Cette fois, Gerbert ne répondit rien. Mais il se signa si précipitamment, avec une si réelle frayeur, que Catherine, malgré sa colère, faillit lui éclater de rire au nez. Cependant, Ermengarde, impatientée, était venue prendre la bride de Catherine et l'entraînait irrésistiblement sur le chemin.
Cela suffit, ma chère. Venez donc !
Catherine suivit docilement son amie et, rendant la main à sa monture, la mit au petit trot pour parcourir le court plateau qui s'étendait devant elle avant de plonger de nouveau dans la vallée du Lot. La pluie s'était remise à tomber, mais doucement, lentement, comme à regret, trop discrète pour être vraiment pénible. Malgré elle, Catherine regarda avec une sorte d'ivresse l'espace libre ouvert devant elle. Une envie lui prenait de talonner sa monture, de la lancer au galop pour retrouver la griserie familière de la course dans le vent...
Mais le poids et la jambe encore malade d'Ermengarde ne permettaient guère cette grande allure. Il faudrait encore, un assez long moment, se contenter d'aller paisiblement.
Derrière les cavaliers, un chant s'éleva, dont l'écho leur arrivait porté par le vent qui soufflait du sud :
« Maria, étoile de la mer Plus claire que le soleil n 'est clair Dans cette ténébreuse voie Conduis-nous : Ave Maria... »
Catherine serra les dents, pressa instinctivement des genoux les flancs de son cheval. Elle avait l'impression absurde que ce chant, à sa manière, la rejetait encore davantage hors de la pieuse cohorte. Était-ce pour se protéger du maléfice dont ils la croyaient porteuse que les pèlerins invoquaient Notre-Dame avec tant d'ardeur ?
Peu à peu, avec la distance, le chant s'éloigna, s'affaiblit et finalement s'éteignit complètement. Ermengarde avait poussé son cheval pour rejoindre Catherine qui avait pris de l'avance. Les deux femmes chevauchèrent un moment en silence. Mais, soudain, Catherine, qui remâchait son humiliation sans rien dire, s'aperçut qu'un large sourire s'étendait sur le visage imposant de sa compagne.
Elle sentit qu'Ermengarde savourait là les joies du triomphe et s'écria, furieuse :
— Vous êtes contente, je pense ? Me voilà rendue là où vous vouliez que j'en sois !... Pour un peu, je croirais que c'est vous qui avez glissé ces pierres dans mon aumônière.
La douairière ne s'offusqua pas du ton acerbe de la jeune femme.
Elle se contenta de déclarer :
— Croyez bien que je regrette de manquer à ce point d'imagination et de savoir-faire. Sinon, j'aurais, en effet, fort bien pu employer ce moyen-là. Voyons, Catherine, quittez donc cette mine furieuse. Vous gagnerez l'Espagne plus vite et sans que Dieu puisse vous en vouloir puisque vous n'y êtes pour rien. Quant aux dangers qui nous attendent, je crois que nous serons tout à fait capables d'en venir à bout. Et, tenez... regardez comme le ciel s'est éclairci devant nous. Les nuages ont l'air de s'écarter de notre route... Est-ce que cela ne vous paraît pas de bon augure ?
Malgré sa mauvaise humeur, Catherine ne put retenir un sourire amusé.
— Je devrais me souvenir, dit-elle, que vous avez toujours eu l'art, ma chère Ermengarde, de mettre le ciel de votre côté... ou tout au moins de vous arranger pour que tout le monde le croie. N'empêche que je voudrais bien savoir comment ces maudits rubis sont venus sur moi et qui avait bien pu les voler !
La réponse à cette question devait arriver le soir même. Epuisés et hors d'haleine d'avoir couru trop vite, Catherine et ses compagnons avaient atteint l'étape de Figeac où ils avaient pris logis dans la plus grande auberge de la ville, située en face du bailliage et de l'antique « ostal de la Moneda », l'hôtel des monnaies royales. Fatiguées par l'aventure du matin plus encore que par l'étape, à vrai dire assez courte de la journée, Catherine et Ermengarde, laissant les quatre autres femmes se rendre à l'église pour le salut, prenaient le frais dans la cour de l'auberge, sous les branches d'un gros platane à travers lesquelles filtrait la gloire rouge d'un coucher de soleil parfaitement inattendu. Non moins inattendu était l'homme qui s'approcha d'elle et, incontinent, se laissa tomber aux genoux de Catherine en implorant son pardon :
— C'est moi qui ai volé les rubis, déclara Josse Rallard d'une voix nette mais point trop forte à cause des servantes qui passaient au fond de la cour, transportant des corbillons chargés de linge. Et c'est moi encore qui, en faisant semblant de trébucher, les ai glissés dans votre aumônière quand nous sommes tombés ensemble. Je suis venu vous demander pardon!
