– Je crois que j'aimerais cela, avoua Milly.
– Alors je te promets que nous le ferons et je n'ai qu'une parole.
– Et Agatha, vous allez la reconduire en prison ?
– Je n'ai pas le choix, et quand bien même je m'en irais sans elle, les fédéraux sont à ses trousses, ce n'est qu'une question d'heures.
Milly se retourna vers Tom et lui demanda d'une voix assurée :
– Qu'est-ce qu'il y a de plus important pour un homme épris de justice : attraper un coupable ou protéger une innocente ?
Cette question l'aurait laissé de marbre si ce n'était sa fille qui la lui avait posée.
Il regarda une dernière fois Milly, et d'un geste hésitant posa sa main sur sa joue.
– Je te promets de te donner la réponse la prochaine fois que nous nous verrons. Maintenant il faut que tu rentres chez toi, elle ne reviendra pas. Elle m'a chargé de te dire au revoir, elle ne veut pas que tu la voies partir. Ne sois pas triste, c'est juste un au revoir, bientôt tu pourras lui rendre visite, il faut que tu me fasses confiance.
– Dites-lui que je prendrai soin de sa guitare, et que personne n'y touchera jusqu'à ce qu'elle puisse m'en jouer, elle comprendra. Dites-lui aussi que j'irai la voir souvent, ajouta Milly sanglotante, et que je n'oublierai rien de ce que nous avons vécu.
Tom, d'un geste malhabile, essuya les joues de Milly, et cet homme qui n'avait jamais connu la tendresse la prit dans ses bras de la façon la plus spontanée en la serrant contre lui.
L'étreinte entre un père et sa fille dura quelques instants, puis Tom griffonna son adresse sur un ticket de parking trouvé dans sa poche et le posa en évidence sur le tableau de bord.
Puis il ouvrit la portière, sortit de l'Oldsmobile et s'éloigna vers la colline.
*
Agatha regardait le revolver dans le sac ouvert à ses pieds. Elle ne l'avait pas quitté des yeux depuis que Tom était parti. Elle se baissa, s'en empara et poussa un grand soupir.
Tom arriva dans son dos.
– Tu pars à la chasse ? demanda-t-il en contemplant le revolver.
– Comment ça s'est passé ? s'inquiéta Agatha.
– Bien, je crois.
– Elle est partie ?
– J'ai entendu sa voiture s'éloigner pendant que je te rejoignais.
– Elle t'a dit quelque chose pour moi ?
– Qu'elle prendrait soin de ta guitare et que tu comprendrais.
– Tiens, dit Agatha en lui tendant l'arme.
– Range ça dans ton sac, veux-tu. Il est temps de s'en aller.
– Tu comptes me passer les menottes ?
Tom ne répondit pas et marcha vers la Ford garée dans une allée sur l'autre versant de la colline. Agatha le suivit.
11.
À l'entrée de Santa Fe, Milly fut arrêtée par une voiture du FBI, les deux agents l'appréhendèrent, fusil en main, et constatèrent avec dépit qu'elle était seule à bord. Ils lui firent ouvrir le coffre et n'y découvrirent qu'une Gibson dans son étui au cuir usé.
Milly répondit à leurs questions, assurant avec aplomb qu'elle était venue se recueillir sur la tombe de sa mère. Elle avait bien pris une femme en stop à Philadelphie, mais elle l'avait déposée depuis longtemps sur la route et elle n'avait aucune idée de ce qu'elle était devenue. Rien n'aurait pu lui laisser supposer que sa passagère était recherchée. Elle se vanta du fait que son père étant lui aussi un officier fédéral, un marshal pour être précise, elle avait été éduquée dans le strict respect de la loi.
Les deux agents du FBI n'eurent aucun motif pour la retenir davantage.
Pendant ce temps, Tom Bradley et sa prisonnière roulaient vers l'est, profitant de la longue route qui les attendait pour évoquer des souvenirs et réconcilier leurs passés.
Après avoir quitté le Nouveau-Mexique et traversé le Colorado, ils dînèrent le premier soir dans un restaurant sur la rive du lac McConaughy à Ogallala dans le Nebraska.
Cette nuit-là, Tom et Agatha partagèrent la même chambre d'hôtel.
12.
