Et elle glissa ses bras autour de son cou pour l’attirer à elle.

Au matin, Condé adressait un mot d’excuses à Mademoiselle. Le temps passe si vite…

Isabelle retourna deux fois à Saint-Germain où elle était reçue avec un vif plaisir et où Mazarin, sans jamais s’engager, faisait miroiter à ses yeux des « accommodements » tous plus séduisants les uns que les autres… Cela entretenait autour d’elle une agréable atmosphère dans laquelle commençaient à fondre les méfiances des ennemis jurés du Cardinal… jusqu’au lendemain de la dernière visite où Bastille revint d’une discrète « exploration » autorisée par Isabelle sans difficulté. Et ce qu’il avait à révéler n’était pas exempt d’intérêt : la duchesse était en train de se faire mener en bateau par le rusé Cardinal et, tandis qu’il s’employait à endormir l’ennemi, le maréchal de Turenne avait bel et bien entrepris le siège d’Etampes et il s’en fallait de peu à présent qu’il n’y ensevelisse le plus gros de l’armée rebelle.

Aussitôt prévenu, Condé explosa de fureur :

— J’aurais dû m’en douter et ne jamais vous laisser entraîner dans ce traquenard.

— C’est plutôt moi qui aurais dû me sauver en courant dès que j’ai vu paraître ce… ce… ce…

Elle ne trouvait pas de mot assez fort pour traduire l’amère déception qu’elle ressentait. Alors qu’elle pensait sincèrement contribuer à apporter la paix à un royaume en train de se détruire, ce misérable Italien avec ses mines de chattemite et ses sourires enjôleurs gagnait du temps et se moquait d’elle ? Oh c’était infâme ! Infâme !

Elle en aurait pleuré tant elle éprouvait de honte et de dépit !

— Ne vous désolez pas trop ! fit Condé, pour une fois compatissant. Ces visites que l’on vous a demandées – notez-le ! – ne prouvent qu’une chose : l’on a besoin de vous parce que la situation est encore précaire à Saint-Germain et c’est tout de même grâce à votre serviteur que nous avons approché la vérité. A présent il me faut aller à la rescousse d’Etampes…

Il n’eut même pas le temps d’aller à Saint-Maur pour rassembler les troupes qu’il conservait autour de Paris et l’encre n’était pas encore sèche sur la lettre qu’Isabelle adressait à Leurs Majestés pour s’excuser – sans motif ! ce qui était fort insolent ! – de ne pas pouvoir honorer leur invitation, quand Mademoiselle tomba chez elle comme la foudre sans se montrer offusquée d’y trouver le Prince de si bon matin :

— Ah, mon cousin, nous sommes sauvés !… Voilà l’aide dont nous étions si inquiets qui nous arrive !

Et d’expliquer que le duc Charles IV de Lorraine, frère de sa belle-mère5, venait d’arriver sur Paris et comme il le disait dans un billet qu’il venait de faire tenir à Monsieur, installait son camp près de Villeneuve-Saint-Georges dans une position favorable car il s’y « entendait assez aux choses de la guerre ».

Autant le dire tout de suite, ce curieux prince exerçait métier de ce que l’on appelait « condottiere » au-delà des Alpes. Il entretenait soigneusement une armée qu’il mettait au service d’un confrère en difficulté. Moyennant finances évidemment. Ce n’était peut-être pas très « princier » mais cela rapportait. Et là il répondait à un appel de Condé mais aussi de Monsieur. Et comme accessoirement il cousinait aussi avec Beaufort dont la mère était princesse de Lorraine, tout le parti des princes se sentit conforté par une arrivée considérée comme un bienfait du Ciel. D’autant plus qu’elle obligea Turenne à renoncer au siège d’Etampes et à revenir sur la capitale où il planta son camp sur les hauteurs faisant face aux positions lorraines. Puis on attendit que viennent les négociations.

Les Parisiens, toujours curieux, vinrent visiter son camp où s’établit une sorte de foire. L’on se donnait rendez-vous comme au Cours-la-Reine ou sur la place Royale. Le duc offrit une impressionnante revue de ses troupes qui se composaient de six mille cinq cents cavaliers, trois mille fusiliers et huit canons sans compter les « quarante mille goujats, gouges et vivandiers » qu’il traînait à sa suite. On admira beaucoup. En échange Charles IV fit quelques visites à Paris, courtisa Mademoiselle – il était veuf ! – qui en conçut un certain plaisir mais il se déclara grand admirateur de la duchesse de Châtillon dont, au Cours-la-Reine, il détela les chevaux pour tirer son carrosse à leur place puis monta dans celui de Mlle de Chevreuse pour se rendre avec elle chez la princesse de Guéméné – place Royale ! –, se déguisa en religieuse et se promena sur la place jusqu’à une heure du matin après quoi, apercevant Condé, il l’évita en jouant à cache-cache sous les arcades. Bref on donna un peu de bon temps aux Parisiens qui se mirent à l’adorer en voyant en lui le futur vainqueur du « maudit Cardinal ». Au moins celui-là était drôle !

