Découvrant Aldo auprès de lui, il le regarda pardessus ses bésicles avec un sourire en demi-lune qui ne montrait pas les dents :
— Drôle d’histoire, vous ne trouvez pas ? Si nous allions boire quelque chose d’un peu fort pour nous réconforter ?
— Pourquoi pas ? Nous ne serions pas les seuls…
La ruée vers le buffet s’était sans doute cassée net mais nombre d’invités désireux de se remettre de l’émotion se hâtaient de s’en souvenir, Gilles Vauxbrun le tout premier, armé à présent d’un verre dont il faisait avec précautions boire le contenu à sa belle amie.
Les deux hommes eurent à peine le temps d’avaler un verre de champagne qu’un agent vint les prier de sortir : le commissaire Lemercier venait d’arriver et rassemblait sur la pelouse les témoins du drame :
— Vous étiez tous présents, déclara celui-ci d’une voix forte. Il est donc impossible que personne n’ait rien vu. Ceux surtout qui étaient proches de ce malheureux. Mes inspecteurs et moi-même allons donc vous interroger les uns après les autres pour recueillir vos dépositions. Cela prendra un peu de temps, ce dont je vous prie de m’excuser, mais c’est indispensable !
Aucune protestation ne se fit entendre. Rond de partout et sommé d’un chapeau melon qui lui donnait assez l’air d’une poire, le chef de la police versaillaise irradiait l’énergie et la mauvaise humeur par tous les pores de sa personne. Après s’être entretenu quelques minutes avec le ministre et l’ambassadeur américain qu’il ne retint pas longtemps et qui purent s’en aller, il déclara se réserver les membres du Comité et les pria de bien vouloir remonter avec lui vers Trianon dont les portes allaient être fermées afin qu’il puisse les entendre en toute tranquillité.
Tandis que l’on regagnait le petit château, Marie-Angéline rejoignit Aldo et se pendit à son bras avec un sourire béat fort peu de circonstance :
— Un meurtre ! Ici ! À Versailles ! fit-elle allègrement. Est-ce que ce n’est pas extraordinaire ?
— Une chance que vous n’ayez pas dit « merveilleux » ! Vous n’avez pas honte, Marie-Angéline ?
Elle fronça son long nez tout en maintenant sur sa toison frisée, qui la faisait ressembler à un mouton, le canotier de paille qu’une risée menaçait de déranger :
— Pas du tout ! Je pressens là une de ces aventures comme nous les aimons !
— Dites comme « vous » les aimez. Et je ne vois rien de romantique dans l’assassinat d’un homme déjà âgé qui venait peut-être ici en pèlerinage.
— Rien de romantique ? Et le masque noir que le commissaire a mis dans sa poche, qu’est-ce que vous en faites ? Je suis sûre qu’il y avait quelque chose d’écrit sur l’envers.
Le pire était qu’elle avait raison et que Morosini lui-même se posait des questions à ce sujet. Douée d’une imagination toujours prête à s’enflammer, « Plan-Crépin », comme l’appelait Mme de Som-mières, n’avait fait qu’exprimer à voix haute ce qu’il pensait. N’avait-il pas tout à l’heure tendu la main d’instinct vers l’accessoire de bal travesti apparu de façon si dramatique ? Pour ce qu’il en avait vu, la victime était un personnage terne, suffisamment bien vêtu pour ne pas détonner dans une assemblée aussi élégante mais sans distinction particulière. Un physique neutre, un visage quelconque, plutôt laid, et pas le moindre ruban à la boutonnière de sa jaquette… Qui pouvait-il être ?
Il comprit vite qu’il ne fallait pas compter sur le commissaire Lemercier pour soulever le plus petit coin du voile. Avec une froide politesse il posa des questions nettes et précises aux divers membres du Comité, ce qui représentait une sorte d’exploit, tout le monde voulant parler en même temps, mais sans obtenir un résultat appréciable. En fait, personne n’avait rien vu.
— Il y avait énormément de gens, expliqua Morosini quand son tour fut venu, et quand on s’est dirigés vers le buffet, on s’est bousculés quelque peu. L’assassin en aura profité et pendant un bref instant le corps a dû rester debout étayé par les autres.
— Comment se fait-il qu’il y ait une telle affluence ? Une manifestation, surtout ici, est en général réservée à une… élite.
Une grimace dédaigneuse accompagnait le mot. À l’évidence, le commissaire devait nourrir des idées de gauche… ou alors il était vexé de ne pas avoir été invité. Ce qui était une faute puisque l’on avait fait appel à ses services. C’était même anormal et il se pouvait qu’il y ait un rapport entre la foule et le fait que l’on n’ait pas convié le policier principal. Cependant, il fallait répondre :
— Trois cent quarante invitations ont été prévues, dit-il. Mais il semblerait que l’on en ait tiré davantage à l’imprimerie…
— Quelle imprimerie ?