Quatre jours s'étaient écoulés depuis que l'agent Maloney avait contacté le juge Clayton. Au cours de cet appel, il l'avait informé qu'un marshal, répondant au nom de Tom Bradley, s'était présenté spontanément au Bureau de Denver accompagné de la fugitive recherchée. Disposant d'un ordre de mission en bonne et due forme signé de la main même du juge, il avait fait valoir ses droits à la ramener lui-même en prison. Maloney ne s'était pas privé de dire à Clayton qu'il appréciait peu que le FBI ait été sollicité alors qu'un agent fédéral se trouvait déjà sur le coup, la moindre des politesses aurait été au moins de l'en informer. L'affaire étant maintenant réglée, le mandat de recherche se trouvait de facto annulé.
Sur ce, Maloney avait raccroché.
*
En ce matin du cinquième jour, Clayton faisait les cent pas sur son perron, se demandant pourquoi Bradley ne l'avait toujours pas contacté et surtout pour quelle raison Agatha Greenberg n'avait pas encore regagné sa cellule. Le directeur du centre correctionnel le lui avait confirmé d'une voix chevrotante une heure auparavant. Clayton n'aimait pas du tout cela et, bien qu'il aime encore moins s'éloigner de chez lui, et plus encore prendre l'avion, il prépara un bagage, appela sa secrétaire et lui ordonna de lui trouver le moyen de rejoindre le nord du Wisconsin dans la journée.
Il se posa en début d'après-midi à l'aéroport de Duluth, où l'attendait une voiture de police.
Escorté de trois inspecteurs, il traversa Kimball deux heures plus tard et la ville s'effaça pour laisser place à la campagne.
Les policiers qui l'accompagnaient n'étaient guère bavards et Clayton n'était pas d'humeur à engager la conversation. Il leur avait juste demandé de le laisser faire une fois sur place et de n'intervenir qu'en cas de nécessité.
Arrivés à hauteur d'un calvaire en bord de route, ils empruntèrent une piste en terre qui filait vers les plaines les plus reculées du pays.
Au bout de ce chemin sur lequel ils avaient été ballottés sans relâche apparut enfin un petit chalet adossé à un bois.
Lorsque Clayton sortit de la voiture, Tom apparut sur le perron, la main posée sur la crosse de son revolver accroché à la ceinture.
– Je vois que tu es un homme de parole. Tu avais promis de venir me voir un jour et te voilà, dit-il en ignorant les policiers qui se tenaient derrière le juge. Je t'aurais bien convié à dîner, mais tu arrives un peu tard, j'ai déjà pris mon repas.
– J'aurais préféré te rendre visite en d'autres circonstances. J'imagine qu'elle se cache à l'intérieur ?
– Ce n'est pas très grand chez moi, vois-tu, et il n'y a aucun endroit où cacher quelqu'un. Mais si tu parles de la femme que tu as condamnée à trente-cinq ans de prison alors que tu la savais innocente, la réponse est non. Figure-toi qu'elle a réussi à me fausser compagnie. J'ai tardé à te prévenir, parce que je n'en suis pas fier, il faut croire que j'ai vieilli. À l'heure qu'il est, elle doit avoir gagné le Canada.
– Ne fais pas l'imbécile, Tom, je sais très bien qu'elle est derrière ces murs. Tu te doutes bien que je ne suis pas venu sans mandat. Ne rends pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont et laisse-nous entrer.
Tom regarda fixement Clayton et afficha un grand sourire.
– Tu imagines les titres dans les journaux demain, « Fusillade entre trois policiers et un marshal en présence d'un juge proche de la retraite », belle manchette ! Ça vous tente, les gars ? demanda Tom à ses collègues.
Les policiers désemparés échangèrent des regards avant de se tourner vers le juge Clayton.
– Comme je n'ai aucun secret pour toi, et parce que nous sommes de vieilles connaissances, reprit Tom, je dois te prévenir que j'ai retrouvé le fameux carnet où la véritable Agatha Greenberg avait consigné ses aveux. Elle écrivait bien, on pourrait même en tirer un livre. Cela étant, au cas où il m'arriverait quelque chose, je l'ai posté en route à un vieil ami avocat, avec un récit détaillé, que j'ai cru bon d'ajouter, sur la façon dont un jeune procureur avait sciemment laissé emprisonner une femme à la place de sa sœur, parce que celle-ci était enceinte et risquait de lui échapper. J'ai aussi pris la peine de raconter que ce même procureur, une fois devenu juge, n'avait eu aucun remords à aggraver sa peine. Quand on y pense, je crois que c'est une chance pour toi qu'elle ait trouvé refuge auprès de nos voisins canadiens, et je réfléchirais à deux fois avant de demander son extradition.
