Un nouvel impôt allait être levé, une bataille était en cours dans les Flandres, la reine mère ne savait plus quoi inventer pour trouver de l'argent et contenter les princes avides. Elle-même, la souveraine, n'était pas à l'aise, et le roi aux boucles blondes portait des chausses trop courtes, ainsi que son jeune frère qu'on appelait le Petit Monsieur, puisque son oncle, Monsieur, frère du roi Louis XIII, vivait encore. Cependant, M. le cardinal Mazarin entasse bibelots et tableaux d'Italie. La reine l'aime. Le Parlement de Paris n'est pas content. Il écoute le cri du pauvre peuple des campagnes ruiné par les guerres et les impôts. À pleines carrossées et en beaux costumes fourrés d'hermine, ces messieurs du Parlement se transportent au palais du Louvre où vit le petit roi accroché d'une main à la robe noire de sa mère, l'Espagnole, et de l'autre à la robe rouge du cardinal Mazarin, l'Italien. À ces grands qui ne rêvent que puissance et richesses, ils démontrent que le peuple ne peut plus payer, que les bourgeois ne peuvent plus commercer, qu'on est las d'être taxé pour le moindre bien. Bientôt ne devra-t-on pas payer pour l'écuelle dans laquelle on mange ? La reine mère n'est pas contente. M. Mazarin non plus. Alors les grands seigneurs transportent le petit roi sur son lit de justice. D'une voix bien timbrée quoiqu'un peu hésitante sur la leçon apprise, il répond à tous ces graves personnages qu'il faut de l'argent pour les armées, pour la paix que l'on va signer bientôt. Le roi a parlé. Le Parlement s'incline. Un nouvel impôt va naître. Les intendants des provinces vont lancer leurs sergents. Les sergents vont menacer. Les bonnes gens vont supplier, pleurer, saisir leurs faux pour tuer les commis et les collecteurs, s'en aller sur les routes se joindre aux soldats débandés, les bandits vont venir...
À entendre la nourrice, on ne pouvait croire que ce seul abruti de colporteur eût pu lui conter tant de choses. On la taxait d'imagination alors que c'était divination. Un mot, une ombre, le passage d'un mendiant trop hardi, d'un marchand inquiet, la mettaient sur le chemin de la vérité. Elle flairait les bandits dans la chaleur orageuse de ce bel été 1648 et, comme elle, Angélique les attendait...
Chapitre 2
Ce soir-là, Angélique avait décidé d'aller pêcher l'écrevisse avec le berger Nicolas..
Sans prévenir, elle avait galopé vers la chaumière des Merlot, les parents de Nicolas. Le. hameau de trois ou quatre masures qu'ils habitaient était situé en lisière de la grande forêt de Nieul. Les terres qu'ils cultivaient appartenaient cependant au baron de Sancé.
En reconnaissant la fille du maître, la paysanne souleva le couvercle du chaudron sur le feu et jeta dans la soupe un morceau de lard pour en corser le goût. Angélique posa sur la table une volaille qu'elle avait étranglée tout à l'heure dans la basse-cour du château. Ce n'était pas la première fois qu'elle s'invitait ainsi chez les paysans et elle ne manquait jamais d'apporter un petit présent, les châtelains étant presque les seuls à posséder dans le pays pigeonnier et poulailler, par droit seigneurial.
L'homme assis près de l'âtre mangeait du pain noir. Francine, l'aînée des enfants, vint embrasser Angélique. Elle avait deux ans de plus qu'elle mais, depuis longtemps chargée de petits frères et de travaux des champs, elle ne courait plus l'écrevisse et le champignon comme son vagabond de frère Nicolas. Elle était douce, polie, avec de belles joues rosés et fraîches, et Mme de Sancé souhaitait la prendre pour chambrière en remplacement de Nanette qui la déconcertait par son insolence. Lorsqu'on eut mangé, Nicolas entraîna Angélique.
– Viens par l'étable, nous allons prendre la lanterne.
Ils sortirent. La nuit était très noire, car l'orage couvait encore. Angélique se souvint plus tard qu'elle avait tourné son visage en direction de la route romaine qui passait à une demi-lieue de là et qu'il lui avait semblé entendre une vague rumeur. Dans le bois il faisait plus sombre encore.
– N'aie pas peur des loups, dit Nicolas. L'été, ils ne viennent pas jusqu'ici.
– Je n'ai pas peur.