Ce fut Gilles Vauxbrun qui fournit le renseignement : l’imprimeur devait être celui de Crawford.
— Je le verrai, dit Lemercier. Mais revenons à vous, ajouta-t-il en se tournant vers Aldo avec une mauvaise grâce évidente. Si j’ai bien compris, vous êtes l’un des exposants ?
— En effet ! Il y a là-haut une paire de girandoles en diamants qui font partie de ma collection personnelle.
— Et vous êtes aussi… vénitien ?
Encore un mot qui n’avait pas l’heur de plaire et Aldo dut se faire violence pour répondre paisiblement :
— C’est également vrai. Y verriez-vous un inconvénient ?
— Peut-être une analogie… Cela est très en vogue chez vous ? fit Lemercier en sortant le masque de sa poche.
— Pendant le carnaval mais pas le reste du temps. Nous sommes des gens normaux, monsieur le commissaire. Puis-je voir cet objet ?
— Certainement pas ! C’est une pièce à conviction. Ainsi… vous êtes collectionneur de joyaux ? Cela suppose une grande fortune…
Oh ! Il commençait à chauffer sérieusement les oreilles que Morosini avait chatouilleuses mais cette fois il n’eut pas le temps de répondre : Marie-Angéline, dont les ancêtres avaient « fait » les croisades, tenait en permanence un fougueux destrier au service de ceux qu’elle aimait. Elle l’enfourcha sans plus tarder :
— Mon cousin est l’expert en joyaux historiques le plus célèbre d’Europe…
— Et même d’un peu plus loin, renchérit Vauxbrun. Qu’il possède une collection privée n’a rien d’anormal. C’est le contraire qui serait surprenant…
Le policier s’étira les lèvres d’un seul côté pour obtenir un vague sourire qui n’avait rien d’aimable :
— Eh bien ! On dirait que vous êtes apprécié ici, monsieur ?… Rappelez-moi votre nom ?
— Morosini !
— C’est cela !… Si vous le permettez j’aimerais à présent voir ces joyaux. En particulier les vôtres. Des… comment avez-vous dit ?
— Girandoles ! lâcha Aldo à qui ce manque de mémoire immédiate paraissait suspect. Autrement dit : des pendants d’oreilles. Pas des candélabres.
C’était parti tout seul, générant un coup d’œil glacial qui avait la couleur et la consistance du granit.
— Merci de venir au secours de mon ignorance ! Allons-y, maintenant.
On se dirigea vers la vitrine principale auprès de laquelle veillaient toujours les faux laquais poudrés. Aldo tendait la main pour désigner son bien quand il la retira avec une exclamation :
— La « larme » !… Elle n’est plus là !
En effet, entre les boucles d’oreilles Morosini et les bracelets Kledermann, il y avait un vide, à l’exception de la petite pancarte portant le numéro du catalogue. Or, les verres protecteurs doublés d’un grillage étaient intacts : pas la plus infime fêlure… Lemercier réagissait :
— Quelle larme ?
— Le bijou qui était à cet endroit : un ornement d’oreille, dépareillé d’ailleurs, composé de deux très beaux diamants blanc bleu… vous êtes-vous absentés à un moment ou à un autre ? s’enquit-il en se tournant vers l’un des gardiens mais déjà le commissaire intervenait :
— S’il vous plaît ! C’est moi qui pose les questions et ceci est mon travail !… Alors ? Vous êtes-vous absentés ?
Les interpellés devinrent très rouges. L’un d’eux, visiblement gêné, expliqua qu’il s’était éloigné un court moment pour aller aux toilettes. Quant à l’autre, plus rouge encore, il admit être accouru aux fenêtres quand les cris avaient éclaté…
— Mais je ne me suis pas éloigné de plus de dix mètres…
— C’est plus que suffisant ! Et bien sûr vous n’avez vu personne ?
— Ben… non ! Je regardais dans le jardin…
— Et pendant ce temps-là quelqu’un est venu, quelqu’un qui avait la clef de la vitrine, l’a ouverte, a pris ce qu’il voulait et est reparti tranquillement ? Ah, bravo ! C’est ce qui s’appelle une garde efficace ! Nous aurons encore à en parler. Pour l’instant, il faut savoir qui a les clefs…
Le joaillier Chaumet s’avança :
— M. le conservateur et moi. Deux triples jeux de clefs. Voici le mien. Il faut que quelqu’un ait réussi à en prendre copie. J’ajoute que, ce qui m’étonne, c’est que l’on se soit donné tant de peine pour ne prendre que cette seule pièce… qui en plus était fausse !