Tandis que Catherine, trop saisie pour parler, se taisait, regardant l'homme visiblement éreinté et couvert de poussière qui se tenait humblement à ses pieds, Ermengarde fit un effort héroïque pour s'arracher du banc où elle était assise et pour saisir sa béquille. N'y parvenant pas, elle hurla :
— Et tu viens nous raconter ça tout de go ?... sans même rougir.
Mais, mon garçon, je vais te remettre tout de suite à la justice du bailli qui aura sûrement un morceau de corde à ta disposition. Holà ! vous autres...
D'une main posée sur son bras, Catherine la fit taire. Son regard violet s'était attaché aux étranges prunelles verdâtres de l'homme, à son visage aux traits bizarrement mélangés de brutalité et de finesse.
— Un instant ! Je veux d'abord qu'il réponde à deux questions.
— Questionnez ! fit Josse. Je répondrai.
— D'abord, pourquoi avez-vous fait cela ?
Quoi ? Le vol ? Dame, fit-il avec un haussement d'épaules, il me faut tout vous confesser. Je n'ai pris la grand-route de Galice que pour mettre quelque distance entre moi et le chevalier du guet qui m'attend à" Paris avec une corde fort longue et bien solide. La cour des Miracles est ma demeure, mais je n'osais plus en sortir parce que j'étais un peu trop connu. Alors, j'ai décidé de voir du pays... Bien sûr, je n'avais guère d'illusion sur mon compte. Je savais bien qu'en chemin il me viendrait des occasions... Et quand j'ai vu cette statue tout en or, toute cousue de pierreries, j'ai pensé qu'en en enlevant quelques-unes cela ne se connaîtrait pas et que mes vieux jours seraient assurés. La tentation, que voulez-vous ?
— C'est possible, mais votre forfait accompli, pourquoi m'en avoir chargée ? s'écria Catherine. Pourquoi m'avoir laissé accuser ? Vous saviez bien que je risquais la mort.
Josse hocha la tête vigoureusement et ne se troubla pas.
— Non. Vous risquiez beaucoup moins que moi. Je suis un pauvre hère, un truand... Vous, vous êtes une grande dame. On ne pend pas comme ça une grande dame. Et puis, il y avait votre amie. La noble dame a de la défense... et des hommes d'armes. Je savais qu'elle vous défendrait avec bec et ongles. Tandis que moi, personne n'eût pris ma défense. On m'aurait branché au premier arbre sans autre forme de procès. J'ai eu peur... une peur affreuse qui m'a tordu le ventre. Je croyais qu'on ne s'apercevrait pas tout de suite du vol, qu'on ne soupçonnerait pas de pieux pèlerins et que, à tout le moins, nous aurions le temps de faire un bon bout de chemin. Quand j'ai vu arriver les moines, j'ai compris que j'étais perdu. Alors...
— Alors, vous m'avez confié votre butin, acheva Catherine tranquillement. Et si, malgré tout, on m'avait fait un mauvais parti ?
— Je jure sur le Dieu auquel je n'ai jamais cessé de croire que je me serais dénoncé. Et si l'on ne m'avait pas cru, je me serais battu pour vous, jusqu'à la mort !
Catherine garda le silence un moment, pesant les paroles qu'il venait de prononcer avec une gravité inattendue. Enfin elle dit :
— La seconde question maintenant : pourquoi nous avez-vous rejointes ? Pourquoi venez-vous ici avouer votre faute ? Je suis libre, en sécurité, et vous l'étiez aussi. En venant ici, vous remettez tout en question. Vous ignorez comment je vais réagir et si je ne vous livrerai pas.
C'était un risque à courir, fit Josse sans se démonter. Mais je ne voulais plus rester avec ces diseurs de patenôtres sanguinaires. J'en avais assez de Gerbert Bohat et de messire Colin. Du moment que vous n'étiez plus là, le voyage n'avait plus aucun intérêt et...
— Et tu t'es dit, ricana Ermengarde, qu'à défaut de rubis tu pourrais peut-être chasser l'émeraude de la Reine. Car tu n'as certainement pas tes yeux dans ta poche, n'est-ce pas ?