Ils arrivèrent bientôt jusqu'au ruisseau et installèrent les paniers, garnis d'un morceau de lard, au fond de l'eau. Ils les relevaient de temps à autre ruisselants et chargés en grappe d'écrevisses bleues que la lumière avait attirées. On les jetait dans une hotte apportée à cette intention. Angélique ne pensait pas le moins du monde que les gardes du château de Plessis auraient pu les surprendre et que cela aurait fait scandale de découvrir l'une des filles du baron de Sancé en train de braconner à la lanterne avec un jeune croquant.
Tout à coup, elle se redressa et Nicolas fit de même.
– Tu n'as rien entendu ?
– Si, on a crié.
Les deux enfants restèrent sans bouger un instant, puis retournèrent à leurs paniers. Mais ils étaient préoccupés et bientôt s'arrêtèrent encore.
– Cette fois, j'entends bien. On crie là-bas.
– C'est du côté du hameau.
Rapidement Nicolas ramassa les instruments de pêche et mit la hotte sur son dos. Angélique prit la lanterne. Ils revinrent, marchant sans bruit, par un petit sentier de mousse. Comme ils approchaient de la lisière du bois, ils s'immobilisèrent brusquement. Une lueur rosé pénétrait sous les arbres et illuminait les troncs.
– Ce... ce n'est pas le jour ? murmura Angélique.
– Non, c'est le feu !
– Mon Dieu, c'est peut-être chez toi que ça brûle ? Viens vite. Mais il la retint.
– Attends ! ça crie trop pour un incendie. Il y a autre chose.
Ils avancèrent à petits pas jusqu'aux premiers arbres. Au delà un long pré en pente descendait jusqu'à la première maison qui était celle. des Merlot, et cinq cents mètres plus loin se groupaient au bord du chemin les trois autres chaumières. C'était l'une d'elles qui flambait. Les flammes s'échappant du toit éclairaient une foule grouillante d'hommes qui criaient et couraient, pénétraient dans les chaumières, en ressortaient, chargés de jambons, ou tirant les vaches et les ânes. Leur troupe, venant de la voie romaine, coulait dans le chemin creux comme un fleuve épais et noir. Le flot hérissé de bâtons et de piques passa sur la ferme Merlot, la submergea, continua en direction de Monteloup. Nicolas entendit crier sa mère. Il y eut un coup de feu. C'était le père Merlot qui avait eu le temps de décrocher son vieux mousquet et de le charger. Mais un peu après il fut traîné dans la cour comme un sac et assommé à coups de bâton.
Angélique vit une femme en chemise traverser la cour d'une maison et s'enfuir ; elle criait et sanglotait. Des hommes la poursuivaient. La femme essayait de gagner les bois. Les enfants reculèrent et, se prenant la main, s'enfuirent en trébuchant dans les ronces.
Quand ils revinrent, fascinés malgré eux par l'incendie et ce cri uniforme, fait de cris mêlés, qui montait dans la nuit, ils virent que la femme avait été rejointe par ses poursuivants et qu'ils la traînaient à travers la prairie.
– C'est la Paulette, chuchota Nicolas.
Serrés l'un contre l'autre derrière le tronc d'un énorme chêne, ils regardaient haletants, les yeux agrandis, l'horrible spectacle.
– Ils ont pris notre âne et notre porc, dit encore Nicolas.
L'aube vint, pâlissant les lueurs de l'incendie qui déjà s'apaisait. Les brigands n'avaient pas mis le feu aux autres masures. La plupart ne s'étaient pas arrêtés à ce petit hameau sans importance. Les hommes avaient continué vers Monteloup. Ceux qui s'étaient chargés du pillage des quatre maisons quittaient maintenant les lieux de leurs ébats. On voyait leurs vêtements en guenilles, leurs joues hâves et sombres de barbe. Quelques-uns avaient de grands chapeaux à plumes et l'un d'eux portait même une sorte de casque qui eût pu le faire prendre pour un militaire. Mais la plupart étaient vêtus d'oripeaux sans forme et sans couleurs. Dans le brouillard du matin qu'apportaient les marais, on les entendit s'appeler les uns les autres. Ils n'étaient plus maintenant qu'une quinzaine. Un peu au delà des Merlot, ils s'arrêtèrent pour se montrer leur butin. À leurs gestes et à leur discussion on voyait qu'ils le trouvaient maigre : quelques draps et mouchoirs pris dans les coffres, des pots, de gros pains, des fromages. Cependant l'un d'eux mordait dans un jambon qu'il tenait par le manche. Les bêtes volées étaient parties devant. Les derniers pillards rassemblèrent en deux ou trois ballots les pauvres objets récoltés et s'éloignèrent sans même jeter un regard derrière eux.
