À Malmaison, Napoléon coulait des jours à la fois ; doux et fiévreux, réconfortants et mélancoliques. Après les hommes, les femmes venaient vers lui, celles qu’il avait aimées et dont beaucoup le lui avaient rendu. L’une des plus assidues fut la charmante comtesse Caffarelli. Elle avait été son Waterloo amoureux car, profondément honnête et éprise de son mari, la jolie Julienne avait repoussé les avances d’un maître plus séduit qu’il n’aurait fallu par sa brune beauté. Mais elle avait eu assez d’intelligence et de cœur pour s’assurer, en échange, estime et l’amitié de l’empereur. C’était la limpidité de son regard franc, la chaleur de son amitié que la comtesse apportait au vaincu de Waterloo, rien de plus… mais rien de moins.

Arriva aussi la belle Madame Duchâtel. Jadis lectrice de Joséphine, elle avait inspiré à Napoléon un caprice violent qui avait fort inquiété l’Impératrice. Une scène mi-burlesque mi-violente termina cette histoire et Napoléon rompit à cause des larmes de Joséphine, mais il avait toujours conservé une certaine tendresse à cette jolie femme souriante et douce qui lui rappelait des heures si charmantes.

Bien entendu, la duchesse de Bassano vint faire ses révérences. Après le divorce et avant l’entrée en scène de Marie-Louise, elle avait connu, elle aussi, les joies de l’alcôve impériale et rapporté un fort substantiel souvenir sous forme du maroquin des Affaires extérieures pour son mari. Mais elle savait s’en montrer convenablement reconnaissante.

Une autre ancienne maîtresse apparut à son tour : Mme de Pellapra. Le valet de chambre de l’empereur, Marchand, l’avait rencontrée un après-midi, errant autour de Malmaison où elle n’osait se présenter à cause de la présence d’Hortense.

— Pourtant, je voudrais tellement voir l’empereur ! Il faut absolument que je lui parle d’une affaire importante pour lui.

L’affaire importante, c’était la trahison de Fouché dont la jeune femme, dès avant Waterloo, avait eu connaissance et dont elle avait averti l’empereur. Cette fois, elle souhaitait lui faire connaître les bruits alarmants qui couraient sur le comportement du chef du gouvernement provisoire.

Naturellement, Napoléon la reçut d’autant plus volontiers que cette femme, gaie et charmante, l’avait toujours amusé. Quand elle lui eut fait part de ce qu’elle savait, il chassa un instant les pensées noires qui lui étaient venues pour s’accorder un moment de récréation. Malicieusement, il demanda à sa visiteuse :

— Racontez-moi ce que vous avez fait après mon départ de Lyon ? On m’a rapporté que vous aviez servi ma cause de bien divertissante façon !

Mme de Pellapra se mit à rire et ne fit aucune difficulté pour lui raconter comment, habillée en paysanne, elle avait arpenté toutes les routes d’alentour et distribué des cocardes tricolores à l’armée de Ney venue initialement arrêter la marche de Napoléon vers Paris lors du retour de l’île d’Elbe.

— Montée sur un âne, avec des paniers, je faisais semblant d’aller vendre des œufs et personne n’avait l’idée de m’arrêter. Je riais, je passais. Je n’avais pas de mot de passe, mais j’avais le mot pour rire et, quand j’arrivais devant les soldats et que je leur donnais mes cocardes, ils jetaient la planche en criant : « Vive la poule qui a pondu ces œufs-là ! »

Pour la première fois depuis longtemps, Napoléon se mit à rire et d’aucuns prétendent que, ce jour-là, Mme de Pellapra ne quitta pas Malmaison avant le lever du soleil.

La jolie et frivole Éléonore Denuelle de la Plaigne, qui lui avait donné un enfant, ne vint pas à Malmaison. Mais l’empereur demanda qu’on lui conduisît le petit Léon, un enfant blond dont la ressemblance avec le roi de Rome frappa la reine Hortense. Le petit garçon était élevé, alors, près de Paris, dans une pension choisie par Napoléon lui-même, sa mère ne s’en occupant pas outre mesure.

— Qu’allez-vous en faire ? demanda Hortense. Je m’en chargerais volontiers, mais ne pensez-vous pas que ce serait peut-être donner sujet à la méchanceté de s’exercer contre moi ?

— Oui, vous avez raison. Il m’eût été agréable de le savoir près de vous, mais on ne manquerait pas de dire qu’il est votre fils. Lorsque je serai en Amérique, je le ferai venir.