Mais de nouveau Josse dédaigna de lui répondre. Soutenant toujours le regard de Catherine, il dit :
— Si vous pensez cela, dame Catherine, livrez-moi sans plus d'hésitation. Ce que je voulais vous dire, c'est ceci : je vous ai fait tort pour sauver ma vie, mais j'en ni grand regret. Pour réparer, je suis venu vous offrir mes services. Si vous le permettez, je vous suivrai, je vous défendrai... Je suis un truand, mais je suis brave et je sais manier l'épée comme un seigneur. Sur la route que vous suivez, on a toujours besoin d'un bras solide. Voulez-vous, d'abord, me pardonner et ensuite me prendre pour serviteur ? Sur le salut de mon âme, je jure de vous servir fidèlement.
De nouveau le silence. Josse, toujours à genoux, ne bougeait pas, attendant la réponse de Catherine. Celle-ci, bien loin d'éprouver de la colère, se sentait curieusement attendrie par ce garçon bizarre qui, à une malhonnêteté flagrante, joignait des sentiments d'une curieuse élévation et un charme indéniable. Passant par sa bouche, les choses les plus ahurissantes prenaient un air de naturel. Néanmoins, avant de répondre, elle leva les yeux sur Ermengarde qui, les lèvres serrées, gardait, elle aussi, le silence, mais un silence de mauvais augure.
— Que me conseillez-vous, chère amie ?
La douairière haussa les épaules avec emportement.
— Que voulez-vous que je vous conseille ? Vous paraissez douée des mêmes talents que la magicienne Circé : elle changeait les hommes en pourceaux. Apparemment, vous faites l'opération inverse.
Agissez donc à votre guise, mais je connais déjà votre réponse.
Tout en parlant, Ermengarde avait enfin atteint sa béquille, s'y agrippait en refusant la main de Catherine et se mettait debout après un méritoire effort. Et comme Catherine, alarmée, craignant de l'avoir offensée, demandait avec inquiétude :
— Où allez-vous, Ermengarde ?. Je vous en prie, ne prenez pas mal ce que je vais vous dire, mais...
— Où voulez-vous que j'aille ? grogna la vieille dame. Je vais dire à Béraud de battre un peu la ville pour nous trouver un autre cheval.
Ce garçon court peut- être vite, mais pas assez pour nous suivre jusqu'en Galice à pied !
Après quoi, étayée tant bien que mal sur ses béquilles, semblable à quelque vaisseau de haut bord donnant fortement de la bande, Ermengarde de Châteauvillain quitta majestueusement la cour de l'auberge.
CHAPITRE III
Un envoyé de Bourgogne
Quinze jours plus tard, Catherine et son escorte, parvenue au pied des Pyrénées, franchissaient le gave d'Oloron sur l'antique pont fortifié de Sauveterre. Le voyage s'était déroulé sans histoire car, dans les terres traversées, qui appartenaient pour la plupart à la puissante famille d'Armagnac, les routiers anglais n'étaient guère à craindre. Les places fortes qu'ils tenaient encore en leur pouvoir se situaient surtout en Guyenne et, peu soucieux de se créer des histoires avec le comte Jean IV d'Armagnac, dont la politique envers eux se montrait étrangement souple depuis quelque temps, ils se gardaient bien d'empiéter sur ses domaines.
Par Cahors, Moissac, Lectoure, Condom, Eauze, Aire-sur-Adour et Orthez, Catherine, Ermengarde et leurs gens avaient enfin atteint les montagnes qui les séparaient de l'Espagne. Mais la patience de Catherine était à bout. Depuis que l'on avait quitté les pèlerins de Gerbert Bohat, Ermengarde de Châteauvillain semblait avoir perdu tout à coup sa hâte d'arriver à destination. Elle qui, la veille encore, excitait l'impatience de Catherine, lui démontrant vigoureusement l'avantage qu'il y aurait à laisser en arrière la colonne trop lente des pèlerins, voilà qu'elle semblait mettre un malin plaisir à ralentir leur marche !
Au début, Catherine n'avait rien soupçonné. Il avait fallu demeurer une journée à Figeac pour procurer une monture à Josse Rallard. À Cahors aussi l'on était demeuré deux nuits : c'était un dimanche et Ermengarde assurait que, sur les routes saintes, il ne portait pas bonheur de ne pas respecter le jour du Seigneur. C'était acceptable et, par amitié, Catherine avait refréné son impatience, mais quand, à Condom, la douairière avait voulu s'attarder pour assister à une fête, la jeune femme n'avait pu se retenir de protester.
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