Isabelle s’était battue comme une lionne pour sauver son frère. Elle avait dépensé une fortune pour réfuter les accusations de Lesage sachant bien que c’était contre le puissant ministre qu’elle luttait. Des libelles infâmes couraient alors Paris, la province… et l’armée où les soldats qui adoraient leur chef faillirent se mutiner. La plume d’Isabelle reprit une activité intense pour libérer François. L’horreur qu’elle conservait du poison depuis la mort de Madame la galvanisait. Enfin elle alla voir le Roi…
Elle l’avait trop bien servi dans les affaires d’Allemagne durant toutes ces années pour qu’il ne l’écoute pas d’une oreille bienveillante. Ce qu’elle demandait était simple d’ailleurs : que la Chambre Ardente entende son frère qui se rongeait dans sa prison tandis qu’on le couvrait de boue. Et aussi ce Lesage, ce misérable auquel M. de Louvois accordait tant de crédit ! Que les juges instruisent enfin le procès de ce Lesage, seul accusateur du maréchal et qui, de sa prison, lançait ses calomnies sans que quiconque se souciât de les vérifier. Qu’on le mette enfin en face de l’homme sur lequel il s’acharnait. En conclusion, elle n’hésitait pas à accuser Louvois.
Et elle obtint ce qu’elle voulait.
Extrait de Vincennes et conduit devant les juges, le misérable se croyant protégé sur ses arrières réitéra ses assertions que le maréchal, calme, dédaigneux et conscient de son innocence, réfuta point par point :
Attenter à la vie de sa femme ? Elle lui avait donné de beaux enfants et il n’avait jamais eu à se plaindre d’elle !
Obtenir un gouvernement ? Il avait mieux que cela et aurait peut-être envisagé la question si on ne l’avait nommé que gouverneur d’une place ou même d’une province…
Le mariage de sa fille avec le fils de Louvois ? Il était d’une maison où l’on n’achetait pas les actions par des crimes et lorsqu’une reine, mère d’un enfant mineur, avait épousé son ancêtre Mathieu de Montmorency, l’union avait été approuvée par les états généraux… Alors la fille d’un Louvois…
Avec toutes les marques du respect possible, le maréchal fut rendu à la liberté mais, en raison de ce vacarme autour de sa personne, le Roi l’exila momentanément dans son château de Piney près de Troyes. Alors, croyant l’éloignement définitif, ses créanciers – et il en comptait une foultitude ! – se manifestèrent : Isabelle et Condé payèrent jusqu’au dernier sol…
Cependant la guerre reprenait. Contre Guillaume d’Orange, stathouder de Hollande. Tandis que l’Angleterre chassait son roi catholique Jacques II… qui fut hébergé par Louis XIV au château de Saint-Germain définitivement abandonné par la Cour. Il fallait aux armées un véritable chef de guerre. Turenne était mort depuis longtemps… et Condé venait de mourir laissant une blessure au cœur d’Isabelle. Le seul capable d’assumer une telle charge, c’était le maréchal de Luxembourg. Le Roi l’appela à Versailles…
Il en ressortit chef suprême des armées du Nord et Isabelle pleura d’orgueil comme elle avait pleuré de soulagement quand elle était allée, en grand apparat, chercher François à la Bastille… Elle était sûre qu’il accomplirait des prodiges !…
Et maintenant c’était à son triomphe que sa mère et sa sœur se rendaient ! A mesure que l’on approchait de Notre-Dame, la foule se faisait plus dense, plus enthousiaste aussi sous les volées de cloches que ses tours jumelles déversaient sur Paris en attendant que le gros bourdon salue de sa voix de bronze l’arrivée du héros. Le nom des victoires qui avaient enfin renvoyé Guillaume d’Orange lécher ses plaies dans son triste château de Loo en Hollande se communiquait de bouche en bouche : Fleurus, Leure, Steinkerque, Neerwinden et c’était à qui renchérirait sur un détail né souvent d’une imagination enthousiaste mais tous savaient qu’après la cérémonie le Roi recevrait le maréchal de Luxembourg avec un faste tout particulier.
En attendant on acclamait sa mère, si imposante dans ses dentelles noires adoucies d’un seul collier de perles, et sa sœur, la « Reine » des Vandales, encore belle, malgré la soixantaine passée, dans une robe de brocart gris givré d’argent, une petite couronne de diamants retenant à son chignon un voile de mousseline bleu assorti au grand cordon qui battait sa poitrine. Un diacre les attendait pour les guider vers leurs places dans le chœur, où elles allèrent s’asseoir après s’être un instant agenouillées devant le maître-autel.
