— Ce bâtard se croit tout permis parce que Henri IV est son aïeul, mais ma mère à moi était princesse de sang royal…
— Pourquoi, diantre, avez-vous épousé sa sœur dans ce cas ? lui fit remarquer un jour Retz qui était des proches de la famille de Vendôme. D’ailleurs je lui donne volontiers raison en ce qui concerne l’Espagne et je ne suis pas le seul ! Quant aux femmes, il a au moins autant de succès que vous auprès d’elles. Il a seulement un compte à régler avec Mazarin, un point c’est tout ! Et sa mère que vous traitez si dédaigneusement, c’est tout de même une Vaudémont-Lorraine ! Et je l’aime bien ! avait conclu le nouveau cardinal avec simplicité.
Isabelle aussi aimait bien François de Beaufort parce qu’il était bon compagnon, aimait rire autant qu’elle et l’avait tirée d’affaire sur le Pont- Neuf un jour d’émeute. Aussi l’accueillit-elle avec un sourire radieux… qui, bien sûr, indisposa Nemours. Voyant qu’après lui avoir baisé la main ils riaient ensemble de quelque plaisanterie, il allait s’en mêler quand Condé l’attrapa au passage :
— Nous sommes ici pour débattre d’affaires d’importance ! Alors tâchez de vous en souvenir !
— Mais il se comporte en ce lieu comme…
— L’un des nôtres. Ce qu’il est !
— Allons donc ! Il ne veut pas entendre parler de notre alliance avec le Roi catholique !
— Mais il tient Paris, qui l’a promu « Roi des Halles » au creux de ses mains ! Or Paris n’aime pas les Espagnols plus que lui ! Et maintenant siégeons ! Il est temps d’ouvrir la séance, ajouta-t-il.
— … A moins que l’on n’attende Monsieur ?
— Il s’est fait excuser, grogna Condé. Un petit malaise de plus !
On s’installa dans le cabinet de conversation où une table à écrire était disposée dans un coin près du cercle de fauteuils qui attendait les visiteurs. L’un d’eux resta vide :
— Nous attendons encore quelqu’un ? demanda le cardinal.
— Mon frère, bien entendu ! soupira Isabelle. Je crois que même au jour de sa mort il trouvera le moyen d’être en retard.
Il apparut à cet instant, tout souriant, vint embrasser sa sœur, salua les autres gracieusement en marmottant une excuse que personne ne comprit avant de se précipiter dans le siège resté libre. Isabelle prit alors la parole et après avoir remercié ses nobles visiteurs de leur présence pria que l’on ait l’obligeance de lui répéter ce qui s’était passé au château de Saint-Germain-en-Laye lorsque Gourville y était allé en ambassade.
— J’aimerais lire le texte que le secrétaire de La Rochefoucauld avait été chargé de remettre, si, évidemment, on avait pris soin d’en faire un double.
Ce qui n’était pas le cas :
— Gourville, dit Condé, savait parfaitement ce que nous réclamons les uns et les autres pour mettre bas les armes !
— Oui, mais moi je ne le sais pas !
Sur ce, tout le monde se mit à parler en même temps, générant une parfaite cacophonie à laquelle le Prince, sur un regard d’Isabelle, mit fin en tapant violemment sur la table :
— Un peu de silence ! On se croirait au Parlement ! Gourville, vous avez en mémoire ce que vous avez dit ?
— Oui, Monseigneur !
— Alors écrivez-le, sacrebleu ! jura la duchesse qui perdait patience. Si je vous ai compris, c’était un message oral ?
— Naturellement ! répondit Condé. Comprenez, ma chère cousine, qu’il ne s’agissait pas d’un quelconque placet de sujet à souverain mais d’une sorte de traité de puissance à puissance ayant pour but d’éliminer définitivement Mazarin et de nommer aux différentes charges importantes des gens à nous. Tous dévoués au Roi, je vous rassure ! précisa-t-il en voyant s’arrondir de stupeur les grands yeux sombres de la jeune femme.
— De puissance à puissance ? répéta-t-elle. Mais, ma parole, vous êtes tous devenus fous ? Que vous soyez, mon cher cousin, le deuxième Louis des princes de Condé ne vous permet pas de vous croire l’égal de Louis XIV, roi de France et de Navarre. Tous ici, moi y compris, nous sommes ses sujets ! Rien d’autre ! Une simple question, ajouta-t-elle quand le tumulte provoqué par ses paroles s’apaisa : Si, à cet instant, Sa Majesté entrait dans cette salle, que feriez-vous ?