*****
Angélique et Nicolas furent longs à quitter l'abri des arbres. Le soleil brillait déjà et faisait reluire la rosée de la prairie lorsqu'ils se hasardèrent à descendre vers le hameau maintenant étrangement silencieux.
Comme ils approchaient de la ferme des Merlot, un cri de bébé s'éleva.
– C'est mon p'tit frère, chuchota Nicolas, au moins, lui, il n'est pas mort.
Craignant que quelque bandit ne se fût attardé, ils pénétrèrent sans bruit dans la cour. Ils se donnaient la main, s'arrêtant presque à chaque pas. Ils se heurtèrent d'abord au corps du père Merlot, le nez dans son fumier. Nicolas se pencha, essaya de soulever la tête de son père.
– Dis, p'pa, t'es mort ?
Il se redressa.
– Je crois qu'il est mort. Regarde comme il est blanc, lui qui est toujours si rouge.
Dans la masure, le bébé s'égosillait. Assis sur le lit bouleversé, il agitait ses petites mains avec détresse. Nicolas courut à lui et le prit dans ses bras.
– Merci, Sainte Vierge, il n'a rien, le petiot.
Angélique, les yeux dilatés d'horreur, regardait Francine. La fillette était étendue sur le sol, blanche et les yeux clos. Elle avait sa robe relevée jusqu'au ventre, et du sang coulait entre ses jambes.
– Nicolas, murmura Angélique d'une voix étouffée, qu'est-ce... qu'est-ce qu'ils lui ont fait ?
Nicolas regarda et une expression terrible vieillit son visage. Il tourna les yeux vers la porte, gronda :
– Les maudits, les maudits !...
D'un geste brusque, il tendit le bébé à Angélique.
– Tiens-le.
Il s'agenouilla près de sa sœur, rabaissant pudiquement la jupe déchirée.
– Francine, c'est moi, Nicolas. Réponds, tu n'es pas morte ?
Dans l'étable voisine il y eut des gémissements. La mère parut, geignante et courbée en deux.
– C'est toi, fils ? Ah ! mes pauvres enfants, mes pauvres enfants ! Quel malheur ! Ils ont pris l'âne et le porc et notre petite provision d'écus. J'avais pourtant bien dit à l'homme qu'il fallait l'enterrer.
– M'man, t'as mal ?
– Moi c'est rien. Je suis une femme, j'en ai vu d'autres.
Mais Francine, la pauvrette qui est si sensible, ils sont bien capables de l'en avoir fait mourir. Elle berçait sa fille dans ses grands bras de paysanne et pleurait.
– Où sont les autres ? interrogea Nicolas.
Après de longues recherches, on finit par découvrir les trois autres enfants, un garçon et deux filles, dans la huche où ils s'étaient blottis alors que les pillards, après avoir pris le pain, avaient commencé à violenter leur mère et leur sœur. Cependant un voisin vint aux nouvelles. Les pauvres gens du hameau se rassemblaient pour faire le compte de leurs malheurs. On n'avait que deux morts à déplorer : le père Merlot et un vieillard qui avait voulu se servir aussi de son mousquet. Les autres paysans avaient été ligotés sur leurs chaises et bâtonnés sans excès. Aucun des enfants n'avait été égorgé et l'un des métayers avait réussi à ouvrir la porte de l'étable à ses vaches qui s'étaient enfuies et qu'on retrouverait sans doute. Mais que de bon linge et de vêtements pillés, de vaisselle d'étain pour garnir l'âtre disparue, de fromages et de jambons, et même de cet argent si rare, si compté !
La Paulette continuait de pleurer et de crier.
– Six, qu'ils ont été à me passer sur le corps !
– Tais-toi, lui dit brutalement son père. Telle qu'on te connaît à toujours courir les gars dans les buissons, on se doute que ça t'a fait plaisir. Tandis que notre vache qui était pleine ! Je ne la retrouverai pas aussi facilement que tu ne retrouveras un galant.
– Faut s'en aller d'ici, dit la femme Merlot qui tenait toujours Francine évanouie dans ses bras, il peut y en avoir d'autres qui viennent derrière.
– Allons dans les bois avec les bêtes qui restent. On l'a fait autrefois quand les armées de Richelieu sont passées.
– Allons à Monteloup.
– À Monteloup ! Vous pensez bien qu'ils y sont.
– Allons au château, dit quelqu'un.
Chacun approuva aussitôt.
– Oui, allons au château.
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