Il ouvrit la main, et elle y vit briller une petite pastille blanche.

– Qu'est-ce donc ?

– Du poison... À dose infime. Angélique le regarda.

– Que craignez-vous, Joffrey ?

– Rien. Mais c'est une pratique dont je me suis toujours trouvé fort bien. Le corps s'habitue peu à peu au poison.

– Vous pensez que quelqu'un peut chercher à m'empoisonner ?

– Je ne pense rien, ma chère... Simplement, je ne crois pas au pouvoir de la corne de licorne.

*****

Au mois de mai suivant, le comte de Peyrac et sa femme furent conviés au mariage royal. Celui-ci devait avoir lieu à Saint-Jean-de-Luz, sur les bords de la Bidassoa. Le roi Philippe IV d'Espagne amenait lui-même sa fille, l'infante Marie-Thérèse, au jeune roi Louis XIV. La paix était signée... ou presque. La noblesse française, encombrant les routes, se dirigeait vers la petite ville basque. Joffrey et Angélique quittèrent Toulouse de grand matin, avant les heures chaudes. Naturellement, Florimond était du voyage avec sa nourrice, sa berceuse et le négrillon qui était chargé de le faire rire. C'était maintenant un bébé en belle santé, bien que peu en chair, avec une ravissante figure de petit Jésus espagnol : prunelles et boucles noires.

La servante Marguerite, indispensable, surveillait dans l'un des chariots la garde-robe de sa maîtresse. Kouassi-Ba, auquel on avait fait faire trois livrées plus éblouissantes les unes que les autres, prenait des airs de grand vizir sur un cheval aussi noir que sa peau. Il y avait encore Alphonso, l'espion de l'archevêque, toujours fidèle, quatre musiciens dont un petit violoniste, Giovani, qu'Angélique affectionnait, et un nommé François Binet, barbier-perruquier, sans lequel Joffrey de Peyrac ne se déplaçait pas. Valets, servantes et laquais complétaient l'équipage, que les trains de Bernard d'Andijos et de Cerbalaud précédaient. Tout à l'excitation et à la préoccupation du départ, Angélique s'aperçut à peine qu'on dépassait la banlieue de Toulouse.

Comme le carrosse franchissait un pont sur la Garonne, elle poussa un petit cri et mit le nez à la vitre.

– Que vous arrive-t-il, ma chère ? demanda Joffrey de Peyrac.

– Je veux voir encore une fois Toulouse, répondit Angélique. Elle contemplait la ville rosé étendue sur les bords du fleuve, avec les flèches dressées de ses églises et la raideur de ses tours.

Une angoisse rapide lui serra le cœur.

– Oh ! Toulouse ! murmura-t-elle. Oh ! Le palais du Gai Savoir !

Elle avait le pressentiment qu'elle ne les reverrait jamais.

À suivre

1 Canada.

2 Avant la création des Invalides par Louis XIV, les vieux soldats n'avaient d'autres refuges que les couvents où ils s'installaient un peu comme à l'hospice, d'où le relâchement des mœurs.

3 Paroles historiques de saint Vincent de Paul.

4 Paroles historiques de saint Vincent de Paul.

5 Terme paysan désignant : âne, mulet.

6 Langage des « précieuses » du XVIIe siècle.

7 Poison, noble dame.

8 Dois-je faire la coupellation devant tout le monde ?