Les trois policiers, qui n'avaient rien perdu de la scène, se regardèrent à nouveau, saluèrent Tom d'une main en effleurant leurs chapeaux et repartirent vers la voiture.
– Tu sais, continua Tom, je connais bien ces gars-là, mon avis est que si tu ne veux pas rentrer à pied, et le prochain bus ne passe que demain matin, tu ferais bien de les suivre. Je ne te promets pas que le retour soit une partie de plaisir, mais ce sera moins pénible que de marcher.
Clayton se tourna vers la voiture de police dont le moteur tournait déjà. Le visage crispé, il lança un dernier regard à Tom, fit signe aux policiers et courut vers eux.
Tom attendit que la voiture ait disparu, puis il contempla quelques instants le ciel où le soleil déclinait, et rentra chez lui.
*
– Et maintenant ? demanda Agatha assise à la table.
– Maintenant, nous allons dîner, parce que j'ai faim. Cette semaine, je te ferai visiter la région, et puis dans quelque temps j'irai voir Max et je récupérerai ce carnet. Lorsque ce sera chose faite, alors un certain juge connaîtra une retraite différente de celle qu'il escomptait. Justice sera rendue et je pourrai enfin prendre la mienne. Si un petit chalet dans une région perdue du monde peut te suffire, rien ne me rendrait plus heureux que de vivre cette retraite à tes côtés.
Agatha emprunta l'expression de quelqu'un qui comptait désormais beaucoup pour elle et répondit :
– Je crois que ça me plairait.
*
Au petit matin suivant, en sortant du chalet, Agatha admira le paysage qui s'étendait à perte d'horizon. Elle respira l'odeur des pins qui se mêlait aux senteurs de terre humide et pensa que la vie qui s'offrait à elle commençait à ressembler à cette autre idée du bonheur qu'elle avait imaginée, et Dieu que cette idée était belle.
*
Ce même matin, Milly, qui avait fait une halte chez Raoul sur le chemin du retour, arriva enfin à Philadelphie.
Avant même de rentrer chez elle, elle se précipita au café du Kambar Campus Center.
Merci à
Pauline, Louis et Georges.
Raymond, Danièle et Lorraine.
Susanna Lea.
Emmanuelle Hardouin.
Cécile Boyer-Runge, Antoine Caro.
Élisabeth Villeneuve, Anne-Marie Lenfant, Caroline Babulle, Arié Sberro, Sylvie Bardeau, Lydie Leroy, Joël Renaudat, Céline Chiflet,
toutes les équipes des Éditions Robert Laffont.
Pauline Normand, Marie-Ève Provost.
Léonard Anthony, Sébastien Canot, Danielle Melconian, Naja Baldwin, Mark Kessler, Stéphanie Charrier, Julien Saltet de Sablet d'Estières, Moez Slimi.
Katrin Hodapp, Laura Mamelok, Kerry Glencorse, Julia Wagner, Aline Grond, Charlotte Aston.
Brigitte et Sarah Forissier.
Peter Schlesinger et Claire McFadden.
DU MÊME AUTEUR
chez le même éditeur
Et si c'était vrai..., 2000
Où es-tu ?, 2001
Sept jours pour une éternité..., 2003
La Prochaine Fois, 2004
Vous revoir, 2005
Mes amis, mes amours, 2006
Les Enfants de la liberté, 2007
Toutes ces choses qu'on ne s'est pas dites, 2008
Le Premier Jour, 2009
La Première Nuit, 2009
Le Voleur d'ombres, 2010
L'Étrange Voyage de Monsieur Daldry, 2011
Si c'était à refaire, 2012
Un sentiment plus fort que la peur, 2013
Retrouvez toute l’actualité de Marc Levy
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© Versilio, Paris, 2014
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Illustration de couverture : Joël Renaudat / Éditions Robert Laffont d’après photos © Photo12 / Alamy et © Richard Spiegelman
ISBN numérique : 9782361321024
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