– Elle est ouverte à 5 heures du matin ?
*
Stanley regarda le réveil sur la table de nuit et leva les yeux au ciel. Il râla et repoussa les draps à ses pieds avant de quitter son lit. Il enfila sa robe de chambre et hurla un « J'arrive » alors que le téléphone continuait de sonner.
– Tu as oublié quelque chose ? demanda-t-il en décrochant.
– C'est Suzie, Stanley, il faut que je parle à Arnold.
– Vous avez conscience de l'heure ?
– C'est urgent.
– Quand est-ce que ça ne l'est pas avec vous ?
– Ne raccrochez pas, Stanley, cette fois-ci, c'est grave et cela concerne également Arnold. Réveillez-le et passez-le-moi, je vous en prie.
– Il n'est pas rentré et il ne rentrera pas avant plusieurs jours. J'ai eu l'agréable surprise de l'apprendre par un message sur notre répondeur. Et vous vous doutez bien que je ne sais pas où il est. Qu'est-ce que vous lui vouliez ?
– Qu'il m'aide à me rendre à Oslo au plus vite, et quand je dis au plus vite, je parle d'une vraie course contre la montre.
– Eh bien prenez l'avion !
– Pas sur une ligne régulière, c'est impossible.
Stanley entortilla le cordon autour de ses doigts et regarda la photo d'Arnold et lui posée sur le guéridon. Elle avait été prise au Belize, au cours des rares vacances qu'ils s'étaient accordées et encore, Stanley était presque certain que Knopf n'avait pas choisi cette destination par hasard.
– Si je vous aide à vous rendre en Norvège, y aurait-il une infime chance que vous vous y installiez ? C'est beau, la Norvège, vous pourriez être heureuse là-bas, vous qui aimez tant le froid.
– Si vous m'aidez, Stanley, je vous promets que vous n'aurez plus jamais affaire à moi, et Arnold non plus.
– Que Dieu vous entende ! Laissez-moi étudier cela et retrouvez-moi devant la patinoire de Central Park dans une heure.
Après avoir raccroché, Stanley s'empara du cadre photo sur le guéridon et murmura à son compagnon :
– J'espère que tu tiendras ta promesse, mon vieux, parce que sinon, c'est moi qui ne serai plus là quand tu rentreras.
*
Le parc baignait encore dans la nuit claire. De rares joggeurs empruntaient déjà les allées. On pouvait voir leur souffle embué qui semblait les précéder à chaque foulée. Stanley comptait ses pas devant l'entrée de la patinoire, luttant contre le froid. Il sursauta quand Suzie posa la main sur son épaule.
– Bon sang, ne faites pas des choses comme ça, j'ai le cœur fragile.
– Désolée, je dois être discrète en ce moment.
– Qu'avez-vous encore fait ? Oh, et puis ne m'en dites rien, je ne veux pas le savoir.
– Vous avez pu...
– Vous étiez pressée, non ? Alors laissez-moi parler !
Stanley regarda par-dessus l'épaule de Suzie.
– Qui est ce type qui nous épie derrière cet arbre ?
– Un ami.
– Il est tout à fait grotesque. Présentez-vous dans les locaux d'Atlantic Aviation à l'aéroport de Teterboro à 11 heures sous le nom de Mme Clarks. Si vous voyagez avec ce zozo qui se prend pour un singe, vous n'aurez qu'à prétendre qu'il est votre garde du corps. Un homme viendra vous chercher et fera en sorte que vous embarquiez sans que personne vous contrôle.
– Et ensuite ?
– Ensuite, vous me faites confiance et vous serez à Oslo demain.
– Merci, Stanley.
– Ne me remerciez pas, je suppose que c'est ce qu'Arnold aurait attendu de moi. Je le fais pour lui, pas pour vous, même si malheureusement, c'est un peu la même chose. Au revoir, Suzie.
Stanley enfouit ses mains dans ses poches et s'en alla. Il passa à côté de l'arbre derrière lequel se tenait Andrew et lui souffla au passage :
– Vous êtes ridicule, mon vieux !
Et Stanley disparut dans la brume du parc.
– C'est bon, dit Suzie, en rejoignant Andrew, nous avons nos billets pour la Norvège.
– À quelle heure, le départ ?
– Onze heures à Teterboro, je vous expliquerai en chemin.
Andrew tira de sa poche l'enveloppe de Simon et tendit dix billets de cent dollars à Suzie.