Isabelle sentit que l’émotion faisait trembler la main de sa mère sur son bras et se hâta de poser la sienne dessus pour la réconforter… Elle-même d’ailleurs avait peine à contenir ses larmes. Ce « Te Deum » que l’on chanterait lui en rappelait un autre, lointain, et qui avait marqué le début de la Fronde où, en présence du jeune Roi, Gaspard de Châtillon, alors son époux, avait représenté le prince de Condé souffrant… A celui-là non plus, le Prince n’assisterait pas. Il y aurait bientôt sept ans qu’il était retourné à Dieu après avoir humblement demandé le pardon de ses fautes. Elle l’avait pleuré comme elle n’avait encore jamais pleuré…
Mais cette douleur n’était pas de mise en ce jour consacré à la gloire de François et Isabelle regarda autour d’elle. La cathédrale était illuminée par une multitude de cierges et avait revêtu ses plus beaux atours dont les moindres n’étaient pas les centaines de drapeaux, d’étendards, d’oriflammes pris à l’ennemi qui cachaient ses voûtes sous une vague frissonnante de soies aux couleurs diverses brodées d’or ou d’argent. L’effet en était magique… Et les drapeaux, c’était François qui les avait rapportés.
Soudain le bourdon fit entendre son battement grave. C’était comme si le cœur de la cathédrale se mettait à battre à l’approche de ce petit homme un peu contrefait que ses victoires rendaient si grand ! Une immense clameur du peuple salua son arrivée et il apparut enfin au seuil du portail, accompagné de ses quatre fils et de ses principaux officiers. Il y eut un grand élan pour le toucher, barrant le passage entre lui et l’archevêque assisté de son clergé qui l’attendaient devant l’autel.
Alors un homme, le prince de Conti, jaillit les bras levés vers la voûte et sa voix tonna :
— Place, messieurs ! Place au Tapissier de Notre-Dame !
Et l’on s’écarta tandis que le cri devenait clameur et se répercutait sur la foule du parvis et par les rues et jusqu’aux remparts de la ville.
— Gloire au Tapissier de Notre-Dame !
Appuyées l’une à l’autre, Isabelle et sa mère pleuraient de bonheur…
Un an après, dans son petit appartement de Versailles où le Roi l’avait invité à fêter le nouvel an, François de Montmorency-Bouteville, duc de Luxembourg-Piney, prince de Tingry, maréchal et pair de France, était emporté par une broncho-pneumonie. Ses funérailles solennelles eurent lieu à l’église Saint-Paul-Saint-Louis, rue Saint- Antoine, mais Isabelle n’y assista pas.
A demi folle de douleur, elle avait couru, dès le dernier soupir exhalé, s’enfermer au couvent des filles du Saint-Sacrement où elle se rendait très fréquemment depuis qu’après la mort de son mari elle avait acheté l’hôtel de Gesvres, rue du Cherche-Midi, uniquement parce que son jardin communiquait avec celui des religieuses.
Chez qui quelques jours après elle tombait malade mais, au lieu d’accepter le lit et les soins que la mère supérieure lui offrait, elle regagna sa demeure en traversant le jardin, et s’en fut se coucher en toussant à s’arracher les poumons. Elle se savait atteinte du même mal que François et en était heureuse.
En rentrant elle trouva Agathe, inquiète. Son époux était souffrant à Chantilly. Elle lui sourit :
— Ne vous tourmentez pas, la rassura-t-elle. Bastille va vous emmener…
Celui-ci renâcla :
— Ne pouvez-vous la confier à quelqu’un d’autre ? Il se fait tard déjà…
— Justement. Je serais plus tranquille. Tu reviendras ensuite…
— Vous croyez ?…
— Pourquoi non ? J’en suis sûre… A demain !… Va vite !
Elle lui tendit une main fiévreuse qu’il osa effleurer de ses lèvres.
Quand il fut parti, elle se coucha, demanda une tasse de verveine puis qu’on ne la dérange plus. Elle voulait… dormir…
Mais elle savait que la mort approchait et elle voulait l’attendre seule avec le souvenir des deux hommes qu’elle eût vraiment aimés…
Elle ne se réveilla plus jamais.
C’était le 24 janvier 1695. Il neigeait…
Saint-Mandé, janvier 2013.
1 Voir Le Sang des Koenigsmark, tome 1.
2 Un parent de Bussy-Rabutin.
3 Vingt-quatre ans plus tard et alors que Condé était mort depuis longtemps.
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