avec Chantilly garde toute son importance !
— Je n’y vois pas d’inconvénients. Néanmoins il faut aider la duchesse ! Le marquis de Feuquières doit partir pour la Suède. Qu’il passe par Schwerin afin de lui conseiller de l’accompagner à Celle chez le duc de Brunswick-Lunebourg dont l’influence est importante parmi les princes. Il n’est pas très malin mais il a épousé une Française, Eléonore d’Olbreuse, et notre duchesse pourrait les séduire tous les deux1 !
Ainsi fut fait. Peu avant Noël, par un froid polaire, Isabelle fit en compagnie de Feuquières une majestueuse entrée à Celle. Elle arriva annoncée par des trompettes et au son des tambours, en grand équipage comme il convenait à une souveraine et pendant six jours ce ne furent que fêtes et divertissements. Et le traité que souhaitait Louis XIV fut signé. Le célèbre charme avait joué une fois de plus… et Isabelle ne pouvait s’empêcher de sourire au souvenir de ce temps où, privée d’un mari qui l’insupportait de plus en plus mais qui, certainement, passerait bientôt à l’état de souvenir, elle se considérait comme abandonnée… donc malheureuse !
"Princesses des Vandales" отзывы
Отзывы читателей о книге "Princesses des Vandales". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Princesses des Vandales" друзьям в соцсетях.