— Ah ! C’est ce dont j’ai cru m’apercevoir, ajouta Aldo. Une belle imitation, vraiment, mais je ne vous cache pas, mon cher ami, que je n’étais pas très satisfait de la voir trôner entre deux joyaux incontestables tant par l’Histoire que la qualité des pierres…
— Cela veut dire que le voleur, lui, n’y a vu que du feu ! Mais je me demande aussi pourquoi il s’est contenté de ce maigre butin et a dédaigné les précieuses « girandoles » de monsieur, fit Lemercier sarcastique en détachant les syllabes… ou ces magnifiques bracelets. Qui sont à qui ?
— Au banquier suisse Moritz Kledermann, annonça innocemment le joaillier. Il n’est pas des nôtres aujourd’hui mais le prince Morosini le représente : c’est son beau-père…
— Ah… oui ? Comme c’est intéressant ! Dans ce cas, nous devrions avoir prochainement de longs et fructueux entretiens…
Son regard luisant était celui-là même du matou qui s’avise de la présence d’une souris dodue dans son voisinage. Pour un peu il se fût léché les babines. Aldo étouffa un soupir en essayant de comprendre ce qu’il y avait en lui qui braquait automatiquement tous les policiers dont il faisait connaissance dans quelque pays du monde que ce fût. Sauf, naturellement, à Venise et à New York où il s’était admirablement entendu avec Phil Anderson, le chef de la Police métropolitaine. Il est vrai que, à Londres comme à Paris, il avait fini par nouer de solides amitiés avec le Chief Superintendant Gordon Warren et le commissaire divisionnaire Langlois, mais cela n’avait pas été sans mal. C’était comme une fatalité ! Avec ce Lemercier, en tout cas, il ne se sentait pas la moindre envie de fraterniser mais joua le jeu :
— Avec plaisir, assura-t-il. J’ajoute que j’aimerais entendre la raison motivant la présence de cette fausse « larme ».
— Je n’en doute pas mais vous me permettrez de la garder pour moi ! Nous aurons d’autres sujets de conversation. En attendant, vous aurez l’amabilité de donner vos coordonnées à l’inspecteur Bon que voici et vous présenter demain après-midi à mon bureau dont on va vous communiquer l’adresse. À trois heures !
— Mais enfin, s’insurgea Gilles Vauxbrun, vous semblez supposer, commissaire, que M. Morosini à quelque chose à voir dans ce vol bizarre doublé d’un meurtre ? Nous sommes une dizaine à pouvoir jurer qu’il était au jardin avec nous tous… et trop éloigné du lieu du crime comme de celui du vol !
— C’est vrai ! affirma gravement Crawford. Je peux jurer moi aussi ainsi que ma femme et bien d’autres…
Lemercier fronça le nez et renifla peu gracieusement :
— Je vous remercie mais je suis seul juge des développements que j’entends donner à l’enquête. On peut être criminel sans avoir jamais manié une arme ou une pince-monseigneur ! Ainsi donc, monsieur Morosini, je vous attends demain comme convenu. Mais rassurez-vous, messieurs, votre tour viendra !
Et sur ces paroles réconfortantes, le commissaire Lemercier recoiffa son chapeau melon et s’en alla rejoindre dans le jardin ses assistants occupés à entendre le menu fretin, les personnalités les plus importantes ayant été libérées depuis longtemps ! Y compris, naturellement, l’ambassadeur de Mongolie-Extérieure, couvert par son statut diplomatique bien qu’il eût traité les policiers en général de « chiens aux dents jaunes ! » et ri, ou plutôt aboyé, au nez de Lemercier !
CHAPITRE II
OÙ L’ON RETROUVE UN VIEIL AMI
Dans l’antique Panhard & Levassor noire étincelante de cuivres et menée en majesté par Lucien, le vieux chauffeur de Mme de Sommières qui les rapatriait rue de Monceau, Marie-Angéline s’enferma dans un mutisme tout à fait inattendu chez elle : d’habitude elle avait l’indignation volubile mais là, rien ! Pas un mot ! Assise très droite à côté d’Aldo, une main gantée passée dans la dragonne de passementerie bleue qui permettait de se tenir dans les cahots, l’œil sévère et le nez en l’air, elle regardait le paysage défiler derrière la vitre de la portière. Un peu surpris d’abord, Aldo ne s’en estima pas moins satisfait : il s’était attendu à un concerto vocal sur le thème des temps barbares que l’on vivait ; il récoltait un divin silence qui lui permit même de faire un petit somme…
"Les Larmes De Marie-Antoinette" отзывы
Отзывы читателей о книге "Les Larmes De Marie-Antoinette". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Les Larmes De Marie-Antoinette" друзьям в соцсетях.