Et ce fut sur cet espoir souriant qu’il regarda la voiture emmenant le petit Léon franchir les grilles de Malmaison. Mais jamais il ne devait revoir l’enfant qui ressemblait au roi de Rome !

Cependant, les armées des Alliés approchaient de Paris. On se battait entre Nanteuil et Gonesse et Paris bouillait. Comme cela devait se reproduire en 1871, après la défaite de Sedan et sur la généreuse impulsion de la Commune, Paris voulait se battre, Paris voulait se défendre et ne comprenait pas que l’on gardât l’empereur prisonnier à Malmaison (il n’y avait pas d’autre mot car le général Becker, même si cela ne lui plaisait pas beaucoup, avait reçu l’ordre de « veiller à la sécurité de Napoléon ») et que l’on perdît du temps en parlotes alors que l’ennemi était tout proche. Des bandes d’ouvriers et de soldats parcouraient la ville avec des cris menaçants. Des appels aux armes, des tracts provocateurs étaient jetés, la nuit, sur le seuil des portes. Le gouvernement provisoire qui, sur l’inspiration de Fouché, s’apprêtait à proposer le retour de Louis XVIII, prit peur. Si Napoléon restait aux portes de Paris, on pouvait s’attendre au pire. Il fallait qu’il parte. On lui fit savoir qu’il eût à quitter Malmaison pour gagner Rochefort, où il aurait tout le loisir d’attendre le fameux sauf-conduit fantôme que nul n’avait jamais eu l’intention de lui donner.

Méfiant, Napoléon refusa de partir. Il connaissait trop ceux auxquels il avait affaire pour ne pas deviner leurs projets. Il ne quitterait Malmaison qu’avec ses sauf-conduits.

La panique montait autour de lui. L’entourage de l’empereur savait que Fouché et les autres étaient tout prêts à livrer leur ancien souverain aux Alliés. Certains envisageaient pour lui la détention à vie, d’autres tout simplement le peloton d’exécution. Napoléon refusa cependant de céder, mais pressa Hortense de le quitter.

— Moi je ne crains rien. Mais vous, ma fille, partez, quittez-moi !

Hortense, naturellement, refusa.

Dans la matinée du 28 juin, le général de Flahaut s’en alla aux Tuileries demander que les frégates missent à la voile dès l’arrivée de l’empereur à Rochefort et sans attendre les sauf-conduits. Il se heurta à Davout, incompréhensiblement converti à la politique de Fouché, « dont il était le bras ». Une violente altercation opposa les deux hommes.

— Général, s’écria Davout, retournez auprès de l’empereur et dites-lui qu’il parte ; que sa présence nous gêne, qu’elle est un obstacle à toute espèce d’arrangement, que le salut du pays exige son départ. Qu’il parte sur-le-champ, sinon nous serons obligés de le faire arrêter ! Je l’arrêterai moi-même !

Flahaut, alors, dévisagea froidement le maréchal et, avec le maximum de rage et de mépris :

— Monsieur le Maréchal, il n’y a que celui qui donne un pareil message qui soit capable de le porter. Quant à moi, je ne m’en charge pas. Et si, pour vous désobéir, il faut vous donner sa démission, je vous donne la mienne !

Puis, le cœur navré, il revint à Malmaison où il n’osa pas, « pour ne pas ajouter à ses douleurs », rapporter à Napoléon les paroles de Davout. Il y avait d’ailleurs auprès de l’empereur beaucoup de monde. Madame Mère et le cardinal Fesch étaient venus et aussi Corvisart, et Talma, et la duchesse de Vicence et tous les autres fidèles.

Vers la fin de la matinée, une voiture s’arrêta devant le palais. Une femme en pleurs, tenant un petit garçon par la main, en descendit : Marie Walewska, « l’épouse polonaise », celle dont l’amour fidèle n’avait jamais cédé, celle que l’on avait vue à l’île d’Elbe, et plus récemment, aux Tuileries. Napoléon courut vers elle et la serra dans ses bras.

— Marie ! Comme vous semblez bouleversée !

Il l’entraîna dans la bibliothèque où, longuement, désespérément, elle le supplia de gagner Paris, de rassembler l’armée, le peuple qui le réclamait à grands cris, de marcher au-devant de l’envahisseur, de se défendre enfin et sa capitale avec lui ! Mais il refusa. Il savait qu’il ne pourrait rien contre les armées coalisées, régulières et disciplinées avec une armée de hasard, héroïque sans doute mais qui se ferait hacher inutilement. Cette fois, le sacrifice et le sang versé seraient inutiles et ne serviraient qu’à livrer plus totalement Paris à la vengeance de l’ennemi.