Pendant ce temps Turenne ne se croisait pas les bras. Il s’installa à Grosbois où il se prépara à fondre sur les Lorrains puisque selon les bruits les plus répandus ils étaient là pour secourir Condé. Or, voilà que Charles IV – venu en principe balayer Mazarin et son parti – se mit soudain à appeler à l’aide : il allait être attaqué ! Un peu surpris tout de même Condé lui dépêcha un courrier promettant un secours rapide, partit prendre la tête de la petite armée échappée d’Etampes mais cela demandait un délai et il envoya Beaufort avec une troupe se faire une idée de la situation.

Peu taillé pour la diplomatie mais d’une extrême bravoure – il n’était pas le petit-fils d’Henri IV pour rien –, le jeune duc n’eut pas besoin de longues explications quand, en arrivant chez les Lorrains… il les trouva en train de décamper : on éteignait les derniers feux de cuisine et Charles IV était déjà loin. Beaufort réussit cependant à mettre la main sur un sergent occupé à presser les traînards et n’eut guère de difficulté à le faire parler :

— Faut pas nous en vouloir, lui confia cet homme simple. Le Mazarin a payé plus cher que vous. Alors on rentre chez nous. Que voulez-vous, il faut bien vivre !

Un autre que Beaufort l’eût peut-être fait pendre au premier arbre venu mais il était humain, proche du peuple – on le lui reprochait assez ! – et aurait jugé mesquin de se venger d’un prince indélicat sur l’un de ses gens. Il le laissa poursuivre son chemin et rejoignit Condé qu’il trouva en compagnie de Mademoiselle venue aux nouvelles.

Dès qu’elle les eut reçues elle grimpait dans son carrosse et ordonnait de la conduire au Luxembourg, la résidence paternelle6, où elle se précipita chez sa belle-mère qu’elle « gourmanda comme un chien » et lui dit pis que pendre de son frère en particulier et des Lorrains en général avant de repartir en claquant les portes et sans avoir vu son père, lequel – comme par hasard – avait disparu on ne savait trop où. Alors, remontant dans son carrosse, elle continua sa course vengeresse en se rendant droit chez Mme de Châtillon pour lui assener ce qu’elle pensait de ses « entrevues avec ce maudit Cardinal qui n’avaient contribué qu’à brouiller les affaires en laissant à Mazarin tout de loisir de préparer ses mauvais coups » !

Même par une princesse royale, Isabelle n’était pas femme à se laisser marcher sur les pieds dans sa propre demeure. Elle envoya promener Mademoiselle en disant : Un : que l’on n’avait pas attendu ses lumières pour s’apercevoir de ce que Mazarin s’attachait surtout à brouiller les cartes. Deux : que l’on avait bien compris qu’elle-même avait refusé de se rendre à la dernière invitation. Et trois : que Mademoiselle serait mieux avisée de s’occuper des agissements de sa propre famille, du fait que Monsieur son père n’était jamais là quand on avait besoin de lui et enfin, qu’en tout état de cause, on n’avait pas vraiment à se louer de « l’aide » apportée à grand fracas par sa famille lorraine qui venait de se terminer par un départ discret – on pourrait dire « sur la pointe des pieds ! » – en emportant l’or de la trahison.

— Que n’avez-vous surenchéri vous-même puisque c’était au plus offrant ?

— Moi ? Et à quel titre ?

— Au titre de la femme la plus riche de France !

Il aurait été difficile d’affirmer le contraire. De sa mère Montpensier Mademoiselle tenait les principautés des Dombes et de la Roche-sur-Yon, les duchés de Montpensier et de Châtellerault, le comté d’Eu et quelques divers apanages tout aussi importants sans oublier ses espérances lorsque Monsieur quitterait cette vallée de larmes pour un monde meilleur puisqu’il n’avait pas d’autre enfant qu’elle.