— Nous la saluerions comme il se doit ! fit-il en haussant les épaules.
— Et il serait parfaitement en droit de ne pas vous rendre ledit salut ! Et de s’asseoir en vous laissant debout ! Ce qui l’attend, dans quelques mois, c’est le sacre dans la cathédrale de Reims ! Mais la couronne de Saint Louis, votre saint patron à tous deux, ne fait pas de vous son frère pour autant ! Essayez de comprendre qu’il s’agit d’éclaircir une situation stupide qui n’est profitable à personne et qui ruine le royaume pour de longues années peut-être !
Un silence suivit. Aucun de ces hommes – à part Beaufort qui la regardait en souriant – ne trouvait de riposte. Même François, qui ne cachait pas sa surprise devant la mercuriale de sa sœur. Enfin Condé trancha :
— Il faut en finir ! Gourville, veuillez prendre place à cette table et notez l’intégralité de nos déclarations pour nous-mêmes comme pour le gouvernement du royaume.
— Vous en tirerez un mémoire, coupa Isabelle, exposant, en un certain nombre d’articles, les conditions moyennant lesquelles vous mettrez bas les armes. Et vous enverrez l’un de vous le remettre aussi solennellement que vous voudrez au Roi ! De plus, il serait bon, Monseigneur, que vous y joigniez une lettre de votre main exprimant quelques regrets ainsi que votre « attachement » à sa personne !
La rédaction dudit mémoire n’alla pas sans heurts. Condé y avait demandé diverses sommes d’argent pour lui-même et ses compagnons de captivité. Il réclamait aussi cent mille livres pour dédommager la duchesse de Châtillon, et Isabelle prit feu :
— Ce ne sont pas les troupes du Roi qui ont ravagé Châtillon mais les vôtres, Monseigneur. Qui casse les pots les paie, comme on dit dans nos campagnes. Et je n’ai demandé que dix mille livres ! Otez cette clause du mémoire ! Je ne veux en rien être mêlée à tout ceci !
— Que vous le vouliez ou non, vous y êtes, ma sœur ! remarqua François. Et si les cent mille livres ne vous intéressent pas, elles m’arrangeraient assez ! Nous pourrions partager : dix mille livres pour vous et le reste pour moi2 !
Autre sujet de fâcherie, on demandait que le duc de Beaufort soit nommé gouverneur de Paris. Cette fois, ce fut Nemours qui prit feu :
— Ce n’est pas parce qu’il règne sur les poissardes, les ribaudes et les filles folieuses qu’il faut lui offrir toute la ville !
Beaufort éclata de rire :
— Rassurez-vous, cher beau-frère, je n’en ai pas la moindre envie. Je préfère garder mon influence sur le petit peuple plutôt que lui imposer la plus infime férule. Je rêve de l’amirauté qui était à mon père et dont je souhaite la survivance. La mer toujours recommencée, monsieur le duc de Nemours ! Vous ne savez pas ce que c’est : elle vaut toutes les femmes du monde… A l’exception de rares merveilles, déclara-t-il avec un sourire et un salut à l’adresse d’Isabelle.
Nemours n’entendait pas en rester là mais Condé lui imposa silence. Quand tout fut fini il y avait vingt et un articles que l’on relut avant de les retranscrire proprement. S’éleva alors la question primordiale : qui serait chargé de remettre l’objet entre les mains royales ?
— Moi, j’accepte ! proposa François de Bouteville. La Reine m’a toujours vu venir avec bienveillance. Peut-être parce que j’ai le don de la faire rire !
— Cela m’étonnerait que ce soit le cas à présent ! grommela Nemours. Elle se languit de son Mazarin et n’a pas besoin d’un pitre…
Condé eut juste le temps d’attraper le jeune homme au vol et de le ceinturer puis gronda :
— Si tu veux te battre en duel, Nemours, cherche-toi un adversaire ailleurs que chez nos amis ! Nous ne nous sommes pas réunis pour nous entretuer ! Et cela sous les yeux de Mme la duchesse de Châtillon, notre si chère amie.
Tout en parlant, il avait saisi la main d’Isabelle et la garda dans les siennes. Retz qui les contemplait suggéra :
— La Reine voit avec plaisir Mme la duchesse. Pourquoi ne pas la prier de nous rendre ce service ? Elle a un sourire auquel nul ne peut se vanter de résister. Et l’on dit notre jeune Roi déjà fort sensible au charme féminin !
— Il pourrait y avoir du danger, protesta Nemours, et je m’y oppose !