— Non, Marie, dit-il. Il faut que je parte ! Non parce qu’« Ils » le veulent… mais parce que je le dois à mon fils !

Elle s’écroula, secouée de sanglots.

— J’aurais tant voulu vous sauver…

Alors, comme enfin un émissaire arrivait de Paris, l’informant que les « deux frégates » étaient à sa disposition, il se prépara au départ. Néanmoins l’ennemi approchant davantage, il ne voulut pas partir sans tenter de défendre son pays. Il envoya Becker aux Tuileries demander pour lui un simple commandement dans l’armée afin de combattre les Prussiens. Il souhaitait mourir l’épée à la main… Mais Becker ne put que lui rapporter les paroles furieuses de Fouché :

— Est-ce qu’il se moque de nous ? Ne sait-on pas comment il tiendrait ses promesses si ses propositions étaient acceptables ?

Napoléon haussa les épaules.

— Ils ont encore peur de moi ! dit-il seulement. Alors, il changea de vêtements, serra les mains de tous ses amis, embrassa Hortense et Madame Mère puis, s’étant fait ouvrir la chambre où était morte Joséphine, il y demeura seul un long moment. Quand il en sortit, il avait les yeux rouges. Enfin, après un dernier regard à cette maison qui, jusqu’à son dernier soupir, lui demeurerait chère, il monta en voiture et, avec ceux qui avaient choisi de suivre son destin jusqu’au bout, il prit le chemin de la mer, avec l’espoir de trouver, au-delà, l’immense pays où il lui resterait au moins le droit d’être un homme libre.

Mais l’escadre anglaise croisait déjà au large de Rochefort pour en interdire la sortie aux deux frégates si généreusement octroyées par le gouvernement provisoire. Fouché avait bien travaillé… Au bout du chemin il n’y avait plus que le britannique… et Sainte-Hélène !







ON L’APPELAIT « SISSI »

« Sissi » et le mariage

Quand, en 1834, le duc Max « en » Bavière acheta le château de Possenhofen, situé sur le beau lac de Starnberg, à vingt-huit kilomètres de Munich, c’était avec l’intention d’en faire une maison d’été pour y loger une famille encore embryonnaire, car il n’avait alors qu’un seul fils, Louis, né en 1831, mais qu’il espérait bien augmenter de façon substantielle.

Possenhofen était (et est encore) une construction assez massive, flanquée de quatre tours d’angle et pourvue d’un grand nombre de chambres, mais son emplacement au bord du lac, au milieu de collines boisées et d’un superbe parc comportant de magnifiques roseraies, en faisait un lieu si rempli de charme que, peu à peu, il supplanta le palais de Munich pour devenir la véritable maison de famille de la nichée ducale, une maison que tous adorèrent.

Par ordre d’apparition, ladite nichée se composait de Louis, déjà nommé, d’Hélène, dite Néné, venue eu 1834 quelques semaines après l’acquisition de ce qui allait devenir le « cher Possi », Élisabeth, dite Sisi (ou Sissi) apparue la veille de Noël 1837 comme un cadeau du ciel, Charles-Théodore, autrement dit « Gackel », qui vit le jour en 1839, Marie, née en 1841, sans surnom connu, Mathilde, autrement dite « Moineau », à cause de sa fragilité (1843), Sophie, qui ne vint qu’en 1847, et enfin, fermant la marche, Charles-Emmanuel, autrement dit « Mapperl », apparu deux ans plus tard.

Tout ce monde formait une famille heureuse, joyeuse, élevée un peu à la diable par un père atteint de bougeotte chronique mais plein de tendresse et d’invention, de dons artistiques ainsi que d’une extraordinaire chaleur humaine, et par une mère en admiration perpétuelle devant son époux et devant ses enfants pour lesquels, très ouvertement, elle nourrissait une grande ambition. Née princesse « de » Bavière, Ludovica, en épousant son cousin Max, avait, peut-être, fait le mariage le moins brillant de sa famille car, de ses trois sœurs, l’une était reine de Prusse, l’autre reine de Saxe et l’aînée, Sophie, aurait dû être impératrice d’Autriche si elle n’avait obligé son époux à renoncer au trône en faveur de leur fils François-Joseph{2}. Le fait de se retrouver duchesse « en » Bavière ne représentait guère une promotion pour Ludovica mais, tout compte fait, elle était sans doute la seule qui eût connu le bonheur et ceci compensait bien cela. La duchesse en convenait d’ailleurs volontiers, ce qui ne l’empêchait nullement de rêver, pour ses filles, de destins moins « popote » que le sien.