A vingt-six ans, jouissant d’une évidente bonne santé, d’un port majestueux et d’une magnifique chevelure tirant sur le roux mais d’une beauté médiocre, elle avait déjà reçu nombre de demandes en mariage qui n’avaient pas abouti. Vertueuse autant qu’une amazone, elle prétendait que l’amour « était indigne d’une âme bien faite » et qu’en ce qui la concernait elle ne voulait épouser qu’un roi ! Sous-entendu le Roi de France bien que d’une douzaine d’années plus jeune qu’elle. Par le truchement de la Reine, Mazarin s’était attaché à lui faire perdre cette espérance d’où la haine furieuse qu’elle lui vouait depuis. Elle se serait volontiers arrangée de l’Angleterre, mais encore eût-il fallu que celle-ci eût un roi et lui un trône pour s’asseoir. Or, le pauvre Charles II errait toujours de cour en cour à la recherche d’alliés susceptibles de le réinstaller à Londres.

Depuis quelque temps, cependant, Mademoiselle posait sur son cousin Condé « un regard plus doux ! ». Cela tenait aux mauvaises nouvelles que l’on recevait de Montrond, où Claire-Clémence était revenue s’enfermer pour y faire une fausse couche dont les suites donnaient à penser que la place de princesse de Condé pourrait se trouver vacante. Certes, Condé n’était pas roi mais c’était un héros proclamé comme tel dans toute l’Europe occidentale. Ceci pouvait compenser cela…

Pour en revenir à ce funeste jour qui avait vu la honteuse défection des Lorrains, Mademoiselle et la duchesse de Châtillon en étaient encore aux explications quand survinrent La Rochefoucauld et Nemours. Ils venaient supplier Isabelle de reprendre ses négociations avec la Cour… Les deux adversaires se retrouvèrent aussitôt d’accord :

— Ah non ! protesta Isabelle. Je ne suis pas allée au dernier rendez-vous en prétextant un malaise, je ne vais pas maintenant demander – humblement ? Pourquoi pas ? – que l’on me reçoive !

— Elle n’en a que trop fait dans ce sens et vous avez vu le brillant résultat ? Mazarin, tout en lui délivrant des paroles mielleuses, en profitait sournoisement pour avancer ses affaires !

— Certes, concéda La Rochefoucauld. C’est pourquoi l’idée nous est venue que nous pourrions en faire autant ! Monseigneur a besoin de temps pour rassembler des troupes fraîches. Songez qu’il a seulement six mille hommes autour de lui à son camp de Saint-Cloud et que Turenne en a au moins le double…

— Et il les fera venir d’où, ces troupes ?

— Il ne nous l’a pas confié mais je suis sûr qu’il va appeler Mme de Longueville à son secours…

— … Qui viendra avec ses airs de reine écraser tout le monde, lança Isabelle, rancunière. Et pendant ce temps-là moi je devrai m’agenouiller aux pieds de Mazarin la corde au cou et en chemise ?…

— Oh non ! gémit Nemours dont cette évocation réveillait des souvenirs. Pas en chemise tout de même !… Si vous le désirez j’irai avec vous, Isabelle. L’idée de vous laisser seule affronter les fauves m’importe plus que je ne saurais dire !

— Vous gâcheriez tout ! grogna Mademoiselle. Le mieux ne serait-il pas de susciter de nouvelles émeutes dans Paris ?… La capitale a déjà montré de quoi elle était capable…

— Dans ce cas, ce n’est pas Mazarin qu’il faut voir : c’est le cardinal de Retz et le président Viole, riposta Isabelle.

— On pourra s’en occuper, assura La Rochefoucauld. En attendant, chère duchesse, rendez-nous ce service d’aller bavarder un peu avec l’Italien !

Tant et si bien qu’Isabelle finit par se laisser convaincre à la condition que son déplacement se passe dans la discrétion. Elle n’avait pas envie d’être ridicule !

La discrétion ? Voire ! Le 23 juin, alors qu’elle gagnait Saint-Germain avec « l’escorte » fournie par Condé, circulaient dans Paris les vers du poète Loret, annonçant qu’elle faisait un « nouveau voyage en cour » dont on tirait « bon augure » car cela « marquait assurément » :

Quelque grand accommodement

Du Roy, de la Reine et des Princes,

Pour le repos de nos provinces.

Il en fut ce que l’on savait qu’il en serait : un échange de sourires, de révérences et de faux-fuyants dont Isabelle sortit écœurée. Mazarin avait « fait le galant », ce qui avait donné à sa visiteuse une folle envie de lui taper dessus.