– Prenez un taxi, les friperies de Nolita ouvrent à 8 heures, achetez-nous des vêtements chauds. En attendant, passez dans un drugstore et prenez des nécessaires de toilette, deux lampes torches, on ne sait jamais, et tout ce que vous jugerez utile.
– Doublez la mise, dit Suzie en comptant les billets.
– Je vous demande de nous acheter des pull-overs et des brosses à dents, pas un smoking et une robe du soir !
– Et vous, où allez-vous pendant que je fais les courses ?
– Ça ne vous regarde pas. Retrouvez-moi à 8 h 45 à cette adresse, dit-il en griffonnant son carnet. Je vous attendrai sur le trottoir.
*
Le café était bondé de policiers en uniforme, ce qui n'avait rien d'anormal pour un établissement situé en face des écuries de la police montée.
Valérie poussa la porte, son visage se ferma quand elle aperçut Andrew assis au comptoir.
Elle salua plusieurs hommes en se frayant un chemin vers le bar et se faufila à côté d'Andrew. Le policier qui prenait son café lui céda sa place et alla s'asseoir avec des collègues attablés dans un box.
– Qu'est-ce que tu fais ici ? murmura-t-elle.
– Je suis venu te voir.
– Tu n'as pas choisi le meilleur endroit. Tu es recherché, ta photo est punaisée au mur à l'entrée du commissariat, en mauvaise compagnie.
– Tes camarades ont l'habitude de voir le monde du haut de leurs canassons, aucun ne m'a prêté attention. Qui pourrait imaginer qu'un homme traqué vienne de son plein gré se jeter dans la gueule du loup ?
– Qu'as-tu fait, Andrew ?
– Je me suis intéressé à un dossier qui dérange des gens très haut placés.
– L'Argentine ne t'avait pas suffi ?
– J'ai besoin de toi, Valérie.
– Tu as besoin que je te rende un service ? C'est pour ça que tu es venu ?
– Non, j'ai besoin de toi pour vivre. Tu me manques, je voulais que tu le saches avant que je parte.
– Tu vas où ?
– Loin.
– Et tu reviens quand ?
– Je n'en sais rien, c'est plus dangereux que l'Argentine.
Valérie reposa sa tasse, le regard fixé sur les volutes de vapeur qui la coiffaient.
– Je ne veux plus, Andrew, je ne veux plus jamais passer mes nuits sur le fauteuil d'une chambre d'hôpital à prier pour que tu te réveilles. Tous ceux qui se pressaient à ton chevet me demandaient si tu souffrais dans ton sommeil, jamais comment j'allais. Moi, je souffrais en silence, à te regarder, en me rappelant que le jour de notre mariage, tu en aimais une autre.
– Ta présence était ma seule raison de m'accrocher. Je savais que tu étais là, j'entendais parfois ta voix. J'ai puisé toute ma force pour m'en sortir et te demander pardon. Je n'arrivais pas à bouger et encore moins à parler. Le jour où j'ai enfin rouvert les yeux, tu n'étais plus là. Je sais ce que j'ai fait, et je le regrette, mais je ne t'ai jamais trompée. Je ferai n'importe quoi pour que tu me pardonnes un jour, dit Andrew. Tu crois que je n'aimerais pas être un homme meilleur, celui avec lequel tu voulais passer ta vie ?
– C'est trop tôt, ou trop tard, je n'en sais plus rien, murmura-t-elle.
Andrew regarda la pendule au-dessus du bar.
– Il faut que j'y aille, soupira-t-il. Reste ici, je voulais juste te dire ces choses-là avant de partir.
– Me dire quoi, que tu es désolé ?
– Que je t'appartiens.
Andrew se leva et se dirigea vers la porte. Il bouscula un policier et s'excusa. Le policier le dévisagea avec un air étrange et Valérie se leva aussitôt pour les rejoindre.
– Viens, dit-elle en prenant Andrew par le bras.
Elle tapa sur l'épaule du flic, lui demanda de ses nouvelles et entraîna Andrew hors du café.
– Merci, murmura Andrew sur le trottoir.
– De quoi ?
Un taxi se rangea devant eux, Suzie apparut à la vitre arrière. Valérie la regarda.
– C'est avec elle que tu t'en vas ?
Pour toute réponse, Andrew hocha la tête et ouvrit la portière.
– Tu voulais savoir quoi faire pour que je te pardonne, ne pars pas.
– Ce n'est plus toi la victime aujourd'hui, Valérie, puisque c'est moi qui t'aime.
Andrew la fixa longuement, puis il baissa les yeux et monta dans le taxi.