— A quel titre ? maugréa le Prince dont le sourcil se fronçait.
— A quel titre ? Mais à celui de…
— Du calme ! reprit le cardinal. Ce n’est pas sans réfléchir que j’émets cette proposition. Savez-vous comment, chez les Précieuses, on surnomme notre belle hôtesse depuis son éclatant retour sous double escorte ?
— En dehors de Mlle de Scudéry je ne les fréquente guère, remarqua la jeune femme.
— Elles n’en ont pas moins des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Dans leur cercle vous êtes devenue « Circé » !
— La magicienne qui transformait les hommes en cochons ? fit Isabelle en plissant le nez. Je ne suis pas certaine d’en être flattée !
— Peu importe les sujets, coupa Condé en lui souriant. C’est la puissance qui compte ! Qu’en pensez-vous, Isabelle ? Acceptez-vous d’être notre ambassadrice ?
— Pourquoi non, après tout ! Si la Reine… et le Roi veulent bien me recevoir !
Mme de Brienne s’étonna un peu qu’Isabelle eût besoin d’elle pour obtenir une audience de Leurs Majestés qui toujours l’avaient vue venir avec plaisir, mais comprit mieux quand elle sut de quelle mission sa jeune amie était chargée : plaider la cause des princes n’était pas une mince affaire.
— Cela ne fait guère honneur à leur courage, apprécia-t-elle. Selon moi le plus simple et le plus efficace ne serait-il pas d’aller tous en chœur plier le genou devant le Roi en lui offrant leurs épées ? En outre… – mais ensuite seulement ! – entamer des pourparlers si l’on vous en laisse le temps ! Je ne suis pas certaine que l’on apprécie à Saint-Germain cette façon de mettre la charrue avant les bœufs.
— Monsieur le Prince pense être en puissance suffisante pour discuter d’égal à égal.
— Doux Jésus ! On aura tout vu !… Quoi qu’il en soit je vous accompagnerai ! Vous aurez peut-être besoin d’un soutien, pauvre agnelle que l’on veut jeter aux loups !…
La pauvre agnelle n’en avait guère l’apparence quand elle monta en voiture pour se rendre à l’invitation royale quelques jours plus tard en compagnie de son amie. Elle était belle à miracle dans une robe de brocart de cette joyeuse couleur de corail clair qu’elle affectionnait. Des diamants étincelaient sur sa gorge, à ses oreilles, ses bras et ses mains ainsi qu’à l’éventail qu’autorisait l’extrême douceur du temps. Ces parures lui appartenaient en propre et elle avait jugé plus sage de ne rien porter qui lui vint de sa Princesse afin de ne pas donner l’impression d’être totalement inféodée aux Condés. Elle fut même quelque peu contrariée en constatant qu’on lui avait attribué une escorte d’honneur qui vint caracoler autour de son carrosse. D’autant qu’elle était munie d’un sauf-conduit :
— Que vous le vouliez ou non, vous voilà bel et bien promue ambassadrice officielle ! Ce qui aura au moins l’avantage de nous permettre d’entrer en voiture dans la cour du château et de descendre devant le perron !
Mieux encore lorsqu’on arriva à Saint-Germain, les gardes se rangèrent sur son passage en lui présentant les armes ! Cette fois c’était peut-être un peu exagéré mais si la duchesse éprouva une vague crainte, ce n’en fut pas moins le front haut que, annoncée officiellement, elle pénétra dans la grande salle où la Cour était rassemblée, formant une haie au bout de laquelle le Roi et sa mère l’attendaient, trônant assis dans leurs fauteuils.
Se voyant ainsi honorée, Isabelle se conforma au protocole en effectuant une première révérence à l’entrée, une deuxième à mi-chemin et la troisième devant Leurs Majestés : la prestation fut accomplie avec une grâce qui lui valut un murmure admiratif.
L’accueil royal fut non seulement aimable mais chaleureux. « Il ne lui manquait, devait écrire plus tard Retz renseigné par un de ses espions, que le rameau d’olivier à la main. Elle fut reçue et traitée comme Minerve l’aurait pu être… » Anne d’Autriche entièrement de noir vêtue mais parée de perles magnifiques l’embrassa. Le jeune Roi, déjà fort séduisant, baisa sa main en lui tournant un compliment du dernier galant auquel elle répondit avec esprit. On échangea compliments et amabilités jusqu’à ce que sur une nouvelle révérence elle remette à la Reine le fameux mémoire que celle-ci n’ouvrit pas, se contentant de l’offrir à son fils :
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