Lorsque la voiture s'éloigna, il se retourna pour la regarder par la lunette arrière.
Valérie se tenait là, seule à côté d'un réverbère, et avant que le taxi n'eût tourné au coin de la rue, il l'aperçut rentrer dans le café.
*
Elle traversa la salle comme un automate et se rassit devant sa tasse de café. Le policier qu'Andrew avait bousculé vint la rejoindre.
– Qui était ce type ? Son visage me dit quelque chose.
– Un ami d'enfance, mais mon enfance est si loin.
– Je peux faire quelque chose pour toi, Valérie ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette.
– Tu m'emmènerais dîner ce soir ?
*
– Les sacs sont dans le coffre, dit Suzie. C'était futé de choisir ce café. Vous auriez dû me demander de venir vous chercher dans la salle, ça aurait été encore plus discret.
– Vous pourriez vous taire jusqu'à ce que nous arrivions à l'aéroport ?
Suzie resta silencieuse durant tout le trajet. Ils traversèrent le George Washington Bridge, et Andrew regarda Manhattan s'éloigner plus que jamais.
Suzie se présenta au comptoir d'Atlantic Aviation sous le nom de Clarks, comme le lui avait ordonnée Stanley. La réceptionniste les pria de patienter dans un salon. Quelques instants plus tard, un homme vint les chercher.
– Suivez-moi, dit-il en les faisant ressortir du bâtiment.
Ils longèrent des grillages qui encerclaient les installations aéroportuaires. Un tracteur était garé un peu plus loin. L'homme tira la bâche du chariot à bagages qui lui était arrimé, jeta leurs deux sacs à l'intérieur et les invita à y grimper avant de rabattre la bâche.
Le convoi s'ébranla. Assis en tailleur avec leurs sacs sur les genoux, Andrew et Suzie entendirent le grincement d'une porte en fer qui glissait sur ses rails et le tracteur accéléra.
Il remonta le tarmac et finit par s'immobiliser au pied d'un Gulfstream immatriculé au Texas.
L'homme les fit descendre du chariot et leur montra la porte de la soute de l'appareil. Là où il stationnait, on ne pouvait l'apercevoir depuis les terminaux.
– Passez par là, et restez planqués à l'arrière de l'avion jusqu'au décollage. Ce jet est censé se rendre à Halifax. En route, le pilote demandera à virer de cap vers Saint-Pierre-et-Miquelon. Vous retournerez dans la soute lors de l'escale et redécollerez après qu'un nouveau plan de vol vers Oslo aura été déposé. Durant la descente en Norvège, le pilote fera état d'un problème technique et sollicitera l'autorisation d'atterrir sur un aérodrome situé à trente kilomètres d'Oslo. Vous quitterez l'avion, une voiture vous prendra en charge et vous déposera où vous le voulez. Ensuite, vous serez livrés à vous-même. Des questions ?
– Aucune, répondit Suzie.
– Une dernière chose, reprit l'homme, en tendant une enveloppe à Suzie, on m'a demandé de vous remettre ceci. En arrivant en ville, achetez le Herald Tribune et lisez les petites annonces. Je suppose que vous savez ce que ça veut dire. Bon voyage et bonne mission.
Andrew et Suzie grimpèrent sur le tapis mécanique qui filait vers la soute. L'homme referma la porte et fit signe au pilote. Les réacteurs se mirent en route et l'appareil roula pour aller s'aligner sur la piste.
14.
La voiture traversait des sous-bois auxquels succéda une campagne blanche. Des champs séparés de murets se jouxtaient, tristes comme des cours de prison en hiver. Sur la ligne d'horizon apparurent des hameaux aux cheminées fumantes. Ils longèrent un lac, passèrent plusieurs villages et le rideau du jour s'ouvrit sur la banlieue d'Oslo.
Suzie prit dans son sac l'enveloppe que lui avait confiée l'homme juste avant leur départ. Elle contenait un guide touristique, des couronnes norvégiennes et l'adresse d'un hôtel qu'elle remit au chauffeur.
L'hôtel était modeste, mais le propriétaire ne leur demanda ni de présenter leurs papiers ni de remplir une fiche de renseignements.
La chambre contenait deux lits étroits couverts d'une toile de velours râpé, séparés par une table de nuit en pin. La fenêtre s'ouvrait sur l'entrée d'une usine où des ouvriers se pressaient. Suzie tira le rideau de percale et alla se doucher dans la salle de bains attenante. Elle était minuscule, mais avait le mérite d'exister.
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